Abstract
Résiliation d'un contrat
Rejet de la demande à défaut d'établir l'existence d'un contrat à exécution successive.
Résumé
Dès lors que la preuve de l'existence prétendue d'un contrat à exécution successive qui serait constitué par la vente journalière pendant une durée déterminée, de pâtisseries et de glaces faites par un pâtissier-glacier à un hôtelier, n'est point rapportée, la demande en résiliation dudit contrat dont l'effet ne pourrait être rétroactif, si elle était fondée, doit être rejetée.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Considérant les faits suivants :
A. P. et J. R., sa mère, sont copropriétaires indivis d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie qu'ils exploitent ., sous l'enseigne « E. O. » ;
Pour les besoins de ce commerce, A. P., qui déclare avoir agi tant en son nom personnel qu'en celui de sa mère, a conclu une convention sous seing privé intitulée « contrat de vente de pâtisseries et glaces » avec la Société Trust Houses Forte International Management Ltd qui gère l'établissement hôtelier et balnéaire dénommé Hôtel Beach Plaza ;
Par ce contrat, la boulangerie-pâtisserie E. O. s'est engagée à fournir journellement le matin et exceptionnellement, en outre, l'après-midi des pâtisseries et des glaces à des prix fixés de convention expresse jusqu'au 31 juillet 1984, suivant les commandes de l'Hôtel Beach Plaza établies la veille à 20 heures au plus tard ;
Par l'exploit d'assignation susvisé, dirigé contre la Société Trust Houses Forte International Management Ltd, A. P. et J. R. demandent au Tribunal de prononcer, avec effet au 27 mai 1984, la résiliation du contrat de vente susvisé aux torts de ladite société, de condamner celle-ci à les indemniser par voie de conséquence du préjudice financier qui en est résulté pour eux, estimé à 132 750 F avec intérêts au taux légal à dater du 27 mai 1984, et, enfin, de condamner cette même société à leur payer, en outre, 5 000 F en réparation de leur préjudice commercial, le tout avec exécution provisoire ;
La Société Trust Houses Forte International Management Ltd a conclu au rejet des demandes ainsi formulées et, reconventionnellement, à la condamnation des demandeurs à lui payer 50 000 F à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice que lui causerait la présente action qu'elle estime téméraire ;
Elle soutient que le contrat dont s'agit s'analyse à une simple proposition commerciale unilatérale par laquelle les demandeurs s'obligeaient simplement à fournir son établissement selon ses commandes et à prix fixe jusqu'au 31 juillet 1984, qu'à aucun moment elle ne s'était engagée pour sa part à une exclusivité d'achat auprès de E. O., ni encore moins, à un minimum de quantité ou de commandes et qu'enfin, outre l'incident du 27 mai 1984 et les difficultés nées de la décomposition en congélateur de certains produits livrés par E. O., elle avait été informée le 7 mai 1984 par le chef de cuisine (G. B.) de l'Hôtel Beach Plaza de divers motifs d'insatisfaction liés à une qualité déficiente de ces mêmes produits, et subi, par ailleurs, en décembre 1983, des reproches de la part des membres du Club Kiwanis auxquels elle avait fourni des panetones, provenant de E. O., dont les qualités organoleptiques auraient été défectueuses, en sorte qu'ayant souffert de mécomptes dans ses relations avec E. O., celles-ci s'étaient avérées par trop longues à son goût et avaient dû, pour ce, être rompues ;
En réplique, les demandeurs prétendent d'abord que le contrat dont s'agit révèle non une simple proposition mais un engagement synallagmatique et qu'il institue implicitement mais nécessairement une exclusivité puisque E. O. aurait été, durant l'exécution dudit contrat, le seul fournisseur du Beach Plaza et que ce même contrat aurait pris effet au début du mois de décembre 1983, à l'expiration du délai qui avait été nécessaire au Beach Plaza pour mettre un terme à l'emploi de son pâtissier et se fournir, depuis lors, auprès de leur commerce, ce qui serait attesté par le fait que le 14 novembre 1983, ils avaient eux-mêmes repris au Beach Plaza l'intégralité des marchandises que cet établissement détenait encore pour l'élaboration de sa pâtisserie, d'une valeur totale de 8 240, 82 F ;
