Abstract
Contrat de travail
Contrats successifs à durée déterminée - Substitution d'un contrat à durée indéterminée - Licenciement sans motif valable.
Résumé
Le renouvellement à plusieurs reprises d'un contrat concernant la même activité professionnelle a pour effet de modifier la nature des rapports de travail et de lier les parties par un contrat à durée indéterminée. Un licenciement intervenu le lendemain d'une décision de mise à pied, revêt un caractère fautif tant en la forme par sa rapidité et brutalité, qu'au fond dès lors qu'une sanction appropriée venait de réprimer les faits reprochés à l'employée.
Motifs
Le Tribunal statuant comme juridiction d'appel,
Statuant sur l'appel parte in qua interjeté suivant exploit du 28 mars 1983 par la Société des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers, ci-après S.B.M., à l'encontre du jugement non signifié prononcé par le tribunal du travail le 3 mars 1983, lequel dans l'instance opposant F. G. à la S.B.M., a estimé que l'employée ne pouvait se prévaloir d'un contrat à durée indéterminée et a rejeté les chefs de demande tendant au paiement des indemnités de congédiement et de licenciement qui en découlaient, a relevé que les mêmes faits reprochés à l'employée avaient donné lieu de la part de l'employeur à deux séries de sanctions distinctes (suspension d'emploi et de traitement pendant un mois et rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée avec versement du salaire jusqu'au terme convenu), dont la seconde, intervenue le lendemain de la décision de mise à pied, ne pouvait être considérée comme légitime et valable mais relevait de la légèreté blâmable et même de l'intention de nuire constitutive d'un abus de licenciement ouvrant droit à des dommages-intérêts, et a retenu, pour évaluer les dommages subis par F. G., employée en qualité d'hôtesse, le préjudice - distinct de celui réparé par le versement du salaire jusqu'au terme du contrat - constitué par la perte de pourboires aléatoires non prévus au contrat dont les clients de la salle de jeux S.B.M./Loews où elle exerçait son activité, la gratifiaient ;
Que le tribunal du travail a pour ces motifs dit que le contrat de travail rompu par la S.B.M. était à durée déterminée, jugé abusive la rupture de ce contrat de travail et condamné l'employeur à verser à F. G. la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts en la déboutant du surplus de sa demande ;
Attendu que la S.B.M. fait grief au jugement attaqué - dont elle sollicite toutefois la confirmation en ce qu'il a dit que les parties étaient liées par un contrat à durée déterminée - d'avoir inexactement apprécié les faits de la cause en estimant abusif le licenciement intervenu alors que les impératifs du service lui imposaient de dispenser la salariée d'exécuter son contrat de travail pour le temps restant à courir tout en lui versant par ailleurs la contrepartie financière contractuellement prévue ;
Qu'elle soutient que le calcul des dommages-intérêts opéré par les premiers juges a tenu compte d'éléments extracontractuels qu'elle ne pouvait prévoir lors de la conclusion du contrat de travail et dont elle n'a ni la maîtrise ni le contrôle ;
Qu'elle précise dans ses dernières écritures que les documents contractuels (contrat particulier et conventions collectives avec leurs avenants) lui permettaient de ne pas reconduire pour une nouvelle période de 18 mois le contrat de son employée qu'elle estime n'avoir pas rompu, en sorte qu'il ne peut être question de licenciement en l'espèce mais de simple refus de contracter ;
Qu'elle rappelle que le comportement « négatif » de l'employée dans ses fonctions d'hôtesse s'est manifesté à plusieurs reprises et a entraîné des avertissements verbaux et une réprimande avec inscription au dossier le 9 juillet 1981 avant la décision de mise à pied, en sorte qu'après examen de sa situation, elle n'a pu être maintenue dans le service sans pour autant que cette décision, qui s'accompagnait du versement des salaires jusqu'au terme du contrat, puisse être regardée comme fautive ;
Qu'elle estime enfin que la notion de perte de chance dont ont usé les premiers juges pour le calcul des dommages-intérêts ne peut servir de référence en fait comme en droit ;
