Abstract
Blessures involontaires
Responsabilité pénale d'un exécutant de travaux.
Résumé
La pose d'un nouveau carrelage ayant provoqué l'effondrement d'un plafond par suite d'une surcharge du plancher et, partant, été la cause de préjudices corporels, un conducteur de travaux d'une entreprise de construction assurant seul la direction du chantier de rénovation d'un appartement se trouve pénalement responsable en raison de ses fautes d'imprudence ou de négligence en application de l'article 251 du Code pénal dès lors que s'étant abstenu de faire procéder à un sondage des sols, il a modifié le revêtement d'un parquet sans tenir compte des surcharges apportées à l'ouvrage.
Motifs
Le Tribunal,
Jugeant correctionnellement,
Attendu qu'aux termes d'une ordonnance de renvoi du magistrat instructeur, en date du 13 juin 1985, A. L., directeur technique de l'entreprise R., R. B., conducteur de travaux au sein de ladite entreprise et F. C., artisan-carreleur à Monaco, ont été cités à comparaître devant le Tribunal correctionnel sous la prévention « d'avoir, à Monaco, le 8 novembre 1984, par maladresse, imprudence, négligence, inattention ou inobservation des règlements, involontairement causé des blessures à Mesdames L. M., épouse B., I. B., P. C., J. B., épouse C., T. P., épouse C., S. C., épouse M. et S. B., épouse J. ;
Faits qui constituent le délit prévu et réprimé par l'article 251 du Code pénal ;
Attendu qu'à l'audience, A. L. a été autorisé à se faire représenter par Me G. Blot, avocat-défenseur, tandis que les victimes L. B. et T. P., épouse C., assistées par Me P. S., S. M., assistée par Me Marquilly et J. C., assistée de Me Olagnier, du Barreau de Nice, plaidant sous la constitution de Me J. Sbarrato, avocat-défenseur, se sont régulièrement constituées parties civiles et ont toutes demandé, préalable déclaration de responsabilité des prévenus, la réparation du préjudice qu'elles ont subi, à déterminer par voie d'expertise médicale, en sollicitant chacune le paiement d'une indemnité provisionnelle ;
Sur l'action publique
Attendu qu'il résulte tant de l'enquête et de l'information que des débats à l'audience, que le 8 novembre 1984, vers 17 heures, le plafond du salon de coiffure, exploité au rez-de-chaussée de l'immeuble portant le [adresse] par L. B. qui s'y trouvait alors aux côtés de ses employées et clientes précitées, s'est brusquement effondré dans l'une des deux pièces dudit salon par suite de travaux de rénovation intéressant notamment les sols et planchers de deux pièces de l'appartement (propriété de la S.C.I. Happy Family qui en avait confié l'exécution à l'entreprise générale de bâtiment et de travaux publics R. S.A.), situées immédiatement au-dessus du salon de coiffure au 1er étage de l'immeuble en façade, occasionnant ainsi aux victimes susnommées diverses blessures ;
Attendu que les travaux de rénovation de l'appartement de la S.C.I. Happy Family, qui avaient fait l'objet d'un devis et des autorisations administratives nécessaires, comportaient notamment la pose d'un carrelage neuf sur les sols de l'entier appartement ; que ces travaux, entrepris par la société R. sous la responsabilité directe de B. qui en assurait le contrôle et la direction, en sa qualité de responsable du service des petits chantiers au sein de l'entreprise R., dont L. est le directeur technique, ont été menés à terme sans incident le 10 septembre 1984 ;
Qu'ils ont ensuite été étendus, à la demande du propriétaire, à la réfection des sols des deux pièces situées en façade de l'immeuble dont il s'agissait de changer le parquet d'origine par un carrelage de même nature que celui posé dans le reste de l'appartement ;
Que B. a, pour ce faire, fait appel à A. L., responsable du service carrelage de l'entreprise R. qui était intervenu auparavant pour la pose du carrelage déjà installé ;
Que celui-ci ne disposant pas alors d'ouvriers carreleurs disponibles pour le chantier préparé par le service dirigé par B., qui avait procédé à l'arrachage du parquet sur toute la surface des deux pièces, a verbalement demandé à C. d'effectuer les travaux de pose de carrelage, effectivement entrepris par celui-ci avec l'aide de deux de ses préposés le 7 novembre au matin ;
