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29/03/2018 | MONACO | N°TS/2017-12

Monaco | Tribunal Suprême, 29 mars 2018, UNION DES SYNDICATS DE MONACO et Mme s. BO-BO. c/ État de Monaco, TS/2017-12


Motifs

Principauté de Monaco

TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2017-12

Affaire :

UNION DES SYNDICATS DE MONACO

et Madame s. BO-BO.

Contre :

État de Monaco

DÉCISION

Audience du 15 mars 2018

Lecture du 29 mars 2018

Requête en annulation pour excès de pouvoir de la lettre du 24 mars 2017 de la Direction du Travail invitant les membres fondateurs du Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco à modifier les statuts déposés à la Direction en vue de leur approbation par le Ministre d'État.

En l

a cause de :

-L'UNION DES SYNDICATS DE MONACO, agissant poursuites et diligences de son Secrétaire Général en exercice, Monsieur c. GL., ...

Motifs

Principauté de Monaco

TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2017-12

Affaire :

UNION DES SYNDICATS DE MONACO

et Madame s. BO-BO.

Contre :

État de Monaco

DÉCISION

Audience du 15 mars 2018

Lecture du 29 mars 2018

Requête en annulation pour excès de pouvoir de la lettre du 24 mars 2017 de la Direction du Travail invitant les membres fondateurs du Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco à modifier les statuts déposés à la Direction en vue de leur approbation par le Ministre d'État.

En la cause de :

-L'UNION DES SYNDICATS DE MONACO, agissant poursuites et diligences de son Secrétaire Général en exercice, Monsieur c. GL., domicilié en cette qualité au siège social, 28 Boulevard Rainier III à Monaco,

Et :

-Madame s. BO-BO. née BOR., née le 27 décembre 1968 à MAZAMET (81), de nationalité française, demeurant X1 -98000 Monaco,

Élisant tous deux domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR BENSA, Avocat-Défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, y demeurant 30 avenue de Grande Bretagne à Monaco et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, Avocat au Barreau de Nice.

Contre :

L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître c. SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIÉ, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête présentée par l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et Madame S.B-B, enregistrée le 24 mai 2017 au Greffe Général de la Principauté de Monaco, sous le numéro TS 2017-12, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la lettre du 24 mars 2017 de la Direction du Travail invitant les membres fondateurs du Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco à modifier les statuts déposés à la Direction en vue de leur approbation par le Ministre d'État, ainsi que la condamnation de l'État de Monaco aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que par courrier du 20 juillet 2016, réceptionné le 4 août, les membres fondateurs du Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco adressaient à Madame le Directeur du Travail, en vue de leur approbation, les projets de statuts dudit syndicat, conformément aux dispositions de l'article 7 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944 autorisant la création de syndicats professionnels, lequel dispose : « les statuts et les règlements des syndicats professionnels devront être soumis à l'approbation du gouvernement » ;

Attendu que par courrier du 6 octobre 2016, la Direction du Travail invitait les auteurs « à prendre en considération les modifications à apporter à ce projet de statuts » relatives aux articles 5, 9, 15, 17, 19, 21, 25, 28, 30 et 32 ; que dès le 12 octobre suivant, était déposé un nouveau projet modifié prenant en considération les observations formulées ;

Attendu qu'un courrier du 9 novembre 2016 formulait de nouvelles observations relatives, tant à l'article 11, qu'une nouvelle fois à l'article 30, émanant de la Direction du Travail ;

Attendu que le 14 décembre 2016, un nouvel exemplaire du projet de statuts reprenant les modifications souhaitées était déposé à la Direction du Travail ;

Que, cependant, les requérants devaient recevoir le 24 mars 2017 un troisième courrier relatif cette fois à la définition même du champ d'application du syndicat, lequel n'avait pourtant point varié depuis le dépôt initial du 20 juillet 2016 ;

Que la Direction du Travail considérait que le champ d'application du syndicat visait « un secteur professionnel global », ce qui serait non-conforme aux dispositions de l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 disposant : « les syndicats constitués ne pourront grouper que des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes » ;

Attendu que cette décision administrative prise par la Direction du Travail d'imposer une nouvelle et substantielle modification des statuts s'analysant en une décision de refus implicite de la création du Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco, les requérants déféraient cette décision administrative du 24 mars 2017 devant le Tribunal Suprême ;

