Abstract
Autorité de la chose jugée
Décision du Tribunal Suprême annulant une autorisation de construire - Mesures propres à assurer le respect de ladite décision
Droits et libertés constitutionnels
Égalité devant la loi - Champ d'application du principe - Personnes se trouvant dans une situation identique
Urbanisme et construction
Permis de construire - Obligations imposées au bénéficiaire dans l'intérêt général - Dérogations aux règles d'urbanisme - Accord préalable - Procédure de délivrance du permis de construire
Motifs
Le Tribunal Suprême
Statuant en matière administrative,
Vu les requêtes en date du 18 octobre 1968, présentées par la dame E. M., les dames M. et E. A., P. L. A., la dame C., le sieur C. G., le sieur C. et le sieur P. L. et tendant :
* à ce que toutes les pièces du dossier soient versées au Greffe ;
* à l'annulation de l'arrêté du 20 août 1968, par lequel Monsieur le Ministre d'État a autorisé les Sociétés Civiles Immobilières « Le Panorama », « Les Fauvettes » et « Rocazur » à construire un immeuble sur les terrains situés aux numéros ..., et à faire aménager dans le sous-sol de la Place Sainte-Dévote, des garages, des locaux commerciaux et des passages publics pour piétons ;
* au sursis à exécution de l'arrêté attaqué ;
* à la condamnation de l'État aux dépens ;
* et à ce qu'il soit donné acte aux requérants de leurs plus expresses réserves de tous droits et actions notamment devant les Tribunaux judiciaires ;
Motif pris de ce que :
* l'arrêté a été pris sur une fausse demande de permis de construire, s'agissant d'un immeuble déjà bâti et qui, par suite des dérogations accordées, ne sera qu'abaissé, alors que le Tribunal Suprême, par sa décision du 19 avril 1967, a annulé la précédente autorisation de construire, comme contraire au caractère du ravin de Sainte-Dévote, non seulement en ce qui concerne la hauteur de l'immeuble, mais aussi son implantation et sa surface bâtie au sol ; la situation étant illicite ne peut être régularisée par le nouvel arrêté dont le véritable but est de faire échec à la chose jugée ;
* l'arrêté méconnaît l'article 12 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, qui ne permet aucune dérogation au caractère inviolable du ravin de Sainte-Dévote, la diminution de hauteur de l'immeuble ne suffisant pas à supprimer l'atteinte portée au site ;
* l'arrêté méconnaît l'article 15 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, en ce qu'il autorise la construction, sur le domaine public, d'une rampe d'accès à des garages privés et d'une partie de ceux-ci. Or, l'obligation de construire des garages est permanente et l'utilisation du domaine public est précaire en vertu de l'article 33 de la Constitution ;
* l'arrêté est illégal en tant qu'il subordonne l'autorisation de construire à la construction d'une rampe d'accès et à l'aménagement de la Place Sainte-Dévote, alors que seules sont légales les conditions prévues par l'article 3 bis de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, concernant la participation des constructeurs à des dépenses d'équipements publics ;
* les dérogations sont irrégulières en la forme, comme contraires à l'article 12 de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, en ce que, d'une part, l'arrêté ne se réfère à aucune demande de dérogation, mais seulement à la demande d'autorisation de construire du 12 juillet 1968, et, d'autre part, le Comité Supérieur d'Urbanisme était irrégulièrement composé lorsqu'il s'est réuni le 12 juillet 1968, son Président étant décédé la veille ;
* les dérogations sont illicites en ce que, d'une part, elles représentent des avantages accordés aux constructeurs au détriment des propriétaires voisins, contrairement à l'article 17 de la Constitution, posant le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, d'autre part, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 27 décembre 1961 et du préambule de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, que les immeubles à grand gabarit ne sont prévus que sur la périphérie de l'amphithéâtre monégasque et, enfin, ces dérogations sont illicites comme étant la contrepartie d'une condition elle-même illicite ;
