Abstract
Action en rescision pour lésion
Vente d'un immeuble - Clause de renonciation à la résolution sans effet sur l'action en rescision - Conditions.
Résumé
La clause contenue dans un contrat de vente d'un immeuble, de renonciation à la résolution de celle-ci ne saurait être opposée à la demande en nullité de ce contrat, subsidiairement formée par la demanderesse, qui en sollicitant dans ses écrits judiciaires une expertise à l'effet d'établir la valeur réelle de l'appartement vendu après avoir préalablement invoqué le caractère lésionnaire de la vente a ainsi entendu soulever le moyen de nullité relative de la vente tiré de l'article 1516 du Code civil relatif à la rescision pour cause de lésion. Si en principe, l'action en rescision pour lésion ne peut être poursuivie en matière de ventes aléatoires et en cas d'intention libérale du vendeur, les circonstances particulières de l'espèce permettent de parvenir à la détermination du prix de l'appartement vendu, nonobstant l'aléa résultant de la réserve d'usufruit prévue à l'acte et d'écarter toute notion de libéralité dont l'acquéreur, au demeurant, ne se prévaut pas.
A défaut d'éléments lui permettant d'apprécier le bien fondé de la demande en rescision, il appartient au Tribunal de recourir à une mesure d'expertise avant dire droit aux fins d'évaluer l'appartement au jour de la vente conformément à l'article 1519 du Code civil.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Attendu que par l'exploit susvisé, A. A., Vve P., née le 21 avril 1906, qui expose avoir été « sollicitée » par son voisin de quartier, J. C., qui souhaitait acquérir l'appartement qu'elle occupe actuellement au 4e étage de l'immeuble ., et affirme avoir accepté le principe de ladite vente moyennant le prix principal de 350 000 francs avec réserve d'usufruit à son bénéfice sa vie durant - cette somme devant être payée à la signature de l'acte authentique effectivement passé en l'Étude de Maître Crovetto, notaire, le 17 février 1984 -, a fait assigner J. C. et, en l'état de la minorité de celui-ci, son père S. C. l'ayant représenté à l'acte du 17 février 1984, pour que soit constaté qu'elle n'a pu obtenir de l'acheteur le paiement de la somme précitée de 350 000 francs et prononcée en conséquence la résolution de la vente du 17 février 1984 pour défaut de paiement du prix ;
Qu'elle demande d'autre part, en affirmant que J. C. a abusé de sa confiance en profitant de son grand âge et lui a occasionné par son comportement un préjudice moral et matériel certain, le paiement solidaire par les défendeurs d'une somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que par conclusions du 9 janvier 1985, J. et S. C. - ce dernier agissant tant en qualité de représentant légal de son fils mineur qu'à titre d'intervenant volontaire aux débats - s'opposent à ces demandes aux motifs :
* que le prix de vente de l'appartement aurait été réglé en espèces à la demanderesse par S. C. au moyen de ses économies avant la passation de l'acte authentique,
* que la preuve de ce paiement, que S. C. est dans l'impossibilité de justifier par d'autres moyens puisqu'il ne dispose pas de compte bancaire, est administrée sans contestation possible par l'acte notarié faisant foi entre les parties et qui dispose que la somme de 350 000 francs a été « payée comptant par l'acquéreur dès avant ce jour en dehors de la comptabilité du notaire... à Madame P. qui le reconnaît et lui en consent bonne et valable quittance, entière, définitive et sans réserve avec désistement de tous droits de privilège et d'action résolutoire »,
* et que cet acte authentique ne peut pas être remis en cause, sauf à introduire la procédure particulière en inscription de faux ;
Que les défendeurs, après avoir insisté sur la force probante de l'acte authentique quant aux énonciations dûment constatées par l'officier ministériel, soulignent par ailleurs la mauvaise foi de la demanderesse, dont l'action jetterait le discrédit sur leur honorabilité ; qu'ils demandent en conséquence au Tribunal :
* de déclarer irrecevable l'assignation délivrée au mineur J. C. qui ne peut être attrait en justice qu'en la personne de son représentant légal,
* de juger mal fondée, par application des articles 1166 et 1167 du Code civil, la demande de A. P. et de l'en débouter,
* et de faire droit à la demande reconventionnelle de S. C., ès-qualités et agissant à titre personnel, en paiement de la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que, par conclusions en réponse du 29 mai 1985, A. P., qui précise ne pas remettre en cause la validité de l'acte dressé par Me Crovetto, prétend que cet officier ministériel s'est borné à reprendre, sans les vérifier personnellement, les indications fournies par C. quant au paiement du prix et a agi sur ce point comme simple rédacteur d'acte sans avoir à solliciter des parties la preuve du paiement du prix ;
Qu'elle indique que son âge (78 ans) laisse présumer d'une mauvaise compréhension des « formalités » que les défendeurs entendaient réaliser dans un temps très bref ; qu'elle soutient que le caractère contestable des circonstances de la vente ainsi intervenue est confirmé :
* par l'invraisemblance de l'allégation selon laquelle C., fonctionnaire municipal, ne disposerait pas de compte bancaire alors que sa feuille de rémunération démontre que son traitement est payé par « virement »,
* par la modestie des ressources de C. qui ne permettraient pas de réaliser les économies dont il prétend s'être servi pour l'acquisition de l'appartement,
* par le caractère insolite d'un paiement de 350 000 Francs en espèces provenant de sommes acquises au fil des ans qui auraient été conservées à son domicile jusqu'à leur utilisation,
* par l'absence d'exigence d'un reçu de ces sommes attestant de la réalité du règlement ;
