Abstract
Rétractation d'un jugement
Recevabilité de la demande en rétractation d'un jugement du Tribunal de première instance comme juridiction d'appel du Tribunal du travail (oui) - Pièces non décisives - Défaut de rétention d'autres pièces -Rejet.
Résumé
En l'absence de contestation de la défenderesse quant à l'inobservation éventuelle par la demanderesse du délai prévu par les articles 430 et 431 du Code de procédure civile pour former une demande en rétractation du jugement, il n'y a pas lieu de rechercher si la demanderesse a agi dans les trente jours de la découverte des pièces dans le respect des prévisions édictées par la loi.
Le texte général de l'article 428 dudit code ne distinguant pas la manière dans laquelle « les jugements et arrêts » susceptibles de rétractation sont intervenus et la volonté du législateur monégasque n'apparaissant pas contraire, il y a lieu d'admettre la recevabilité d'une action en rétractation d'un jugement du Tribunal de première instance ayant statué comme juridiction d'appel du Tribunal du travail.
Les conditions exigées par le § 10 de l'article 428 du Code de procédure civile pour que la demande en rétractation puisse aboutir, au fond, n'étant pas remplies en l'espèce - les pièces retrouvées ne présentant pas un caractère décisif ni n'apparaissant avoir fait l'objet d'une rétention par la partie adverse -, il y a lieu de débouter la demanderesse de son action en rétractation de jugement.
La mise en œuvre de cette voie de recours extraordinaire rarement utilisée en pratique nécessitait un examen attentif de ses conditions d'exercice par la demanderesse ; la légèreté avec laquelle elle a introduit cette action a justifié l'allocation de dommages-intérêts au profit de la défenderesse.
Motifs
Le Tribunal,
Attendu que statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du travail, le tribunal de céans, saisi par J. O., épouse C. d'une demande tendant en particulier à faire juger qu'elle a été engagée, en qualité de salarié et en exécution d'un contrat de travail, par la Société Radio Monte-Carlo (R.M.C.) au cours de la période litigieuse du mois d'avril 1966 à janvier 1975 a, selon jugement du 9 février 1984 auquel il y a lieu de se reporter, en tant que de besoin, confirmé la décision des premiers juges en date du 30 juin 1983 par adoption (1) et adjonction (2) de motifs en relevant :
1) - que si les attestations produites par J. C. confirmaient sa participation, antérieurement au 1er janvier 1975, à l'animation et à la programmation de certaines émissions de la chaîne italienne de R.M.C. (collaboration au demeurant non contestée par R.M.C), elles n'établissaient pas pour autant la nature des relations l'unissant à R.M.C.,
* que J. C. ne fournissait aucun document ou élément permettant de qualifier le lien de droit ayant pu exister entre les parties,
* qu'enfin, par lettre du 28 octobre 1974 adressée au directeur des services administratifs de R.M.C., elle s'élevait elle-même contre la prétention de R.M.C. de lui adresser des directives par note de service en l'absence de tout contrat avec la société et donc de tout lien de subordination ;
2) - qu'en outre ces attestations la présentent comme l'assistante et la collaboratrice directe de son époux N. C., à l'époque producteur de l'émission italo-française de R.M.C., et qu'elles ne sont, dès lors, pas de nature à caractériser un lien de subordination avec cette société, critère essentiel du contrat de travail ;
Attendu que saisi d'un pourvoi par requête déposée le 13 avril 1984, la Cour de révision de la Principauté a rejeté le pourvoi par arrêt du 9 août 1984 ;
Attendu que par exploit du 14 mai 1984, J. C. a formé une demande en rétractation du jugement précité de ce Tribunal en date du 9 février 1984, fondée sur les dispositions de l'article 428-10° du Code de procédure civile, tendant à obtenir du Tribunal qu'il dise et juge : « qu'il est établi par les pièces du dossier que de 1966 à 1974 N. C. était producteur salarié de R.M.C. ;
Qu'en cet état la requérante, qui était sa collaboratrice et assistante, ne pouvait être un travailleur indépendant puisqu'elle exerçait ses fonctions sous la responsabilité et le contrôle de (N. C.), lui-même salarié de la station, et ne disposait de ce fait d'aucune autonomie ;
Que pendant toute cette période ses salaires lui ont été versés directement par R.M.C., sous la dénomination de programmation » ;
