Motifs
Principauté de Monaco
TRIBUNAL SUPRÊME
__________
TS 2016-12
Affaire :
ASSOCIATION MONÉGASQUE
POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH
et j-p. GA.
Contre :
ÉTAT DE MONACO
DÉCISION
Audience du 23 juin 2017
Lecture du 30 juin 2017
Requête en annulation de la décision du Ministre d'État n° 16/A01 en date du 8 janvier 2016 refusant de délivrer le récépissé de la déclaration de l'association dénommée « Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah », ensemble la décision implicite rejetant le recours gracieux formé le 20 février 2016 contre cette décision, présenté par son Président, M. j-p. GA..
En la cause de :
1°/ASSOCIATION MONÉGASQUE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH, association de fait dont le siège social est fixé chez Madame j. RO., X1, 98000 Monaco, régulièrement habilitée par délibération du Conseil d'administration, agissant par la personne de son président, M. j-p. GA.,
2°/M. J. P. G., né le 7 août 1976, de nationalité française, domicilié en France X2, 06240 Beausoleil,
Élisant domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, y demeurant « Les Terrasses du Port », 2 avenue des Ligures, et plaidant par l'Association d'Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle DE GUILLENCHMIDT & ASSOCIÉS, du Barreau de Paris, y demeurant 25, boulevard Malesherbes.
Contre :
L'État de Monaco, représenté par S. E. M. le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée Plénière
Vu la requête enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 11 août 2016 sous le numéro TS 2016/12 par laquelle l'ASSOCIATION MONÉGASQUE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JEHOVAH et M. j-p. GA., son président, demandent l'annulation de la décision n° 16-A01 en date du 8 janvier 2016 par laquelle le Conseiller de Gouvernement pour les relations extérieures et la coopération en charge des fonctions de Ministre d'État, a refusé la délivrance du récépissé de déclaration de l'association dénommée « Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah », ensemble la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration pendant plus de quatre mois à la suite du recours gracieux reçu le 25 février 2016.
CE FAIRE :
Attendu que les requérants exposent que, le 22 décembre 2015 il a été procédé, conformément à la loi n° 1.355 du 23 décembre 2008, à une déclaration relative à la constitution de l'Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah (AMCTJ) ;
Attendu que, par courrier du 8 janvier 2016, le Conseiller de Gouvernement pour les relations extérieures et la coopération, en charge des fonctions de Ministre d'État, a notifié à M. j-p. GA., président déclaré de ladite association, une décision de refus de délivrer le récépissé prévu à l'article 7 de la loi susmentionnée ;
Attendu que le silence gardé par le Ministre d'État sur la demande de retrait de ce refus de récépissé par courrier du 20 février 2016 reçu le 25 février, a fait naître à l'issue d'un délai de quatre mois une décision de rejet, en application de l'article 14 de l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963, dont l'Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah et son président M. j-p. GA., demandent l'annulation au Tribunal Suprême par la présente requête ;
Attendu que l'Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah soutient avoir intérêt à agir et à contester les décisions de refus du Ministre d'État qui ne lui permettent pas d'accéder à la personnalité morale et à la capacité juridique, ni davantage de « réaliser tous les actes de la vie civile » ;
Attendu que M. j-p. GA., président de cette association de fait, a également intérêt à agir contre ces décisions de refus de délivrance d'un récépissé ;
Attendu que les requérants indiquent ne pas vouloir relever un quelconque vice de procédure autre que le vice de forme tiré d'une motivation insuffisante et inadéquate du refus de délivrance ; que cette dernière ne serait que l'accumulation de lieux communs correspondant à des idées reçues ou des préjugés présentés comme des « données fiables de source étrangère », ce qui ne constituerait pas une motivation sérieuse et suffisante au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; qu'en outre une telle motivation ne répond pas aux exigences de l'article 2 de loi n° 1.312 du 29 juin 2006;
Attendu que la Constitution de Monaco garantit, par son Titre III, les droits et libertés fondamentaux ; qu'en particulier son article 23 garantit la liberté des cultes et son article 30 la liberté d'association ; que, surtout, Monaco a ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme sans qu'aucune des réserves déposées ne concerne l'exercice de la liberté de pensée, de conscience et de religion ni la liberté d'association ainsi que les droits qui en découlent ; qu'en conséquence, et en vertu de l'Ordonnance Souveraine n° 408 du 15 février 2006, sont opposables à Monaco tant les dispositions de l'article 9 de la Convention relatives à la liberté de pensée, de conscience et de religion que celles de l'article 11 relatives à la liberté de réunion et à la liberté d'association ;
