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21/03/1985 | MONACO | N°25083

Monaco | Tribunal de première instance, 21 mars 1985, Société Encoplast c/ Société Mondial Chrome


Abstract

Brevet d'invention

a) Clause d'un contrat de licence prohibant la contestation de la validité du brevet. Licéité (oui).

b) Effet relatif de la chose jugée attachée à l'annulation d'un brevet.

Résumé

La demande tendant à la nullité de brevets déposés apparaît irrecevable dès lors que les parties se sont contractuellement engagées, par une clause claire et précise, à ne point contester la validité desdits brevets, à supposer même qu'une décision judiciaire ait prononcé antérieurement à l'initiative d'un tiers, l'annulation desdi

ts brevets, dès lors qu'il n'est point établi que cette clause soit contraire à l'ordre public et que...

Abstract

Brevet d'invention

a) Clause d'un contrat de licence prohibant la contestation de la validité du brevet. Licéité (oui).

b) Effet relatif de la chose jugée attachée à l'annulation d'un brevet.

Résumé

La demande tendant à la nullité de brevets déposés apparaît irrecevable dès lors que les parties se sont contractuellement engagées, par une clause claire et précise, à ne point contester la validité desdits brevets, à supposer même qu'une décision judiciaire ait prononcé antérieurement à l'initiative d'un tiers, l'annulation desdits brevets, dès lors qu'il n'est point établi que cette clause soit contraire à l'ordre public et que l'effet de la chose jugée attachée tant en France qu'à Monaco n'est que relatif.

Motifs

Le Tribunal,

Attendu que, saisi en premier lieu par la société Encoplast d'une demande principale tendant, pour l'essentiel à l'exécution, quant aux redevances y étant prévues, d'une convention conclue le 20 août 1974, par laquelle cette société avait accordé à la société Mondial Chrome la licence d'un brevet régulièrement déposé à Monaco le 9 août 1974, puis en France le 14 août suivant, et, en deuxième lieu, d'une demande reconventionnelle de cette dernière société en nullité dudit brevet, en résiliation, raison de cette nullité, de la convention de licence intervenue et en dommages-intérêts, le Tribunal, s'étant déclaré compétent pour connaître desdites demandes, par un jugement rendu le 12 juillet 1984 contenant l'exposé des faits de la cause et des prétentions initiales des parties, a, par ledit jugement et avant de statuer au fond, renvoyé ces mêmes parties à conclure sur la portée qu'elles entendaient conférer à l'article 10 de la convention susvisée, ainsi conçu :

« La société Encoplast garantit à la société Mondial Chrome uniquement l'existence matérielle de la demande de brevet objet des présentes. En particulier, elle ne garantit ni sa nouveauté, ni son exploitation possible. La société Mondial Chrome s'interdisant expressément de contester en aucun cas la validité dudit brevet ainsi que celle du présent contrat, en cas de recours des tiers ou d'annulation du brevet » ;

Attendu que la société Mondial Chrome a sur ce point conclu le 28 octobre 1984 qu'un tel article mettait d'abord à la charge de la société Encoplast une obligation de garantie limitée à l'existence matérielle du brevet, qu'il était dès lors de caractère léonin puisqu'il autorisait ladite société à exiger le paiement de redevances même à défaut d'invention réelle, qu'il se trouvait, en conséquence dépourvu de validité au regard de la jurisprudence, en l'état de la mauvaise foi de cette même société qui lui ferait obstacle, déduite de divers faits matériels invoqués (qui tous sont postérieurs, cependant, à la date de conclusion du contrat incluant ledit article) mais que, même à le supposer valable en ses termes et, partant, exempt de toute finalité dolosive de la part de la société Encoplast, la non-garantie dont celle-ci pourrait alors se prévaloir à l'effet, de se soustraire au paiement d'indemnités, ne faisait nullement échec à la résiliation sollicitée ;

Attendu que la société Mondial Chrome a, d'autre part, conclu qu'en tant qu'il lui interdisait par ailleurs de discuter la validité du brevet ainsi que celle du contrat de licence en cas de recours de tiers ou d'annulation du brevet, l'article 10 précité ne pouvait être interprété de manière cohérente puisqu'il interdisait selon sa lettre toute discussion du brevet dans l'hypothèse même où ce brevet aurait fait l'objet d'une annulation, laquelle s'imposerait à tous et impliquerait la cessation du contrat de licence qui ne pourrait être exploité sur la base d'un brevet nul, alors que dans ce cas, cependant, toujours selon sa lettre, ledit article ferait nécessairement échec à la résiliation d'un contrat de licence dépourvu de cause, ce qui porterait atteinte à un droit d'ordre public auquel on ne pourrait contractuellement déroger, en sorte que ce même article, exorbitant du droit commun, ne saurait, en l'espèce, produire effet ;

