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08/07/2021 | MONACO | N°19905

Monaco | Tribunal de première instance, 8 juillet 2021, Madame d. P. épouse R. c/ SAM MPG et autres


Motifs

Le Tribunal,

À l'audience publique du 10 juin 2021, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 8 juillet 2021 ;

FAITS ET PROCÉDURE

Selon exploit en date du 14 juillet 2017, d. P. épouse R. a fait assigner la SAM M.P. GROUP, j-b. P. a. P. épouse S. et e-s. P. aux fins de voir :

* enjoindre à e-s. P. d'avoir à communiquer le justificatif de la transmission du pouvoir daté du 13 juin 2017 conféré à a. P. ;

* enjoindre à la SAM M.P. GROUP de produire au greffe l'o

riginal dudit pouvoir portant la mention « Bon pour pouvoir » suivie de la signature du mandat ;

* con...

Motifs

Le Tribunal,

À l'audience publique du 10 juin 2021, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 8 juillet 2021 ;

FAITS ET PROCÉDURE

Selon exploit en date du 14 juillet 2017, d. P. épouse R. a fait assigner la SAM M.P. GROUP, j-b. P. a. P. épouse S. et e-s. P. aux fins de voir :

* enjoindre à e-s. P. d'avoir à communiquer le justificatif de la transmission du pouvoir daté du 13 juin 2017 conféré à a. P. ;

* enjoindre à la SAM M.P. GROUP de produire au greffe l'original dudit pouvoir portant la mention « Bon pour pouvoir » suivie de la signature du mandat ;

* constater, et au besoin dire et juger, que la convocation au Conseil d'administration de la SAM M.P. GROUP du 14 juin 2017 à 9 heures 30 qui lui a été adressée le 13 juin 2017 à 23 heures 59 revêt un caractère frauduleux ;

* constater, et au besoin dire et juger, que les décisions prises lors du Conseil d'administration du 14 juin 2017 l'ont été en violation de ses droits et qu'elle a ainsi été privée de l'exercice normal de ses prérogatives d'administrateur de la SAM M.P. GROUP ;

* constater, et au besoin dire et juger, que j-b. P. a. P. et e-s. P. sont à l'origine de la convocation du Conseil d'administration et qu'ils ont de ce chef engagé leur responsabilité délictuelle en lui causant un préjudice considérable ;

en conséquence,

* prononcer la nullité des délibérations votées lors du Conseil d'administration de la SAM M.P. GROUP du 14 juin 2017, avec toutes conséquences de droit ;

* déclarer le jugement à intervenir opposable à la SAM M.P. GROUP ;

* condamner in solidum j-b. P. a. P. et e-s. P. à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre les frais et honoraires de conseil dont elle produira les justificatifs en cours de procédure.

Des échanges de conclusions sont intervenus entre les parties.

Le Ministère Public a également conclu dans le cadre de la présente instance, en application de l'article 185 du Code de procédure civile.

Aux termes d'écritures judiciaires du 1er juin 2021, les défendeurs ont sollicité du Tribunal à titre principal, qu'il se fasse communiquer par le Parquet Général, sur le fondement de l'article 177 du Code de procédure pénale, copie de l'ordonnance de non-lieu rendue le 31 mars 2021 dans la procédure d'information judiciaire référencée JI n° CAB3-2017/000010 - PG n° 2017/000966 et de communiquer aux parties copie desdits actes, et demandent, à titre subsidiaire, d'autoriser j-b. P. à communiquer l'ordonnance de non-lieu dont s'agit au Tribunal ainsi qu'à l'ensemble des parties, en tout état de cause, de fixer un nouveau calendrier procédural leur permettant de déposer des conclusions au fond.

Ils font valoir que le 13 juin 2017, la demanderesse a sollicité ses avocats personnels, en lieu et place du conseil historique habituel de la SAM M.P. GROUP, pour porter plainte et se constituer partie civile au nom et pour le compte de ladite société contre j-b. P. actionnaire et administrateur délégué, a. P. et e-s. P. actionnaires et administrateurs ; que d. P. s'est désistée de cette plainte par exploit du 10 septembre 2020 ; une ordonnance de non-lieu a été rendue le 31 mars 2021 et n'a fait l'objet d'aucun recours en sorte qu'elle est définitive.

