Abstract
Compétence
Conformité d'un acte législatif à la Constitution - dispositions constitutionnelles non comprises dans le titre III - incompétence du Tribunal Suprême
Droits et libertés constitutionnels
Association - impossibilité pour une société commerciale d'invoquer une atteinte à la liberté d'association - Égalité devant la loi - domaine d'application du principe - personnes se trouvant dans une situation identique - Propriété privée - privation - garanties constitutionnelles - loi assurant à l'État une participation au capital d'une société commerciale - absence de dépossession de la société - inapplicabilité des garanties constitutionnelles
Motifs
Le Tribunal Suprême
Vu la requête présentée, le 19 août 1966, par « l'unanimité des Administrateurs composant le Conseil d'Administration » de la S. B. M. tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême prononcer l'annulation de la Loi n° 807, en date du 23 juin 1966, pour atteinte aux libertés et aux droits consacrés par le Titre III de la Constitution du 17 décembre 1962, plus spécialement par ses articles 6, 9, 17, 24 et 30 ;
Vu également la réplique de la S. B. M. à la contre-requête de Son Excellence Monsieur le Ministre d'État ;
Attendu que la S. B. M., Société anonyme de monopole, dans sa requête et dans sa réplique à la requête de Monsieur le Ministre d'État, conclut à l'annulation la loi numéro 807 en date du 23 juin 1966, pour violation de l'article 17 de la Constitution ;
Par les motifs, qu'en édictant notamment que le capital social de la S. B. M. serait porté de cinq millions à huit millions de francs par création de six cent mille actions nouvelles attribuées à l'État et, que quatre membres du Conseil d'Administration seraient nommés par le Gouvernement, la loi attaquée a transformé la S. B. M. Société privée, en une Société d'économie mixte et ainsi établi une discrimination entre cette Société et les autres Sociétés anonymes à monopole existant dans la Principauté - qu'en outre, en modifiant par voie d'autorité un contrat passé entre l'État et la S. B. M. dont les clauses figuraient dans les Statuts et dans le Cahier des Charges de la S. B. M., la loi a violé le principe admis par le Code Civil Monégasque, d'après lequel les conventions font la loi des parties, et ainsi rompu l'égalité qui doit exister entre la S. B. M. et les autres Monégasques auxquels ce principe a été et demeure toujours applicable ;
Attendu, en second lieu, que la requérante fonde son recours sur la violation du droit de propriété, proclamé inviolable par l'article 24 de la Constitution ;
Par les motifs, que du fait de la transformation opérée par la loi attaquée, la S. B. M. sera dépossédée de son patrimoine par voie de transfert à une Société nouvelle - qu'en tout état de cause, l'intrusion de six cent mille actions dans le capital social et la création de quatre postes d'Administrateurs nommés par le Gouvernement aura nécessairement pour résultat d'assurer à l'État - actionnaire la majorité à l'Assemblée Générale et au Conseil d'Administration, qu'ainsi l'État deviendra maître du patrimoine social dont il disposera à son gré, qu'il s'agit là, en réalité d'une expropriation, réalisée sans que l'utilité publique ait été légalement déclarée et sans qu'une juste indemnité ait été allouée à la S. B. M.
Attendu, en troisième lieu, que la requérante soutient que l'article 30 de la Constitution a été violé par la loi attaquée ;
Par le motif, que ladite loi n'a pas respecté le principe de la liberté d'association, reconnu par la Constitution ;
Vu les contre-requête et duplique respectivement déposées par Son Excellence Monsieur le Ministre d'État, les 18 octobre et 22 novembre 1966 et tendant au rejet de la requête de la S. B. M., par les motifs répondant au premier moyen, que le principe de l'égalité devant la loi ne joue entre personnes physiques ou morales que si celles-ci se trouvent dans une situation identique de fait et de droit - que la S. B. M. tient une place à part dans l'économie de la Principauté - qu'elle était soumise, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi attaquée à un régime juridique et financier différent de celui des autres Sociétés anonymes Monégasques de monopole - qu'enfin, les mesures législatives nouvelles ont été prises dans l'intérêt général de la Principauté ; et, par les motifs, en réponse au second moyen, que l'article 24 de la Constitution concerne uniquement la privation totale du droit de propriété, qu'il résulte de l'intitulé même de la loi, qu'elle n'a pas pour objet de déposséder la S. B. M. de son patrimoine, mais d'assurer à l'État une participation à l'activité de cette Société, qu'aucune disposition de ladite loi ne porte atteinte à ce patrimoine et encore moins n'opère transfert de propriété à un tiers, que le texte sur lequel est fondé le second moyen n'est pas applicable en espèce - enfin, par le motif, en réponse au troisième moyen, qu'une Société commerciale n'est pas assimilable à une association ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la loi numéro 807 ;
Vu la Constitution de la Principauté ;
Vu l'Ordonnance Souveraine sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Ouï Monsieur le Président Brouchot, en son rapport ;
Ouï Maître Lorenzi en ses observations pour la S. B. M. ;
Ouï Maîtres Marquet et George en leurs observations pour Son Excellence Monsieur le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;
Sur les moyens tirés de la violation des articles 6 et 9 de la Constitution :
Considérant qu'il résulte de l'article 90 A de la Constitution de la Principauté que le Tribunal Suprême n'est compétent, pour statuer en matière constitutionnelle, qu'en ce qui concerne les recours en annulation, en appréciation et en indemnité, ayant pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution.
