Abstract
Droits et libertés constitutionnels
Action syndicale - Modalités d'application - Absence de (-) dans un texte réglementaire reconnaissant cette action - Violation des dispositions constitutionnelles (non).
Établissements publics
Agents - Agents non fonctionnaires - Qualité d'agents publics - Statut - Domaine législatif (non).
Fonctionnaires et agents publics
Législation du travail - Non application aux (-). Statut - Modification - Droits acquis (non).
Motifs
LE TRIBUNAL SUPRÊME,
Siégeant et délibérant en Assemblée Plénière,
Vu la requête en date du 6 octobre 1982, présentée par le sieur V. et la demoiselle T. et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême :
* annuler l'Ordonnance souveraine n° 7.464 du 28 juillet 1982 portant statut du personnel du service du Centre Hospitalier Princesse Grace.
Ce faire,
Attendu que ladite Ordonnance Souveraine a donné aux employés de l'hôpital, salariés de droit privé, un statut de fonctionnaires publics en violation de l'article 51 de la Constitution qui exigeait l'intervention de la loi ; que l'Ordonnance Souveraine attaquée a méconnu le principe de l'égalité des Monégasques devant la loi posée par l'article 17 de la Constitution en soumettant les employés de l'hôpital à un régime exorbitant du droit commun ; que cette Ordonnance Souveraine a restreint l'action syndicale garantie par l'article 28 de la Constitution et qu'elle porte atteinte à la législation du travail dans ses dispositions relatives aux congés et en supprimant le Comité technique paritaire ; qu'enfin, elle supprime des droits acquis résultant de la Convention Collective du 11 février 1947 et de l'arrêté du 17 avril 1963 ;
Vu la contre-requête du Ministre d'État en date du 7 décembre 1982, tendant au rejet de la requête et à la condamnation des requérants aux dépens, par les motifs :
* que l'Ordonnance Souveraine attaquée a été légalement prise en application de l'article 17 de la loi du 27 décembre 1971 sur les établissements publics, le Tribunal Suprême ayant jugé, le 20 juin 1979, que l'article 51 de la Constitution n'excluait pas le pouvoir réglementaire général d'application de la loi ;
* que l'article 17 de la Constitution ne s'applique qu'aux personnes se trouvant dans une situation identique ;
* que l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine respecte l'article 28 de la Constitution garantissant l'action syndicale ;
* que les atteintes à la législation du travail alléguées sont sans fondement dès lors que la loi du 16 mars 1963, accordant le bénéfice de conditions matérielles au moins égales à celles pratiquées dans la région économique voisine, n'est applicable qu'au personnel des entreprises privées et qu'aucune précision n'est apportée à l'appui de prétendues violations de dispositions législatives ;
* que l'Ordonnance Souveraine respecte le principe de la participation du personnel en créant des commissions paritaires ;
* que les requérants ne sauraient soutenir que l'Ordonnance Souveraine a violé les droits acquis dès lors que le statut des fonctionnaires et agents publics peut, à tout moment, être modifié par l'autorité compétente.