Ils précisent que le secret de l'instruction est maintenu en cas d'ordonnance de non-lieu (exposé des motifs de la loi n° 1.394 du 9 octobre 2012 et TPI, 14 novembre 2013) ; que ce principe admet des dérogations dans l'intérêt de la conduite de l'information ou de la défense, et plus généralement, dans l'intérêt d'une bonne administration de justice ; qu'aussi, il peut être envisagé de produire au cours d'une instance civile des pièces provenant d'une instruction préparatoire, et dont la nature pourrait « conduire à éclairer la justice et à contribuer à la manifestation de la vérité » (exposé des motifs de la loi n° 1.394 du 9 octobre 2012).

Ils relèvent que le désistement de la plainte est intervenu « au vu des éléments collectés » lors de l'information et au motif que la « mise à l'écart » de d. P. ne procédait d'aucune intention délictuelle ; que le désistement n'a pas eu pour effet de clôturer l'instruction qui s'est poursuivie jusqu'au 31 mars 2021, date à laquelle l'ordonnance de non-lieu a été rendue ; qu'aux termes de cette ordonnance, le magistrat instructeur a écarté la thèse de la demanderesse tendant à considérer que le protocole d'accord du 10 juillet 2013 aurait créé avec certitude un droit, pour les signataires, à devenir investisseur par la suite ; qu'il a également estimé que l'exclusion de d. P. de la liste des investisseurs n'avait aucun lien avec l'intervention de j-b. P. dont les prises de position étaient approuvées par les actionnaires de la société ; que plus largement, l'ordonnance a tranché des problématiques évoquées par la demanderesse lors de l'information judiciaire, s'agissant des circonstances précédant sa convocation et le retrait de sa délégation de pouvoirs, mais s'est aussi prononcée sur les initiatives judiciaires et autres agissements de cette dernière dans le but de favoriser ses intérêts personnels, au détriment de ceux des sociétés du groupe P. dans un contexte de contentieux familial au centre duquel se trouvait le projet d'extension en mer ; qu'enfin, cette décision a mis les frais de justice à la charge de d. P. en tenant compte de ce que la procédure avait été initiée sur sa seule décision et pour son compte personnel ; qu'en conséquence, l'ordonnance de non-lieu est de nature à éclairer le Tribunal sur certaines questions abordées dans la présente instance, notamment sur les agissements reprochés à la demanderesse, sur les circonstances qui ont conduit au retrait de sa délégation de pouvoirs de la SAM M.P. GROUP et plus largement sur les dommages et intérêts ; qu'en outre, elle revêt un caractère général en ce que la procédure d'information a concerné toutes les parties à l'instance.

En réponse, d. P. épouse R. a conclu, le 9 juin 2021, au rejet de l'incident ainsi qu'à la condamnation in solidum des défendeurs à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts. Elle soutient que :

* les parties adverses n'ont nullement besoin d'une autorisation pour communiquer l'ordonnance de non-lieu du 3 mars 2021, ni de la faire produire par le Parquet Général, dès lors qu'elles partent du postulat erroné que le secret de l'instruction s'appliquerait à cette ordonnance,

* la lecture de l'article 31 alinéa 1 du Code de procédure pénale démontre que le secret ne s'applique qu'en cours d'enquête et d'instruction,

* l'exposé des motifs de la loi n° 1.394 n'apporte aucun éclairage particulier sur ce point, ce qui se comprend aisément tant la disposition légale précitée se suffit à elle-même,

* une fois l'instruction close, le secret y attaché n'a plus lieu de s'appliquer,

* tel est nécessairement le cas lorsqu'une ordonnance de non-lieu a été rendue, mettant ainsi un terme à l'information judiciaire et plus généralement à la procédure, étant précisé que l'ordonnance dont s'agit n'a fait l'objet d'aucun recours puisqu'elle est intervenue suite à son désistement de sa plainte avec constitution de partie civile,