Vu les observations présentées le 30 octobre 1968, par le Ministre d'État, en réponse aux conclusions de sursis à exécution de l'arrêté attaqué et tendant au rejet desdites conclusions par les motifs, d'une part que les requérants ne justifient d'aucun préjudice irréparable, qui résulterait de l'exécution des travaux, dès l'instant où l'arrêté a pour objet de ramener le nombre d'étages de vingt et un à seize et de reconstituer le talus du ravin, et, d'autre part, que les moyens invoqués ne sont pas sérieux ;
Vu les contre-requêtes du Ministre d'État en date du 18 décembre 1968, tendant au rejet des requêtes motif pris de ce que :
* sur le moyen tiré de la violation des dispositions législatives concernant le ravin de Saint-Dévote, l'administration, qui a le devoir de tirer la conséquence de la décision de justice, peut reprendre l'acte annulé en en supprimant les vices ; en l'espèce, la décision attaquée a été remaniée en vue de la rendre conforme à la décision du Tribunal Suprême ; cette décision n'impose pas l'abandon de tout projet sur l'emplacement considéré et la démolition de l'immeuble, mais se borne à censurer les dispositions contraires à la réglementation d'urbanisme en se fondant sur deux groupes de motifs concernant : l'un le caractère du ravin, l'autre la violation des règles du recul des parties souterraines, des taux de coefficient d'occupation du sol et de la surface plantée ; il a été, régulièrement, dérogé par l'arrêté attaqué à ces trois dernières règles sur avis conforme du Comité Supérieur d'Urbanisme ; en ce qui concerne le ravin, il résulte de la décision du Tribunal Suprême qu'une construction, même extérieure au ravin, doit respecter son caractère et est soumise à l'article 5 de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, lorsqu'elle nécessite une utilisation importante de ses flancs, modifie sensiblement leur état antérieur et porte atteinte, notamment par sa hauteur et sa surface d'occupation du sol, au caractère du site ; l'arrêté attaqué tient compte de ces règles par la rectification des flancs du ravin et le remaniement des parties construites ; avant de prendre cette décision, l'Administration a consulté deux experts : Messieurs G. G. et J., qui ont estimé qu'il convenait de fixer la cote de la terrasse de couverture à 60,55 m et de modeler le côté nord-est du soubassement par la création d'un espace vert et rocheux dissimulant le mur de soutènement longeant l'escalier public et formant voûte d'accès aux garages ; l'arrêté attaqué est conforme à ces conclusions ;
* sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 15 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, d'une part cette disposition n'interdit pas la construction de garages dans le domaine public, d'autre part, l'article 33 de la Constitution ne fait pas obstacle à l'occupation du domaine public par des particuliers ; en l'espèce, l'occupation du sous-sol de la Place Saint-Dévote a été concédée par convention du 10 juin 1966 ;
* sur le moyen tiré de ce que l'administration n'aurait pu imposer la condition d'exécution des travaux sur le domaine public en contrepartie de la délivrance de l'autorisation, l'article 3 de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, ne limite pas les conditions pouvant être imposées, l'article 3 prévoyant que les demandes sont examinées du point de vue de l'intérêt général ;
* sur les moyens tirés de ce que les dérogations auraient été irrégulièrement accordées, d'une part l'article 4 de l'Ordonnance Souveraine du 29 mai 1964 sur le Conseil d'État prévoit, en cas d'absence ou d'empêchement du Président, que le Conseil d'État est présidé par son Vice-Président ; or, M. Crovetto, Vice-Président du Conseil d'État a présidé le Comité Supérieur d'Urbanisme les 12 et 21 juin 1968, après le décès de M. Cannac ; d'autre part, aucun texte ne limite ni les cas, ni l'étendue des dérogations pouvant être accordées, enfin, les dérogations ne sont pas la contre-partie de conditions illicites ;
Vu les mémoires en réplique présentés par les requérants le 20 décembre 1968, persistant dans les conclusions de leurs requêtes pour les mêmes motifs et notamment motifs pris de ce que :
* le permis de construire du 20 août 1968 ne prévoit pas la reconstitution du talus, d'ailleurs impossible, puisque l'immeuble y a été partiellement implanté après en avoir modifié sa structure ; le caractère du site n'est pas conservé par la seule réduction de hauteur de l'immeuble de 12,05 m ; la surface au sol est maintenue à 93 % au lieu de 30 % ;
* pour conserver l'immeuble tel qu'il a été bâti, l'arrêté accorde des dérogations importantes qui sont illicites, le Ministre d'État n'ayant pas le pouvoir d'en accorder dans le secteur du ravin de Sainte-Dévote ;