Ils font valoir, en deuxième lieu, qu'aucune des allégations de la société défenderesse ne saurait justifier sérieusement la rupture unilatérale du contrat avant la date d'échéance fixée au 31 juillet 1984 puisque, d'une part, la preuve de la présence d'un cafard lors de la livraison de la crème caramel litigieuse n'aurait nullement été rapportée en l'espèce, non plus que celle que ladite crème eût été fournie par E. O., que d'autre part, les facturations par eux établies, attestant de livraisons espacées de crèmes caramel, révèleraient que celles-ci étaient nécessairement stockées dans les locaux et aux risques et périls de l'Hôtel Beach Plaza, et enfin, que divers essais par eux effectués en présence d'un huissier, qui en a dressé constat, auraient établi que, même à supposer qu'un cafard eût malencontreusement pu s'intégrer aux ingrédients servant à l'élaboration d'une crème caramel, la cuisson de cette crème l'aurait nécessairement desséché et fait remonter à la surface du produit où il n'aurait pu manquer d'être aperçu, dès sa sortie du four, même par un préparateur peu avisé, en sorte que l'hypothèse que la crème caramel dont s'agit eût été livrée avec le cafard signalé ne serait pas vraisemblable, alors surtout que les locaux de E. O. seraient régulièrement soumis à un traitement régulier de désinsectisation selon des méthodes efficaces et modernes ;
Les demandeurs précisent enfin que les indications fournies le 7 mai 1984 par le chef de cuisine de l'Hôtel Beach Plaza, quant aux défauts de leurs pâtisseries, sont sujettes à caution car ils n'en auraient pas été informés avant la présente instance et auraient toujours entretenu avec ce chef de cuisine les meilleures relations et, par ailleurs, que la qualité déficiente imputée aux panetones servis au Club Kiwanis n'aurait procédé que d'une trop forte senteur de fleur d'oranger affectant ces produits, laquelle n'aurait pas empêché lesdits panetones d'être bien appréciés par de nombreuses personnes ;
Ils concluent en conséquence au rejet des moyens de défense présentés par la Société Trust Houses Forte International Management Ltd et au débouté de celle-ci de sa demande reconventionnelle ;
Sur quoi,
Attendu qu'il résulte des moyens soutenus par les demandeurs à l'appui de leur action présentement introduite que celle-ci tend, sur le fondement non invoqué de l'article 1039 du Code civil, à la résolution au sens large et aux torts de leur cocontractante d'une convention par eux considérée comme un contrat synallagmatique à exécution successive, cette dernière particularité justifiant le terme de résiliation retenu par l'assignation pour viser la mise à néant sollicitée du contrat dont s'agit avant la fin de sa validité, sans la rétroactivité, quant à ses effets antérieurs au 27 mai 1984, qui impliquerait la résolution au sens strict applicable aux contrats instantanés, étant ici rappelé que l'article 1039 du Code civil n'est pas réservé à ceux-ci ;
Attendu que la résiliation ainsi poursuivie suppose nécessairement pour être prononcée que la société défenderesse ait manqué aux obligations nées pour elle du contrat qui lui est opposé ;
Attendu qu'il ne lui est fait grief en l'espèce, par les demandeurs, que d'avoir prématurément rompu ledit contrat en cessant, pour des motifs inexacts, d'adresser des commandes à E. O. à dater du 27 mai 1984 ;
Attendu toutefois, sans qu'il y ait lieu d'apprécier à cet égard la justesse des motifs pour ce invoqués par la société défenderesse, que celle-ci n'apparaît pas, par le contrat litigieux, dont les termes clairs ne sont pas sujets à interprétation sur la base de faits extrinsèques à l'acte, s'être engagée à passer journellement des commandes aux demandeurs principaux ;
Qu'aucun manquement à ses obligations ne saurait lui être dès lors imputé de ce chef ;
Qu'il s'en suit que les demandes d'A. P. et de J. R. doivent être rejetées ;
Attendu cependant que la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de la Société Trust Houses Forte International Management Ltd n'en apparaît pas pour autant justifiée, dès lors que le recours par cette société aux faits invoqués pour cesser toute relation commerciale avec E. O. apparaît avoir excédé en l'espèce, comme il vient d'être relevé, les besoins juridiques propres à fonder le bon droit de cette société ; qu'ils ont été de nature, par leur imprécision partielle à susciter les protestations légitimes des demandeurs principaux et qu'ils n'apparaissent pas pour l'essentiel être imputables à ces derniers, puisqu'il est de fait que la provenance exacte de l'insecte signalé n'a pas été déterminée en l'espèce, ce qui s'oppose à ce que l'action présentement introduite puisse être qualifiée d'abusive ;
Que la demande reconventionnelle doit être, dès lors, rejetée ;
Et attendu qu'en raison de ce que les parties adverses succombent mutuellement dans la présente instance, il y a lieu, par application de l'article 232 du Code de procédure civile, de faire masse des dépens et de dire qu'ils seront supportés moitié par les parties demanderesses et moitié par la défenderesse ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Statuant contradictoirement,
Déboute A. P. et J. R. de leurs demandes principales et la Société Trust Houses Forte International Management Limited de sa demande reconventionnelle ;
Composition
MM. Huertas, prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Boeri, Blot, av. déf.
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