Que la S.B.M. demande en conséquence au Tribunal d'appel de réformer le jugement entrepris en jugeant qu'elle n'a commis aucun abus de droit en interrompant le contrat de travail à durée déterminée, dans les conditions ci-dessus rappelées, pour de justes motifs en sorte que des dommages-intérêts n'ont pas lieu d'être alloués, ne serait-ce, à titre subsidiaire, que par application des dispositions de l'article 1005 du Code civil ;
Attendu que F. G. reprend pour sa part les moyens contenus dans ses écritures de première instance - auxquels le tribunal, en tant que de besoin, fait expressément référence - et forme appel incident, sauf en ce que le Tribunal a retenu un abus du droit de licenciement par l'employeur, pour obtenir paiement des indemnités de licenciement et de congédiement (10 634,29 francs) auxquelles elle s'estime fondée à prétendre, s'agissant en réalité d'un contrat de travail à durée indéterminée ayant débuté le 25 octobre 1976 et s'étant poursuivi de manière constante et ininterrompue jusqu'au licenciement intervenu à effet du 20 mai 1982 ;
Qu'elle prétend qu'en raison des gratifications dont elle bénéficiait, son préjudice a été inexactement évalué et sollicite l'octroi de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
Sur quoi,
Attendu que les appels, tant principal qu'incident, apparaissent réguliers en la forme et doivent à ce titre être déclarés recevables ;
Attendu, sur la qualification du contrat de travail, qu'en dépit des éléments contractuels invoqués, il ne saurait être perdu de vue que la S.B.M., par conventions distinctes du 22 octobre 1976, 17 mai 1978, 15 octobre 1979 et 24 avril 1981 a engagé, chaque fois pour une durée de 18 mois, F. G. en qualité d'hôtesse dans la salle des jeux S.B.M./Loews en sorte que cette employée, dont le contrat a été renouvelé à chaque période d'expiration, a accompli sans solution de continuité pendant près de 6 années le même travail au service du même employeur ; qu'en l'espèce, la permanence de cette situation a incontestablement eu pour effet de modifier la nature des rapports de travail unissant les parties en sorte que celles-ci doivent être considérées comme ayant été liées par un contrat à durée indéterminée avec les conséquences légales qui s'y rattachent ; que le jugement entrepris a donc lieu d'être infirmé de ce chef ;
Attendu qu'il est nécessaire de rappeler, dans le domaine des faits, que dans la nuit du 17 mars 1982 F. G. apparaît avoir fait preuve au vu des éléments du dossier, d'insubordination et d'une certaine insolence à l'égard d'un supérieur hiérarchique après que celui-ci lui ait enjoint de regagner la salle où ses services étaient réclamés ; qu'il résulte des pièces produites que ce comportement a immédiatement entraîné une mesure de suspension d'emploi et de traitement à compter du 18 mars 1982 jusqu'à la comparution de la salariée devant la Commission du Personnel de la S.B.M. siégeant disciplinairement ; que dans sa séance du 16 avril 1982, cette Commission s'est réunie pour l'examen des faits ci-dessus brièvement rappelés, reprochés à l'employée ; que les représentants de l'administration de la S.B.M. ont alors proposé une mesure de suspension d'emploi et de traitement d'un mois - sans toutefois recueillir l'adhésion des représentants du personnel - qui a effectivement été prononcée, au vu du procès-verbal de la Commission, par l'Administration-délégué de la S.B.M. selon décision du 11 mai 1982 ;
Attendu qu'il doit à ce stade être relevé que l'employeur a ainsi admis que les faits retenus à l'encontre de F. G. ne constituaient pas une faute pouvant motiver son licenciement et ne justifiaient qu'une mise à pied d'un mois ;
Attendu en conséquence qu'en consacrant, par lettre recommandée du 12 mai suivant, la rupture définitive du contrat de travail au motif qu'il n'était pas exécuté « dans l'esprit répondant aux impératifs du rôle des hôtesses... lesquelles doivent, dans l'accomplissement de leurs fonctions, réagir instantanément aux appels des cadres jeux et de la clientèle... », tout en exigeant, compte tenu de la « nécessité du service », le départ immédiat de l'employée, l'employeur a procédé à son licenciement sans motif valable et doit dès lors être tenu au paiement d'une indemnité de licenciement par application de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968 ;
