Motifs
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
R.
N° 2016/000600 (assignation du 26 février 2016)
JUGEMENT DU 18 MAI 2017
En la cause de :
La société NEWLAND CONSULTING Ltd, dont le siège social se trouve X1 Belize City, immatriculée au RC de Belize City sous le numéro 55183, agissant poursuites et diligences de son Directeur en exercice, y domicilié ès-qualités ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
La société HYDRO TRAVAUX PUBLICS GABON (en abrégé « H. T. P. G »), société anonyme unipersonnelle, ayant son siège social à X2 (Gabon), immatriculée au RC de Libreville sous le numéro 2007 B 05736, prise en la personne de son Administrateur Général en exercice, y domicilié en cette qualité ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Pierre VIVIANI, avocat au Barreau de Nice ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit de saisie-arrêt, d'assignation et d'injonction du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 26 février 2016, enregistré (n° 2016/000600) ;
Vu la déclaration originaire, de l'établissement bancaire dénommé EDMOND DE ROTHSCHILD GESTION (MONACO) S. A. M., tiers-saisi, contenue dans ledit exploit ;
Vu la déclaration complémentaire formulée par l'établissement bancaire dénommé EDMOND DE ROTHSCHILD GESTION (MONACO) S. A. M., par courrier en date du 1er juin 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société HYDRO TRAVAUX PUBLICS GABON, en date des 6 juillet 2016, 24 novembre 2016 et 8 mars 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de la société NEWLAND CONSULTING LTD, en date des 5 octobre 2016 et 11 janvier 2017 ;
À l'audience publique du 23 mars 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 18 mai 2017 ;
FAITS ET PROCÉDURE
Autorisée à cette fin par ordonnance présidentielle du 19 février 2016, rendue sur requête du 18 février 2016, la société de droit du Belize dénommée NEWLAND CONSULTING LTD a, par acte d'huissier du 26 février 2016, fait procéder à la saisie-arrêt, auprès de l'établissement « Banque de gestion Edmond de Rothschild », des comptes de la société de droit gabonais HYDRO TRAVAUX PUBLICS GABON (H.T.P.G.), à concurrence de la somme de 2.730.000 euros, pour avoir sûreté et garantie du paiement de ladite somme dont elle se prétendait créancière.
Par le même acte, la société NEWLAND CONSULTING LTD a fait assigner la société HYDRO TRAVAUX PUBLICS GABON en paiement de la somme principale de 2.721.945 euros, de la somme accessoire de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et en validation de la saisie-arrêt.
Le jour de la saisie et par déclaration complémentaire du 1er juin 2016, la SAM BANQUE DE GESTION EDMOND DE ROTHSCHILD a, en sa qualité de tiers-saisi, fait savoir qu'elle détenait, pour le compte de la société H.T.P.G., la somme de 2.674.125,07 euros.
Postérieurement, par ordonnance du 8 février 2017, le Juge des référés de ce tribunal a fait droit à la demande de rétractation de l'ordonnance du 19 février 2016 et de mainlevée de la saisie-arrêt.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
À l'appui de son action, la société NEWLAND CONSULTING LTD expose que :
* par acte sous seing privé du 1er février 2007, elle a conclu avec la société requise un contrat d'intermédiaire, par lequel elle intervenait comme apporteur d'affaires au profit d'H.T.P.G. ;
* dans ce cadre, elle a émis diverses factures qui, pour 2014 et 2015, sont demeurées impayées, en dépit de ses relances et d'une mise en demeure du 12 février 2016 ;
* sa créance s'élève à la somme de 2.721.945 euros.