* la jurisprudence est également établie et univoque depuis deux jugements rendus par le Tribunal de première instance le 20 septembre 2016 sur cette question, tandis que la jurisprudence française est identique à cet égard,

* enfin, l'exposé des motifs de la loi n° 1.394 précise que « (...) l'obligation au secret ne concerne que des personnes impliquées dans la procédure (...). En revanche, parce qu'ils n'exercent pas cette activité responsable qui est le propre de la participation à l'instruction, sont exclues de ces dispositions la personne inculpée, la partie civile, les personnes civilement responsables, les témoins ainsi que les journalistes »,

* la Cour de Révision a ainsi, aux termes d'un arrêt du 28 avril 2016, réaffirmé le principe que « le secret de l'instruction n'est pas opposable à la partie civile », ce que le Tribunal a également rappelé récemment,

* la SAM M.P. GROUP s'était constituée partie civile en sorte que rien ne l'empêchait de produire l'ordonnance dans le cadre de la présente instance sans qu'il soit nécessaire de requérir l'autorisation préalable du Tribunal, ni encourir une poursuite pour violation du secret de l'instruction,

* il s'ensuit que l'incident soulevé présente un caractère dilatoire et abusif qui ne vise qu'à retarder l'issue de l'instance et obtenir des délais supplémentaires pour conclure,

* il convient de préciser que : le calendrier procédural fixé le 5 janvier 2021 prévoyait qu'elle devait conclure le 2 mars 2021 et les défendeurs le 7 avril 2021 ; que le 1er avril 2021, le conseil des défendeurs a sollicité un délai supplémentaire de deux mois en justifiant sa demande par la crise sanitaire actuelle empêchant son plaidant de tenir la date initiale et en faisant valoir que la demanderesse avait bénéficié d'un délai de quatre mois pour déposer ses écritures ; que son conseil s'est opposé à cette demande en relevant que la crise sanitaire n'était qu'un faux prétexte et que le délai qui lui avait été accordé se justifiait par le fait qu'il s'était vu interdire de communiquer avec sa cliente entre le 8 octobre 2020 et le 3 décembre 2020 et que cette dernière restait dans l'attente de pièces nouvelles dont une qui lui a été remise le 7 janvier 2021 ; que l'affaire a ainsi été renvoyée au 27 mai 2021 pour fixation d'un nouveau calendrier procédural, audience au cours de laquelle il a été soulevé le présent incident totalement fantaisiste, étant noté que les défendeurs font état du contenu de l'ordonnance pour justifier leur demande.

Le Ministère Public s'en est rapporté à justice sur l'incident.

SUR QUOI

Aux termes de l'article 31 alinéa 1 du Code de procédure pénale, « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète (...) ».

Le secret de l'instruction ne s'applique que lorsque la procédure d'information judiciaire est encore en cours et en cas de non-lieu, jusqu'à ce que la décision soit définitive.

En effet, en dépit de certains termes de l'exposé des motifs de la loi n° 1.394 du 9 octobre 2012, il y a lieu à cet égard de se référer aux trois objectifs du législateur :

« - faciliter l'œuvre répressive en évitant la révélation erga omnes du travail de recherche et de décantation des preuves, ainsi que les pressions de l'opinion publique sur la justice ;

* mettre l'individu poursuivi à l'abri de la calomnie ;

* protéger le public contre la diffusion d'éventuelles informations faussées et/ou abusives »,

ainsi qu'à la volonté clairement affichée, dans le rapport de la Commission de Législation du Conseil National, d'adopter une interprétation assez restrictive du champ d'application du secret de l'instruction, lequel ne peut ainsi survivre au-delà de la clôture définitive de l'information judiciaire.

Il s'ensuit que l'ordonnance de non-lieu invoquée par les défendeurs peut parfaitement être produite dans le cadre de la présente instance, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle est désormais définitive faute de recours, sans qu'il y ait lieu à la communication de l'article 177 du Code de procédure pénale ou à une autorisation du présent Tribunal.