Vu les mémoires en duplique présentés par le Ministre d'État le 6 janvier 1969, persistant dans ses précédentes conclusions pour les mêmes motifs, et notamment motif pris de ce que l'immeuble dont s'agit se trouvant compris, comme l'a souligné le Tribunal Suprême, non dans le secteur protégé du ravin de Sainte-Dévote, mais dans celui des opérations urbanisées, l'arrêté a pu légalement déroger aux dispositions réglementaires en matière d'urbanisme ;
* motif pris, en outre, de ce que, seule la rampe d'accès aux garages privés et non ces garages eux-mêmes, est située sur le domaine public, cette rampe étant, d'ailleurs, un ouvrage public assimilable à une voie publique ;
Vu la requête en date du 17 octobre 1968, présentée par le sieur A. B. et tendant :
* à l'annulation du même arrêté de M. le Ministre d'État du 20 août 1968 ;
* à la condamnation de l'État aux dépens, motif pris de ce que :
* l'arrêté attaqué a été pris en violation des dispositions législatives et réglementaires concernant les dérogations ; en effet, d'une part, l'immeuble est construit dans la zone du ravin de Sainte-Dévote, où, en vertu des articles 7, 8 et 12 de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, il ne peut être accordé de dérogation ; d'autre part, l'arrêté en accordant ces dérogations a eu pour seul objet d'éviter la démolition de l'immeuble, et, enfin, l'article 8 de la loi du 27 décembre 1961, a prévu que les dispositions de cette loi étaient applicables aux immeubles en construction, alors que l'immeuble dont s'agit est déjà construit ;
* l'article 4 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, a été méconnu dès lors qu'il n'y a pas eu, comme l'exige cet article, d'accord préalable avant l'autorisation de construire, le Ministre d'État ayant, par lettre du 4 juillet 1968, rejeté la demande d'accord préalable ;
* l'avis du Comité Supérieur d'Urbanisme, auquel doit se conformer, en vertu de l'article 6 de la loi du 27 décembre 1961, l'arrêté accordant des dérogations, ne pouvant être donné que sur des projets, la procédure a été irrégulière dès lors que cet avis est intervenu les 12 et 21 juin 1968, et que la demande d'autorisation de construire a été présentée le 12 juillet 1968 ;
* l'avis du Comité consultatif pour la construction du 31 juillet 1968, approuvant le projet en ce qu'il comportait une étude des dispositions à envisager pour modeler le côté nord-est du soubassement de l'immeuble, par la création d'un espace vert et rocheux n'a pas été respecté, dès lors que l'arrêté dispense les constructeurs de toute obligation de réserver des espaces plantés et autorise une surface au sol de 93 % ;
* l'arrêté viole l'autorité de la chose jugée en ce que, contrairement à la décision du Tribunal Suprême, seule la hauteur de l'immeuble a été, insuffisamment d'ailleurs, diminuée sans que l'implantation de la construction ait été modifiée et le talus du ravin reconstitué ; l'arrêté contrevient ainsi à l'article 5, § 1er de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959 ; il contrevient également aux articles 13, § 5° sur l'occupation du sol, et 56 sur les espaces boisés de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, l'administration ne pouvant se prévaloir des dérogations intervenues puisqu'elles ont été irrégulièrement accordées ;
* l'arrêté viole l'article 13, § 4°, a et b de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, concernant les limites bâtissables en ce que la volonté du législateur a été qu'il ne pouvait être dérogé aux règles concernant les limites par rapport aux propriétés privées ;
* l'arrêté est entaché de détournement de pouvoir en ce qu'il a pour objet de faire échec à la chose jugée et il porte atteinte à l'égalité des citoyens devant la loi, en raison du traitement discriminatoire dont bénéficient les constructeurs ;
Vu la contre-requête du Ministre d'État, en date du 18 décembre 1968, tendant au rejet de la requête, motifs pris de ce que :
* l'immeuble est situé, comme l'a précisé le Tribunal Suprême, dans le secteur des opérations urbanisées où des dérogations peuvent être accordées ;
* l'article 8 de la loi du 27 décembre 1961 a une portée provisoire et rétroactive en vue de soumettre à la nouvelle législation les immeubles en cours de construction déjà autorisés et les projets ayant reçu un accord préalable ;