En défense, la société HYDRO TRAVAUX PUBLICS GABON soulève principalement l'incompétence de ce Tribunal, aux motifs suivants :
* les parties à l'instance sont respectivement domiciliées au Belize et au Gabon, où elles ont leur siège social ;
* dès lors, le Tribunal de première instance de Monaco puisait initialement sa compétence dans l'article 3 du Code de procédure civile, en ses 9° et 9° bis, en vertu desquels les tribunaux de la Principauté connaissent « des demandes en validité ou en mainlevée de saisies-arrêts formées dans la Principauté, et généralement de toutes demandes ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires » ainsi que « de toutes les actions ayant pour objet le fond du litige, dans les cas visés au chiffre précédent, sauf clause conventionnelle attribuant compétence à une autre juridiction » ;
* puisque la saisie-arrêt en validité de laquelle la présente instance a été initiée, a, entre-temps, été mise à néant par l'ordonnance de référé du 8 février 2017, ce tribunal n'a désormais plus compétence pour connaître du fond du litige ;
* au surplus, le prétendu contrat d'intermédiaire, invoqué en demande, stipule, en son article 7, que les parties s'engagent formellement, en cas de litige pouvant naître de l'exécution ou de l'interprétation de la convention, et ce quelle qu'en soit la nature, à saisir une juridiction arbitrale aux fins de tentative de conciliation ;
* en application de cette clause conventionnelle attribuant compétence à une autre juridiction, au sens de l'article 3, 9° bis précité, la société NEWLAND CONSULTING LTD avait l'obligation de suivre la procédure de désignation de la juridiction arbitrale prévue au contrat ;
* c'est en vain que la demanderesse conclut à l'inapplicabilité de cette clause compromissoire, à raison de son caractère prétendument imprécis, alors que la clause 7 du contrat précise bien la composition de la juridiction arbitrale, en énonçant qu'elle est constituée de 3 arbitres, dont 2 désignés par chacune des parties et le troisième par les deux autres arbitres.
Subsidiairement, la société H.T.P.G. conclut au débouté sur le fond, en faisant valoir que :
* par acte du 21 février 2014, g. SA. a fait l'acquisition de 80 % des parts de la société de travaux publics H.T.P.G. auprès des consorts EY. ;
* il n'a pas été informé de l'existence du prétendu contrat d'intermédiaire invoqué par la société demanderesse ;
* après avoir, dans un premier temps, payé les factures émanant de NEWLAND CONSULTING LTD, la nouvelle administration d'H.T.P.G. a ensuite mis fin à tout règlement, lorsqu'elle s'est aperçue qu'aucune prestation n'était effectivement réalisée en contrepartie de cette facturation ;
* il s'agit en effet de fausses factures et le contrat du 1er février 2007 est dépourvu de cause et d'objet ;
* les cinq factures dont le paiement est ici réclamé ont en effet été émises au titre d'un marché de travaux conclu entre H.T.P.G. et la société MAUREL ET PROM GABON S.A. ;
* or, tant la direction de cette société que son superviseur génie civil et son conducteur de travaux, attestent de ce que, depuis le début de leurs relations contractuelles avec H.T.P.G., aucune société NEWLAND CONSULTING LTD n'est intervenue en qualité d'intermédiaire ;
* à cet égard, les pièces versées en demande pour tenter d'accréditer les allégations adverses, ne sont nullement probantes.
La société NEWLAND CONSULTING LTD ne réplique pas sur le moyen d'incompétence tiré de la mainlevée de la saisie-arrêt, intervenue en cours d'instance.
Sur le moyen d'incompétence tirée de l'existence d'une clause compromissoire, elle répond que :
* en vertu de l'article 2 alinéa 3 de la Convention de New York du 10 juin 1958 relative à la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, le tribunal saisi d'un litige au sujet duquel la convention des parties stipule une clause compromissoire, renverra celles-ci à l'arbitrage, à la demande de l'une d'elles, à moins qu'il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou insusceptible d'être appliquée ;
* la Cour de Révision de la Principauté de Monaco a déjà eu l'occasion de rappeler ce principe ;
* en l'espèce, l'article 7 du contrat litigieux est insuffisamment précis, en ce qu'il ne mentionne pas les modalités exactes de désignation des arbitres, pas plus que les modalités de règlement des litiges qui pourraient naître quant au choix des arbitres ;
* bien plus, cette clause est contraire à l'ordre public en ce qu'elle prévoit que la sentence arbitrale sera insusceptible de recours ;
* enfin, c'est en vain qu'il est reproché à la demanderesse de n'avoir pas eu recours à l'arbitrage alors que sa créance étant en péril, elle s'est vue contrainte de faire procéder à une saisie-arrêt conservatoire et n'avait en conséquence d'autre choix que de saisir la juridiction monégasque pour la faire valider.
