Abstract
Impôts et taxes
Convention fiscale franco-monégasque.
Responsabilité de la puissance publique
Du fait des lois - nécessité d'alléguer une atteinte aux libertés et droits constitutionnels - Du fait des conventions internationales - irresponsabilité de la puissance publique
Motifs
Le Tribunal Suprême
Vu la requête en date du 15 octobre 1963 présentée par MM. J. et autres, Mme J.-T. et autres et tendant à ce que l'État monégasque soit condamné à leur payer une somme à fixer par états, à titre de réparation du préjudice par eux subi du fait de la loi du 10 août 1963 qui a autorisé la ratification de la convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963, motif pris que d'après l'article 7 de cette convention, les personnes physiques de nationalité française qui transporteront à Monaco leur domicile ou leur résidence ou qui ne peuvent justifier de cinq ans de résidence habituelle à Monaco au 13 octobre 1962 seront assujetties en France à l'impôt sur le revenu des personnes physiques et à la taxe complémentaire dans les mêmes conditions que si elles avaient leur résidence en France ; que cette disposition lèse les Français venus de France et des départements d'outre-mer à Monaco depuis moins de cinq ans au 13 octobre 1962 qui étaient titulaires d'un droit dont la jouissance était seulement différée, ainsi que les Français venus directement à Monaco de l'étranger, de l'Algérie et des territoires français d'outremer qui se trouvent privés rétroactivement à compter du 13 octobre 1957 de la législation antérieure ; que rien ne permet de penser que la loi du 10 août 1963 ait entendu faire supporter aux seuls intéressés une charge rétroactive qui ne leur incombait nullement.
Vu la requête en date du 15 octobre 1963 présentée par l'Union des Intérêts Français à Monaco, association dont le siège est à Monaco, 42, rue Grimaldi, tendant, par les mêmes moyens, à la condamnation de l'État monégasque à lui payer la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts ;
Vu la contre-requête du Ministre d'État en date du 17 décembre 1963, tendant au rejet des requêtes à titre principal comme irrecevables, le préjudice dont les requérants demandent réparation trouvant sa source dans une convention diplomatique ; très subsidiairement comme mal fondées, dès lors qu'aucune des trois conditions requises pour que la responsabilité de l'État législateur soit engagée ne se rencontre en l'espèce ; que les requérants ne sauraient invoquer une rupture de l'égalité devant les charges publiques, laquelle doit s'apprécier au sein d'une même catégorie d'administrés déterminée par leur assujettissement au même statut juridique ; que le préjudice allégué ne revêt pas un caractère anormal et ne résulte pas d'une atteinte à des droits acquis comportant un effet rétroactif ; que l'intention du législateur monégasque n'a pas été d'indemniser les Français résidant à Monaco qui sont visés par l'article 7 de la Convention du 18 mai 1963 ; tendant en outre à la condamnation des requérants aux dépens, ainsi qu'à une amende pour recours téméraire ;
Vu la réplique présentée par les requérants le 16 janvier 1964 persistant dans les conclusions de leurs requêtes par les motifs que l'arrêt du Conseil d'État français « Bovero » du 25 janvier 1963 a élargi la responsabilité de l'État législateur et que la doctrine considère que la solution dégagée par cet arrêt est susceptible de s'appliquer au préjudice résultant d'actes de Gouvernement ; que les pouvoirs du Tribunal Suprême sont plus étendus que ceux du Conseil d'État français ; que les conditions requises pour que soit engagée la responsabilité de l'État législateur sont bien réunies en l'espèce ; qu'il y a eu rupture de l'égalité devant les charges publiques du fait de la discrimination désormais admise entre les étrangers résidant dans la Principauté, suivant qu'ils possèdent ou non la nationalité française ; que le préjudice subi par les Français de Monaco a un caractère anormal, la mesure législative qui les frappe ayant été prise en violation de droits légitimement acquis ; que l'indemnisation n'a pas à répondre à la volonté présumée du législateur ; qu'il appartient à l'État monégasque d'indemniser les Français établis à Monaco de la charge que fait peser sur eux la Convention du 18 mai 1963, quitte à se retourner contre l'État français, dont il a subi la contrainte ;
Vu le mémoire en duplique présenté par le Ministre d'État le 17 février 1964 et persistant dans ses précédentes conclusions par les mêmes motifs et en outre attendu que l'arrêt « Bovero » n'a pas la portée que lui prêtent les requérants ; que le Conseil d'État a, par décision du 17 janvier 1964, rejeté le recours formé par l'association dite « Union des Intérêts Français à Monaco » ; que les principes qui fondent la théorie des actes de gouvernement conservent toute leur valeur dans le régime monégasque ; que la compétence reconnue au Tribunal Suprême en matière constitutionnelle ne s'étend pas au domaine des relations internationales ; au fond et subsidiairement que ni la loi du 10 août 1963 ni l'article 7 de la convention du 18 mai 1963 ne violent l'article 32 de la Constitution ; que le préjudice invoqué, qui est rattaché abusivement à une prétendue rétroactivité de la convention n'a pas un caractère anormal, faute de présenter un degré suffisant de gravité ; que le silence du législateur sur la question litigieuse ne saurait faire présumer sa volonté d'indemnisation ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu l'Ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi du 10 août 1963, autorisant la ratification de la convention fiscale signée à Paris le 18 mai 1963 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine du 19 août 1963 rendant exécutoire à Monaco la convention fiscale signée à Paris le 18 mai 1963 ;
Oui M. Marcel Lachaze, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Oui Me Victor Raybaudi, avocat défenseur, Me Yves Bonello, avocat au Barreau de Nice, et Me Gilbert George, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation française, en leurs plaidoiries ;
Oui M. le Procureur Général en ses conclusions ;
Considérant que les deux requêtes susvisées présentent à juger des questions semblables ; que dès lors il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule et même décision ;
Considérant que la première de ces requêtes émane de personnes physiques différentes, qui, eu égard au caractère même de leurs conclusions, ont des intérêts distincts ; qu'ainsi ladite requête n'est recevable, au regard de la qualité, qu'en tant qu'elle émane du requérant dénommé en premier, Monsieur J. ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 90, § A, de la Constitution, qui peuvent seules être invoquées en l'espèce, que la responsabilité de l'État monégasque du fait d'une loi ne saurait être éventuellement engagée que si cette loi contient « une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution » ; qu'il n'est même pas allégué que la loi du 10 août 1963, qui a autorisé la ratification de la convention fiscale franco-monégasque signée à Paris le 18 mai 1963, prise en elle-même, contienne une telle atteinte ;
Considérant, à la vérité, que le dommage allégué par les requérants, notamment sur la base de l'article 32 de la Constitution, découle non de la loi du 10 août 1963, mais de la Convention fiscale franco-monégasque dont ladite loi a eu pour objet d'autoriser la ratification que les conventions internationales intervenues entre la Principauté et les puissances étrangères ne sont pas au nombre des actes qui peuvent engager la responsabilité de l'État monégasque ; qu'ainsi la demande d'indemnité présentée par les requérants n'est pas recevable ;
Sur les dépens :
Considérant que dans les circonstances de l'affaire il y a lieu de mettre les dépens à la charge des requérants ;
Considérant, d'autre part, qu'il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 36 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
- Les deux requêtes susvisées sont rejetées ;
Article 2
- Les dépens sont mis à la charge des requérants ;
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