* l'accord préalable exigé par l'article 4 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, résulte de ce que la demande d'autorisation de construire du 12 juillet 1968 s'est conformée aux dispositions de la décision du Ministre d'État du 4 juillet 1968, qui précisait que cet accord serait donné si le dossier était modifié dans le sens de ces dispositions ;
* les dérogations ont été consenties par le Comité Supérieur d'Urbanisme lors de l'instruction de la demande d'accord préalable formulée le 25 janvier 1968 ;
* le moyen tiré de l'inobservation en ce qui concerne la création d'un espace vert et rocheux, de l'avis du Comité consultatif pour la construction du 31 juillet 1968, manque en fait dès lors que l'article 2, § 13° de l'arrêté attaque reprend les termes de cet avis ;
* l'arrêté ne viole ni l'autorité de la chose jugée, ni l'article 5, § 1er de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, ainsi que cela a été démontré en réponse aux autres requêtes ;
* ni l'article 12 de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959, ni l'article 18 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, ne limitent les cas et l'étendue des dérogations qui résultent d'une appréciation de l'administration non susceptible de discussion par la voie contentieuse ;
* il résulte de l'instruction qu'il n'y a pas eu détournement de pouvoir ;
* le principe de l'égalité des citoyens devant la loi ne peut être invoqué en cas de délivrance d'une autorisation de construire ;
Vu le mémoire en réplique présenté par le sieur B. le 3 janvier 1969, persistant dans les conclusions de sa requête, motifs pris de ce que :
* la législation ne prévoyant pas l'accord préalable sous condition, la Société devait reprendre la procédure pour obtenir cet accord avant de solliciter une autorisation de construire ;
* le Comité Supérieur d'Urbanisme n'a pas été appelé à se prononcer sur le projet rectifié ;
* l'immeuble étant implanté sur le sol même du ravin, toute dérogation était impossible, et même s'il en était autrement, le site de Sainte-Dévote devait être respecté et les dérogations devaient en tenir compte ; or, l'immeuble, sauf réduction de sa hauteur, est le même puisqu'il n'a été modifié ni quant au pourcentage d'occupation du sol, ni quant à son implantation sur l'un des flancs du ravin ;
* le Comité consultatif pour la construction n'était pas saisi, le 31 juillet 1968, des projets d'aménagement d'un talus rocheux et de verdure ;
Vu le mémoire en duplique présenté par le Ministre d'État, le 17 janvier 1969, persistant dans ses précédentes conclusions pour les mêmes motifs et, en outre, motifs pris de ce que ;
* la décision d'accord préalable n'est soumise à aucune condition de forme et peut être conditionnelle ; d'ailleurs, le dossier de demande d'autorisation définitive est entièrement conforme aux exigences de la décision du 4 juillet 1968 ;
* le Comité Supérieur d'Urbanisme s'est prononcé en toute connaissance de cause ;
* l'immeuble est implanté, comme l'a précisé le Tribunal Suprême, dans un secteur où des dérogations peuvent être accordées ;
* Le Comité consultatif pour la construction n'a pas subordonné son avis à la production du projet d'aménagement du talus dont il a d'ailleurs eu, en fait, connaissance ;
Vu les conclusions déposées le 5 février 1969, par la dame C.-M.-L. C., épouse A. et la dame France B., Veuve B., gérante de la Société Civile Immobilière « Les Myrthes », tendant à ce qu'il soit donné acte à la dame B., Veuve B. qu'elle entend reprendre et suivre la procédure instaurée par la dame C., épouse A., motif pris de ce que l'ensemble des intérêts et de l'immeuble comme les parts des sociétés civiles immobilières Saphir Cottage et Belfrance, que représentait la dame C. ont été transférées à la Société Civile Immobilière Les Myrthes, représentée par sa gérante, la dame B. Veuve B. ;
Vu l'Ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962, notamment ses articles 17, 33 et 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959, concernant l'Urbanisme, la construction et la voirie, modifiée par la loi n° 718 du 27 décembre 1961 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2 120 du 16 novembre 1959 modifiée notamment par l'Ordonnance Souveraine n° 3 647 du 9 septembre 1966, concernant l'Urbanisme, la Construction et la Voirie ;
Vu l'Ordonnance Souveraine du 29 mai 1964, sur le Conseil d'État.