Sur le fond, la société NEWLAND CONSULTING LTD maintient ses prétentions et sollicite le rejet des débats des pièces adverses n° 2, 3, 4, 12, 13 et 14.
Elle soutient que :
* dactylographiées au lieu d'être manuscrites les attestations adverses n° 3 et 4 devront être écartées des débats, pour être non conformes aux prescriptions de l'article 324 du Code de procédure civile ;
* les trois attestations prétendument « régularisées » et versées en défense en pièces n° 12, 13 et 14 doivent également être écartées des débats, comme ne respectant pas les prescriptions de l'article 324 du Code de procédure civile ;
* il en va de même de la pièce n° 2 intitulée par la défenderesse « attestation de la société MAUREL ET PROM » : à défaut d'être écartée des débats pour défaut de respect des prescriptions de l'article 324, ce document se trouve dépourvu de force probante faute de préciser l'identité de son auteur ;
* contrairement à ce qu'il prétend, g. SA., actionnaire majoritaire de la société H.T.P.G. depuis 2014, avait parfaitement connaissance du contrat conclu avec NEWLAND CONSULTING LTD, ainsi que cela ressort :
* du rapport d'expertise complet de la société H.T.P.G., réalisé avant l'acquisition des parts sociales, par Pierre Jean LOUVET, alors directeur administratif et financier de la société SA. SERICOM GABON, détenue par g. SA. ;
* de l'attestation du même Pierre Jean LOUVET, qui certifie que g. SA. avait connaissance du contrat d'intermédiaire conclu avec NEWLAND CONSULTING LTD lorsqu'il a acquis 80 % des parts de la société H.T.P.G. ;
* du protocole de cession de parts sociales signé le 5 février 2014 entre g. SA. et les consorts EY. qui stipule que les états financiers de l'exercice 2012, les diverses informations sur l'activité et les résultats prévisionnels de la société H.T.P.G. ont été communiqués à l'acquéreur, de sorte que ce dernier n'a pas pu ignorer l'existence des factures NEWLAND pour l'année 2012 ;
* des déclarations faites chaque année par la société NEWLAND CONSULTING LTD au commissaire aux comptes de la société H.T.P.G. quant au montant du solde de son compte à la fin de chaque exercice ;
* du rapport d'activité et du rapport du commissaire aux comptes pour l'exercice 2013, approuvés lors des réunions du Conseil d'administration du 22 avril 2014 et de l'Assemblée générale du 14 mai 2014, lesquels mentionnent expressément des charges de commissions sur vente versées à NEWLAND CONSULTING LTD, apporteur d'affaires au profit de la société H.T.P.G., pour un montant de 3.785 millions de francs CFA.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les articles 1 et 2 du Code de procédure civile posent en principe que les tribunaux de la Principauté exercent la juridiction, soit à l'égard des Monégasques soit à l'égard des étrangers, et connaissent de toutes actions intentées contre un défendeur domicilié dans la Principauté.
