Abstract
Responsabilité du fait des choses (article 1231)
Présomption de garde - Propriétaire de la chose (oui) - Pouvoir autonome et général de surveillance - Preuve contraire du transfert de garde (non)
Résumé
L'action en responsabilité fondée sur l'article 1231 du Code civil intentée par la victime d'une chute provoquée par une grille d'évacuation dépendant des parties communes d'un ensemble immobilier ayant été érigé en copropriété après que la société promotrice ait construit et vendu celui-ci, ne saurait être dirigée contre le constructeur sauf pour la demanderesse à prouver que celui-ci ait été à nouveau investi des prérogatives du gardien qui étaient les siennes avant le transfert de propriété, et consistant notamment dans un pouvoir général et autonome de surveillance et de contrôle de tous les éléments de la chose - ce qui n'est point le cas.
Cette action ne saurait être engagée contre le promoteur en raison de la responsabilité décennale encourue par celui-ci envers son acquéreur alors que la nature de cette responsabilité est essentiellement contractuelle.
Motifs
Le Tribunal,
Attendu que suivant l'exploit du 12 octobre 1983, la dame S. B. épouse C. a assigné la Société Legadel, promoteur constructeur de l'ensemble immobilier Park Palace, aux fins de s'entendre déclarer celle-ci responsable de la chute dont elle a été victime le 4 juin 1983, qui fut selon elle causée par la présence d'une grille d'évacuation située au haut de l'escalier reliant les terrasses du Park Palace à l'avenue de la Costa, et s'entendre désigner tel médecin expert qu'il appartiendra aux fins de l'examiner et décrire ses séquelles ; que S. C. indiquait par conclusions du 10 janvier 1985 que le fondement de son action était tiré de la responsabilité du fait des choses, et par voie de conséquence de l'article 1231 alinéa 1 du Code civil, et non de l'article 1229 du Code civil évoqué par suite d'une erreur matérielle dans son exploit introductif d'instance ;
Attendu par ailleurs que, suivant exploit du 27 octobre 1983, la société Legadel a assigné en intervention forcée tant sa compagnie d'assurances l'U.A.P. que la copropriété de l'immeuble Park Palace aux fins de s'entendre celles-ci condamner à la relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ; qu'elle expose au soutien de sa demande ne pas avoir la qualité de gardien de la chose instrument du dommage, prérogative dont serait selon elle investie la copropriété du Park Palace ;
Que ladite copropriété du Park Palace conclut pour sa part à sa mise hors de cause en faisant valoir d'une part qu'elle n'a pas été personnellement assignée par la dame C., et, d'autre part, que la garde est toujours alternative et non cumulative ; qu'ainsi, quel que soit le sort de la demande principale, la société Legadel doit être déboutée des fins de son appel en intervention forcée et en garantie dirigé contre elle ; qu'elle déclare par ailleurs s'opposer à la jonction de l'instance principale à l'appel en garantie et intervention forcée sollicitée par la dame C. ;
Qu'enfin, la compagnie U.A.P. qui expose quant à elle que la police d'assurances souscrite par la société Legadel n'apparaît pas devoir couvrir l'accident litigieux, conclut également au débouté de son assurée des fins de son assignation en intervention forcée et appel en garantie, tout en sollicitant sa jonction avec l'instance principale ;
Sur ce,
Sur la jonction,
Attendu que les instances ci-dessus rappelées étant toutes deux en état d'être jugées, il y a lieu de tenir compte du lieu de connexité certain qui existe entre elles et d'ordonner leur jonction dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, afin qu'il soit statué par un seul et même jugement ;
Sur la responsabilité,
Attendu que les circonstances de la cause révèlent que S. C. a fait le 4 juin 1983 une chute, dont elle prétend qu'elle fut causée par une grille d'évacuation située dans les parties communes de l'ensemble immobilier Park Palace, emplacement qui n'est au demeurant nullement contesté par les autres parties ;
Attendu - relativement à la responsabilité du fait des choses déduites de l'article 1231 du Code civil, dont il a été précisé qu'il s'agissait en définitive du fondement juridique invoqué par la demanderesse - qu'il convient, avant même d'apprécier le rôle éventuellement causal de la chose dans la réalisation du dommage, de déterminer si la société Legadel seule actionnée dans la présente instance par S. C. en était la gardienne ;
Qu'il est à cet égard de jurisprudence constante qu'une présomption de garde est admise à l'encontre du propriétaire de la chose ; qu'il résulte par ailleurs des pièces produites que la grille dont s'agit est située dans les parties communes de l'ensemble immobilier du Park Palace, lequel fut érigé en copropriété après que la société Legadel promoteur ait vendu par lots les constructions du Park Palace à plus de 300 propriétaires et à une date antérieure à l'accident ;
Que dès lors, la présomption précitée ne saurait plus jouer à rencontre du constructeur de l'immeuble vendu, sauf pour la demanderesse à prouver qu'il ait été à nouveau investi des prérogatives du gardien qui étaient les siennes avant le transfert de propriété, et consistant notamment dans un pouvoir général et autonome de surveillance et de contrôle de tous les éléments de la chose ;
Qu'à cet égard, il n'est nullement démontré par les pièces versées aux débats que la société Legadel ait recouvré à la date de l'accident un pouvoir indépendant d'usage, de contrôle et de direction de la grille litigieuse, lequel apparaît présentement exercé par la copropriété du Park Palace, étant au demeurant observé que de telles prérogatives ne sauraient, contrairement à ce que soutient la demanderesse, résulter pour le promoteur de la responsabilité décennale encourue par lui envers son acquéreur, dont la nature est essentiellement contractuelle ;
Qu'en conséquence, cette présomption de garde ne pouvant jouer en l'espèce qu'à l'égard de la copropriété de l'immeuble Park Palace, laquelle n'a pas été citée par la demanderesse, cette dernière doit être déboutée de son action ;
Attendu, par voie de conséquence, aucune condamnation n'étant prononcée contre la société Legadel, qu'il convient de déclarer sans objet les appels en intervention forcée et garantie qu'elle a dirigés tant contre la compagnie U.A.P. que contre la copropriété de l'immeuble Park Palace ;
Attendu que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Statuant contradictoirement ;
Joint les instances nos de rôle 105/1983 (assignation du 12 octobre 1983) et 121/1983 (assignation du 27 octobre 1983) ;
Déboute S. C. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Déclare sans objet les appels en garantie et en intervention forcée dirigée par la société Legadel à l'encontre de la Compagnie U.A.P. et de la copropriété du Park Palace ;
Composition
MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Marquilly, Boeri, av. déf.
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