Ouï M. Louis Pichat, membre du Tribunal Suprême en son rapport ;
Ouï Maîtres Lorenzi, Biasca, Walicki, Boré et George, en leurs plaidoiries ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions,
Considérant, d'une part, que les requêtes susvisées sont dirigées contre le même arrêté et présentent à juger des questions connexes ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une même décision ;
Considérant d'autre part, que la dame B. Veuve B., gérante de la Société Civile Immobilière Les Myrthes, est pour les effets de la présente décision, substituée à la dame C., épouse A. ;
SUR LES MOYENS COMMUNS A TOUTES LES REQUETES :
Sur le moyen tiré de la non exécution de la décision du Tribunal Suprême concernant le respect du caractère du ravin de Sainte-Dévote :
Considérant que le Tribunal Suprême appelé à se prononcer, par sa décision du 19 avril 1967, sur la portée, au regard du litige qui lui était soumis, de l'article 5 § 1er de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959 et de l'article 8a, de l'Ordonnance Souveraine du 16 novembre 1959, a clairement précisé que ces dispositions, qui ont pour objet la protection du caractère du ravin de Sainte-Dévote, s'opposaient à ce que des immeubles, même s'ils étaient construits comme en l'espèce, dans le secteur des opérations urbanisées, utilisent les flancs du ravin de telle sorte que les pentes de ceux-ci soient sensiblement modifiées et que lesdites constructions portent atteinte, notamment par leur hauteur et leur surface d'occupation du sol, au caractère du site ; que faisant application de ces principes au projet de construction de l'immeuble « Le Panorama » dont l'autorisation lui était déférée, le Tribunal Suprême a estimé que ce projet méconnaissait les textes précités, tant par la modification de structure du talus utilisé pour l'implantation de l'immeuble que par la hauteur et la surface au sol de celui-ci ;
Considérant que, pour l'exécution de cette décision, il appartenait à l'Administration de ne donner son accord qu'à un nouveau projet qui respecterait notamment les caractéristiques ainsi définies, étant observé que celles retenues en l'espèce par ladite décision ont trait, d'une part au nombre des niveaux prévus et, d'autre part, aux conditions d'implantation de l'immeuble, appréciées uniquement par rapport à leur incidence sur le caractère du site ; qu'en ce qui concerne ces conditions d'implantation, la surface au sol de l'immeuble n'a été jugée préjudiciable à ce caractère que parce qu'elle contribuait, par son importance apparente, à modifier la structure du talus ;
Considérant que l'administration n'a approuvé le nouveau projet de construction qu'après avoir recherché quelles modifications devaient être apportées au projet initial pour que, suivant les prescriptions de la décision du Tribunal Suprême, il ne porte pas atteinte au caractère du ravin de Sainte-Dévote en s'intégrant au site ; que l'immeuble dont la construction est autorisée sera abaissé de quatre étages ; que, d'autre part, le côté du soubassement dudit immeuble situé vers le ravin sera modelé par la création d'un espace vert et rocheux destiné à reconstituer le flanc de ce ravin, à dissimuler le mur de soutènement longeant l'escalier public et à atténuer le caractère excessif, par rapport au site, de la surface au sol de l'immeuble ; qu'enfin l'aménagement du jardin prévu sur le soubassement de l'immeuble devra comporter une épaisseur de terre végétale de 1 m 50 au moins ; que les parties d'architecture et d'urbanisme ainsi adoptés apportent au projet primitif des modifications suffisantes pour permettre de considérer qu'il a été remédié à l'atteinte portée au caractère du site constitué par le ravin de Sainte-Dévote ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué aurait été pris en vue de faire échec à la décision précitée du Tribunal Suprême, et serait, ainsi, entaché de détournement de pouvoir ;
Sur le moyen tiré de ce que l'arrêté, en dérogeant au caractère inviolable du ravin de Sainte-Dévote méconnaîtrait l'article 12 de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959 ;
