Abstract
Procédure civile - Incident relatif à l'instance - Sursis à statuer - Recevabilité de la demande de révocation du sursis (oui) - Absence de fondement textuel - Obstacle à la demande (non) - Absence d'autorité de la chose jugée - Possibilité de réexaminer la situation procédurale - Bien fondé de la demande (non) - Incidence de la décision pénale à intervenir - Violation du délai raisonnable (non) - Report du procès pénal sans incidence
Résumé
Le fait qu'il n'existe pas de texte permettant à la juridiction qui l'a prononcée de révoquer une décision de sursis à statuer ne fait pas en lui-même obstacle à la recevabilité d'une telle demande. La décision qui a ordonné le sursis à statuer n'a pas, au sens de l'article 1198 du Code civil et de la jurisprudence, autorité de la chose jugée à défaut d'avoir tranché sur le fond les demandes des parties. La juridiction peut être appelée à réexaminer sa décision précédente au regard d'éléments nouveaux qui lui seraient soumis de nature à modifier l'appréciation de la situation telle qu'elle lui avait été soumise initialement. Ne pas admettre un tel principe priverait le justiciable de toute possibilité d'un nouvel examen de la situation procédurale alors même qu'il ne peut relever appel et que le terme prévu à l'origine peut être lointain ou être devenu entre-temps sans objet. Le principe d'une bonne administration de la justice qui fonde le sursis à statuer commande également d'admettre que l'on déclare recevable une demande de révocation de sursis à statuer.
L'appréciation de la responsabilité contractuelle de la banque indépendamment de l'examen de sa responsabilité délictuelle en qualité de commettant est à ce stade impossible car elle supposerait, outre d'examiner des points qui sont l'objet de l'instance pénale, le fait de savoir si ces deux régimes de responsabilité peuvent se cumuler dans la présente instance, ce qui serait prématuré et ne peut se faire que dans le cadre de l'appréciation de la responsabilité globale de la banque en statuant au fond. La prétendue violation du délai raisonnable n'est pas de nature à permettre de révoquer le sursis à statuer ordonné dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. L'évolution procédurale au pénal avec la demande de report du procès ne fait pas disparaître les risques encourus par le fait de statuer dans la présente instance sans attendre l'issue de la procédure pénale. Il y a donc lieu de rejeter la demande.
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2019/000243 (assignation du 5 décembre 2018)
JUGEMENT DU 2 MARS 2023
En la cause de :
1. p. E., né le jma à Charleroi (Belgique), administrateur - gérant de sociétés, demeurantx1 19, 5651 Laneffe (Belgique) ;
2. c. F., née le jma à Charleroi (Belgique), de nationalité belge, demeurant x2, 5660 Couvin (Belgique) ;
3. La société Y., dont le siège social se trouve x3- x3(x3) x3 - x3 – Victoria, Mahé (Seychelles), prise en la personne de ses Directors en exercice, demeurant en ces qualités audit siège ;
DEMANDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,
d'une part ;
Contre :
* • La S. A. M. Z., dont le siège social se trouve Villa les Aigles, x4 à Monaco, prise en la personne de son Administrateur délégué g. A. et/ou de son Directeur Général c. B., demeurant en ces qualité audit siège ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Sirio PIAZZESI, avocat au Barreau de Nice et Maître Laurent CARRIE, avocat au Barreau de Paris ;
d'autre part ;
Visa
LE TRIBUNAL,
* Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 5 décembre 2018, enregistré (n° 2019/000243) ;
* Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 5 mars 2020 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 6 mai 2020 ;
* Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 3 mars 2022 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 5 juillet 2022 ;
* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de p. E., c. F. et la société Y., en date du 6 décembre 2022 ;
* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la S. A. M. Z. (Monaco), en date du 5 janvier 2023 ;
* Vu l'Ordonnance de clôture du 5 janvier 2023 ;
Motifs
À l'audience publique du 2 février 2023, les conseils des parties ont plaidé puis déposé leurs dossiers, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 2 mars 2023 par mise à disposition au greffe ;
FAITS ET PROCÉDURE
En 2002, p. E. rencontrait par un ami commun a. G. qui travaillait à la b. H. en Principauté de Monaco. Il lui remettait 500.000 euros en liquide pour un placement sur un compte ouvert dans cette banque.
À la suite du départ d'a. G. de la banque, p. E. effectuait le transfert de son compte I. vers la banque J., nouvel employeur d'a. G. p. E. ouvrait au J. un compte au nom de sa société de droit seychellois « O. » sur lequel il transférait ses avoirs personnels de 500.000 euros auxquels il ajoutait une somme de 250.000 euros en espèces puis une seconde somme de 250.000 euros quelques mois plus tard.
En 2010, a. G. rejoignait la banque Z., p. E. y transférait par contrat signé le 7 mai 2010 à Nismes (Belgique) le compte de sa société qui présentait à ce moment-là un solde de près d'un million d'euros.
En février 2012, a. G. proposait un placement à terme au taux de 5.12 % par an à p. E. qui effectuait un versement supplémentaire de 250.000 euros.
p. E. signait le 10 juillet 2012 une demande d'émission de chèque de 450.000 euros au bénéfice de P..
En juin 2013, p. E. apprenait que a. G. avait été arrêté à Monaco pour avoir détourné des fonds. Il apprenait du Directeur Général de la banque que la somme de 450 000,00 euros remise en espèces à a. G. n'avait jamais été créditée dans les livres de l'établissement mais sur un compte d'une société dont le bénéficiaire économique était a. G.. La dernière somme de 250.000 euros n'a pas davantage été créditée sur son compte.
p. E. découvrait en outre qu'un virement à destination de « Q. » un service de cartes « visa » rechargeables, avait été effectué le 20 août 2012 pour une somme de 10.070 euros.
p. E. décidait de fermer tous les comptes détenus à la société Z.. En outre, la société O. mettait en demeure Z. de lui restituer la somme de 700.000 euros.