Attendu qu'il est, tout d'abord, soutenu que la décision de rejet implicite ne respecterait pas l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944 disposant : « les syndicats constitués ne pourront grouper que des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes » ; qu'en effet, le Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco visait à réunir « les personnels de cliniques, maisons de retraite, pharmacie, cabinets médicaux, centres de soins, laboratoires d'analyses, imageries médicales, soins à domicile, aide à la personne et maintien à domicile, cures thermales et professions connexes » ;

Qu'ainsi la création de ce syndicat visait à réunir les intérêts de l'ensemble des personnels en lien avec le secteur de la santé, indissociable de celui des soins apportés à la personne, et concourant à un même objectif professionnel ;

Attendu que ce serait à tort que la Direction du Travail invoquerait la jurisprudence du Tribunal Suprême du 4 février 2016 relative à la modification des statuts d'un syndicat existant, et non comme en l'espèce, en vue de constituer un rassemblement plus large de l'ensemble des personnels de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Étrangers (SBM), qu'ils soient ouvriers, employés administratifs, techniciens, agents de maîtrise et cadres, à l'exception des personnels des jeux de tables ;

Attendu qu'il est reproché à la Direction du Travail d'avoir attendu plus de huit mois pour proposer, ni plus ni moins qu'une modification de l'intitulé du syndicat dont aurait été dorénavant exclue toute référence à la Santé et donc la plupart des salariés initialement concernés ;

Attendu qu'une telle observation est d'autant plus surprenante qu'avait été valablement autorisé le syndicat patronal créé le 26 mars 1990 regroupant « les personnes morales régulièrement autorisées à exercer en Principauté de Monaco une activité de soin, de cure et de garde », soit le même groupement professionnel ;

Qu'ainsi, la Direction du Travail, en invoquant pour la première fois, huit mois après le dépôt des statuts, la nécessaire modification de l'essence même du syndicat en cours de création, a porté atteinte à la liberté de défendre par l'action syndicale les droits et intérêts de la profession ; que la décision administrative du 24 mars 2017, refusant implicitement de valider les statuts du Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco, devra être annulée ;

Attendu que sont ensuite soulevées, tant l'inconstitutionnalité que la non- conformité à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de l'article 7 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944 en ce qu'il prévoit que « les statuts et les règlements des syndicats professionnels devront être soumis à l'approbation du gouvernement » ; que l'article 2 de l'Ordonnance n° 2.942 du 4 décembre 1944 ajoute que « l'approbation est donnée par arrêté ministériel » ;

Attendu que de tels textes, promulgués en 1944, constituent une violation manifeste de l'article 28 de la Constitution Monégasque du 17 décembre 1962, lequel dispose : « Toute personne peut défendre les droits et intérêts de sa profession ou de sa fonction par l'action syndicale…» ;

Que dès lors, les textes précités, en subordonnant la création de syndicats professionnels à l'approbation du gouvernement, sont incompatibles avec la Constitution, ainsi qu'en dispose son article 97 qui énonce : « Les lois et règlements actuellement en vigueur demeurent applicables dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec la présente Constitution. Ils doivent, le cas échéant, être mis en harmonie, aussitôt que possible, avec cette dernière » ;

Qu'ainsi la Direction du Travail en « suggérant » de modifier le nom et le champ d'application du syndicat a porté atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement reconnue ;

Attendu au surplus que, selon l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts » ;

Attendu que la Principauté de Monaco a adhéré au Conseil de l'Europe le 5 octobre 2004 et ratifié la Convention européenne des droits de l'homme le 1er décembre 2005, et que dès lors, les décisions rendues par la Cour européenne des droits de l'homme lui sont opposables ;

Attendu qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que la soumission de la création d'un syndicat à un système d'approbation du Gouvernement, qui constitue une autorisation préalable, est une violation du principe même de la liberté fondamentale de se regrouper en organisation syndicale pour la défense des intérêts professionnels ;

Attendu qu'en « suggérant », avec une lenteur délibérée, des modifications substantielles, allant jusqu'à reformuler les articles des projets de statuts déposés, la Direction du Travail exerce un véritable contrôle, dès lors que ses « suggestions » sont en réalité des critères imposés pour voir « approuver » les projets de statuts déposés ;

