Abstract
Préjudice
Caractères
Urbanisme et construction
Permis de construire - atteinte au caractère d'un site protégé - Illégalité de l'autorisation de construire - Annulation - Construction édifiée en violation des règles relatives au recul, au calcul de la surface bâtie au sol, à la création d'espaces plantés - Autorisation de construire entachée d'excès de pouvoir
Motifs
Le Tribunal Suprême
Vu les requêtes en date du 1er août 1966 présentées par le sieur G., la dame C., le sieur René C., le sieur L., et la dame E. M. et autres et tendant :
* à ce que toutes les pièces du dossier soient versées au greffe ;
* à l'annulation de l'arrêté en date du 2 juin 1966 par lequel le Ministre d'État a autorisé le sieur C. et les sociétés civiles immobilières « Le Panorama », « Les Fauvettes » et « Rocazur » à construire un immeuble sur les terrains des villas « G. », « D. F. », « H. » et « S. » et à faire aménager dans le sous-sol de la Place Sainte-Dévote, des garages, des locaux commerciaux et des passages publics souterrains pour piétons ;
* au sursis à exécution de l'arrêté attaqué ;
* à la condamnation de l'État au paiement d'une indemnité en réparation du préjudice subi ;
* à la désignation d'un expert en vue de fournir tous les éléments d'appréciation ;
* à la condamnation de l'État aux dépens ;
En ce qui concerne les conclusions d'annulation :
Motif pris de ce que le dossier est incomplet ;
L'arrêté est illégal en ce qu'il autorise des particuliers à édifier sur le domaine public un ouvrage semi-public et des ouvrages publics contrairement à l'article 33 de la Constitution et aux textes sur l'urbanisme ; en ce que, contrairement à l'article 1er de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, l'autorisation de construire sur la voie publique ainsi que le transfert du domaine public intéressé par la loi du 10 juin 1966, n'ont pas été préalables mais postérieurs à l'arrêté attaqué, en ce que des ouvrages sont autorisés en violation des articles 5 de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959 et 8 de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 prescrivant le maintien du caractère actuel du ravin de Sainte-Dévote.
L'arrêté est illégal en tant qu'il autorise la construction sur le domaine public d'une rampe d'accès aux garages privés, en ce que la précarité de l'autorisation sur le domaine public s'oppose à l'obligation permanente faite par l'article 10 de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 d'aménager des garages privés ;
L'arrêté est illégal en tant qu'il a fait de la construction de la rampe commune et de l'aménagement de la place Sainte-Dévote la condition de l'autorisation de construire en ce que cette condition porte sur des travaux illicites et n'est pas prévue par l'article 3 bis de la loi du 27 décembre 1961 qui n'a envisagé que la participation du constructeur aux dépenses d'équipement public ;
L'arrêté est illégal en tant qu'il a accordé des dérogations, en ce que l'avis du Comité supérieur d'urbanisme a été donné au vu d'un avant-projet sommaire, en ce que les dérogations constituent, en violation de l'article 17 de la Constitution, la condition de la délivrance de l'autorisation, en ce que les dérogations ne doivent, d'après les travaux préparatoires de la loi, être envisagés qu'à la périphérie, en ce que les dérogations sont la contre-partie de conditions illicites, en ce que les dérogations sont illicites par l'ampleur qu'elles ont prise du fait de l'inexactitude des bases de calcul de la hauteur et de l'indice de construction ;
L'arrêté est illégal :
* en tant qu'il a violé l'article 9 - 4e de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 en ce qu'il autorise des ouvrages souterrains dans les zones de recul ;
* en tant qu'il a violé l'article 9 - 5e de ladite ordonnance en ce qu'il autorise une surface bâtie au sol dépassant de beaucoup la surface réglementaire dès lors qu'il n'a été tenu compte que de la surface de l'immeuble principal et non de l'ensemble de la construction ;
* en tant qu'il a violé l'article 50 de ladite ordonnance en ce que la surface complantée doit être réservée sur la terrasse du bâtiment à trois niveaux et non, comme l'exige le texte, dans la partie non bâtie de la propriété ;