Par acte en date du 5 décembre 2018, p. E., c. F. et la société Y. ont assigné la S. A. M. Z. au visa de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil aux fins de :
* • dire et juger que la S. A. M. Z. doit être déclarée civilement responsable des faits commis par son préposé a. G.,
* • condamner la S. A. M. Z. à leur payer la somme totale de 726.450,12 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2012, date de la première remise d'espèces à a. G., détaillée comme suit :
* • 250.000 euros correspondant à la somme remise en espèces à a. G. que ce dernier n'a jamais déposée à l'Z.,
* • 450.00 euros correspondant au chèque émis au bénéfice d'a. G.,
* • 16.380,12 euros correspondant aux intérêts prélevés par la banque sur le découvert,
* • 20.070 euros correspondant au transfert Q. pour lequel ils n'ont jamais donné leur accord.
Vu l'article 1002 du Code civil, Vu les articles 1754, 1771 et 1831 du même Code, Vu la jurisprudence rendue :
* • constater que la S. A. M. Z. a manqué à ses obligations de vigilance et de mise en garde,
* • dire et juger que la S. A. M. Z. a engagé sa responsabilité contractuelle en raison des fautes qui lui sont imputables du fait de la mauvaise exécution de la convention d'ouverture de compte,
* • condamner la S. A. M. Z. à leur verser la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en résultant,
* • condamner la S. A. M. Z. à leur verser la somme de 50.000 euros au titre de leur préjudice moral,
* • condamner la S. A. M. Z. à leur verser la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive,
* • condamner la S. A. M. Z. aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Régis BERGONZI, Avocat-Défenseur sous sa due affirmation.
À la suite d'exceptions de procédure soulevées par la S. A. M. Z., par jugement du 5 mars 2020, le Tribunal a rejeté le moyen de nullité développé à l'encontre de l'assignation et déclaré l'action engagée en leur nom personnel par p. E. et c. F. recevable.
Il a ordonné une réouverture des débats afin de permettre aux parties de soumettre au Tribunal toutes les informations utiles sur le déroulement de la procédure d'instruction judiciaire à l'encontre d'a. G.
Par jugement en date du 3 mars 2022, ce Tribunal a :
* • constaté que la procédure pénale en cours à l'encontre d'a. G. et la procédure en responsabilité civile de la S. A. M. Z. du fait de son préposé reposent sur les mêmes faits reprochés à a. G. ;
en conséquence ;
* • sursis à statuer sur les demandes formulées par p. E., c. F. et la société Y. jusqu'à l'issue définitive de la procédure pénale actuellement en cours à l'encontre d'a. G. ;
* • renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état du 5 JUILLET 2022 ;
* • réservé l'ensemble des demandes des parties.
Par conclusions aux fins de révocation du sursis à statuer et récapitulatives n° 7, p. E., c. F. épouse R. et la société Y. demandent au Tribunal de :
* « Vu le Jugement du 4 février 2021,
* Vu les pièces versées aux débats par les Demandeurs,
* Déclarer recevable la demande formée par la société Y. et par Monsieur et Madame R. aux fins de révocation du sursis à statuer ordonné selon Jugement avant-dire droit rendu par le Tribunal de Première Instance le 3 mars 2022 ;
* Ordonner la révocation du sursis à statuer ordonné selon Jugement avant-dire droit rendu par le Tribunal de Première Instance le 3 mars 2022 ;
* Sur le fond,
* Vu l'article 1231 alinéa 4 du Code civil,
* Vu les pièces versées aux débats par les Demandeurs,
* Vu le Jugement rendu par le Tribunal de Première Instance le 23 novembre 2017,
* Vu l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 3 mars 2020,
* Déclarer recevables les demandes formées par la société Y. et par Monsieur et Madame R. à l'encontre de la société Z. ;
* Dire et juger que la SAM Z. doit être déclarée civilement responsable des faits commis par son préposé ;
* Condamner la SAM Z. à payer aux Demandeurs la somme totale de 726.450,12 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1" mars 2012, date de la première remise en espèces à Monsieur X., détaillée comme suit :
* 250.000,000 euros correspondant à la somme remise en espèces à Monsieur X. que ce dernier n'a jamais déposé à I'Z. ;
* 450.000,00 euros correspondant au chèque émis au bénéfice de Monsieur X. ;
* 16380,12 euros correspondant aux intérêts prélevés par la Banque sur le découvert ;
* 10.070,00 euros correspondant au transfert Q. ;
* Vu l'article 1002 du Code Civil,
* Vu les articles 1754, 1771 et 1831 du même Code,
* Vu l'article 238-1 du Code de procédure civile,
* Vu la jurisprudence rendue,
* Constater que la SAM Z. a manqué à ses obligations de vigilance et de mise en garde,
* Dire et juger que la SAM Z. a engagé sa responsabilité contractuelle en raison des fautes qui lui sont imputables du fait de la mauvaise exécution de la convention d'ouverture de compte ;
* Condamner la SAM Z. à verser aux Demandeurs la somme de 200.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice en résultant.
* Condamner la SAM Z. à verser aux Demandeurs la somme de 55.000,00 euros au titre de leur préjudice moral.
* Condamner la SAM Z. à verser aux Demandeurs la somme de 55.000,00 euros de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive.
* Condamner la SAM Z. à payer aux Demandeurs la somme de 15.000 euros au titre des frais autres que les dépens.
* Condamner la SAM Z. aux entiers dépens, distrait au profit de Monsieur le Bâtonnier Régis BEGONZI, Avocat-Défenseur sous sa due affirmation. ».