Qu'il doit, à ce stade, être précisé, ainsi qu'il ressort des circonstances de l'espèce, que C. n'a pas agi comme un véritable sous-traitant mais s'est borné à se mettre à disposition de l'entreprise R. avec ses ouvriers pendant un temps déterminé devant être facturé en régie à la journée, pour procéder à la pose du carrelage au moyen d'un outillage - au demeurant léger - lui appartenant certes mais aussi des divers matériaux (carreaux de céramique, mortier, grillage, film de polyane...) fournis par l'entreprise, L. lui ayant en outre donné les instructions à suivre pour ladite pose, à effectuer selon le procédé dit » à l'espagnole «, employé par ailleurs dans l'appartement ;
Qu'alors que ces travaux de pose de carrelage, contrôlés par L., qui n'a rien remarqué d'anormal, étaient en voie de finition, le plancher de la pièce située au-dessus du salon de coiffure s'est en partie effondré le 8 novembre 1984 dans les circonstances ci-dessus relatées ;
Attendu que l'expertise technique à laquelle il a été procédé a fait apparaître que l'effondrement du plafond trouve sa cause dans les travaux entrepris, lesquels ont occasionné des contraintes de poids qu'il n'était pas conçu pour supporter ;
Que l'expert a estimé que l'absence de prise en compte de cette circonstance par les intéressés, qui n'ont pas perçu que le plancher ne pouvait supporter cette surcharge, est due à un manque de coordination ayant abouti à une erreur d'exécution ;
Qu'il a relevé qu'il aurait été nécessaire, pour prévenir tout accident, de construire sur les solives métalliques existantes, une dalle de béton destinée à répartir les charges sur lesdites solives et à éviter que le plafond d'origine ne subisse les contraintes de poids qu'il ne pouvait encaisser, ladite dalle permettant la pose du carrelage en toute sécurité ;
Qu'il a par ailleurs observé que les autres plafonds, surmontés par les planchers ayant fait l'objet dans l'appartement S.C.I. Happy Family de travaux de même nature sont menacés d'effondrement ; qu'à cet égard, il y a lieu de relever que ces plafonds - qui ont résisté, par suite vraisemblablement d'une surface moindre des pièces concernées - ont été étayés après l'accident ;
Attendu que les circonstances ci-dessus relatées ne permettent pas de retenir, à la charge du simple exécutant des travaux de carrelage C., de faute susceptible d'engager sa responsabilité pénale ; qu'il ne peut en particulier être soutenu que cet artisan ait fait preuve d'imprudence ou de négligence dès lors qu'il s'est borné à exécuter les travaux commandés sans disposer d'aucune initiative quant à un éventuel sondage des sols qu'il s'est borné à exécuter les travaux commandés sans disposer d'aucune initiative quant à un éventuel sondage des sols qu'il supposait légitimement avoir déjà été effectué par l'entreprise R., que son commettant lui a fourni toutes instructions nécessaires pour les travaux de pose, dont la conception et les méthodes de réalisation lui échappaient totalement, et qu'il n'était pas en mesure de connaître la structure du plancher devant recevoir le carrelage, la seule information dont il disposait à cet égard étant relative à la pose d'aspect normal d'un carrelage de même nature par les services de l'entreprise R., laquelle pose n'avait suscité aucune observation particulière ;
Attendu qu'il ne peut de même être déduit des éléments du dossier que L. ait commis les faits qui lui sont reprochés ;
Qu'en effet, il est établi par les pièces versées aux débats que ce prévenu n'a pas personnellement assuré la direction du chantier de la S.C.I. Happy Family dont la faible importance ressortissait à la compétence de B. ; qu'il n'a en particulier pas visité le chantier dont B. ne lui a pas au demeurant rendu compte ; qu'il ne peut, dès lors, lui être imputé le défaut de coordination sur le chantier relevé par l'expert, sa seule qualité de directeur technique de la société R. ne permettant pas d'inférer un principe général de responsabilité à son encontre sauf à établir - ce qui n'est pas démontré en l'espèce - que ce prévenu connaissait la structure du plancher et a ordonné les travaux selon des méthodes qu'il aurait lui-même préconisées ;
Attendu, en revanche, que le comportement de B., n'est pas exempt de tout reproche au plan pénal ; qu'il est constant que ce prévenu assurait seul la direction générale du chantier de rénovation de l'appartement, en ce compris les travaux de réfection des sols, même si au titre de la pose des carrelages, A. L. - autre salarié de l'entreprise chargé du carrelage dont le cas n'est pas soumis à l'appréciation du Tribunal - apparaît plus spécialement avoir engagé sa responsabilité ;