Il convient toutefois de relever que la jurisprudence du 20 septembre 2016, dont la demanderesse fait état, n'a pas fait l'objet d'une publication élargie, ni d'une décision de la Cour d'appel ou de la Cour de révision sur cette question, et restait nouvelle (en sens pouvant apparaître contraire, TPI, 14 novembre 2013, ED c/ DS citant l'exposé des motifs de la loi n° 1.394 du 9 octobre 2012) même si elle est identique à la jurisprudence française.

De plus, des éléments évoqués par les parties, il apparaît que la plainte avec constitution de partie civile a été déposée par d P. au nom de la SAM M.P. GROUP, alors que se pose la question de la représentation de cette société par cette dernière, si bien qu'il ne peut être soutenu que la personne morale, défenderesse à l'instance, serait clairement partie civile et ne pourrait se voir opposer le secret de l'instruction.

En conséquence, le présent incident ne revêt aucun caractère abusif ou dilatoire et la demande en paiement de dommages et intérêts doit ainsi être rejetée.

Il y a lieu de fixer un nouveau calendrier procédural qui sera précisé au dispositif du présent jugement et de réserver les dépens en fin de cause.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, contradictoirement, par jugement avant-dire-droit au fond,

Déboute la SAM M.P. GROUP, j-b. P. a. P. épouse S. et e-s. P. de leurs demandes ; Déboute d. P. épouse R. de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du JEUDI 11 novembre 2021 pour plaidoiries, après que les parties aient échangé leurs écritures judiciaires de la manière suivante :

* vendredi 3 septembre 2021 au plus tard, pour le dépôt au greffe des conclusions au fond de la SAM M.P. GROUP, j-b. P. a. P. épouse S. et e-s. P. ;

* vendredi 1er octobre 2021 au plus tard, pour le dépôt au greffe des ultimes conclusions de d. P. épouse R.

* vendredi 5 novembre 2021 au plus tard, pour le dépôt au greffe des ultimes conclusions de la SAM M.P. GROUP, j-b. P. a. P. épouse S. et e-s. P.

* mardi 9 novembre 2021 au plus tard, pour le dépôt au greffe des conclusions éventuelles du Ministère Public ;

Réserve les dépens en fin de cause.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 19905
Date de la décision : 08/07/2021

Analyses

Le secret de l'instruction ne s'applique que lorsque la procédure d'information judiciaire est encore en cours et en cas de non-lieu, jusqu'à ce que la décision soit définitive.En effet, en dépit de certains termes de l'exposé des motifs de la loi n° 1.394 du 9 octobre 2012, il y a lieu à cet égard de se référer aux trois objectifs du législateur :« - faciliter l'œuvre répressive en évitant la révélation erga omnes du travail de recherche et de décantation des preuves, ainsi que les pressions de l'opinion publique sur la justice ;- mettre l'individu poursuivi à l'abri de la calomnie ;- protéger le public contre la diffusion d'éventuelles informations faussées et/ou abusives »,ainsi qu'à la volonté clairement affichée, dans le rapport de la Commission de Législation du Conseil National, d'adopter une interprétation assez restrictive du champ d'application du secret de l'instruction, lequel ne peut ainsi survivre au-delà de la clôture définitive de l'information judiciaire.Il s'ensuit que l'ordonnance de non-lieu invoquée par les défendeurs peut parfaitement être produite dans le cadre de la présente instance, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle est désormais définitive faute de recours, sans qu'il y ait lieu à la communication de l'article 177 du Code de procédure pénale ou à une autorisation du présent Tribunal.

Procédure pénale - Général.

Procédure pénale - Secret de l'instruction.


Parties
Demandeurs : Madame d. P. épouse R.
Défendeurs : SAM MPG et autres

Références :

article 31 alinéa 1 du Code de procédure pénale
article 185 du Code de procédure civile
article 177 du Code de procédure pénale
loi n° 1.394 du 9 octobre 2012


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.premiere.instance;arret;2021-07-08;19905 ?

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