Qu'en effet, il est évident qu'en l'absence des modifications suggérées, l'approbation nécessaire à la création du syndicat n'aurait pas été délivrée ;

Attendu enfin qu'à la suite d'un rapport du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, une loi n° 1.355 du 23 décembre 2008, publiée le 2 janvier 2009, est venue revoir le système d'autorisation préalable auquel ont été longtemps soumises les associations, comme les syndicats ;

Que seuls ces derniers n'ont pas bénéficié d'une telle modification ;

Qu'en conséquence, il convient d'annuler la décision administrative de la Direction du Travail du 24 mars 2017, refusant d'approuver les statuts du Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco avec toutes les conséquences en découlant ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général de la Principauté le 28 juillet 2017 par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête de l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et de Madame S.B-B ;

Attendu que le Ministre d'État commence par rappeler qu'à réception de la lettre du 20 juillet 2016 des membres fondateurs d'un « Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco » déposant à la Direction du Travail leur projet de statuts pour approbation, cette dernière les a invités, par lettre du 6 octobre 2016, à « prendre en considération » un certain nombre de modifications ;

Que les membres fondateurs du syndicat ont alors déposé une nouvelle version des statuts, mais qu'à la suite d'une décision rendue le 4 février 2016 par le Tribunal Suprême précisant la portée de l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 relatif au champ d'application des syndicats professionnels, la Direction du Travail a estimé que leur projet de statuts était illégal et ne pouvait donc être approuvé ;

Qu'en effet, ce projet « visait le regroupement d'activités manifestement différentes » ; que la Direction du Travail leur a donc suggéré de modifier l'article 2 desdits statuts pour tirer les conséquences de cette jurisprudence ;

Que tel a bien été le cas, de telle sorte que devenu le « Syndicat des Services à la Personne de Monaco », les statuts du syndicat ont été approuvés par arrêté ministériel du 10 mai 2017, publié au Journal de Monaco du 19 mai suivant ;

Que sans égard pour cette approbation, l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO, et l'un des membres fondateurs du syndicat, Madame S.B-B, ont cru pouvoir déférer à la censure du Tribunal Suprême la lettre de la Direction du Travail du 24 mai 2017 suggérant une modification de l'article 2 des statuts ;

Attendu qu'il est soutenu, à titre principal, que la requête ne pourra qu'être déclarée irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre une lettre de la Direction du Travail qui, se bornant à « suggérer » une modification de statuts, ne constitue pas une décision faisant grief ;

Que si les membres fondateurs du syndicat n'entendaient pas donner suite à la suggestion qui leur était faite, ils avaient tout le loisir de le faire savoir à la Direction du Travail, laquelle aurait pu alors rejeter la demande d'approbation ; que ce n'est pas ce qui ce qui s'est produit puisque les membres fondateurs ont modifié à la fois l'intitulé du syndicat et l'article 2 des statuts de celui-ci, qui ont pu alors être approuvés par arrêté ministériel du 10 mai 2017 ;

Que la requête est dès lors à l'évidence irrecevable ;

À titre subsidiaire, le Ministre d'État observe, tout d'abord, que l'argumentation de la Direction du Travail faisant valoir que l'article 2 du projet de statuts méconnaissait l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 n'aurait été ni tardive ni inopérante ;

Qu'en premier lieu, la lettre de la Direction du Travail du 24 mars 2017 n'est certainement pas tardive dès lors que les textes applicables ne prescrivent aucun délai particulier pour l'approbation des statuts ; qu'en second lieu, l'objection tirée de la méconnaissance, par l'article 2 du projet, des dispositions de l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 était fondée ; qu'en effet, l'article 2 du projet de statuts définissait le champ d'application du syndicat dans les termes suivants : « Le Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco accueille en son sein les personnels de cliniques, maisons de retraite, pharmacie, cabinets médicaux, centre de soins, laboratoires d'analyses, imagerie médicale, soins à domicile, aide à la personne et maintien à domicile, cures thermales et professions connexes » ;

Que cette rédaction est contraire à l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944 aux termes duquel : « Les syndicats constitués ne pourront grouper que des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes » ;

