Motifs
Principauté de Monaco
TRIBUNAL SUPRÊME
TS 2017-09
Affaire :
Monsieur a. HE.
Contre :
État de Monaco
DÉCISION
Audience du 16 mars 2018
Lecture du 29 mars 2018
Recours en annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté ministériel n° 2016-511 du 1er septembre 2016 prononçant la suspension du permis de conduire de M. a. HE. pour une durée de douze mois.
En la cause de :
Monsieur a. HE., né le 29 janvier 1991 à Bucarest (Roumanie), de nationalité belge, demeurant X1, MONACO.
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Alice PASTOR, Avocat près la Cour d'appel de Monaco.
Contre :
L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINI, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation de France.
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,
Vu la requête présentée par Monsieur A.H, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 4 avril 2017 sous le numéro TS 2017-09, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté ministériel n° 2016-511 du 1er septembre 2016 prononçant la suspension de son permis de conduire pour une durée de douze mois, à la condamnation de l'État de Monaco à lui verser la somme de 5 000 euros au titre du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de cet arrêté ainsi qu'à sa condamnation aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que M. H, de nationalité belge et résidant à Monaco, dispose depuis septembre 2009 d'un permis de conduire monégasque ; qu'il a été verbalisé par les services de police le 13 novembre 2014 au motif qu'il circulait avec son véhicule à une vitesse de cent-un kilomètres par heure sur une voie où la limite de vitesse légale était fixée à cinquante kilomètres par heure ; qu'après avis de la Commission technique spéciale prévue par l'article 128 du Code de la route, le Ministre d'État a, par arrêté du 1er septembre 2016, prononcé la suspension du permis de conduire de M. H pour une durée de douze mois ; que M. H a formé un recours gracieux contre cet arrêté ; que par une décision implicite née au terme d'un délai de quatre mois suivant sa demande, le Ministre d'État a rejeté ce recours ;
Attendu qu'à l'appui de sa requête, M. H soutient, tout d'abord, pour obtenir l'annulation de la décision qu'il attaque, qu'elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations devant la Commission technique spéciale ; qu'en effet, il n'a pas été avisé de la réunion de la Commission technique spéciale en raison d'une erreur d'adresse sur la lettre recommandée avec demande d'avis de réception qui lui a été envoyée à cette fin.
Attendu que M. H allègue également qu'en raison du défaut de convocation régulière à la réunion de la Commission technique spéciale, il n'a pas été en mesure de s'assurer de la régularité de la composition de la Commission ; que, par suite, la décision attaquée doit être regardée comme ayant été prise au terme d'une procédure irrégulière ;
Attendu qu'il est par ailleurs soutenu par le requérant que la décision attaquée serait irrégulière en raison d'une mention erronée qu'elle comporte concernant sa nationalité ;
Attendu que M. H soutient aussi que la décision attaquée serait irrégulière dès lors qu'elle ne lui a pas été notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; que la notification de la décision attaquée dans les locaux de la Sûreté publique, constatée par procès-verbal, ne constitue pas, selon lui, une modalité régulière de notification ;
Attendu que M. H soulève ensuite un moyen tiré de ce que la décision méconnaît les exigences de motivation des actes administratifs prévues par la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ;
Attendu que M. H soutient, en outre, que la sanction prononcée à son encontre est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'il relève, à ce titre, que les faits qui lui sont reprochés ne présentent pas la même gravité que ceux pour lesquels ont été prises des mesures de suspension de permis de conduire d'une durée similaire ; qu'il s'est acquitté immédiatement du paiement de la contravention et n'a commis aucun acte de délinquance routière durant les vingt- deux mois qui séparent sa verbalisation de la décision attaquée ;
Attendu que M. H fait, enfin, grief à la décision qu'il attaque de méconnaître les stipulations de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle a été prise en méconnaissance du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ; qu'en effet, la mesure de suspension de permis de conduire prise deux ans après les faits a perdu son caractère préventif et constitue une sanction dont le prononcé méconnaît le principe de célérité énoncé par l'article 6 § 1 de la Convention ;
Vu la contre-requête enregistrée au Greffe général de la Principauté le 2 juin 2017 par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État allègue, tout d'abord, que M. H a été régulièrement convoqué à la séance de la Commission technique spéciale ; qu'en effet, si la lettre qui lui a été adressée comportait une adresse légèrement inexacte, elle a bien été notifiée à son destinataire, ainsi que le prouve l'avis de réception postal adressé à l'administration indiquant « pli avisé et non réclamé » ;
Attendu que le Ministre d'État estime ensuite qu'est inopérant le moyen tiré de ce que le requérant était dans l'impossibilité de vérifier la régularité de la composition de la Commission technique spéciale ; qu'au demeurant, le requérant avait la possibilité d'invoquer devant le Tribunal Suprême l'irrégularité de la composition de la Commission ;