et que le Tribunal rétracte en conséquence la décision entreprise, en ce qu'elle a considéré que la subordination la liant à R.M.C., n'était pas établie, et ordonne la régularisation de sa situation auprès des Caisses sociales pour la période d'avril 1966 à décembre 1974 ;
Attendu qu'au soutien de sa demande, J. C. fait valoir « qu'elle vient de retrouver » de nouvelles pièces décisives (lettres émanant de R.M.C. et attestation du directeur des services administratifs et financiers de cette société qui établiraient la qualité de salarié de N. C. pendant la période litigieuse, outre des talons de chèques pour les années 1969 à 1974 qui auraient été adressés par R.M.C. à la demanderesse à titre de salaires pour son travail) dont la teneur démontre, selon elle, que la collaboration avec son époux pour la période considérée s'exerçait dans le cadre d'un contrat de travail la liant à R.M.C. puisque N. C., lui-même salarié n'avait aucune qualité pour l'employer directement comme collaboratrice ;
Attendu qu'en réponse la S.A.M. R.M.C., après avoir abandonné sa demande de sursis à statuer, formée dans ses premières conclusions, en l'état de l'arrêt de la Cour de révision intervenu le 9 août 1984, soutient au principal que la procédure de rétractation n'ayant pas été prévue par la loi n° 446 du 16 mai 1946 dont l'article 49 ne rend applicable à la juridiction du travail que le livre 2°, 1er partie du Code de procédure civile, alors que les voies de recours extraordinaires font l'objet du livre 3°, la demande de J. C. doit être déclarée irrecevable, observation étant faite, en outre, que les relations entre employeur et préposé doivent être précédées d'une tentative de conciliation qui n'a pas eu lieu dans la présente procédure ;
Qu'à titre subsidiaire, la société R.M.C. prétend que la demande en rétractation n'est pas fondée au motif que les « pièces recouvrées » à défaut d'être décisives, ne rentre ni dans le cadre ni dans la définition du § 10 de l'article 428 du Code de procédure civile ;
Qu'elle demande reconventionnellement le paiement de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure téméraire et abusive ;
Sur quoi,
Attendu, sur la recevabilité de la demande en rétractation, que la société R.M.C. s'abstient de faire porter sa discussion sur l'inobservation éventuelle du délai prévu par les articles 430 et 431 pour former une telle demande, alors qu'il résulte des termes de la requête en révision précitée reçue le 13 avril 1984 par le greffe que les pièces qui en constituent le soutien « venaient d'être retrouvées » par J. C. qui a saisi le Tribunal par exploit du 14 mai suivant ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de rechercher, à défaut de toute contestation sur ce point et de production d'autre élément, si la demanderesse a agi dans les 30 jours de la découverte des pièces dans le respect des prescriptions édictées par la loi ;
Attendu par ailleurs que si l'article 49, mais aussi et surtout l'article 67 de la loi n° 446 modifiée par la loi du 16 mars 1963, peuvent donner à penser que le législateur n'a pas ouvert d'autre voie de recours, pour les jugements du Tribunal civil statuant sur appel du Tribunal du travail, que celle de la révision, il demeure que le texte général de l'article 428 du Code de procédure civile mentionnant « les jugements et arrêts » qui peuvent être rétractés ne distingue pas selon la matière dans laquelle ils interviennent, et que la doctrine et la jurisprudence françaises se sont clairement prononcées, sur la base de textes analogues à ceux actuellement en vigueur en Principauté, en faveur de la recevabilité de principe des demandes en rétractation contre les décisions de toutes les juridictions et en particulier de celles compétentes en matière de droit du travail, étant par ailleurs observé que les discussions et études préalables au vote des articles 49 et 67 précités ne permettent pas de déceler une intention contraire de la part du législateur monégasque ;
Attendu d'autre part, que le respect de la procédure de conciliation instituée par la loi dans le dessein de régler les différends s'élevant à l'occasion du contrat de travail entre les employeurs et leurs salariés ne saurait être exigé à l'occasion de l'exercice, par une partie, des voies de recours ordinaires ou extraordinaires qui lui sont ouvertes par la loi ;
Attendu, en conséquence, qu'il y a lieu d'admettre la recevabilité de la présente action qui satisfait, pour le surplus, aux conditions de l'article 428 du Code de procédure civile ;
Attendu, quant au fond, que ledit article en son 10e § exige qu'aient été recouvrées « depuis le jugement, des pièces décisives et qui avaient été retenues par le fait de la partie » ;