Qu'en outre et en l'absence de faute grave de F. G., la S.B.M. a l'obligation de lui verser une indemnité compensatrice de l'inobservation du délai de préavis - laquelle a fait l'objet d'une demande implicite mais nécessaire eu égard au décompte contenu dans les écritures judiciaires de l'intimée (p. 2 des conclusions du 9 juin 1983) - conformément aux dispositions légales régissant la matière ;
Attendu qu'au vu de ces textes, les montants, non contestés, des sommes réclamées dans l'acte introductif d'instance devant le Tribunal du travail apparaissent avoir été justement calculés ;
Qu'au titre de l'indemnité compensatrice de l'absence de préavis, il y a lieu d'allouer à F. G., compte tenu de son ancienneté ininterrompue au service du même employeur, la somme de 7 618,80 francs correspondant à la rémunération dont elle aurait bénéficié durant le délai de préavis de 2 mois ;
Que la S.B.M. doit en conséquence être condamnée à payer à F. G. les sommes de 10 634,29 francs à titre d'indemnité de licenciement et de 7 618,80 francs à titre d'indemnité compensatrice de préavis, soit au total 18 253,09 francs ;
Attendu par ailleurs qu'un tel licenciement, intervenu le lendemain de la décision de mise à pied pour les même motifs ayant entraîné cette dernière mesure, revêt un caractère fautif tant en la forme par sa rapidité et sa brutalité en dépit du versement concomitant de sommes à titre de « salaires », le congédiement étant immédiat et accompagné d'une interdiction de reparaître sur les lieux de travail, qu'au fond, dès lors qu'une sanction appropriée venait de réprimer les faits reprochés à l'employée, lesquels ne pouvaient à la fois justifier la suspension du contrat pendant un mois et sa rupture définitive ;
Que l'abus dans l'exercice de son droit de licenciement commis par la S.B.M. ouvre droit à des dommages-intérêts devant réparer le préjudice effectivement subi par F. G. du fait de la perte d'un emploi rémunérateur, eu égard en particulier aux gratifications importantes que l'employée recevait des clients de l'établissement de jeux et qui ne pouvaient être méconnues de la Direction de cet établissement, la circonstance que celle-ci ne disposait d'aucun contrôle ou maîtrise sur les pourboires ainsi perçus se révélant sans portée en l'espèce dès lors qu'il n'est pas contesté que ces gratifications, bien que non incluses dans le salaire, en constituaient un complément substantiel ;
Qu'au regard des éléments d'appréciation dont le tribunal dispose, il apparaît équitable d'allouer à F. G. la somme de 40 000 francs à titre de dommages-intérêts, de laquelle il y a lieu de déduire les sommes qui lui ont été versées à son départ par la S.B.M. - improprement qualifiées de salaires eu égard à ce qui a été jugé sur la nature du contrat de travail - soit 40 000 - 23 366,71 = 16 633,29 francs ;
Attendu que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal,
Statuant comme juridiction d'appel du tribunal du travail et infirmant le jugement prononcé par cette juridiction le 3 mars 1983,
Déclare recevables en la forme les appels principal et incident ;
Dit que le contrat de travail unissant les parties et rompu par l'employeur constituait en réalité un contrat à durée indéterminée ;
Juge que le licenciement est intervenu sans être justifié par un motif valable ;
Dit que F. G. est fondée à obtenir une indemnité de licenciement et une indemnité compensatrice de l'inobservation du délai de préavis ;
Condamne de ces chefs la S.B.M. à lui payer la somme de 18 253,09 francs ;
Juge abusive la rupture du contrat de travail par la S.B.M. et condamne en outre cette société à verser à F. G., après déduction des sommes antérieurement réglées, la somme de 16 633,29 francs à titre de dommages-intérêts ;
Condamne la S.B.M. aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Sbarrato, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;
Composition
MM. Huertas prés. ; Garrabos, subst. proc. gén. ; MMes J. Ch. Marquet, Sbarrato, av. déf.
Note
Note : Le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté par arrêt de la Cour de révision du 23 avril 1985.
^