Considérant que l'immeuble dont il s'agit devant être situé dans la zone à gabarit élevé comprise dans le secteur des opérations urbanisées prévu par le chiffre 3 de l'article 5 de l'Ordonnance-Loi précitée, des dérogations pouvaient être légalement accordées en application de l'article 12 de ladite ordonnance-loi qui n'en exclut que le quartier de Monaco-Ville et le ravin de Sainte-Dévote compris sous le chiffre 1 de l'article 5 ; que l'arrêté attaqué en accordant de telles dérogations, n'a pas entendu faire échec aux dispositions de l'article 5, chiffre 1 tendant à la conservation du caractère du ravin de Sainte-Dévote, en bordure duquel doit être implanté l'immeuble, ainsi que cela résulte d'ailleurs des mesures que ledit arrêté a édictées à cet effet, en exécution de la décision du Tribunal Suprême du 19 avril 1967 ;
SUR LES MOYENS COMMUNS AUX REQUETES AUTRES QUE CELLE DU SIEUR B. :
Sur le moyen tiré des irrégularités dont serait entaché l'arrêté en ce qui concerne, notamment, son affichage ;
Considérant que les requérants n'apportent à l'appui de ce moyen, aucune précision ou commencement de preuve ; qu'il doit, par suite, être rejeté ;
Sur le moyen tiré de ce que l'arrêté méconnaîtrait les dispositions de l'article 15 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, imposant aux constructeurs l'aménagement de surface de garage ;
Considérant qu'à l'appui de ce moyen les requérants font valoir que l'obligation imposée aux constructeurs par l'article 15 précité, ayant un caractère permanent, il n'y a pas été satisfait en l'espèce, dès lors qu'elle est partiellement exécutée sur le domaine public dont l'utilisation ne peut avoir, en vertu de l'article 33 de la Constitution, qu'un caractère précaire ;
Considérant que l'article 15 invoqué, après avoir dans son alinéa 1° posé le principe que toute opération de construction comportait pour le pétitionnaire l'obligation d'aménager une surface de garage a, dans son alinéa 2, prévu que « le Comité Consultatif pour la construction apprécie, dans chaque cas, si le pétitionnaire doit aménager ces garages dans la propriété ou en dehors de l'immeuble » ; que cette disposition ne s'oppose pas à ce que le domaine public soit, compte tenu de son caractère propre, utilisé à de tels aménagements dans les conditions que détermine l'administration qui en a la gestion et à qui il incombe de prendre toutes dispositions en vue du respect par les constructeurs de l'obligation qui leur est faite ;
Sur le moyen tiré de ce que l'arrêté imposerait des conditions autres que celles prévues par l'article 3 bis de l'Ordonnance-Loi du 3 novembre 1959 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de l'arrêté attaqué : « 2° les pétitionnaires devront exécuter à leurs frais, risques et périls exclusifs, les travaux nécessités par l'aménagement du sous-sol de la Place Sainte-Dévote... tels qu'ils sont décrits et sous les conditions fixées par la convention en date du 20 août 1968 ; 3° les pétitionnaires devront également à leurs frais, risques et périls, faire procéder aux travaux nécessités par l'élargissement de la rue Grimaldi... » ; que si ces obligations sont différentes de celles qui peuvent, en vertu de l'article 3 bis précité, être imposées aux constructeurs sous forme de participation aux dépenses d'exécution d'équipements publics rendues nécessaires par une construction, elles ont pu, en raison de l'intérêt général qui s'attache aux travaux qu'elles imposent, être légalement mises à la charge des bénéficiaires de l'autorisation de construire l'immeuble en cause, en application de l'article 3 de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959, aux termes duquel : « les demandes d'autorisation sont examinées... non seulement du point de vue de l'observation des lois et réglements, mais encore du point de vue des conditions esthétiques du travail projeté et de l'intérêt général » ;
Sur les moyens tirés des irrégularités de forme qui entacheraient l'arrêté :
Considérant d'une part que si l'arrêté attaqué, accordant certaines dérogations, ne se réfère pas expressément à une demande des constructeurs présentée à cet effet, cette circonstance n'est pas elle-même de nature à entacher d'irrégularité ledit arrêté ; qu'au surplus, il résulte de l'examen du dossier que ces dérogations ont été sollicitées lors de la demande d'accord préalable présentée le 25 janvier 1968 ;