Attendu qu'il est ensuite soutenu que l'administration a commis une première erreur de droit en se méprenant sur le sens et la portée des dispositions des articles 5, 6 et 7 de la loi n° 1.355 du 23 décembre 2008 ; qu'il ressort notamment du rapport déposé le 11 décembre 2008 par la Commission de législation que « dans l'esprit de la Commission, les services du Ministre d'État doivent se borner à une simple vérification du respect des conditions formelles de la déclaration à l'exclusion de toute appréciation qui pourrait porter sur le fond, notamment toute appréciation sur la validité ou la nullité de l'association » ; qu'il résulterait d'ailleurs de la lettre de l'article 7 de ladite loi n° 1.355 que l'autorité administrative se trouve dans une situation de compétence liée pour délivrer le récépissé dès lors que les conditions formelles de la déclaration sont remplies ;
Attendu qu'il est reproché au Ministre d'État d'avoir cru pouvoir se fonder sur un hypothétique motif de nullité, tiré de l'article 6 de la loi, pour refuser illégalement le récépissé qu'il était tenu de délivrer ; que la décision du 8 janvier 2016 est en effet prise aux motifs : « qu'aux termes de l'article 6 de la loi n° 1.355 susvisée, est nulle et de nul effet, l'association dont l'objet est contraire à la loi (...) ou a un caractère sectaire qu'en l'état de données fiables de source étrangère, l'autorité monégasque est fondée à nourrir un doute sérieux et légitime quant au caractère sectaire du culte des Témoins de Jéhovah que ladite association aurait vocation à représenter à Monaco, ainsi qu'aux atteintes à l'ordre public que l'activité déployée par ses membres pourrait générer en Principauté qu'il est de la responsabilité du Ministre d'État de prendre toute précaution à l'effet de prévenir les atteintes à la tranquillité et à l'ordre public » ;
Attendu que le Ministre d'État aurait ainsi méconnu l'étendue des pouvoirs que lui confère l'article 7 de la loi, violé la liberté d'association garantie par l'article 30 de la Constitution et l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'Homme ; que de ce seul chef la décision encourt l'annulation ;
Attendu qu'il est ensuite soutenu qu'outre la Constitution monégasque et la loi n° 1.355 du 23 décembre 2008, les décisions attaquées violeraient les engagements internationaux de Monaco et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telle qu'interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme ;
Attendu enfin que la Cour Européenne se montre très sensible aux risques de discrimination pouvant naître dans des États dotés d'une religion d'État, tel Monaco, dont l'article 9 de la Constitution dispose que « la religion catholique, apostolique et romaine est religion d'État » ; qu'il en résulte que les décisions attaquées constituent au vu de la jurisprudence européenne, une ingérence dans la liberté de religion et d'association des requérants ;
Attendu au surplus que la Cour Européenne estime que l'État doit accorder à tout groupement religieux une forme de personnalité juridique, quelle que soit la nature du groupement concerné et sans que puisse être retenu le critère subjectif de l'assimilation à une secte ; que la jurisprudence sanctionnant les États qui s'abstiennent de remplir cette obligation positive à l'égard des Témoins de Jéhovah, ou qui s'en acquittent mal, est très abondante (une trentaine d'arrêts) et systématiquement favorable à ce groupement ; que cette jurisprudence est aujourd'hui reprise par la jurisprudence administrative française ;
Attendu que les requérants sont recevables à invoquer la garantie de la Convention européenne des droits de l'homme compte tenu de l'ingérence avérée dans leur liberté de religion garantie par l'article 9 de la Convention ;
Attendu que cette ingérence n'est possible qu'à raison de l'imprécision de l'article 6 de la loi n° 1.355 du 23 décembre 2008 qui traite de la nullité des associations ayant un caractère sectaire, alors qu'il n'existe aucune définition juridique de la secte ;
Attendu qu'en l'espèce la décision du Ministre d'État ne serait point justifiée dans son principe, en l'absence de tout trouble à l'ordre public, que le refus de délivrance de récépissé paraît disproportionné puisque l'association n'a pas pu encore fonctionner et ne pourra le faire ; qu'enfin, les requérants soutiennent que l'invocation du label infamant de « secte » concrétise une discrimination, tout à la fois directe et indirecte, dans l'accès à la liberté d'association, fondée sur des motifs religieux sans aucune justification objective et raisonnable, et ce, alors même que nombre de groupements religieux sont enregistrés dans la Principauté ; qu'en tout état de cause, la Cour Européenne n'admet pas qu'un État juge a priori un groupement religieux comme nocif en lui accolant d'autorité le label infamant de « secte », sans qu'il puisse s'appuyer sur des faits concrets ;
Attendu que c'est à tort que l'autorité monégasque a cru pouvoir se fonder sur les « atteintes à l'ordre public que l'activité déployée par ses membres pourrait générer » ; alors que le Conseil d'État français comme la Cour constitutionnelle allemande ou la Cour européenne des droits de l'homme ont expressément jugé le contraire ;
Attendu enfin que, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'invocation du prétendu caractère sectaire de l'association requérante ne peut se fonder sur un rapport parlementaire établi dans un pays étranger ;
Que pour toutes ces raisons, la décision de refus de délivrer le récépissé de la déclaration de l'Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah en date du 8 janvier 2016 est entachée de graves irrégularités et doit être annulée.