Qu'en effet, le Tribunal Suprême, dans sa décision du 19 février 2016 opposant le Syndicat Non Jeux Unifié de la SBM et l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO à la Société des Bains de Mer et à l'État de Monaco, a considéré qu'était illégal l'arrêté ministériel n° 2013-449 du 6 septembre 2013 validant l'article 1er des nouveaux statuts du syndicat Non Jeux Unifié aux termes duquel le syndicat avait vocation à regrouper « l'ensemble des personnels de la société hors secteur hôtelier » ;

Que dans cette décision, le Tribunal Suprême a rappelé que la connexité des professions exigée par l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 « n'est pas le concours apporté à l'activité principale de l'entreprise mais l'appartenance à une même branche d'activité ; qu'ainsi, au sein d'une même entreprise, ne peuvent être regardés comme identiques, similaires ou connexes que des professions ou des métiers qui participent à la même activité » ;

Qu'ainsi, le Tribunal Suprême a considéré qu'en permettant le regroupement « d'activités manifestement différentes », l'article 1er des nouveaux statuts du SNJU méconnaissait l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944, modifiée ;

Attendu que l'article 2 des statuts, dans sa rédaction initiale, englobait le secteur de la santé dans sa globalité, regroupant des professions et des métiers très dissemblables et méconnaissait, par suite, l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944, modifiée, dans l'interprétation qu'en a faite le Tribunal Suprême dans sa décision du 19 février 2016 ;

Que c'est la raison pour laquelle les auteurs des statuts ont finalement modifié l'intitulé du syndicat devenu « Syndicat des Services à la Personne de Monaco » et son champ d'application ;

Attendu que c'est à tort que les requérants soutiennent que l'article 7 de l'Ordonnance-Loi n° 399 prévoyant l'approbation des statuts des syndicats par le Gouvernement, serait contraire à la Constitution ainsi qu'à la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu tout d'abord que le contrôle a priori sur la licéité des syndicats exercé à Monaco ne diffère pas dans sa nature ni son étendue de celui-ci exercé a posteriori dans le pays voisin ; que cette seule circonstance n'affecte en rien la constitutionnalité de ce contrôle au regard de l'article 28 de la Constitution Monégasque ;

Que si les conditions légales envisagées pour la constitution d'un syndicat sont remplies, celui-ci a le droit de se constituer et de fonctionner librement, à Monaco, comme en France ;

Que dès lors le grief droit être écarté ;

Attendu ensuite que contrairement à ce qui est soutenu, l'article 7 de l'Ordonnance-Loi n° 399 ne porte pas davantage atteinte à l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif à la liberté syndicale ;

Que le contrôle a priori exercé à Monaco est un contrôle exclusif de légalité, destiné à vérifier que les syndicats sont bien constitués conformément à la loi ; que ce contrôle, eu égard à son objet, ne permet aucune ingérence arbitraire des pouvoirs publics monégasques dans l'exercice des droits consacrés par l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Que sans doute, serait-il envisageable de substituer à l'approbation préalable un contrôle a posteriori de la constitution des syndicats, ainsi qu'il l'est pour les associations, mais le dispositif actuel n'est contraire, ni à la Constitution, ni à la Convention européenne des droits de l'homme ;

Que la requête ne pourra donc qu'être rejetée ;

Vu la réplique enregistrée au Greffe Général le 29 août 2017 par laquelle l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et Madame S.B-B persistent en toutes leurs conclusions d'annulation, y ajoutant sur la recevabilité que le dépôt du projet de statuts est effectué auprès de la Direction du Travail, non point pour recueillir ses « suggestions » mais bien son approbation ainsi qu'en dispose l'article 7 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944, l'article 2 de l'Ordonnance n° 2.942 du 4 décembre 1944 précisant que cette approbation est donnée par arrêté ministériel ;

Que c'est donc bien à l'encontre d'une décision que la requête a été formée, laquelle, à ce titre, est recevable ;

Attendu ensuite que si aucun délai légal n'est effectivement prévu pour délivrer l'approbation, il est cependant évident qu'un délai de huit mois pour formuler une opposition sur le nom même du syndicat est constitutif d'une entrave à sa constitution ;

Que le caractère tardif de la réponse du 24 mars 2017 est ainsi établi ;