* en tant qu'il a violé les articles 3 - 6e, 7e, 11e et 13e de ladite ordonnance en ce que le dossier de la demande ne contenait pas les pièces exigées par ces dispositions ;
En ce qui concerne les conclusions d'indemnisation :
Motifs pris de ce que l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté doit entraîner une indemnité à réparation du préjudice subi par eux et dont il appartient au Tribunal Suprême de fixer l'étendue et le montant après expertise ;
Vu les contre-requêtes du Ministre d'État en date du 29 septembre 1966 tendant au rejet de la requête, motifs pris de ce que :
* toutes les pièces nécessaires ont été versées au dossier ;
* le domaine public peut être occupé en vertu d'une autorisation que celle-ci a été accordée par convention du 10 juin 1966 ; qu'une loi du même jour a transféré le domicile public considéré de la commune à l'État ;
* l'article 10 de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 n'interdit pas la construction de garages publics sur ou sous la voie publique ; que le comité supérieur d'urbanisme a approuvé cette construction ;
* les promoteurs ont proposé d'exécuter l'aménagement de la place Sainte-Dévote ; qu'en dehors des conditions pouvant être imposées en vertu de l'article 3 bis de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 prévoit des conditions d'esthétique ou d'intérêt général ;
* le comité supérieur d'urbanisme s'est régulièrement prononcé sur les dérogations en vertu des dispositions combinées de l'article 12 de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, et de l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 ; que ces dérogations peuvent être accordées au vu du dossier de la demande d'avis préalable ; que les documents exigés à l'appui de cette demande ont été produits ;
* les textes applicables ne limitent pas l'ampleur des dérogations qui relèvent de l'appréciation de l'administration ; qu'en réalité les bases de calcul retenues pour la hauteur et l'indice de construction sont exactes ;
* si des ouvrages ont été admis dans le sous-sol du hors ligne bordant la place Sainte-Dévote, cela est conforme à un usage constant ainsi qu'à l'article 10 de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 dès lors qu'une servitude de passage public a été créée au profit de l'État ;
* pour l'application de l'article 9 - 5e de l'Ordonnance Souveraine c'est la surface bâtie et non celle en sous-sol qui doit être retenue ;
* la surface de plantation peut ne pas être le sol naturel ;
* le dossier de permis de construire comportait les pièces exigées ;
* qu'en ce qui concerne la demande de sursis il n'y a pas lieu d'y faire droit ;
* qu'en ce qui concerne la demande d'indemnité, elle doit être rejetée dès lors que l'arrêté n'est pas illégal ;
Vu les mémoires en réplique présentés par les requérants le 27 octobre 1966 persistant dans les conclusions de leurs requêtes et en outre concluant à l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il a violé l'article 3 - 1er de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959, en ce que les titres de propriété n'étaient pas joints à la demande ;
Vu la contre-requête en défense présentée par le Ministre d'État le 4 novembre 1966 concluant au rejet de la demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée ;
Vu les mémoires en duplique présentés par le Ministre d'État le 28 novembre 1966 persistant dans ses précédentes conclusions et en outre, en ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 10 de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 que l'administration ne peut, sans excès de pouvoir, interdire l'usage normal de la voie publique ;
Vu les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;
Vu l'ordonnance motivée en date du 9 novembre 1966 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a rejeté la demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée ;
Vu l'ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962, notamment ses articles 17, 33 et 90 ;
Vu l'ordonnance souveraine du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'Ordonnance-Loi modifiée n° 674 du 3 novembre 1959 concernant l'urbanisme, la construction et la voirie.
Vu l'Ordonnance Souveraine modifiée n° 2120 du 16 novembre 1959 concernant l'urbanisme, la construction et la voirie.