L'article 3 du même code prévoit des critères de compétence complémentaires, en disposant que les tribunaux de la Principauté connaissent en outre, quel que soit le domicile du défendeur :
* 1° De toutes actions ayant pour objet des immeubles situés dans la Principauté ;
* 2° Des actions fondées sur des obligations qui sont nées ou qui doivent être exécutées dans la Principauté, ainsi que des actions fondées sur des obligations nées à l'étranger envers une personne physique ou morale de nationalité monégasque ;
* 3° Des actions relatives à une succession ouverte dans la Principauté, jusqu'au partage définitif, s'il s'agit de demandes entre cohéritiers ; et pendant un délai de deux années à compter du décès, s'il s'agit de demandes formées par des tiers contre un héritier ou un exécuteur testamentaire ;
* 4° Des actions en matière de société, jusqu'à la liquidation définitive, si la société a son établissement principal dans la Principauté ;
* 5° Des actions nées de l'application des articles 408 à 609 du Code de commerce si la procédure est ouverte dans la Principauté ;
* 6° Des demandes relatives à l'exécution d'un acte pour lequel élection de domicile a été faite dans la Principauté ;
* 7° Des demandes en garantie, des demandes reconventionnelles et de toutes autres demandes connexes à une action déjà pendante devant eux ;
* 8° Des demandes relatives à des mesures d'exécution sur des biens existant dans la Principauté ;
* 9° De demandes en validité ou en mainlevée de saisies-arrêts formées dans la Principauté, et généralement de toutes demandes ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires ;
* 9° bis De toutes les actions ayant pour objet le fond du litige, dans les cas visés au chiffre précédent, sauf clause conventionnelle licite attribuant compétence à une autre juridiction ;
* 10° Des demandes tendant à faire déclarer exécutoires dans la Principauté des jugements ou actes étrangers.
Il est de principe que la compétence de droit commun s'apprécie au jour de l'introduction de l'instance, sans considération pour l'éventuelle évolution du litige.
En revanche, la compétence dérogatoire prévue à l'article 3, 9° bis précité, dans la mesure où elle a pour effet de faire échapper une procédure à son juge naturel, à raison de l'existence d'une mesure provisoire ou conservatoire pratiquée sur le territoire de la Principauté, est, par nature, étroitement corrélée à l'existence d'une telle mesure.
Il est donc conforme à l'esprit du texte de l'apprécier au jour où le tribunal statue.
En l'espèce, les parties à l'instance ont leur siège social en dehors du territoire monégasque, en ce qu'elle sont domiciliées au Belize pour l'une et au Gabon pour l'autre, et il est acquis aux débats que le Tribunal de première instance de Monaco puise sa compétence dans la mesure de saisie-arrêt des comptes de la société H.T.P.G., pratiquée le 26 février 2016, auprès de l'établissement « Banque de gestion Edmond de Rothschild ».
Or cette saisie-arrêt a fait l'objet d'une mainlevée, ordonnée par décision du Juge des référés en date du 8 février 2017, devenue définitive.
Dès lors, le chef de compétence, tiré de l'article 3, 9° bis du Code de procédure civile a, en l'espèce disparu, de sorte que ce tribunal n'est pas compétent pour connaître de la demande en paiement formée par la société NEWLAND CONSULTING LTD à l`encontre de la société H.T.P.G.
La partie succombante sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Vu l'article 3-9° bis du Code de procédure civile ;
Constate que la demande en validation de la saisie-arrêt des comptes de la société HYDRO TRAVAUX PUBLICS GABON (H.T.P.G.), pratiquée le 26 février 2016, auprès de l'établissement « Banque de gestion Edmond de Rothschild », est aujourd'hui dépourvue d'objet en l'état de l'ordonnance rendue le 8 février 2017 par le juge des référés ayant rétracté l'ordonnance présidentielle du 19 février 2016 et ordonné la mainlevée de ladite saisie-arrêt ;
Fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société de droit gabonnais HYDRO TRAVAUX PUBLICS GABON (H.T.P.G.) ;
Se déclare incompétent pour connaître de l'action en paiement engagée par la société NEWLAND CONSULTING LTD à l`encontre de la société HYDRO TRAVAUX PUBLICS GABON (H.T.P.G.) ;
Condamne la société NEWLAND CONSULTING LTD aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de maître Joëlle PASTOR BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Ordonne que lesdits dépens soient provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef, au vu du tarif applicable.
Composition
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 18 MAI 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, assisté d'Isabel DELLERBA, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.
Note
Il se déduit de ces conditions de compétence que lorsque la mesure conservatoire ou provisoire a disparu au jour où le Tribunal statue la compétence spéciale des juridictions monégasques fondées sur cet article 3-9° bis du Code de procédure civile disparaît également et que la juridiction perd sa compétence dérogatoire si elle n'a pas d'autre critère de compétence territoriale.
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