Qu'en ce qui concerne le prétendu bien-fondé de l'observation de la Direction du Travail sur l'illégalité du champ d'application du syndicat au regard de la décision du Tribunal Suprême du 19 février 2016, il est observé qu'à la date de dépôt du premier projet de statuts, soit le 20 juillet 2016, la Direction du Travail avait connaissance de cette décision depuis plus de quatre mois, alors cependant qu'elle n'en fera état, pour la première fois, que dans le courrier attaqué du 24 mars 2017 ;

Qu'au surplus, la décision du Tribunal Suprême concernait l'extension du domaine d'activité d'un syndicat déjà constitué, alors que préexistait à la constitution du syndicat projeté, un syndicat patronal regroupant les activités de soins, cures et gardes, qui, lui, avait bien été autorisé ;

Attendu, ensuite, que l'inconstitutionnalité et la non-conformité à la Convention européenne des droits de l'homme sont contredites par le Ministre d'État qui tire argument d'un parallèle avec la France ;

Que précisément, l'article L. 2131-2 du Code du travail français dispose : « les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l'établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement » ;

Qu'à l'inverse, l'article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944 dispose : « les syndicats constitués ne pourront grouper que des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes » ;

Que cette rédaction ne peut être regardée comme « très proche » puisque l'une consacre la liberté de constituer un syndicat ou une association et que les statuts des syndicats français ne font l'objet d'aucun contrôle quant à leur constitution, qui reste libre ;

Que, de même, il est totalement erroné d'avancer que le contrôle français serait « de nature identique » au contrôle monégasque dès lors que la sanction prévue en France en cas de non-respect de l'article L. 2131-1 est une simple amende, infligée de surcroît par l'autorité judiciaire et non par l'administration ;

Qu'en conséquence, l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et Madame S.B-B réclament de plus fort l'annulation de toutes les conséquences découlant de la décision administrative de la Direction du Travail du 24 mars 2017, refusant d'approuver les statuts du Syndicat de la Santé et des Services à la Personne de Monaco portant atteinte à la liberté syndicale.

Vu la duplique enregistrée au Greffe Général le 29 septembre 2017 par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens, maintenant, tout d'abord, l'irrecevabilité de celle-ci à raison du caractère de simple « suggestion » de la lettre du 24 mars 2017, ce que confirmerait l'approbation finalement donnée aux statuts du syndicat à l'issue des mises au point successives nécessaires à leur licéité ;

Attendu, subsidiairement sur le fond, que le grief pris d'un délai « trop long » est inopérant sur le terrain de la légalité et que n'est point pertinente l'objection selon laquelle la jurisprudence du Tribunal Suprême, fondée sur le principe qu'un syndicat ne peut regrouper que des personnes participant à la même activité, s'appliquerait différemment selon que celui-ci serait en cours de constitution ou déjà constitué ;

Attendu enfin, qu'il existerait bien en France un contrôle sur la licéité de la constitution du syndicat au regard des exigences posées par l'article L. 2131-2 du Code du travail, de telle sorte que la seule circonstance que le même contrôle s'exercerait à Monaco, de façon préalable et non point a posteriori, ne peut affecter la constitutionnalité de celui-ci ;

Que dans ces conditions, le Ministre d'État ne peut que persister dans ses précédentes conclusions de rejet de la requête ;

SUR CE,

Vu la lettre attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90-A et B et ses articles 28, 30 et 97 ;

….

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, telle qu'amendée, et les Ordonnances n° 408 et 411 du 15 février 2006 qui l'ont rendue exécutoire, notamment son article 11 ;

Vu l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944 modifiée autorisant la création de syndicats professionnels ;

Vu l'Ordonnance n° 2.942 du 4 décembre 1944 portant règlementation de la formation et du fonctionnement des syndicats ;

Vu l'Ordonnance du 24 mai 2017 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné M. José SAVOYE, Membre Titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de la procédure en date du 10 octobre 2017 ;

Vu l'Ordonnance du 15 janvier 2018 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 15 mars 2018 ;

Ouï M. José SAVOYE, Membre titulaire, en son rapport ;

Ouï le Procureur Général en ses conclusions ;

Ouï Maître Aurélie SOUSTELLE, Avocat au Barreau de Nice, pour l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et Madame S.B-B ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France pour l'État de Monaco ;