Au soutien de leurs demandes, ils font valoir pour l'essentiel que :
* leur demande de révocation du sursis à statuer est recevable ;
* aux termes de l'article 423 du Code de procédure civile, un jugement avant-dire-droit prononçant un sursis à statuer n'est pas directement appelable en sorte qu'ils ont dû subir le sursis à statuer qui leur a été imposé ;
* l'article 379 § 2 du Code de procédure civile français dispose que « Le juge peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis à statuer ou en abréger le délai. » ;
* la révocation d'un sursis à statuer n'est pas expressément prévue en droit monégasque mais les textes ne l'excluent pas ;
* un sursis à statuer s'il est d'une durée excessive est susceptible de caractériser une violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ;
* le justiciable peut éventuellement subir un dommage comme conséquence directe du sursis à statuer ;
* la chose jugée par le juge de la mise en état ne se voit conférer qu'un caractère relatif et provisoire ;
* l'article 379 du Code de procédure civile monégasque dispose que les demandes incidentes sont formées par conclusions prises à l'audience par écrit ou même verbalement ; en droit français, la demande de révocation d'un sursis à statuer est considérée comme une demande incidente ; en droit monégasque, la demande de sursis à statuer est une demande incidente et par analogie, la demande de révocation d'un sursis à statuer l'est aussi ;
* la demande de révocation du sursis à statuer est bien fondée ;
* il n'y a pas d'incidence de la procédure pénale en cours sur la présente instance ; les juridictions monégasques exigent, pour faire droit à une demande de sursis à statuer, que l'avancement de la procédure pénale soit renseignée et que son issue soit de nature à avoir une incidence sur les demandes formées dans le cadre de l'instance civile ; a contrario, la révocation du sursis à statuer doit être prononcée en tenant compte de l'avancement de la procédure pénale et du moment à partir duquel son issue n'est pas de nature à avoir une incidence sur les demandes formées dans l'instance civile ;
* en l'espèce, la procédure pénale n'a pas d'incidence sur la procédure civile dans la mesure où elle a un objet différent et qu'elle ne risque pas de contrevenir au principe de réparation intégrale ; la présente instance est intentée contre la banque Z. et non contre a. G. ; la condamnation susceptible d'intervenir contre a. G. n'aura aucune incidence sur leurs demandes puisque s'il devait être relaxé, ce qui est hautement improbable puisqu'il a reconnu les faits, la responsabilité civile de la banque pourrait être engagée ; en effet, la responsabilité civile du commettant du fait de son préposé ne suppose nullement une condamnation pénale préalable du préposé ; la responsabilité contractuelle de la banque est également recherchée, ce qui devrait suffire à révoquer le sursis à statuer ; si par extraordinaire, la juridiction devait estimer que la responsabilité civile de la banque du fait de son préposé dépend de l'action publique, elle devra statuer sur la responsabilité contractuelle ; l'établissement d'une faute pénale du commettant n'est pas une précondition pour engager la responsabilité délictuelle de ce dernier ; la règle « le criminel tient le civil en l'état » ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce ;
* il n'existe pas de risque de double indemnisation pour un même préjudice ; il convient de distinguer la question de l'indemnisation et celle de réparation ; en matière pénale, l'indemnisation est prépondérante puisque la victime recherche une indemnisation directement auprès de celui qui l'a lésée afin de pallier les souffrances ressenties alors qu'en matière civile, le juge s'il accède aux demandes va chercher à remettre les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant la survenance du dommage ; l'indemnisation sollicitée au pénal ne pourra viser que le prévenu a. G. ; les juridictions civiles pourraient revenir sur leur décision à la suite d'une décision pénale qui remettrait en cause le respect du principe de la réparation intégrale à tout moment voire après une décision rendue au civil ;
* il existe une violation manifeste du délai raisonnable ; leur plainte est datée du 27 mai 2013 et a. G. n'a été renvoyé devant le Tribunal criminel que par arrêt de la Chambre du conseil de la Cour d'appel du 10 décembre 2020 confirmé par arrêt de la Cour de révision du 6 mai 2021 ; le Tribunal doit œuvrer avec célérité dans la procédure civile ; la présente procédure a été initiée depuis près de 5 ans ; pourquoi le sursis à statuer n'est-il intervenu que le 3 mars 2022 alors que l'instruction est close depuis 2020 ? ils se retrouvent dans une impasse depuis plusieurs années alors que la procédure pénale est paralysée et pourrait ne jamais aboutir ; le Tribunal de première instance a statué dans une autre procédure d'une victime des agissements d'a. G. en condamnant la banque Z. alors que la procédure pénale était en cours ;
* il y a des éléments nouveaux ; la procédure pénale est toujours en cours, le tirage au sort des jurés était prévu le 13 juillet 2022 mais a. G. a présenté un certificat médical pour se soustraire à ses obligations et a sollicité le renvoi du procès ; une expertise médicale doit avoir lieu mais elle se déroulera probablement à l'étranger avec des délais de plusieurs mois ou années et le conseil d'a. G. a indiqué n'avoir plus de nouvelles de son client ; a. G. use de tous les recours possibles pour retarder la procédure pénale ; le comportement dilatoire d'a. G. n'exonère pas les autorités judiciaires de leur obligation d'assurer le déroulement de la procédure dans un délai raisonnable ;
* l'article 380 alinéa 1er du Code de procédure civile français prévoit que la décision de sursis à statuer peut être frappée d'un appel sur autorisation du premier président pour motif grave et légitime ; constitue un motif grave et légitime la longueur vraisemblable de la procédure pénale mais aussi l'aggravation de la situation économique et le risque de voir majorer les réclamations ; en l'espèce, ils sont contraints de laisser perdurer la société Y. ce qui génère des frais annuels élevés et ils vont devoir se conformer à la nouvelle réglementation des Seychelles avec la communication de documents comptables ce qui va également engendrer des frais importants ;
* sur la responsabilité de la banque du fait des agissements de son préposé a. G. ; la Cour de révision a déjà jugé qu'une banque était civilement responsable des infractions pénales commises par son préposé ; a. G. représentait la banque en vertu de deux contrats de travail de Client Relationship Officer ; dans le dossier déjà jugé par ce Tribunal, la responsabilité de la banque Z. a été retenue ; la banque doit être reconnue responsable des agissements de son préposé à leur préjudice ; le mode opératoire était le même qu'avec d'autres clients : il leur avait proposé un placement au taux de 5,12 % et ils ont remis des sommes importantes en espèces soit 250.000 euros, a. G. leur a remis des documents manuscrits et leur a présenté de faux relevés de compte à l'entête d'Z. portant le même numéro que leur compte auquel il a rajouté la mention « bis » et au visa de ces relevés, ils croyaient réellement que leurs fonds étaient placés chez Z. et leur rapportaient de l'argent ; a. G. se trouvait dans un lien de subordination lors de ses agissements et c'est grâce à ses fonctions qu'il a obtenu les remises de fonds ;