Considérant d'autre part, qu'il résulte du dossier que le Comité Supérieur d'Urbanisme, appelé à se prononcer, les 12 et 21 juin 1968, sur les dérogations dont s'agit, a été par suite du décès de son Président, qui est le Président du Conseil d'État en vertu de l'article 12 de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959, présidé par le vice-président du Conseil d'État, en application de l'Ordonnance Souveraine du 29 mai 1964, sur le Conseil d'État ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à prétendre que le Comité Supérieur d'Urbanisme était irrégulièrement composé ;
Sur les moyens tirés de ce que les dérogations accordées seraient illicites :
Considérant, d'une part, qu'en contestant la légalité des dérogations accordées par l'arrêté attaqué pour le motif qu'elles conféreraient aux constructeurs des avantages au détriment des propriétaires voisins et méconnaîtraient ainsi le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, posé par l'article 17 de la Constitution, c'est l'existence même des dérogations admises par l'article 12 de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959 que les requérants mettent en cause ; qu'au surplus, le principe institué par l'article 17 de la Constitution n'ayant d'effet qu'à l'égard de personnes se trouvant dans des situations identiques, les requérants ne peuvent l'invoquer contre une décision qui fixe, en considération de la situation propre à une opération d'urbanisme, les conditions dans lesquelles celle-ci est autorisée ;
Considérant, d'autre part, que les travaux préparatoires de la loi du 27 décembre 1961, et le préambule de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959, dont se prévalent les requérants, pour soutenir que des immeubles à grand gabarit ne pourraient être édifiés qu'à la périphérie de la Principauté, ne sauraient être invoqués en présence des dispositions précises des articles 5, chiffres 3 et 12 de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959, qui ne prévoient qu'un seul régime applicable à l'intérieur de la zone à gabarit élevé ;
Considérant enfin que les conditions imposées aux constructeurs par l'arrêté attaqué étant licites, ainsi que l'a précisé la présente décision, les requérants ne peuvent se prévaloir de leur caractère illicite pour soutenir que les dérogations qui en seraient la contre-partie auraient elles-mêmes un caractère illicite ;
SUR LES MOYENS PROPRES A LA REQUETE DU SIEUR B. :
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la loi du 27 décembre 1961 :
Considérant qu'aux termes de l'article 8 précité : « les dispositions de la présente loi... sont applicables aux immeubles en construction, ainsi qu'aux projets bénéficiant d'une autorisation de principe préalable en application de l'article 3 de l'Ordonnance Souveraine n° 2 120 du 16 novembre 1959 » ; que le sieur B. soutient que des dérogations ne pouvaient, en l'espèce, être accordées, s'agissant d'un immeuble déjà construit ;
Considérant que la disposition invoquée n'a eu d'autre objet que d'étendre, rétroactivement, l'application de la loi du 27 décembre 1961 aux immeubles en construction ou bénéficiant d'un accord préalable au moment de sa promulgation ; que l'article 12 de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959, tel qu'il a été modifié par ladite loi, régit, depuis cette promulgation, toutes les opérations de construction, telles que celle de l'immeuble en cause, entreprises depuis lors ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 4 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, soumettant certaines opérations de construction à un accord préalable ;