qu'enfin, A. P. relève le caractère lésionnaire de la vente, conclue moyennant le prix de 350 000 francs sans rapport avec la véritable valeur de l'appartement dont la superficie (64 m2) et l'état convenable permettent de l'estimer à la somme de 750 000 francs, compte tenu des critères du marché immobilier monégasque ;
Qu'elle réitère en conséquence les demandes formulées dans son acte introductif d'instance et sollicite à titre subsidiaire une mesure d'expertise à l'effet :
* d'évaluer la valeur réelle de l'appartement litigieux,
* de rechercher l'existence de comptes bancaires ouverts par C. antérieurement et pendant la vente,
* et de déterminer les conditions dans lesquelles ce défendeur aurait pu réunir la somme de 350 000 francs ;
Sur quoi,
Attendu, sur le moyen d'irrecevabilité tiré de ce que le mineur J. C. ne pourrait être valablement attrait aux débats qu'au travers la personne de son représentant légal, que s'il est exact que tout mineur est représenté pour les actes de la vie civile par son administrateur légal - en l'occurrence, S. C. -, rien ne s'oppose en l'espèce à ce que J. C. demeure à l'instance aux côtés de son père en défense à une action en justice l'intéressant au premier chef ; que l'assignation arguée de l'irrecevabilité ainsi soulevée n'apparaissant pas de nature à faire grief au mineur, il n'y a pas lieu, en conséquence, de faire droit à ce moyen de procédure ;
Attendu, en ce qui concerne le paiement du prix, que le notaire a d'une part énoncé à l'acte authentique que l'acquéreur s'est acquitté antérieurement à la passation dudit acte, hors sa comptabilité, de l'intégralité de la somme de 350 000 francs contractuellement prévue, et d'autre part constaté que la venderesse, en sa présence et dans l'exercice de ses fonctions, a reconnu le paiement ainsi intervenu et a consenti bonne et valable quittance à son co-contractant ;
Attendu qu'il doit être déduit de ces énonciation et constatation, par application des articles 1166 et 1167 du Code civil, la preuve du paiement du prix de la vente, paiement encore attesté par la reconnaissance - qui fait foi jusqu'à inscription de faux - de ce que la venderesse l'a effectivement reçu ;
Attendu en conséquence que la résolution de la vente sollicitée sur le fondement de l'article 1496 du Code civil ne saurait être ordonnée, étant en outre observé qu'en ayant donné quittance du prix à l'acte authentique avec « désistement d'action résolutoire », A. P., qui apparaît ainsi s'être valablement engagée, après obtention de la somme de 350 000 francs à titre de paiement, à ne pas demander judiciairement la résolution de la vente, doit également être déclarée irrecevable en son action, sur le fondement de la clause de renonciation qu'elle a souscrite ;
Attendu toutefois que ladite clause de renonciation à la résolution de la vente ne saurait être opposée à la demande en nullité du contrat subsidiairement formée par la demanderesse qui, en sollicitant dans ses écrits judiciaires une expertise à l'effet d'établir la valeur réelle de l'appartement vendu après avoir préalablement invoqué le caractère lésionnaire de la vente, a ainsi entendu soulever le moyen de nullité relative de la vente tiré de l'article 1516 du Code civil afférent à la rescision pour cause de lésion ;
Qu'il appartient en conséquence au Tribunal d'examiner ce moyen, étant observé que si, en principe, l'action en rescision pour lésion ne peut être poursuivie en matière de ventes aléatoires et en cas d'intention libérale du vendeur, les circonstances particulières de l'espèce permettent de parvenir à la détermination du prix de l'appartement vendu, nonobstant l'aléa résultant de la réserve d'usufruit prévue à l'acte, et d'écarter toute notion de libéralité dont l'acquéreur, au demeurant, ne se prévaut pas ;
Attendu cependant que le Tribunal ne dispose pas, en l'état, des éléments lui permettant d'apprécier le bien-fondé de la demande en rescision ; qu'il y a lieu, en conséquence, de recourir à une mesure d'expertise avant dire droit sur ce moyen, dès lors que les faits articulés par la demanderesse satisfont en l'espèce aux conditions de l'article 1519 du Code civil ;
Que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal, statuant contradictoirement,
* Constate que l'assignation introductive d'instance, en ce qu'elle est également dirigée à l'encontre du mineur J. C. - qui comparaît valablement - est régulière en la forme et au fond ;
Déclare A. A., veuve P., irrecevable et mal fondée en son action en résolution de la vente du 17 février 1984 pour défaut de paiement du prix et la déboute en conséquence de ses demandes de ce chef ;
La reçoit en sa demande subsidiaire en rescision de ladite vente pour cause de lésion ;
Et avant de statuer plus avant au fond, tous droits et moyens des parties demeurant expressément réservés ;
Ordonne une mesure d'expertise aux frais avancés de la demanderesse et commet à cet effet en qualité d'expert, Monsieur Jacques Wolzok, demeurant ., lequel aura pour mission, serment préalablement prêté aux formes de droit :
* d'estimer, à la date du 17 février 1984 la valeur de l'appartement désigné à l'acte de vente passé ce même jour en l'étude de maître Crovetto, notaire, entre A. A., veuve P. et J. C.,
* et de tenir compte, dans son évaluation, de la clause contractuelle de réserve d'usufruit consentie, sa vie durant, au bénéfice de la venderesse et du report de la date d'entrée en jouissance de l'acquéreur qui en est la conséquence ;
Dit que l'expert ainsi commis conciliera les parties si faire se peut, sinon dressera et déposera rapport de ses opérations dans les 3 mois de sa saisine ;
Désigne Monsieur Philippe Narmino, juge au siège, pour suivre ces opérations ;
Dit qu'en cas d'empêchement du magistrat ainsi commis, il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance ;
Composition
MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Lorenzi, Karczag-Mencarelli, av. déf. ; Brugnetti, av.
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