* il a également détourné 450.000 euros à leur préjudice par le biais d'un chèque qui lui a été remis par la banque à l'ordre de la société P.S SA dont il était le bénéficiaire économique effectif ; a. G. a sollicité le découvert bancaire, remis à la banque l'ordre de lui remettre le chèque et s'est vu remettre le chèque par la banque ; la banque est responsable des faits commis par son préposé ;
* a. G. visait de petits commerçants ignorants en matière financière ; ils ne sont pas des investisseurs avertis ; cette opération n'avait rien de licite, les demandes de découvert et de chèque ont été transmises par le CRO à la banque et non par eux ; elle n'a pas contrôlé l'opération ; il l'a avoué ; aucune société luxembourgeoise n'est à l'origine de leur préjudice ; a. G. a agi comme préposé de Z. et non de P. SA ; il y a un lien entre les manoeuvres d'a. G. et leur préjudice ; ils n'ont jamais souhaité transférer les fonds sur un compte appartenant à celui-ci ; le lien de causalité est direct et évident ; les demandeurs n'étaient pas informés de l'irrégularité des opérations ; s'ils disposaient d'un compte off-shore c'est parce qu'a. G. leur a fait créer car il percevait une commission ; leur seule imprudence a été de faire aveuglément confiance à a. G. ;
* les relevés de compte étaient relativement complexes et leur ont été remis en Belgique par a. G. lors de ses visites ;
* concernant les versements d'espèces, a. G. a reconnu les détournements alors qu'ils pensaient ces fonds déposés sur leur compte à l'Z. ;
* a. G. n'a pas agi en dehors de ses fonctions ; le fait qu'ils aient reçu les faux relevés après les détournements est inopérant ;
* sur la responsabilité contractuelle d'Z. ; la banque a commis de nombreux manquements contractuels dont elle doit répondre sur le fondement de l'article 1002 du Code civil ; toute contestation sur le non cumul des responsabilités délictuelles et contractuelles est sans objet, la cause n'étant pas la même ;
* la banque a pris un risque en recrutant a. G. qui avait déjà été licencié par trois établissements bancaires monégasques ; l'audit de la société I.fait état de fautes graves d'a. G. ; Z. ne pouvait ignorer les motifs de ces licenciements mais a fermé les yeux car il apportait de gros portefeuilles ; elle a manqué à son obligation de vigilance et de prudence ;
* elle a laissé a. G. travailler en Belgique alors que son contrat de travail ne prévoyait pas de déplacement et que divers documents mentionnent à tort qu'ils ont été établis à Monaco ; elle a fait preuve d'une négligence manifeste ; Z. n'était pas agréée pour travailler en Belgique en fraude avec la réglementation bancaire belge et l'accord entre la Principauté de Monaco et l'Union Européenne ;
* la banque n'a pas respecté la procédure Hold Mail ou Care of ; les procédures internes n'ont pas été respectées sur ce point ; la règle est que ce n'est pas le gestionnaire qui remet les relevés de compte où à titre exceptionnel sur autorisation de la Direction ; s'ils avaient eu accès à leurs relevés, ils se seraient aperçus que ceux transmis par a. G. étaient des faux et le fait que de nombreux clients d'a. G. n'aient pas eu connaissance de leurs relevés durant plus de 18 mois aurait dû alerter la banque ; elle a lourdement manqué à son obligation de vigilance ; les demandeurs n'avaient pas demandé expressément à ne pas recevoir leurs relevés en sorte que la banque aurait dû les leur adresser mensuellement ;
* la banque n'a pas respecté ses procédures internes sur l'autorisation de découvert de 450.000 euros ; elle n'a pas recherché le but de l'opération et la demande ne comportait ni taux ni échéance ; à supposer qu'ils ont sollicité ce découvert, ils devaient être informés des conditions ; la banque a manqué à son obligation d'information ; l'autorisation a été validée par la banque le 14 juin 2012 ; a. G. était conscient que la banque n'exerçait aucune surveillance ; à un mois d'intervalle deux de ses clients ont sollicité une autorisation de découvert de 450.000 euros et sollicité le transfert de cette somme au profit de la société P.S SA sans que cela n'alerte la banque ; la banque a perçu des intérêts sur les découverts autorisés ;
* ces manquements graves leur ont causé un important préjudice ;
* outre le préjudice financier, ils ont souffert un important préjudice moral ; ils ont le sentiment de s'être fait abuser par un banque de renom qu'ils pensaient sérieuse ; la banque est de mauvaise foi en leur déniant la qualité de victime ;
* la banque a résisté abusivement à leurs demandes ; ils ont tenté de transiger mais la banque n'a pas répondu alors qu'elle est fautive ; ils ont été contraints de l'assigner et elle a usé de demandes dilatoires pour retarder l'échéance de sa condamnation ;
* ils ont dû exposer des frais irrépétibles pour leur défense dont notamment la rédaction de l'assignation, des conclusions et l'élaboration du dossier de plaidoirie.
Par conclusions en réponse sur la demande de révocation du sursois et récapitulatives n° 7 du 5 janvier 2023, la société Z. (MONACO) a sollicité :
* « Au principal,
* Déclarer irrecevable la demande de révocation du sursis à statuer ordonné par le Tribunal dans son jugement du 3 décembre 2020 présentée par Monsieur p. E., c. F. et la société O..
* En conséquence les en débouter.
* Subsidiairement,
* Déclarer ces demandes infondées.
* En débouter Monsieur p. E., Madame c. F. et la société O..
* Surseoir à statuer sur leurs demandes jusqu'à l'issue définitive de la procédure pénale actuellement en cours à l'encontre de Monsieur a. G.
* Réserver les dépens.
* Subsidiairement, au fond,
* 1. Sur les dispositions de l'article 1231 alinéa 4 du Code Civil :
* DIRE ET JUGER inapplicables aux faits de la cause les dispositions de l'article 1231 alinéa 4 du Code Civil,
* En conséquence,
* DÉBOUTER Monsieur p. E., Madame c. F. et la société O. de toutes leurs demandes, fins et conclusions
* 2. Sur les dispositions de l'article 1002 du Code Civil :
* Au principal,
* DIRE ET JUGER les demandes de Monsieur p. E., Madame c. F. et la société O. irrecevables sur ce fondement pour cumul avec la responsabilité délictuelle
* REJETER Monsieur p. E., Madame c. F. et la société O. en leurs demandes, fins et conclusions
* Subsidiairement,
* DIRE ET JUGER que la société concluante n'a commis aucune faute contractuelle sur le fondement des dispositions de l'article 1002 du Code Civil,
* En conséquence,
* DÉBOUTER Monsieur p. E., Madame c. F. et la société O. de leur demande tendant à la condamnation à la société à leur payer la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice, celle de 50.000 euros au titre de leur préjudice moral et celle de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
* Les CONDAMNER solidairement aux entiers dépens distraits au profit de Madame le Bâtonnier Joëlle PASTOR BENSA sous sa due affirmation de droit ».