Qu'en ce que B., qui n'ignorait pas que l'architecte de l'entreprise R. n'avait pas procédé à l'étude de la structure des planchers, s'agissant de travaux supplémentaires sur un chantier de faible importance, et ne disposait donc d'aucune étude technique à cet égard, a constaté lors de l'enlèvement du parquet qu'il s'agissait d'un plancher » à l'ancienne " constitué de lambourdes répartissant les charges, puis a entériné la décision consistant à modifier la structure du plancher sans tenir compte des surcharges ainsi apportées à l'ouvrage - ce que l'expert a qualifié d'erreur d'exécution - le Tribunal estime que ce prévenu, qui au surplus s'est abstenu de faire procéder à un sondage des sols, a commis des fautes d'imprudence et de négligence à l'origine des blessures subies par les victimes le rendant passible, en conséquence, de l'application de l'article 251 du Code pénal ;
Sur l'action civile,
Attendu que les fautes ainsi retenues à l'encontre de B. justifient qu'il soit déclaré responsable des dommages occasionnés aux victimes ;
Qu'eu égard aux constatations médicales opérées par l'expert Orecchia en cours d'information, il apparaît nécessaire d'ordonner une expertise, avant dire droit sur le montant de la réparation, à l'effet de préciser la nature et l'étendue du préjudice corporel que les victimes ont pu subir, en leur allouant d'ores et déjà une indemnité provisionnelle qu'il y a lieu d'évaluer, compte tenu des éléments d'appréciation dont le Tribunal dispose :
* à 10 000 francs au profit de L. B., née M. et T. P., épouse C.,
* à 20 000 francs au profit de S. M.,
* et à 6 000 francs au profit de J. C. ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Statuant contradictoirement,
Relaxe A. L. et F. C. des fins de la poursuite ;
Déclare R. B. coupable du délit de blessures involontaires qui lui est reproché ;
En répression, faisant application de l'article 251 du Code pénal, le condamne à la peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis et à celle de dix mille francs d'amende ;
Accueille L. B., née M., T. C., née P., S. M. et J. C. en leur constitution de partie civile ;
Déclare R. B. responsable de l'effondrement du plancher survenu le 8 novembre 1984 et tenu de réparer les conséquences dommageables qui en sont résultées pour les victimes constituées parties civiles ;
Avant dire droit sur le montant de leur préjudice, ordonne une mesure d'expertise médicale et désigne à cet effet Monsieur le docteur Louis Orecchia, demeurant [adresse], lequel aura pour mission, commune à chacune des parties civiles,
* 1° d'examiner les victimes en ne prenant en considération que les faits médicaux objectivement constatés à l'exclusion des syndromes subjectifs non contrôlés ;
* 2° de dire quelles ont été, quelles sont et éventuellement quelles pourront être les conséquences de l'accident du 8 novembre 1984 ;
* 3° de déterminer les incapacités entraînées ainsi que leur durée ;
* 4° d'évaluer, s'il y a lieu, compte tenu de l'âge et de l'état antérieur, le taux d'I.P.P., en précisant s'il est de nature à entraîner une gêne dans la vie normale des victimes ;
* 5° d'estimer, enfin, le pretium doloris ;
Dit qu'en ce qui concerne T. P., épouse C. l'expert devra s'adjoindre le sapiteur ophtalmologiste Monsieur le docteur Lavagna, demeurant [adresse], à l'effet de décrire et d'évaluer les séquelles que l'accident a pu laisser subsister à l'œil droit de cette victime et les incidences éventuelles sur le traitement antérieurement subi ;
Dit que les experts répondront à tous dires écrits des parties et devront dresser et déposer rapport de leurs opérations dans les 3 mois de leur prestation de serment, pour être ensuite conclu et statué comme il appartiendra ;
Dit qu'en cas d'empêchement justifié des experts, il pourra être procédé à leur remplacement sur requête conjointe des parties par simple ordonnance du président que le tribunal commet à cet effet ;
Condamne B. à payer à :
* L. B., née M. et T. C., née P.,
* S. M.,
* J. C.,
les sommes respectives de : 10 000 francs, 20 000 francs et 6 000 francs, à valoir sur le montant définitif de leur préjudice ;
Composition
MM. Landwerlin, prés. ; Serdet, subst. proc. gén. ; MMe Blot, Sanita et Sbarrato, av. déf.
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