Considérant qu'il résulte de l'examen du dossier que l'accord préalable que les constructeurs de l'immeuble en cause ont, en application de la disposition précitée, sollicité le 25 janvier 1968, est devenu effectif en vertu de la lettre du Ministre d'État du 4 juillet 1968, dès l'instant où le projet a été modifié, en vue de la conservation du caractère du ravin de Sainte-Dévote, conformément aux directives données par ladite lettre ; que la procédure prévue par l'article 4 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, a, dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient le requérant, été régulièrement suivie ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 6 de la loi du 27 décembre 1961, modifiant l'article 12 de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959 ;
Considérant d'une part, qu'il résulte de l'examen du dossier, que les dérogations accordées par l'arrêté attaqué sont celles auxquelles le Comité Supérieur d'Urbanisme a, dans ses séances des 12 et 21 juin 1968, donné un avis favorable ; qu'il a, par suite, été fait une exacte application de la disposition invoquée par le requérant et suivant laquelle des dérogations ne peuvent être accordées que sur avis conforme du Comité Supérieur d'Urbanisme ; qu'il importe peu, d'autre part, que ce comité se soit réuni antérieurement à la demande d'autorisation de construire dès lors que son avis est postérieur au dépôt du dossier joint à la demande d'accord préalable et comportant l'énonciation des dérogations sollicitées ;
Sur le moyen tiré de ce que, contrairement à l'avis du Comité Consultatif pour la construction, l'arrêté dispense les constructeurs de toute obligation de réserver des espaces plantés et autorise une surface bâtie au sol de 93% de la superficie totale de la propriété ;
Considérant qu'il résulte de l'examen du dossier que, contrairement à ce que soutient le requérant, l'arrêté attaqué, suivant en cela l'avis émis le 31 juillet 1968 par le Comité Consultatif pour la construction auquel il n'était pas tenu, en droit, de se conformer, a imposé aux constructeurs, l'obligation de « modeler le côté nord-est du soubassement de la construction bordant la place Sainte-Dévote par la création d'un espace vert et rocheux » ; que cette obligation, qui a pour objet de préserver le site du ravin de Sainte-Dévote protégé par l'article 5, chiffre 1, de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959, est indépendante de l'obligation générale, à laquelle l'administration a pu légalement déroger en vertu de l'article 12 de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, et suivant laquelle les constructeurs sont tenus, par application de l'article 56 de ladite ordonnance, de réserver, dans les conditions précisées par cet article, une certaine superficie d'espaces plantés ; que le moyen ainsi soulevé par le requérant, manque, donc, en fait ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 13, §4 a et b de l'Ordonnance Souveraine du 9 septembre 1966, imposant des limites bâtissables par rapport à la voie publique et aux autres limites de propriété " ;
Considérant que ce moyen par lequel le requérant tend à faire juger que des dérogations ne pourraient être accordées en ce qui concerne les distances auxquelles les constructions doivent être tenues par rapport aux propriétés privées voisines, ne repose sur aucune disposition législative ou réglementaire en vigueur ; qu'il résulte, au contraire, de l'article 6 de la loi du 27 décembre 1961, modifiant l'article 12 de l'ordonnance-loi du 3 novembre 1959, que la possibilité pour l'administration de déroger, notamment dans la zone à gabarit élevé, aux règles fixées par les Ordonnances Souveraines prises pour l'application de ladite loi, a une portée générale ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 17 de la Constitution ;
Considérant que la différence de traitement qui serait créée, aux dires du requérant, entre les constructeurs de l'immeuble en cause, et les autres propriétaires de la Principauté, ne saurait constituer, comme il le prétend, une violation de l'article 17 de la Constitution, qui ne peut être utilement invoqué qu'à l'égard de personnes se trouvant dans des situations identiques ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
Les requêtes susvisées sont rejetées.
Article 2
Les dépens sont mis à la charge des requérants.
Article 3
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
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