Que la société Mondial Chrome maintient dès lors ses demandes antérieures au jugement susvisé en y ajoutant celle, subsidiaire, pour le cas où le Tribunal ne s'estimerait pas suffisamment informé quant à la validité du brevet dont s'agit, qu'une expertise soit ordonnée relative à la brevetabilité de l'invention litigieuse ;

Attendu que, la société Encoplast a estimé pour l'essentiel quant aux termes de l'article 10 ci-dessus rapportés, d'une part, que la clause par laquelle un brevet stipule dans un contrat de licence que le licencié ne peut pas contester la validité du brevet est valable en jurisprudence, d'autre part, que le bénéfice de la clause de non garantie qui en résulte ainsi pour elle ne saurait lui être retiré en l'espèce puisque sa mauvaise foi, qu'elle conteste, ne serait en aucune manière démontrée par les faits à ce titre invoqués ;

Que cette demanderesse principale qui maintient les termes de son exploit introductif d'instance ultérieurement complété par ses écritures judiciaires, sollicite dès lors du Tribunal qu'il déclare la société Mondial Chrome irrecevable à demander, d'une part, la nullité du brevet déposé à Monaco, le 9 août 1974 et, d'autre part, à titre de conséquence, la résiliation anticipée du contrat de licence intervenu le 20 août 1974 ;

Sur quoi,

Attendu qu'ainsi que les parties en sont convenues dans leurs conclusions ampliatives en dernier lieu déposées, la lettre de l'article 10 du contrat de licence susvisé apparaît présentement s'opposer au moyen tiré de la nullité des brevets obtenus sous les numéros 1123-75-1045 à Monaco et 74 28215 en France, ladite nullité ayant été apparemment invoquée par une référence implicite aux dispositions de la loi française n° 68-1 du 2 janvier 1968, ultérieurement modifiée, faisant de l'existence d'une activité inventive une condition de brevetabilité que ne prévoit pas la loi monégasque n° 606 du 20 juin 1955 modifiée par la loi n° 625 du 5 décembre 1956 ;

Attendu que la recevabilité de la demande de nullité ainsi formulée - dont le caractère déterminant pour le présent litige a été précédemment relevé par le jugement précité, non frappé de recours, qui a, par avance implicitement admis comme légitime l'éventualité de la résiliation en l'espèce d'une licence consentie sur un brevet nul - suppose qu'il puisse être passé outre, par la société Mondial Chrome, aux dispositions de l'article 10 du contrat dont s'agit, en date du 20 août 1974, en ce qu'elles seraient dépourvues d'effet en l'espèce, comme ladite société le soutient ;

Attendu que l'article 10 mentionné comporte, en sus de l'interdiction pour la société Mondial Chrome de contester la validité du contrat précité en cas de recours des tiers ou d'annulation du brevet, circonstances étrangères à la présente instance à ce stade de celle-ci, l'interdiction de « contester en aucun cas la validité du brevet » ;

Attendu que cette dernière interdiction résultant d'une disposition claire et non ambiguë d'un contrat dont la validité d'ensemble n'a pas été présentement attaquée, doit être reconnue valable entre les parties sur la base de l'article 989 du Code civil dès lors que, dans les conclusions de la société Mondial Chrome le seul effet d'ordre public invoqué pour s'opposer à cette disposition n'y est conçu comme viciant en elle-même celle-ci mais, de manière plus complexe, l'interdiction faite à ladite société de se prévaloir à l'encontre de la société Encoplast d'une annulation du brevet qui aurait été antérieurement prononcée notamment à l'initiative d'un tiers, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence, étant ici relevé que, dans cette hypothèse l'effet attaché tant en France qu'à Monaco à la chose jugée sur la nullité serait non point absolu, comme la société Mondial Chrome le soutient, mais simplement relatif ;

Qu'il s'ensuit que la société Mondial Chrome doit être déclarée irrecevable en sa demande de nullité, et, partant, déboutée de ses autres demandes reconventionnelles seulement formulées sur la base de celle-ci ;

Attendu par ailleurs qu'il résulte des pièces produites par la société Encoplast que la convention de licence en date du 20 août 1974 a été prorogée par un avenant conclu le 20 juillet 1978 - dont la validité n'a pas, non plus été attaquée - jusqu'au 31 décembre 1993, en sorte que la société Mondial Chrome se trouve présentement tenue jusqu'à cette date (antérieure à l'expiration de la durée de validité de principe du premier brevet déposé) de verser notamment à la société Mondial Chrome une redevance de 5 % calculée sur le prix de vente aux utilisateurs, diminuée de toutes les taxes en vigueur, des biens protégés par les brevets susvisés ;