Vu la contre requête enregistrée le 12 octobre 2016 au Greffe Général du Tribunal Suprême, par laquelle le Ministre d'État rappelle que par décision du 8 janvier 2016, le Conseiller de Gouvernement pour les relations extérieures et la coopération en charge des fonctions de Ministre d'État a refusé la délivrance du récépissé de déclaration de l'association dénommée « Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah », association ayant pour « objet exclusif de subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice du culte des Témoins de Jéhovah sur le territoire de la Principauté » ; que le silence gardé sur le recours gracieux formé le 20 février 2016, reçu le 25, a fait naître une décision de rejet acquise le 25 juin 2016, de telle sorte que l'Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah et son président M. j-p. GA. ont le 11 août 2016 saisi le Tribunal Suprême d'une requête tendant à l'annulation de ces décisions ;
Sur le moyen de légalité externe tiré de ce que la motivation de la décision attaquée serait tout à la fois « insuffisante et inadéquate », le Ministre d'État observe que la décision attaquée comporte bien les considérations de droit (visa) comme de fait (caractère sectaire de l'association, troubles à l'ordre public) qui constituent le fondement de la décision attaquée ;
Attendu qu'en ce qui concerne la légalité interne, le Ministre d'État soutient qu'il est inexact de prétendre que les dispositions de l'article 7 de la loi n° 1355 ne lui permettraient pas de refuser à une association le récépissé de sa déclaration, dès lors que l'article 6 de la même loi précise : « Est nulle et de nul effet l'association dont l'objet est contraire à la loi, porte atteinte à l'indépendance ou aux institutions de la Principauté, aux libertés et droits fondamentaux qui sont reconnus, à l'ordre public ou aux bonnes mœurs ou a un caractère sectaire. Doit être considérée comme ayant ce caractère l'association qui poursuit des activités ayant pour finalité ou pour conséquence de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités » ; qu'il résulte de ces dispositions combinées que l'autorité administrative ne se trouve en situation de compétence liée que lorsque l'association n'est pas ab initio « nulle et de nul effet » au sens de l'article 6 de la loi précitée ;
Que le Ministre d'État ajoute que la liberté d'association, garantie par l'article 30 de la Constitution, est respectée, dès lors que l'autorité administrative ne s'est pas prononcée sur l'opportunité de la présence à Monaco de l'association requérante, mais uniquement sur sa légalité au regard des dispositions de l'article 6 précité ;
Que, quant à la seconde erreur de droit tirée de la prétendue « violation des engagements internationaux de Monaco » et plus particulièrement de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la combinaison des articles 9 et 11 de la Convention Européenne n'interdit pas aux États signataires de disposer, dans le cadre de la reconnaissance ou de l'enregistrement des groupements religieux, du pouvoir de contrôler si un mouvement ou une association poursuit, à des fins prétendument religieuses, des activités nuisibles à ses membres, à la population ou à la sécurité publique ;
Qu'il en va d'autant plus ainsi que l'article 9 de la Constitution dispose expressément qu'à Monaco « la religion catholique, apostolique et romaine, est religion d'État » ; que l'existence d'une religion d'État, sans être contraire à la liberté de religion, laisse cependant une plus grande latitude d'appréciation du statut applicable aux autres groupes religieux ;
Attendu que le Ministre d'État soutient que la décision attaquée ne constitue pas davantage une violation de la liberté de religion portant une atteinte discriminatoire à la liberté d'association dès lors que les articles 9 et 11 de la Convention Européenne prévoient la possibilité pour les États de restreindre l'exercice de ces libertés à la triple condition que cette ingérence soit prévue par la loi, qu'elle poursuive un but légitime et qu'elle soit nécessaire dans une société démocratique ;