Vu la réplique en date du 7 janvier 1983 tendant aux mêmes fins que la requête par les motifs :
* que le Ministre d'État ne conteste pas que l'article 51 de la Constitution attribue compétence à la loi, mais que son interprétation de la jurisprudence du Tribunal Suprême est inexacte, dès l'instant où celle-ci n'admet pas un dessaisissement total du législateur au profit du pouvoir réglementaire pour déterminer les obligations, droits et garanties fondamentaux des fonctionnaires ;
* que le Tribunal Suprême a admis que la constitutionnalité d'une loi pouvait être critiquée à l'appui d'un recours en annulation d'une décision administrative au regard des dispositions de la Constitution autres que celles de son Titre III ;
* que la défense ne saurait contester les droits acquis par les agents de l'hôpital qui sont des salariés du droit privé pouvant se prévaloir de la Convention Collective du 11 février 1957 ainsi que cela leur a été reconnu par les autorités compétentes ;
* que l'Ordonnance Souveraine porte atteinte à l'égalité des Monégasques devant la loi s'agissant de salariés du droit privé soumis à un statut exorbitant du droit commun ;
Vu la duplique du 10 février 1983 tendant aux mêmes fins que la contre-requête par les motifs :
* que le moyen de la requête tiré de la violation, par la loi du 27 décembre 1971, de l'article 51 de la Constitution est irrecevable comme ayant été présenté hors délai, dès lors qu'étant fondé sur une cause juridique distincte, il constitue une demande nouvelle ;
* que ce moyen est également irrecevable dès lors que, mettant en cause l'article 51 de la Constitution à l'appui d'un recours en annulation d'une mesure d'application d'une loi, ce recours constitue un recours en appréciation de validité de cette loi limité, par l'article 90-A de la Constitution, aux articles 17 à 32 de son Titre III ;
* qu'il n'est d'ailleurs pas fondé dès lors que la loi du 2 juillet 1975 a réservé aux seuls agents de l'État la qualité de fonctionnaires pour l'application de l'article 51 de la Constitution ;
* qu'en ce qui concerne le moyen tiré des droits acquis, ceux-ci n'existent pas, le statut établi par l'Ordonnance Souveraine attaquée s'étant substitué à la Convention Collective du 11 février 1947 ;
* que l'Ordonnance Souveraine reconnaît aux agents de l'hôpital une liberté syndicale étendue ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier :
Vu l'Ordonnance Constitutionnelle du 17 décembre 1962 et, notamment, ses articles 17, 28, 51 et 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963, modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 918 du 27 décembre 1971 sur les établissements publics et, notamment, ses articles 8 et 17 ;
Vu la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État ;
Vu la loi n° 619 du 26 juillet 1956, modifiée, fixant le régime des congés payés annuels ;
Vu la loi n° 739 du 16 mars 1963 sur le salaire ;
Vu l'Ordonnance du 21 février 1983 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause devant le Tribunal Suprême, délibérant en Assemblée Plénière ;
Ouï Monsieur Louis Pichat, Vice-Président du Tribunal Suprême en son rapport ;
Ouï Maître Luc Thaler, au nom du Syndicat du personnel hospitalier et professions connexes du Centre Hospitalier Princesse Grace et du Syndicat des infirmiers et infirmières diplômés d'état du Centre Hospitalier Princesse Grace, et Maître George, au nom de Son Excellence le Ministre d'État en leurs observations ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;
Sur le moyen tiré de l'illégalité de l'ordonnance souveraine attaquée au regard de l'article 51 de la Constitution.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par le Ministre d'État,
Considérant qu'aux termes de l'article 51 de la Constitution : « les obligations, droits et garanties fondamentaux des fonctionnaires, ainsi que leur responsabilité civile et pénale sont fixés par la loi » ;
Considérant que le Ministre soutient que seuls, sont fonctionnaires, au sens de cette disposition constitutionnelle, les personnes soumises à la loi susvisée du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État ;
Considérant que cette interprétation restrictive de l'article 51 de la Constitution exclut à tort de son champ d'application des agents publics qui, n'occupant pas des emplois d'État, ont, toutefois, la qualité de fonctionnaires et dont le statut ne peut, dès lors, être fixé que par la loi ;
Considérant que si tel est le cas des agents des établissements publics concernés par l'Ordonnance Souveraine attaquée, seule la loi avait compétence pour fixer leur statut, sous réserve du pouvoir que détient le législateur, conformément à la Constitution, d'habiliter le Gouvernement à prendre des mesures d'application de ladite loi ;
Mais considérant qu'il résulte du rapprochement de l'article 17 de la loi susvisée du 27 décembre 1971 qui a prévu, pour les agents des établissements publics, soit un statut de droit public, soit un régime de droit privé, et de l'article 8 de ladite loi, qui a attribué la qualité d'agents publics aux personnes n'ayant pas celle de fonctionnaires, que le législateur, en habilitant le Gouvernement a édicter par Ordonnance Souveraine les mesures statutaires concernant lesdits agents publics, a entendu limiter, par son article 17, cette habilitation au cas des agents non fonctionnaires des établissements publics ; que, par suite, et alors même que l'Ordonnance Souveraine attaquée a pour effet de conférer à ces agents un statut dont les dispositions s'apparentent à celles applicables à des fonctionnaires, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ladite Ordonnance serait intervenue en violation de l'article 51 de la Constitution.