Vu la loi n° 806 du 10 juin 1966 portant transfert du domaine public de la commune au domaine public de l'État d'une parcelle de terrain et d'un édicule sis au lieudit « Place Sainte-Dévote » ;
Ouï Monsieur Louis Pichat, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître J.-E. Lorenzi, Maîtres Biasca et George, avocats en leurs plaidoiries ;
Ouï Monsieur le Procureur Général, en ses conclusions ;
Considérant que les cinq requêtes susvisées sont dirigées contre le même arrêté ; qu'elles tendent aux mêmes conclusions par les mêmes moyens ; qu'il y a lieu, par suite, de les joindre pour qu'il y soit statué par une seule décision :
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de requêtes ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 5 – 1° de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959 et de l'article 8 - A de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 :
Considérant qu'aux termes des dispositions invoquées :
« Le territoire de la Principauté est divisé en trois secteurs ;
» Le quartier de Monaco-Ville et le ravin de Sainte-Dévote dont le caractère actuel doit être conservé ; «
Considérant que si la zone à gabarit élevé, comprise dans le secteur des opérations urbanisées prévues par les mêmes articles s'étend, ainsi que le fait apparaître le plan de zonage établi en application des ordonnances précitées, jusqu'en bordure dudit ravin, il n'en résulte pas, pour autant, que des constructions puissent y être légalement autorisées dans les cas où de telles constructions nécessiteraient une utilisation importante des pentes constituant les flancs du ravin qui en seraient de ce fait, sensiblement modifiées et où lesdites constructions porteraient atteinte, notamment par leur hauteur et leur surface d'occupation du sol, au caractère du site que les dispositions invoquées ont pour objet de protéger ;
Considérant qu'il résulte de l'examen du dossier que l'immeuble projeté doit être construit sur un terrain dont l'un des côtés longe la place Sainte-Dévote, les trois autres côtés longeant, l'un la rue Grimaldi, l'autre la voie ferrée et le troisième des propriétés privées ; que ledit terrain est partiellement situé sur l'un des deux talus bordant le ravin de Sainte-Dévote dont il fait, ainsi, partie intégrante ; que l'arrêté attaqué, implique la construction sur le terrain dont il s'agit d'un immeuble dont l'implantation, en raison du terrassement de ce talus, modifiera profondément la structure de celui-ci ; que cet immeuble est, en outre, de nature, tant par sa hauteur que par sa surface au sol, à porter atteinte au caractère du site constitué par le ravin ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêté attaqué a, par les conséquences qu'il entraîne à cet égard, méconnu les dispositions précitées de l'article 1er de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959 et de l'article 8 de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959, qu'il doit, par suite, être de ce chef, annulé ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 9 – 4° de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 :
Considérant qu'aux termes de l'alinéa 2 du quatrièmement dudit article : » dans la zone à gabarit élevé, les constructions doivent être tenues à six mètres au moins des limites des propriétés « ; que l'arrêté attaqué a pu, légalement, déroger à cette règle par application de l'article 13 de l'ordonnance susvisée du 16 novembre 1959 en décidant, par son article II - 1° c, que l'immeuble projeté pourra être établi » à la limite de la propriété et sur la façade de la construction formant soubassement bordant le domaine public à la place Sainte-Dévote à trois mètres de la limite de la propriété au lieu d'être établi pour ces façades à six mètres de la limite de la propriété «, qu'en exécution de cette disposition aucune construction ne peut être autorisée à l'emplacement ainsi défini, si ce n'est à trois mètres de la limite de la propriété ;
Considérant que pour l'application de ces dispositions il n'y a pas lieu de distinguer les constructions souterraines et les autres ;
Considérant qu'il résulte de l'examen du dossier et notamment des plans niveaux des sous-sols annexés à la à la convention du 10 juin 1966 pour la construction et l'exploitation des aménagements souterrains de la place Sainte-Dévote que des garages privés situés sous la chaussée sont prévus à moins de trois mètres de la limite de propriété dans la partie de la construction formant soubassement et bordant le domaine public à la place Sainte-Dévote.