À l'appui de ses prétentions, elle argue pour l'essentiel que :
* • elle est une banque privée spécialisée dans la gestion de fortune ;
* • a. G. a été embauché par ses soins le 3 mai 2010 en qualité de Clients Relationship Officer ; il occupait auparavant un poste équivalent au J. ;
* • il n'avait pas pour fonction de gérer les actifs ou le patrimoine des clients ; sa mission était d'entrer en relation avec des clients pour leur faire ouvrir des comptes et de veiller à leur satisfaction pour les fidéliser ; il ne procédait pas à l'ouverture des comptes ;
* • la société Y. est une société des Seychelles depuis mai 2009 ouverte sur les conseils d'a. G. qui n'était alors pas son salarié et appartenant aux époux R., tous deux de nationalité belge et résidant en Belgique ;
* • lorsque a. G. a rejoint Z. certains clients du J. l'ont suivi et la société Y. a ouvert un compte le 7 mai 2010 et a donné un mandat de gestion discrétionnaire au profit d'Z. ; à son ouverture environ 800.000 euros ont été transférés ;
* • les défendeurs avaient souhaité que les relevés soient conservés à la banque selon la procédure Hold mail ; une fois tous les 18 mois un relevé devait leur être remis contre signature ; en définitive, ils ont reçu communication des relevés tous les six mois ; la banque Z. a respecté l'ensemble de ses obligations ;
* • le 15 juin 2012, les époux R. ont adressé un ordre signé par eux demandant un découvert de 450.000 euros ; une fois la signature vérifiée et qui n'est pas contestée dans la présente instance, la banque a mis en place ce découvert et constitué un gage de valeurs mobilières comme sûreté ; un sous-compte a été ouvert ;
* • le 10 juillet 2012, les époux R. ont adressé un ordre à la société Z. pour demander l'émission d'un chèque bancaire international d'un montant de 450.000 euros à l'ordre de la société P. ; le chèque a été émis le 17 juillet 2012 ; le 31 octobre 2012, les époux R. ont reçu contre signature un document de reddition de compte selon lequel suite au découvert et à l'émission et à l'encaissement du chèque, le compte était débiteur de la somme de 461.602,93 euros (soit le principal et les intérêts échus à cette date) ;
* • l'ordre donné a été scrupuleusement respecté par la banque ;
* • en mai 2013, elle a été avertie des détournements commis par a. G. au préjudice de certains clients ; a. G. n'a pas fait état spontanément de détournements au préjudice de la société Y. ;
* • en juin 2013, p. E. s'est présenté à Monaco et a produit un document intitulé « Evaluation du compte » concernant un compte xxx bis dont le total indiquait 757.776,77 euros ; la banque a constaté que ce document ne ressemblait pas à ses relevés et que le numéro de compte n'existait pas chez elle ; la terminaison « bis » n'étant pas utilisée ; elle a conclu qu'il s'agissait d'un faux ;
* • il semblerait que les époux R. aient été également victimes du détournement de sommes en espèces pour la remise desquelles a. G. n'a établi aucun reçu ;
* • pour accréditer la thèse d'un placement rapportant 5,12 % soit bien au-dessus des taux de l'époque, a. G. aurait adressé de faux documents datés des 16 mars 2012, 16 août 2012, 2 janvier 2013, 4 février 2013, 28 février 2013 et 26 avril 2013 ; or ces documents sont postérieurs à l'ordre d'émettre le chèque de banque vers la société luxembourgeoise et à la prétendue remise des espèces ; ils ne sauraient les avoir convaincus qu'un tel compte préexistait aux opérations frauduleuses de transfert ou de remise d'espèces ; a. G. a admis avoir remis des faux ;
* • sur l'irrecevabilité de la demande de révocation du sursis à statuer, les demandeurs font référence de manière hétéroclite aux Codes de procédure civile français et monégasque tout en reconnaissant qu'en droit monégasque un jugement de sursis à statuer n'est pas directement appelable ; cette révocation est juridiquement impossible puisque le Code de procédure civile monégasque ne la prévoit pas et même l'exclut ;
* • ce principe d'exclusion découle de l'article 423 du Code de procédure civile qui n'a pas été modifié lors de la réforme de la procédure civile par la loi du 2 décembre 2021 ; le législateur n'a pas estimé utile à cette occasion de rajouter des dispositions similaires à celles de l'article 379 alinéa 2 du Code de procédure civile français sur la possibilité donnée au juge de révoquer le sursis à statuer ou d'en abréger le délai ou celles de l'article 380 du Code de procédure civile français qui permet un appel immédiat sur autorisation du premier président de la Cour d'appel s'il est justifié d'un motif grave et légitime ; le Tribunal ne peut donc aller au-delà de la volonté du législateur ni décider que certaines dispositions du droit français seraient applicables en Principauté de Monaco ; la référence aux demandes incidentes ou reconventionnelles est sans rapport avec la possibilité de révoquer un sursis à statuer ; la référence à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales est également inefficace car à supposer qu'elle puisse recevoir application, elle ne saurait avoir pour conséquence d'entraîner la révocation d'une décision de justice, seul l'Etat concerné pouvant être sanctionné ; cette demande sera donc déclarée irrecevable ;
* • subsidiairement, la demande de révocation du sursis à statuer est infondée ; il convient de faire application de l'article 3 du Code de procédure pénale ; en l'espèce, il n'est pas contestable ainsi que cela ressort de l'assignation que les agissements d'a. G. font l'objet de plaintes pénales instruites à Monaco et que l'intégralité des faits dont il est question dans le présent litige sont exactement similaires à ceux soulevés devant la juridiction répressive ; un complément d'information a été ordonné le 6 novembre 2019 ; les diverses responsabilités ne sont pas aussi facilement identifiables que le prétendent les demandeurs ; la décision pénale aura une influence sur la future décision dans la présente instance dès lors que les deux procédures ont le même objet à savoir reconnaître la responsabilité d'a. G. dans le détournement d'actifs au préjudice de la société Y. et des époux R. ; les motifs retenus dans la décision du 4 février 2021 restent pertinents ; il appartient au juge pénal de tirer les conséquences des supposées manoeuvres d'a. G. et d'ordonner sa comparution devant le Tribunal criminel conformément à l'arrêt de renvoi ; il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à l'issue définitive de la procédure pénale en cours contre a. G. ;
* • les demandes adverses au fond sont infondées ;