Considérant que les articles 6 et 9 visés par la requête de la S. B. M. n'étant pas insérés dans ce titre, le Tribunal Suprême est incompétent pour se prononcer sur les moyens tirés de leur violation ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 17 de la Constitution :
Considérant que le principe d'égalité devant la loi posé par cet article n'est applicable qu'aux personnes physiques ou morales se trouvant dans une situation identique, quant à leurs droits et à leurs obligations ;
Considérant que, sous le régime antérieur à la publication de la loi attaquée, l'objet social de la S. B. M. (Société soumise à la législation monégasque) et les privilèges dont elle était bénéficiaire imprimaient à ses activités un caractère particulier, que des franchises fiscales lui étaient accordées, qu'elle exerçait certains pouvoirs de police, qu'en outre, en ce qui concernait son fonctionnement intérieur, le Gouvernement Princier pouvait s'opposer à l'entrée en fonction des administrateurs élus par l'assemblée générale des actionnaires, que la désignation du Président, du Vice-Président et de l'Administrateur-Délégué de la Société devait être approuvée par le Gouvernement, que sa gestion était surveillée et contrôlée par un Commissaire du Gouvernement, investi de pouvoirs étendus ;
Considérant, par suite, que la situation de la S. B. M. n'était pas identique à celle des autres sociétés régies par la législation monégasque, même à celle des Sociétés de monopole ;
Considérant, dès lors, que le législateur était en droit de prendre des dispositions spécifiques à l'égard de la requérante ;
Considérant enfin, compte tenu de la situation de la S. B. M. telle qu'elle vient d'être précisée, que cette Société n'est pas fondée à soutenir, nonobstant le contrat dont elle se prévaut, que les dispositions de la loi 807 constituent une violation du texte visé par le moyen ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la Constitution :
Considérant que cet article dispose : « La propriété est » inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que « pour cause d'utilité publique légalement constatée et » moyennant une juste indemnité, établie et versée dans « les conditions prévues par la loi ».
Considérant que, selon son intitulé, la loi a pour objet « d'assurer la participation de l'État à la S. B. M. », que cet objet est exclusif de toute dépossession ; qu'aucune disposition de la loi n'autorise le Tribunal à déclarer que le patrimoine de la S. B. M. ait subi une amputation quelconque ; que cette société est une personne morale qui conservera jusqu'à sa dissolution tous ses droits sur ce patrimoine dont elle demeure propriétaire ; que la gestion de la S. B. M. reste confiée à des administrateurs, responsables devant elle, devant les associés et devant les tiers ;
Considérant que la requérante n'était ni directement, ni indirectement privée de tout ou partie de son droit de propriété, l'article 24 de la Constitution n'est pas applicable, en l'espèce, et que, par suite le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 30 de la Constitution :
Considérant que ce texte consacre le principe de la liberté de s'associer ;
Considérant que la S. B. M. est une Société Commerciale à but exclusivement lucratif, qu'elle n'est pas assimilable aux Associations qui constituent des groupements à but désintéressé ;
Considérant qu'il suit de là que la S. B. M. n'est pas fondée à invoquer la violation de l'article 30 de la Constitution.
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1re
La requête présentée par la S. B. M. est rejetée ;
Article 2
Les dépens sont mis à la charge de la S. B. M.
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