Abstract
Astreinte
Astreinte provisoire - Caractère - Liquidation
Résumé
L'astreinte qualifiée de provisoire constitue selon une règle jurisprudentielle bien établie une mesure de contrainte entièrement distincte des dommages-intérêts, destinée à vaincre la résistance de la partie qui refuse de déférer aux injonctions judiciaires prononcées.
S'il est loisible aux juges du fond saisis d'une demande en liquidation d'astreinte de tenir compte du seul préjudice causé au créancier par le retard apporté à l'exécution d'une décision de réintégration d'un justiciable dans son emploi, assortie de l'astreinte, il demeure qu'ils doivent au premier chef et nécessairement apprécier, pour la liquidation de celle-ci, la gravité de la faute du débiteur récalcitrant et ses facultés.
Motifs
Le Tribunal,
Attendu qu'il suffit de rappeler, eu égard aux décisions judiciaires, antérieurement intervenues entre les parties, auxquelles le Tribunal entend faire référence, que R. B., qui occupe l'emploi de barman-chef et exerce les fonctions de délégué suppléant du personnel de la société « Le Bistroquet », s'est vu notifier par son employeur son licenciement avec effet immédiat le 24 juin 1984 ; que la Commission instituée par l'article 16 de la loi n° 459 modifiée du 19 juillet 1947 a refusé de donner son assentiment à ce licenciement ; que la société « Le Bistroquet » s'est néanmoins opposée à ce que B. reprenne son service et a saisi le Tribunal du travail lequel, à ce jour, n'a pas rendu sa décision ; que, pour sa part, B. a demandé en référé sa réintégration dans son emploi de chef-barman sous astreinte ; que par ordonnance du 12 septembre 1984, confirmée en toutes ses dispositions par arrêt de la Cour d'appel du 15 janvier 1985, le magistrat des référés a ordonné la réintégration immédiate par la société « Le Bistroquet » de R. B. dans son emploi sous astreinte provisoire de 500 francs par jour de retard à compter de la signification de la décision - intervenue le 14 septembre 1984 - pendant un délai de deux mois passé lequel il serait à nouveau fait droit ;
Que par ordonnance du 23 novembre 1984, ce même magistrat à nouveau saisi par B. qui n'a pu obtenir l'exécution de la décision précitée du 12 septembre 1984, a ordonné qu'une nouvelle astreinte provisoire de 500 francs par jour de retard commencera à courir à dater de la signification de l'ordonnance - intervenue le 7 décembre 1984 - à défaut de réintégration de R. B. dans son emploi ;
Attendu que par l'exploit susvisé du 26 mars 1985, B. qui expose que son employeur refuse encore avec obstination de le réintégrer dans son emploi, a fait assigner la société « Le Bistroquet » à l'effet d'obtenir liquidation des astreintes ordonnées les 12 septembre et 23 novembre 1984 à son profit ; qu'il poursuit en conséquence la condamnation de la société « Le Bistroquet » à lui payer la somme de 30 000 francs au titre de la première astreinte, celle de 54 500 francs au titre de la seconde, pour la période du 7 décembre 1984 au 25 mars 1985, sous réserve des sommes à courir jusqu'à parfaite réintégration, et sollicite en outre le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
Attendu qu'au soutien de ses demandes, B. fait valoir que les astreintes ordonnées en référé doivent sanctionner la voie de fait commise par son employeur qui, bien que n'ayant pas été autorisé à le licencier, se refuse néanmoins à le réintégrer dans son emploi, mettant ainsi obstacle à l'exécution du contrat de travail liant encore les parties ;
Qu'il estime que les astreintes dont il demande liquidation doivent compenser le seul préjudice né du refus de le réintégrer, sans égard pour celui consécutif au licenciement allégué, lequel n'est pas intervenu ; qu'il s'oppose en conséquence à la demande de sursis à statuer formée par la société « Le Bistroquet » et remarque que, même si l'action dont le Tribunal du travail est saisi était déclarée fondée, elle ne pourrait avoir d'effet qu'à compter de la décision à intervenir dudit Tribunal ; qu'il prétend, en définitive, que la présente demande en liquidation des astreintes constitue une demande juridiquement distincte de celles portées devant la juridiction du travail dont elle ne saurait dépendre ;
Attendu qu'en réponse la société « Le Bistroquet » expose qu'elle a saisi le Tribunal du travail à l'effet d'obtenir la constatation de ce que le licenciement de B. est intervenu pour motifs graves le 22 juin 1984 ; qu'elle prétend, par ailleurs, que l'astreinte, une fois liquidée, revêt un caractère de dommages-intérêts dont le montant est lié au préjudice subi par le créancier ; qu'elle en déduit qu'il est nécessaire de surseoir à statuer dans la présente instance puisque, si la juridiction du travail estime que le licenciement intervenu n'est pas abusif et n'ouvre pas droit à indemnisation, B. ne pourrait se prévaloir d'aucun préjudice ;