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

Considérant que l'article 28 de la Constitution dispose : « Toute personne peut défendre les droits et intérêts de sa profession ou de sa fonction par l'action syndicale » ; que l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : « 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. / 2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. (…) » ;

Considérant que l'article 7 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944 autorisant la création de syndicats professionnels dispose : « Les statuts et les règlements des syndicats professionnels devront être soumis à l'approbation du Gouvernement » ; que conformément aux dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées, l'article 7 confie au Gouvernement la seule mission de s'assurer du respect, par les statuts et règlements des syndicats professionnels, des conditions légales régissant leur création et leur fonctionnement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'Ordonnance n° 2.942 du 4 décembre 1944 portant règlement de la formation et du fonctionnement des syndicats : « En vue d'obtenir l'approbation des statuts et règlements prévue à l'article 7 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944, les fondateurs de tout syndicat devront déposer à la direction des services sociaux trois exemplaires desdits statuts et règlements. Il leur en sera délivré récépissé » ; que l'article 2 de la même Ordonnance dispose : « L'approbation est donnée par arrêté ministériel. (…) » ; qu'il résulte de ces dispositions que, dans le cadre de l'instruction de la demande présentée par un syndicat professionnel, il est toujours loisible à la Direction du Travail de faire part, dans les meilleurs délais, au syndicat, de l'illégalité dont lui paraissent être entachés les statuts déposés et de l'inviter à modifier en conséquence lesdits statuts ; que le syndicat est libre de maintenir sa demande en l'état et de former un recours devant le Tribunal Suprême contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Ministre d'État pendant un délai de quatre mois sur sa demande ou, le cas échéant, contre son refus exprès d'approuver les statuts ; que, si le syndicat décide de modifier ses statuts pour tenir compte de l'invitation de l'administration, cette dernière est réputée être saisie d'une demande portant sur les statuts ainsi modifiés ;

Considérant qu'il résulte des termes mêmes de la lettre attaquée que la Direction du Travail, dans le cadre de l'instruction de la demande, a estimé que l'article 2 des statuts déposés méconnaissait l'article 2 de l'Ordonnance-Loi du 6 octobre 1944 précitée et a invité les membres fondateurs du syndicat à modifier en conséquence lesdits statuts ; que cette lettre de la Direction du Travail ne présente pas le caractère d'une décision prise par le Ministre d'État sur le fondement de l'article 7 de l'Ordonnance du 4 décembre 1944 ; que, dès lors, l'invitation adressée au syndicat est, par elle-même, dépourvue de caractère contraignant ; qu'il suit de là que la lettre attaquée ne peut être regardée comme une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que la requête de l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et de Madame S.B-B est, par suite, irrecevable ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et de Madame S.B-B est rejetée.

Article 2 : La charge des dépens est partagée par moitié entre, d'une part, l'État et, d'autre part, l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et Mme S.B-B.

Article 3 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi jugé et délibéré par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de M. Didier LINOTTE, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, M. José SAVOYE, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Rapporteur, M. Didier RIBES, Membres titulaires, et Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Membre suppléant,

et prononcé le vingt-neuf mars deux mille dix-huit en présence du Ministère public, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.

Le Greffier en Chef, Le Président,

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2017-12
Date de la décision : 29/03/2018

Analyses

Social - Général  - Professions - général.

CompétenceContentieux administratif - Recours en annulation.


Parties
Demandeurs : UNION DES SYNDICATS DE MONACO et Mme s. BO-BO.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

article 7 de l'Ordonnance du 4 décembre 1944
article 2 de l'Ordonnance n° 2.942 du 4 décembre 1944
article 28 de la Constitution
arrêté ministériel du 10 mai 2017
Ordonnance n° 2.942 du 4 décembre 1944
loi n° 1.355 du 23 décembre 2008
article 7 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
Vu la Constitution
Ordonnance du 24 mai 2017
Ordonnance du 15 janvier 2018
article 1er de l'Ordonnance n° 2.942 du 4 décembre 1944
article 2 de l'Ordonnance-Loi du 6 octobre 1944
Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944
arrêté ministériel n° 2013-449 du 6 septembre 2013
article 2 de l'Ordonnance-Loi n° 399 du 6 octobre 1944


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2018-03-29;ts.2017.12 ?

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