* • l'article 1231 alinéa 4 du Code civil n'est pas applicable en l'espèce ; ces dispositions supposent la réunion de deux conditions cumulatives : la première tient aux liens personnels entre le commettant et la préposé et cette responsabilité suppose que soit établi un rapport de préposition entre le commettant et le préposé et la seconde tient au actes commis par la préposé susceptibles d'engager la responsabilité du commettant, le préposé doit avoir commis une faute dans l'exercice de ses fonctions ; en l'espèce aucune des deux conditions n'est réunie ;
* • sur le détournement par la société luxembourgeoise : le détournement des fonds des époux R. n'a pas été commis par un préposé d'Z. mais par la société luxembourgeoise avec laquelle elle n'entretient aucun lien ; les actes commis par a. G. en tant que préposé d'Z. ne sont pas liés au préjudice allégué ; au surplus, les demandeurs ont concouru à leur propre préjudice : l'ordre d'émettre le chèque a été signé par eux et il ne fait aucun doute de leur volonté d'opérer ce paiement ; or, la société luxembourgeoise n'a pas respecté son engagement et n'a pas restitué les fonds ; cette société n'est pas un préposé d'Z. et a. G. n'est pas préposé de la banque lorsqu'il agit en tant que gérant ou préposé de cette société luxembourgeoise ; sa responsabilité ne peut être recherchée pour des faits postérieurs à ce transfert auprès d'un tiers ;
* • l'émission et l'encaissement du chèque ne dont pas le fait générateur du dommage ; il n'y a pas de lien de causalité entre la transmission par a. G. en tant que préposé d'un ordre d'émission de chèque dument voulu et accepté par le client et la perte postérieure des fonds une fois le chèque encaissé ;
* • les faux ultérieurs n'ont pu entraîner la conviction des époux des défendeurs que les fonds étaient toujours chez Z. ; la victime qui sait faire affaire avec un préposé agissant pour son compte personnel ne pourra mettre en cause la responsabilité de l'employeur ; les époux R. sont les bénéficiaires effectifs d'une société off-shore et disposent de comptes dans une banque d'affaires privée à Monaco alors qu'ils résident en Belgique, ils sont donc rompus au monde des affaires ; les faux relevés ont été établis après la signature de l'ordre d'émission du chèque ; les époux R. ont commis une faute inexcusable en lien direct avec la réalisation du préjudice subi qui exonère la banque Z. de sa responsabilité ;
* • sur la remise d'espèces : on est en droit de s'interroger sur la licéité de l'origine des fonds ; les demandeurs devaient avoir conscience du caractère inhabituel et parfaitement anormal des opérations. les demandeurs ne rapportent pas la preuve de l'effectivité de la remise d'espèces ; quand bien même, il y aurait eu détournement, a. G. a commis un abus de fonction qui exonère totalement la banque Z. de sa responsabilité ; les demandeurs ont concouru à leur propre préjudice ; la remise des espèces ne s'est pas faite contre reçu à en-tête de l'Z. ; les demandeurs ne versent aux débats aucun élément probant et écrivent que la remise d'espèces a eu lieu le 1er mars 2012 sans en rapporter la preuve ; aucun élément ne permet de s'assurer que la remise a été réalisée alors qu'a. G. était salarié d'Z. ;
* • il n'en demeure pas moins que la banque peut se prévaloir d'un abus de fonction d'a. G. ; le dossier W. diffère largement car dans celui-ci les demandeurs pouvaient avoir été convaincus par les faux relevés du fait de la chronologie alors que tel n'est pas le cas en l'espèce ; aucun des relevés qui leur ont été transmis en fait apparaître la prétendue remise d'espèces ; a. G. n'a pas trouvé dans l'exercice de ses fonctions les moyens de commettre la faute et a commis un abus de fonction qui exonère totalement la banque de toute responsabilité ; les époux R. ont largement concouru à leur propre préjudice s'ils ont effectivement remis 250.000 euros à a. G. sans le moindre justificatif et sans s'inquiéter de la réception ultérieure de relevés de compte n'indiquant pas ce dépôt, ce qui exonère la banque de responsabilité ;
* • sur les virements Q. : les demandeurs produisent un relevé de sous compte sur lequel apparaît le 20 août 2012 un virement swift de 10.070 euros en faveur de la société Q. ; la société Q. est une société suisse qui émet des cartes prépayées en Europe ; a. G. ne mentionne pas ces virements ; aucun élément n'étaye le fait que ce virement serait lié avec la présente affaire ; aucune preuve n'est apportée d'une prétendue faute de nature à engager la responsabilité de la société Z. ;
* • les dispositions de l'article 1002 du Code civil ne sont pas applicables en l'espèce ; les moyens fondés sur une prétendue responsabilité contractuelle sont irrecevables et subsidiairement infondés ; il ne peut y avoir cumul de la responsabilité délictuelle et contractuelle pour une même situation ; la jurisprudence est constante et celle invoquée par les demandeurs vise une situation différente ; en l'espèce, les demandes sont formées devant la même juridiction civile dans la même instance ;
* • l'argument tenant au risque lié au recrutement d'a. G. est ahurissant ; elle ne pouvait avoir connaissance de ses antécédents professionnels ;
* • sur la prétendue activité d'a. G. en Belgique : les contrats souscrits l'ont été à Monaco ainsi que cela ressort de leur libellé ; il assurait les relations publiques avec le Benelux ce qui justifiait ses déplacements et il avait une résidence personnelle en Belgique ; il n'existe à Monaco aucune réglementation des activités transfrontalières, ce qui explique que la banque n'avait pas de procédures sur ce point ; la banque n'a fait l'objet d'aucune plainte des autorités belges ou de l'ACPR ; ce moyen est dépourvu de tout fondement ;
* • sur la prétendue absence de contrôle des opérations demandées par a. G. : les demandeurs reprochent à la banque d'avoir agi comme ils le souhaitaient ; les conditions d'ouverture sont celles habituelles et il s'agit d'une opération courante avec gage du portefeuille des clients ; le découvert a été octroyé de manière normale ;
* • sur la prétendue absence de contrôle de l'émission du chèque bancaire : la banque avait obligation de mettre à exécution dans les meilleurs délais l'ordre de ses clients ; la signature de l'ordre a été vérifiée ; la situation du compte permettait cette émission ; il existe un principe de non-immixtion de la banque dans l'exécution des ordres reçus des clients ; elle n'a commis aucune faute ;
* • elle n'a pas résisté abusivement aux demandes mais n'a fait qu'apporter des réponses à ce qui lui était reproché.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 janvier 2023.