Qu'en premier lieu, l'alinéa 2 de l'article 6 de la loi n° 1.355 relatif à la nullité des associations et notamment celle « ayant un caractère sectaire » donne bien une définition expresse de l'association sectaire ; que dès lors la décision qui refuse sur le fondement de cette loi, la délivrance du récépissé à une association, présente un but légitime en évitant de conférer la personnalité morale à un mouvement qui poursuit des activités considérées comme nuisibles, le contrôle de ces dernières correspondant bien aux nécessités d'une société démocratique ; que dans ces conditions, la décision contestée qui refuse à l'association requérante le récépissé de sa déclaration au double motif qu'elle présente un caractère sectaire au sens de l'article 6 de la loi n° 1.355 et que ses activités sont susceptibles d'occasionner des troubles à l'ordre public ne traduit nullement une méconnaissance par l'État de son devoir de neutralité et d'impartialité, ni davantage une discrimination directe ou indirecte ;
Attendu enfin que le Ministre d'État expose que la jurisprudence européenne faisant valoir que le culte des Témoins de Jéhovah ne créait aucun trouble à l'ordre public n'est pas transposable à Monaco compte tenu de l'exiguïté du territoire et de la composition sociologique de la population ; que dès lors la distribution de tracts et de revues en porte à porte est bien de nature à créer des troubles à l'ordre public ; que, pour l'ensemble de ces raisons, la requête sera rejetée.
Vu le mémoire en réplique enregistré le 11 novembre 2016 au Greffe Général par lequel l'Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah et M. j-p. GA. conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens relevant que le Ministre d'État, pour justifier au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'ingérence de la Principauté de Monaco dans le libre exercice par les requérants de leur religion n'évoque que de vagues « caractéristiques historiques, culturelles ou géographiques » et l'invocation d'hypothétiques risques de troubles à l'ordre public à raison de « l'exiguïté du territoire monégasque et la composition sociologique de sa population » ;
Attendu au contraire qu'il incombe aux États, conformément à cette jurisprudence européenne, d'examiner si, au regard de l'exercice effectif d'un culte, des troubles à l'ordre public sont caractérisés, susceptibles de justifier une quelconque ingérence dans la liberté d'association et la liberté de religion ;
Que le Ministre d'État ne procédant que par voie de simples allégations, les requérants maintiennent que sa décision en date du 8 janvier 2016 doit être annulée.
Vu le mémoire en duplique enregistré au Greffe Général le 12 décembre 2016 par lequel le Ministre d'État persiste en tous ses moyens et conclusions de rejet de la requête, soulignant qu'il ne peut être reproché à la décision attaquée d'être fondée sur des « perceptions erronées et idées préconçues » dès lors qu'il a été établi par la contre-requête que le caractère dogmatique incontestable du culte des Témoins de Jéhovah, dont attestent ses publications, implique un exercice susceptible de porter atteinte à l'ordre public monégasque au travers, non seulement du non-respect de la liberté d'expression mais aussi de l'obligation de prédication incompatible avec les caractéristiques de la Principauté, en particulier l'exiguïté de son territoire et la composition sociologique de sa population ;
Qu'en conséquence ce sont bien les conditions de l'exercice « effectif » du culte des Témoins de Jéhovah sur le territoire monégasque qui ont été prises en compte par l'autorité administrative et non les solutions jurisprudentielles qui ont pu être retenues dans des États étrangers, lesquelles ne sont pas transposables à Monaco .
Vu la lettre recommandée avec avis de réception du 25 janvier 2017, parvenue au Greffe Général le 30 janvier, et adressée directement au Président du Tribunal Suprême par l'Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah sous la signature de M. j-p. GA. hors l'intervention de ses avocats.
Vu les observations enregistrées le 28 février 2017 au Greffe Général du Tribunal Suprême, par lesquelles le Ministre d'État estime qu'une lettre adressée directement au Président du Tribunal Suprême par une partie constitue une production irrecevable qui ne peut qu'être écartée de la procédure et persiste dans ses précédentes conclusions.