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêté attaqué est entaché d'excès de pouvoir en tant qu'il a autorisé la construction de l'immeuble en cet emplacement ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 9 - 5° de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 :
Considérant qu'aux termes de cette disposition : » toutes les constructions doivent permettre la conservation ou la création d'une superficie non bâtie d'importance variable selon la zone dans laquelle l'immeuble est situé... En conséquence la surface bâtie au sol par rapport à la surface totale de la propriété ne devra pas excéder... 30 % dans la zone à gabarit élevé « ;
Considérant que pour l'application de cette prescription, il faut entendre par surface bâtie au sol la surface entière de la construction dans toutes ses parties apparaissant au-dessus du sol, que c'est, par suite, en violation de la disposition susvisée que, pour le calcul de l'occupation du sol par l'immeuble projeté, il n'a été pris en compte qu'une surface de huit cent quatre mètres carrés quatre-vingt-un correspondant au seul corps de bâtiment principal à l'exclusion de la partie de la construction formant soubassement ; que la circonstance que cette partie de la construction se serait trouvée, s'il n'avait pas été procédé à des terrassements, au-dessous du niveau du sol naturel, ne peut justifier une telle exclusion dès lors qu'en définitive le soubassement dont s'agit est situé, après terrassements, au-dessus du sol ;
Considérant qu'il résulte du dossier qu'en procédant au calcul de la surface d'occupation du sol par l'immeuble dans les conditions ci-dessus précisées, le coefficient d'occupation est de beaucoup supérieur à celui de 30 % constituant le maximum fixé par l'article 9 - 5° de l'ordonnance souveraine susvisée ; que l'arrêté attaqué est par suite, sur ce point également, entaché d'excès de pouvoir ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 50 de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959 :
Considérant qu'aux termes de cette disposition : »... dans les secteurs visés aux chiffres 2 et 3 de l'article 5 de l'ordonnance-loi n° 674 du 3 novembre 1959 modifiée par la loi n° 718 du 27 décembre 1961, une superficie non bâtie déterminée par l'article 9 - 5° ci-dessus, et dont une partie sera complantée, devra subsister ou être créée. En conséquence les opérations de construction comporteront obligatoirement la conservation ou la création « in situ » d'espaces plantés dont l'entretien devra être parfaitement assuré, d'une superficie au moins égale au pourcentage par rapport à la surface de la propriété, limitée aux alignements à... 45 % dans la zone à gabarit élevé « ; qu'il résulte clairement de ce texte que la surface plantée doit faire partie de la superficie non bâtie ;
Considérant qu'il ressort de l'examen du dossier et notamment des plans qui y figurent et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté, que, pour l'application de la prescription susvisée, la surface dont s'agit doit être constituée par des plantations aménagées sur la terrasse de la construction formant soubassement et non par la création d'un espace planté compris dans la superficie non bâtie du terrain en cause ; que l'arrêté attaqué, en donnant son accord, sur ce point, au projet de construction, ne s'est pas conformé à l'obligation découlant de l'article 50 de l'ordonnance susvisée du 16 novembre 1959 ; qu'il doit, par suite, être également annulé à cet égard ;
*
Considérant que les quatre irrégularités ainsi relevées à l'encontre de l'arrêté du Ministre d'État en date du 2 juin 1966 sont de nature à vicier ledit arrêté dans son ensemble ; que, dès lors, il y a lieu de prononcer l'annulation de l'arrêté attaqué :
Sur les conclusions tendant à l'allocation d'une indemnité en réparation du préjudice subi :
Considérant que, nonobstant les irrégularités entraînant l'annulation de l'arrêté attaqué, le préjudice allégué par les requérants ne présente pas, en raison de ladite annulation, un caractère définitif de nature à justifier l'allocation à leur profit d'une indemnité ; que lesdites conclusions doivent, par suite, être rejetées en l'état ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
L'arrêté du Ministre d'État en date du 2 juin 1966 autorisant le sieur C. et les Sociétés civiles immobilières » Le Panorama «, » Les Fauvettes « et » Rocazur " à construire un immeuble d'habitation sur les terrains situés ..., est annulé ;
Article 2
Le surplus des conclusions de requêtes est rejeté en l'état ;
Article 3
Les dépens sont mis à la charge de l'État.
^