À l'audience du 2 février 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et l'affaire mise en délibéré à l'audience du 2 mars 2023.
SUR CE,
* Sur la demande de révocation du sursis à statuer,
* Sur la recevabilité de cette demande,
Les demandeurs fondent en premier lieu la recevabilité de leur demande sur ce point sur les dispositions de l'article 423 du Code de procédure civile en arguant qu'ils ont été contraint d'accepter le sursis à statuer prononcé par le jugement du 3 mars 2022 tandis que la société Z. se fonde sur ce même texte pour soulever l'irrecevabilité de cette prétention en faisant valoir notamment que le législateur n'a pas souhaité modifier ce point lors de la dernière réforme de la procédure civile.
L'article 423 susvisé dispose que :
« Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal. Les autres jugements ne peuvent être frappés d'appel qu'en même temps que le jugement sur le fond.
Peuvent aussi être immédiatement frappés d'appel les jugements qui statuent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident mettant fin à l'instance.
Les autres jugements ne peuvent être frappés d'appel qu'après le jugement sur le fond et conjointement avec l'appel de celui-ci. ».
Si ce texte a pu empêcher les demandeurs de relever appel immédiat contre la décision ayant ordonné le sursis à statuer, il n'apparaît pas pertinent pour apprécier la recevabilité de la demande de révocation du sursis à statuer présentée devant le Tribunal de première instance. En effet, la question posée n'est pas de savoir si un appel immédiat avant la décision au fond est ou non ouvert mais si la juridiction qui a statué le 3 mars 2022 peut revenir sur sa décision initiale.
Le fait que l'article 379 § du Code civil français ouvre la possibilité au juge de révoquer ou abréger le délai du sursis à statuer avancé par les époux R. et la société Y. à l'appui de leur argumentation n'est pas de nature à influer sur la présente décision dès lors que cette disposition de droit étranger n'est pas applicable en Principauté de Monaco.
La violation alléguée du délai raisonnable tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui serait, selon les demandeurs, de nature à leur ouvrir le droit de solliciter la révocation du sursis à statuer prononcé ne saurait être interprétée comme ces derniers l'entendent. En effet, la nécessité pour les juridictions de statuer dans un délai raisonnable, ne peut ouvrir de droit procédural sur son seul fondement.
Pour le même motif, la circonstance que les demandeurs pourraient éventuellement subir un dommage conséquence directe du sursis à statuer dont ils font état en alléguant notamment de la nécessité de maintenir en fonctionnement la société Y. est inopérante.
Le moyen tenant au fait que la chose jugée par le juge de la mise en état n'a qu'un caractère provisoire et relatif en droit français est sans incidence dans la présente instance suivie suivant le droit procédural monégasque et alors que la décision de sursis à statuer émane du Tribunal de première instance, statuant en formation collégiale, à défaut d'existence en droit monégasque d'un juge de la mise en état au sens du droit français.
Enfin, les demandeurs considèrent que leur demande est une demande incidente, recevable au visa de l'article 379 du Code de procédure civile qui prévoit que :
« Les demandes incidentes seront formées par conclusions prises à l'audience par écrit ou même verbalement. Un défendeur peut présenter une telle demande à l'encontre d'un autre défendeur par voie de conclusions.
Cette demande incidente n'est admise que si elle se rattache à la demande principale par un lien suffisant.
Le tribunal pourra accorder au défendeur un délai pour répondre et ordonner les communications prévues à l'article 177. ».
Or, ce n'est pas le fait que la demande de révocation du sursis à statuer a été faite par conclusions qui est contesté mais la possibilité de former ce type de demande en l'absence de base textuelle prévoyant une telle révocation. Ce moyen sera donc également écarté.
Le sursis à statuer prononcé par ce Tribunal le 3 mars 2022 l'a été sur la base du principe selon lequel le criminel tient le civil en l'état et sur l'article 3 du Code de procédure pénale ainsi que sur l'intérêt d'une bonne administration de la justice. Le Tribunal a analysé les faits dont étaient saisies tant la juridiction pénale que la présente juridiction pour estimer devoir le prononcer.
Il est constant que le Code de procédure civile monégasque ne contient aucune disposition d'autre général sur le sursis à statuer et l'éventuelle possibilité de le révoquer ou d'en réduire le délai contrairement au droit français.
L'absence de texte général sur le sursis à statuer n'empêche pas de le prononcer, si besoin, sur le fondement d'une bonne administration de la justice dans d'autres cas que celui d'une instance pénale pendante.
Ainsi, la jurisprudence admet une telle décision en l'absence de texte sur la base des principes généraux du droit applicables en Principauté de Monaco.
Le fait qu'il n'existe pas de texte permettant à la juridiction qui l'a prononcée de révoquer une décision de sursis à statuer ne fait pas en lui-même obstacle à la recevabilité d'une telle demande.
En effet, le jugement du 3 mars 2022 a été rendu avant-dire-droit au fond.
L'article 1198 du Code civil dispose que : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. ».
La décision qui a ordonné le sursis à statuer n'a pas, au sens de ce texte et de la jurisprudence, autorité de la chose jugée à défaut d'avoir tranché sur le fond les demandes des parties. Que d'ailleurs, si tel avait été le cas, il ne s'agirait pas d'un jugement avant-dire-droit mais d'un jugement mixte qui aurait été susceptible d'un appel immédiat.
À défaut d'autorité de la chose jugée, la juridiction qui a statué avant-dire-droit au fond peut être appelée à réexaminer sa décision précédente au regard d'éléments nouveaux qui lui seraient soumis de nature à modifier l'appréciation de la situation telle qu'elle lui avait été soumise initialement.