Attendu, selon le Ministre d'État, qu'est également inopérant le moyen tiré de l'irrégularité résultant de l'erreur que comporte la décision attaquée concernant la nationalité de M. H ; qu'en effet, une telle erreur, purement matérielle, n'a pu affecter le sens de cette décision ;
Attendu que le moyen tiré de l'irrégularité de la décision attaquée résultant de l'absence de notification de cette décision par lettre recommandée avec demande d'avis de réception n'est pas davantage opérant ; qu'en effet, d'une part, la légalité d'une décision administrative ne s'apprécie pas au regard de ses conditions de notification et, d'autre part, aucune disposition n'oblige l'administration à notifier ses décisions par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, par ailleurs, que le moyen d'insuffisance de motivation de la décision attaquée manque en fait dès lors qu'elle comporte dans ses motifs les considérations de droit et de fait qui la fondent, conformément aux exigences de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ;
Attendu que le Ministre d'État estime, en outre, que le moyen d'erreur manifeste d'appréciation n'est pas fondé dès lors, d'une part, que ne peut être utilement invoquée la durée de mesures de suspension prononcées dans d'autres affaires et, d'autre part, que la mesure est justifiée par le danger résultant d'une conduite en ville à une vitesse de plus du double de la vitesse autorisée ; que l'absence de nouvelle infraction routière à la date de la décision attaquée n'est pas de nature à atténuer le caractère dangereux du comportement justifiant la mesure de suspension du permis de conduire de M. H ;
Attendu, enfin, que le Ministre d'État soutient que le moyen tiré de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant dès lors que la mesure de suspension du permis de conduire ne constitue pas une sanction mais une mesure de police administrative, ainsi que l'a déjà jugé le Tribunal Suprême dans une décision du 19 janvier 2004 ;
SUR CE,
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ; Vu la Constitution, notamment son article 90-B ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ensemble ses protocoles additionnels rendus exécutoires par Ordonnances Souveraines n° 408 et 411 du 15 février 2006 ;
Vu le Code de la route, notamment ses articles 123 et 128 ; Vu le Code pénal, notamment ses titres III et IV ;
Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;
Vu l'Ordonnance du 5 avril 2017 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier RIBES, Membre titulaire, comme rapporteur ;
Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 29 août 2017 ;
Vu l'Ordonnance du 15 janvier 2018 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 16 mars 2018 ;
Ouï Monsieur Didier RIBES, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï le Procureur Général en ses conclusions ;
Ouï Maître Alice PASTOR, Avocat près la Cour d'appel de Monaco pour Monsieur A.H ;
Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France pour l'État de Monaco ;
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ
Considérant que M. A.H demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté ministériel n° 2016-511 du 1er septembre 2016 prononçant, après avis de la Commission technique spéciale prévue à l'article 128 du Code de la route, la suspension de son permis de conduire pour une durée de douze mois et l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'illégalité de cette décision ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est fondée sur des faits d'excès de vitesse commis le 13 novembre 2014 pour lesquels M. H a été verbalisé alors qu'il circulait à une vitesse de cent-un kilomètres par heure sur une voie où la vitesse était limitée à cinquante kilomètres par heure ; que la Commission technique spéciale, saisie par le Ministre d'État, a rendu son avis sur la suspension du permis de conduire du requérant en raison de ces faits le 12 février 2015 ; que le Ministre d'État a pris le 1er septembre 2016 la décision de suspendre le permis de conduire pour une durée de douze mois ; que M. H soutient sans être contesté qu'entre le 13 novembre 2014 et le 1er septembre 2016, il n'a pas commis de nouvelle infraction routière sur le territoire de la Principauté ; qu'il n'est fait état d'aucun autre fait permettant d'établir que la conduite routière de M. H caractérisait, à la date de la décision attaquée, un risque pour l'ordre public et notamment pour la sécurité des personnes ; qu'en prononçant, dans de telles circonstances, une suspension du permis de conduire près de deux années après les faits sur lesquels il s'est fondé, le Ministre d'État a, eu égard à la finalité préventive d'une telle mesure, entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que l'arrêté attaqué du 1er septembre 2016 doit être annulé ;
Sur la demande indemnitaire
Considérant que M. H n'apporte aucune justification du préjudice qu'il invoque ; que la demande présentée ne peut donc être accueillie ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté ministériel n° 2016-511 du 1er septembre 2016 est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les dépens sont mis à la charge de l'État.
Article 4 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, Didier RIBES, Membre titulaire, rapporteur, Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, et Monsieur Guillaume DRAGO, Membres suppléants,
et prononcé le vingt-neuf mars deux mille dix-huit en présence du Ministère public, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.
Le Greffier en Chef, Le Président,
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