SUR CE :
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution et notamment ses articles 9, 23, 30 et 90 B,
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ensemble ses protocoles additionnels, rendus exécutoires par les Ordonnances Souveraines n° 408 et 411 du 15 février 2006 ;
Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;
Vu la loi n° 1.355 du 23 décembre 2008 concernant les associations et les fédérations d'associations, ainsi que son arrêté ministériel d'application n° 2009-40 du 22 janvier 2009 ;
Vu l'Ordonnance du 16 août 2016 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné M. José SAVOYE, Membre titulaire, comme rapporteur ;
Vu le procès-verbal de clôture de la procédure en date du 6 mars 2017 ;
Vu l'Ordonnance du 10 mai 2017 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 22 juin 2017 ;
Vu l'Ordonnance du 21 juin 2017 modificative de la composition de la formation de jugement du Tribunal Suprême à l'audience du 22 juin 2017 ;
Ouï le rapport établi par M. José SAVOYE, Membre titulaire du Tribunal Suprême ;
Ouï le Procureur Général en ses conclusions ;
Ouï Maître Philippe GONI, de l'AARPI DE GUILLENCHMIDT & ASSOCIÉS, du Barreau de Paris pour l'ASSOCIATION MONÉGASQUE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH et M. j-p. GA.,
Ouï Maître François MOLINIÉ, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France pour l'ÉTAT DE MONACO.
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ ;
Considérant que la requête, présentée tant à titre personnel qu'ès qualité de président de l'ASSOCIATION MONÉGASQUE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH par M. j-p. GA., tend à l'annulation du refus de délivrance du récépissé de déclaration de ladite association ;
Considérant qu'il résulte des articles 17 et suivants de l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée qu'une lettre adressée directement au Président du Tribunal Suprême par une partie constitue une production irrecevable ; qu'ainsi, la lettre adressée au Président par M. j-p. GA. le 25 janvier 2017 ne peut qu'être écartée de la procédure ;
Considérant qu'aux termes de l'article 30 de la Constitution, « la liberté d'association est garantie dans le cadre des lois qui la règlementent » ; que l'article 5 de la loi n° 1.355 du 23 décembre 2008 dispose : « les associations se forment librement sans autorisation ni déclaration préalable » ; que l'article 7 de la même loi ajoute : « toute association souhaitant acquérir la personnalité morale et la capacité juridique prévue par l'article 5 doit être déclarée et rendue publique. La déclaration est effectuée auprès du Ministre d'État (€) ; tout refus de délivrance du récépissé est motivé et notifié au déclarant par lettre recommandée avec avis de réception dans le délai de vingt jours » ;
Considérant que la décision attaquée, après avoir visé l'article 6 de la loi n° 1.355 du 23 décembre 2008 concernant les associations, a refusé le récépissé de déclaration de l'Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah en se bornant à alléguer : « en l'état de données fiables de source étrangère, l'autorité monégasque est fondée à nourrir un doute sérieux et légitime quant au caractère sectaire du culte des témoins de Jéhovah que ladite association aurait vocation à représenter à Monaco, ainsi qu'aux atteintes à l'ordre public que l'activité déployée par ses membres pourrait générer en Principauté » ; qu'en ne donnant aucune précision sur les faits de nature à nourrir le doute sérieux conçu sur le caractère sectaire de l'association, ou sur les risques d'atteinte à l'ordre public, la décision du Ministre d'État n'est pas assortie d'une motivation suffisante pour justifier, au regard des exigences de la protection constitutionnelle et légale de la liberté d'association à Monaco, un refus de récépissé de déclaration d'association ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
La décision de refus du récépissé de la déclaration de création de l'Association monégasque pour le culte des Témoins de Jéhovah, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux, sont annulées.
Article 2
Les dépens sont mis à la charge de l'État de Monaco.
Article 3
Expédition de la présente décision sera transmise à M. le Ministre d'État.
Composition
Ainsi jugé et délibéré par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de M. Didier LINOTTE, Chevalier de l'Ordre de Saint Charles, Président, M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Officier de l'Ordre de Saint Charles, Vice-président, Mme Martine LUC-THALER, Membre Titulaire, rapporteur, M. Didier RIBES, Membre titulaire et M. Guillaume DRAGO, Membres suppléants.
et prononcé le trente juin deux mille dix-sept en présence de, Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général adjoint, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Béatrice BARDY, Greffier en Chef, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le Greffier en Chef, le Président,
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