Ne pas admettre un tel principe priverait le justiciable de toute possibilité d'un nouvel examen de la situation procédurale alors même qu'il ne peut relever appel et que le terme prévu à l'origine peut être lointain ou être devenu entre-temps sans objet.
Le principe d'une bonne administration de la justice qui fonde le sursis à statuer commande également d'admettre que l'on déclare recevable une demande de révocation de sursis à statuer.
En conséquence, la demande des époux R. et de la société Y. sera déclarée recevable en ce qu'elle tend à voir réexaminer la mesure de sursis à statuer et en sollicite la révocation.
Il convient donc d'examiner le bien-fondé de cette demande au regard notamment de l'évolution des faits et de la cause et des éléments nouveaux soumis à l'appréciation du Tribunal.
* Sur le bien-fondé de la demande de révocation du sursis à statuer,
Les demandeurs allèguent de nouveau de la non-incidence de la procédure pénale en cours sur la présente instance dans la mesure où elle aurait un objet différent et où il n'y aurait pas de risque de contrevenir au principe de la réparation intégrale.
Ils font valoir notamment que la présente instance est intentée contre la banque Z. et non contre a. G., que la condamnation préalable de ce dernier n'est pas nécessaire et qu'une condamnation de celui-ci qui ne fait pas de doute serait sans incidence, de même qu'une relaxe, fort improbable eu égard à ses aveux. Ils insistent également sur le fait qu'est également recherchée la responsabilité contractuelle de la banque et que ce dernier point peut, le cas échéant, déjà être jugé si le Tribunal devait par extraordinaire considérer que la responsabilité de la banque du fait des agissements de son préposé dépendait de l'action pénale.
Comme déjà mentionné dans le jugement du 3 mars 2022, si dans la présente instance les demandeurs recherchent la responsabilité civile de la société Z. en sa qualité de commettant de son préposé a. G., l'issue de l'action pénale aura nécessairement une incidence sur la présente instance.
En effet, la responsabilité de la banque en sa qualité de commettant ne pourra être engagée qu'en cas de dommage causé par un fait fautif de son préposé commis dans l'exercice de ses fonctions puisqu'à défaut de toute faute d'a. G. dans l'exercice de ses fonctions, la société Z. ne saurait voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil.
Le fait qu'a. G. a reconnu, au moins, pour partie, les faits qui lui sont reprochés dans le cadre de l'instance pénale est indifférent puisqu'il est, en application de l'article 180 du Code de procédure pénale, présumé innocent tant qu'il n'a pas été définitivement condamné.
Il conviendra d'analyser chaque fait reproché à a. G. dans la présente instance et notamment les remises d'espèces, le chèque de 450.000 euros et l'ordre Q. afin de connaître les responsabilités engagées, ce qui nécessite l'issue de l'instance pénale seule à même d'apporter les éléments nécessaires à une telle analyse.
L'appréciation de la responsabilité contractuelle de la banque indépendamment de l'examen de sa responsabilité délictuelle en qualité de commettant est à ce stade impossible car elle supposerait, outre d'examiner des points qui sont l'objet de l'instance pénale, le fait de savoir si ces deux régimes de responsabilité peuvent se cumuler dans la présente instance, ce qui serait prématuré et ne peut se faire que dans le cadre de l'appréciation de la responsabilité globale de la banque en statuant au fond.
Le développement sur la distinction entre l'indemnisation et la réparation effectué par le conseil des demandeurs est également sans portée pour statuer sur la révocation du sursis dès lors que même si les demandes viseront dans l'instance pénale a. G. et la banque Z. dans la présente instance, le risque de double indemnisation existe ainsi que l'a relevé ce Tribunal dans le jugement du 3 mars 2022. Contrairement à ce qui est prétendu l'autorité de la chose jugée s'opposerait à ce qu'il soit de nouveau statué au plan civil à la suite de la décision pénale.
Comme déjà indiqué supra, la prétendue violation du délai raisonnable n'est pas de nature à permettre de révoquer le sursis à statuer ordonné dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
L'évolution procédurale au pénal avec la demande de report pour raisons de santé de son procès par a. G. ne fait pas disparaître les risques encourus par le fait de statuer dans la présente instance sans attendre l'issue de la procédure pénale, l'attitude d'a. G. étant indifférente de même que l'éventuelle longueur de la procédure pénale ou le coût du maintien de l'enregistrement de la société Y. jusqu'à l'issue de la présente procédure. La référence à la possibilité en droit français d'un appel immédiat sur autorisation du premier président s'il est justifié d'un motif grave et légitime est sans portée s'agissant d'un texte français et relatif à la procédure d'appel et non à la révocation d'un sursis à statuer par la juridiction du premier degré, la comparaison effectuée fondée sur le fait qu'il s'agit dans les deux cas de contester une mesure d'administration judiciaire n'apparaît pas pertinente.
Eu égard à ces éléments, il convient de rejeter la demande de révocation du sursis à statuer prononcé par le jugement du 3 mars 2022 et de le maintenir en sorte qu'il n'y pas lieu de statuer sur le fond des demandes des parties.
Les dépens seront réservés en fin de cause.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire, avant-dire-droit au fond, prononcé par mise à disposition au greffe ;
Déclare recevable la demande de révocation du sursis à statuer prononcé par le jugement du 3 mars 2022 présentée par p. E., c. F. épouse R. et la société Y. ;
Les déboute de cette demande ;
Maintient le sursis à statuer sur les demandes formées par p. E., c. F. épouse R. et la société Y. dans l'attente d'une décision pénale définitive suite à l'information judiciaire ouverte devant le magistrat instructeur monégasque sous le numéro CAB3-2013/000016 à l'encontre d'a. G. ;
Dit que l'affaire sera rappelée à la demande de la partie la plus diligente, dès lors qu'une décision pénale définitive sera rendue suite à l'information judiciaire ouverte devant le magistrat instructeur monégasque sous le numéro CAB3-2013/000016 à l'encontre d'a. G., ou en cas de circonstances nouvelles le justifiant ;
Réserve les dépens en fin de cause ;
Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement ;
Composition
Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 2 MARS 2023, par Monsieur Olivier SCHWEITZER, Vice-Président, Madame Aline BROUSSE, Premier Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, assistés, de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence du Ministère Public.
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