Attendu qu'en dépit d'une telle prorogation la société Mondial Chrome a cessé de verser les redevances lui incombant dès l'année 1981 ainsi qu'elle l'a reconnu par une lettre versée aux débats émanant de son président-directeur général et datée du 22 septembre 1981 ;

Attendu que la société Encoplast doit être, dès lors, déclarée bien fondée dans le principe de sa demande de paiement des redevances dues ;

Attendu cependant que, pour déterminer le montant de celles-ci, il y a lieu de procéder à la désignation d'un expert comptable, en réservant par ailleurs la demande principale de dommages-intérêts sur laquelle il sera ultérieurement statué ;

Attendu toutefois qu'en l'état du contrat liant les parties et eu égard à ce qui précède la société Mondial Chrome doit être d'ores et déjà déclarée tenue de verser à la société Encoplast, sur la base des brevets auxquels foi est due, une provision sur les redevances dues à raison de l'exploitation de ceux-ci que le Tribunal estime devoir fixer, compte tenu des éléments suffisants d'appréciation dont il dispose au regard du montant moyen et annuel des redevances antérieurement versées en exécution du contrat dont s'agit, à la somme de 300 000 francs laquelle sera ultérieurement déduite du montant des redevances dont la société Mondial Chrome sera en définitive reconnue débitrice ;

Attendu que de ce chef, en l'état du contrat prorogé du 20 août 1974 valant à cet égard promesse reconnue, l'exécution provisoire du présent jugement doit, ainsi qu'il a été demandé, être ordonnée nonobstant appel, et sans caution, par application du premier alinéa de l'article 11 de l'ordonnance souveraine sur l'appel du 21 mai 1909 ;

Attendu enfin que la société Mondial Chrome qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement ;

Déclare la société Mondial Chrome irrecevable en sa demande de nullité des brevets respectivement obtenus par la société Encoplast sous les numéros 1123 75-1045 à Monaco et 74-28215 en France ;

Déclare ladite société Encoplast bien fondée dans le principe de sa demande de paiement de redevances sur la base du contrat susvisé en date du 20 août 1974 ultérieurement modifié ;

Avant de statuer tant sur sa demande de dommages-intérêts que sur le montant des redevances à elle dues par la société Mondial Chrome, désigne Monsieur Jacques Zylberman, demeurant ., en qualité d'expert, lequel serment préalablement prêté aux formes de droit et avec l'assistance s'il y a lieu, de tout sapiteur de son choix, aura pour mission, s'étant fait communiquer par les parties toutes correspondances et tous documents contractuels ou comptables utiles, de rapporter au Tribunal les éléments de fait lui permettant de déterminer - outre les éventuels dommages-intérêts pouvant revenir à la société Encoplast à raison de l'attitude de sa cocontractante, la date à laquelle les redevances dues par la société Mondial Chrome en l'état du contrat précité n'ont plus été versées, ainsi que le montant des redevances demeurant dues, à la date du rapport d'expertise devant être déposé, calculé sur la base des cinq pour cent du prix net et hors taxes consenti par la société Mondial Chrome, aux utilisateurs des biens protégés par les brevets susvisés, sur les ventes desdits biens ;

Dit que l'expert ainsi commis répondra dans le cadre de sa mission à tous dires écrits des parties qu'il conciliera si faire se peut, et qu'il déposera en tous cas rapport de ses opérations dans les 3 mois du début de celles-ci ;

Désigne Madame Monique François, premier juge au siège pour suivre lesdites opérations d'expertise ;

Dit qu'en cas d'empêchement du magistrat ainsi désigné il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance ;

Condamne la société Mondial Chrome à payer à la société Encoplast, à valoir sur le montant des redevances dont celle-ci sera après expertise reconnue créancière, une provision de 300 000 francs ;

Ordonne de ce chef l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution ;

Déboute la société Mondial Chrome du surplus de ses demandes reconventionnelles ;

Composition

MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Clerissi, Lorenzi, av. déf. ; de Bouchony, av.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 25083
Date de la décision : 21/03/1985

Analyses

Marques et brevets ; Contentieux et coopération judiciaire


Parties
Demandeurs : Société Encoplast
Défendeurs : Société Mondial Chrome

Références :

loi n° 625 du 5 décembre 1956
article 989 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;1985-03-21;25083 ?

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