Sur les moyens tirés de la violation des principes énoncés au Titre III de la Constitution :
Considérant, d'une part, que l'article 17 de la Constitution, qui pose le principe de l'égalité des Monégasques devant la loi, exige seulement qu'il ne soit institué aucune discrimination entre les agents d'une même administration se trouvant dans des situations identiques ; que l'Ordonnance Souveraine attaquée a établi pour l'ensemble du personnel du Centre Hospitalier Princesse Grace remplissant les conditions prévues par l'article 1er de ladite Ordonnance, un régime statutaire de droit public propre audit établissement et qui ne comporte aucune discrimination entre les agents de même grade se trouvant dans la même situation, sans que ceux-ci, qui ne sont ni fonctionnaires de l'État ni salariés de droit privé, soient fondés à soutenir que la violation de l'article 17 de la Constitution résulterait de ce que l'Ordonnance Souveraine attaquée leur imposerait un statut autre que le statut général des fonctionnaires établi par la loi susvisée du 12 juillet 1975 ou le régime du droit commun du travail ;
Considérant, d'autre part, que les requérants ne sont pas davantage fondés à se plaindre d'une violation de l'article 28 de la Constitution garantissant l'action syndicale, dès lors que l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine attaquée reconnaît expressément aux agents du Centre Hospitalier l'exercice de cette action pour défendre leurs droits et intérêts professionnels ; que si ladite Ordonnance Souveraine ne prévoit ni la mise à leur disposition de locaux réservés à cet exercice, ni la rémunération des périodes d'absence autorisée à cet effet, il ne s'agit que de modalités d'application d'un principe qui, seul, est posé par la Constitution et qui figure dans l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine attaquée dont les dispositions ne sont, par suite, pas de nature à le priver du droit qui leur est reconnu par la Constitution ;
Sur les moyens tirés d'atteintes à la législation du travail :
Considérant, d'une part que les requérants ne sauraient se prévaloir de ce que l'Ordonnance Souveraine attaquée ne les ferait pas bénéficier de conditions matérielles au moins égales à celles pratiquées dans la région économique voisine en ce qui concerne la durée des congés de maladie de longue durée et de maternité dès lors que ce bénéfice résulte de la loi susvisée du 16 mars 1963 qui est applicable aux personnels employés dans les entreprises privées et non aux agents publics ;
Considérant, d'autre part, que les moyens tirés d'une incompatibilité de l'article 70 de l'Ordonnance Souveraine attaquée relatifs aux congés annuels avec la loi susvisée du 15 juillet 1965 et d'une violation d'une disposition de la même loi par l'article 7 de l'Ordonnance, qui a pour objet de faciliter la continuité du service public, ne sauraient, à défaut d'une quelconque précision être examinés ;
Considérant enfin, que contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'article 21 de l'Ordonnance Souveraine attaquée, en créant des commissions paritaires compétentes pour examiner les questions individuelles concernant les agents de l'établissement, respecte le principe de la participation du personnel à l'examen de ces questions ;
Sur le moyen tiré de la violation de droits acquis :
Considérant qu'à l'appui de ce moyen, les requérants font valoir que l'Ordonnance attaquée ne respecte pas un certain nombre de droits que les agents de l'établissement auraient acquis en application de la Convention collective conclue le 11 février 1947 entre la Commission Administrative de l'Hôpital de Monaco et le Syndicat du personnel hospitalier ;
Considérant, d'une part, que les dispositions du statut résultant de l'Ordonnance Souveraine attaquée se sont substituées à toutes celles figurant dans la convention collective invoquée, sauf en ce qui concerne le maintien pour certains agents, à titre transitoire, par l'article 89 de ladite Ordonnance Souveraine, des droits du régime de retraites prévu par cette convention ;
Considérant, d'autre part, que le statut des fonctionnaires et agents publics, peut, à tout moment, être modifié par l'autorité compétente sans que ceux-ci puissent se prévaloir d'un droit quelconque au maintien des règles antérieures ;
Considérant, enfin, que les requérants n'invoquent aucun texte législatif que ne respecterait pas le nouveau statut dans celles de ses dispositions modifiant les règles qui leur étaient précédemment applicables ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
La requête du Syndicat du personnel hospitalier et professions connexes du Centre Hospitalier Princesse Grace et du Syndicat des infirmiers et infirmières diplômés d'État dudit Centre est rejetée ;
Article 2
Les dépens sont mis à la charge des requérants,
Article 3
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
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