Qu'elle demande en conséquence au tribunal de surseoir à statuer sur la présente demande en liquidation d'astreintes aussi longtemps qu'il ne sera pas statué par le Tribunal du travail sur les mérites du licenciement pour fautes graves par elle invoquées à l'encontre de B. ;
Sur quoi,
Attendu, dans le domaine des faits, qu'il est constant et non contesté que la société « Le Bistroquet » persiste à s'opposer à la réintégration de B. dans son emploi ;
Attendu que B. qui, bien qu'ayant obtenu des juridictions monégasques le prononcé de la réintégration dans son emploi, n'a pu parvenir à ses fins en raison de la résistance opposée par son employeur, apparaît d'ores et déjà fondé à solliciter le paiement des astreintes ordonnées à son profit ;
Attendu, en effet, que lesdites astreintes, que le juge des référés a pris soin de qualifier de provisoires, constituent essentiellement selon une jurisprudence actuellement bien établie et l'opinion unanime de la doctrine, des mesures de contrainte, entièrement distinctes des dommages-intérêts, destinées à vaincre la résistance de la partie qui refuse de déférer aux injonctions judiciairement prononcées ; qu'il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer sur la demande en liquidation jusqu'à la décision du Tribunal du travail dès lors que le litige dont cette juridiction est saisie apparaît totalement indépendant de la présente demande qui n'a d'autre objet que de faire sanctionner la faute résultant du refus d'obéissance à un ordre de justice ;
Attendu que c'est donc à tort que la société « Le Bistroquet » soutient, en opérant une confusion - volontaire ou non - entre les régimes juridiques distincts des astreintes provisoires et des astreintes définitives, que la présente action revêt un caractère exclusivement indemnitaire et serait en conséquence liée à la décision à venir du Tribunal du travail, dont l'autonomie est, au surplus, consacrée par l'article 16 de la loi n° 459 précitée ;
Que s'il est loisible aux juges du fond, saisis d'une demande en liquidation d'astreinte, de tenir compte du seul préjudice causé au créancier par le retard apporté à l'exécution de la décision assortie de l'astreinte, il demeure qu'ils doivent au premier chef et nécessairement apprécier, pour la liquidation de l'astreinte, la gravité de la faute du débiteur récalcitrant et ses facultés ;
Attendu qu'en l'espèce il peut, en tout état de cause, être relevé que le refus de réintégration consécutif au maintien illégal de la mesure de mise à pied - improprement qualifiée de licenciement par la société « Le Bistroquet » - frappant B., a privé ce salarié de ses moyens d'existence et de sa faculté de rechercher et d'occuper un nouvel emploi, dès lors que le contrat de travail liant les parties ne pouvait être rompu par l'employeur ; qu'eu égard en tant que de besoin à ces éléments, mais aussi et surtout au degré de gravité de la faute de la société « Le Bistroquet » qui a cru devoir persister dans son refus de réintégration en dépit de décisions judiciaires exécutoires et définitives, et aux facultés de résistance de cette société, il y a lieu de liquider à 15 000 francs l'astreinte ordonnée le 12 septembre 1984 - ayant couru pendant deux mois à compter du 14 septembre 1984 - et à 35 000 francs celle ordonnée le 23 novembre 1984, pour la période du 7 décembre 1984 à ce jour ;
Attendu qu'en l'état du titre que constitue l'ordonnance de référé du 23 novembre 1984, dont les effets n'ont pas été limités par le temps il n'y a pas lieu de donner acte à B. des réserves qu'il sollicite ;
Attendu qu'en dépit du caractère révisable du montant des astreintes provisoires ordonnées par les décisions juridictionnelles précitées le principe de créance qu'elles constatent et dont le Tribunal, usant de son pouvoir d'appréciation, vient de déterminer le quantum, commande d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement par application de l'article 11, alinéa 1, de l'ordonnance modifiée du 21 mai 1909 ;
Attendu que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
statuant contradictoirement,
Liquide à 15 000 francs l'astreinte prononcée par ordonnance de référé du 12 septembre 1984 et à 35 000 francs celle prononcée par ordonnance du 23 novembre 1984, pour la période ayant couru du 7 décembre 1984 à ce jour ;
Condamne en conséquence la société « Le Bistroquet » à payer à R. B. la somme totale de 50 000 francs ;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution ;
Composition
MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Sanita, Boeri, av. déf.
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