Attendu, sur la première des conditions énoncées par ce texte, qu'il est sans objet de rechercher si les lettres et attestations nouvellement produites établissent la qualité de salarié de N. C., dès lors que le Tribunal d'appel dans son jugement du 9 février 1984 s'est borné à relever que celui-ci était à l'époque producteur d'une émission de R.M.C. sans affirmer qu'il n'était pas salarié de cette société et que la présente procédure a pour finalité, non la rétractation de ce qu'a pu soutenir devant les juges la S.A.M. R.M.C. mais la rétractation de la décision du Tribunal, dont la solution n'a pu être influencée par l'absence de production des pièces susvisées, à défaut pour la juridiction d'avoir pris parti sur la situation juridique de N. C. au sein de R.M.C. ;
Qu'ainsi ces pièces ne revêtent aucun caractère décisif, pas plus d'ailleurs que celles relatives au versement de diverses sommes au moyen de chèques dont la partie correspondance est désormais produite aux débats ; qu'en effet, alors qu'il est constant qu'une collaboration entre J. C. et R.M.C. a eu lieu durant la période litigieuse et qu'il a été jugé que les prestations de la demanderesse ouvraient droit en sa faveur, non à des salaires, mais à des honoraires, il ne peut être utilement soutenu dans la présente instance que les pièces attestant du versement régulier de certaines sommes en règlement de services de « programmation » outre divers « frais » démontrent l'existence d'un lien de subordination, et partant, d'un contrat de travail entre les parties, ces règlements ayant pu intervenir en contrepartie de la collaboration ci-dessus évoquée ;
Attendu, quant à la seconde condition requise par l'article 428-10°, qu'il doit être observé que la demanderesse s'abstient de s'expliquer sur la rétention, par le fait de la Société R.M.C., des pièces nouvellement découvertes ;
Que ce silence traduit en réalité l'incapacité dans laquelle J. C. s'est trouvée, par son fait, de faire valoir sa cause en temps utile ; qu'en effet, il est essentiel de relever que les pièces nouvelles produites au soutien de la présente demande n'ont pas été retenues par la société R.M.C. puisqu'elles s'analysent soit en des lettres adressées par R.M.C. à son époux, soit en une attestation qui a nécessairement été remise à l'intéressé, soit encore en une correspondance, accompagnant des chèques, dont elle était destinataire, et qu'il en résulte qu'elles n'étaient pas en la possession de la société R.M.C. mais détenues au contraire par J. ou (N.) C. qui ne les a pas soumises à l'appréciation des juges des 1er et 2e degré, sans qu'il puisse être fait grief à la société R.M.C. d'en avoir organisé la rétention ;
Attendu en conséquence que J. C. doit être déboutée de ses demandes, les conditions d'ouverture du recours en rétractation exigées par l'article 428-10° n'étant pas réunies en l'espèce ;
Attendu, sur la demande reconventionnelle, qu'il résulte de la motivation qui précède que la demanderesse a d'autant plus légèrement mis en œuvre la présente procédure en rétractation que la voie de recours extraordinaire qu'elle constitue est peu utilisée en pratique, qu'elle nécessitait donc de sa part un examen plus attentif de ses conditions d'exercice, notamment en ce qui concerne la question de la rétention qu'elle a volontairement ou non méconnue ;
Que cette faute a occasionné à la société défenderesse un préjudice certain, ayant consisté à la contraindre à engager des frais pour assurer sa défense en justice, qu'il y a lieu de réparer par l'allocation d'une somme devant être fixée à 3 000 francs, compte tenu des éléments d'appréciation dont le Tribunal dispose ;
Attendu que les dépens et l'indemnité prévue par l'article 434 du Code de procédure civile suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Statuant contradictoirement en dernier ressort ;
Déclare recevable la demande en rétractation formée à l'encontre du jugement de ce Tribunal en date du 9 février 1984 ;
Au fond, la rejette comme infondée et déboute J. C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamne la demanderesse à payer à la S.A.M. Radio Monte-Carlo l'indemnité prévue par l'article 434 du Code de procédure civile et la somme de 3 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
Composition
MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Marquilly, J.-Ch. Marquet, av. déf.
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