Motifs
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu la requête, présentée par Monsieur E. K., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 30 septembre 2019 sous le numéro TS 2019-24, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 1er août 2019 du Ministre d'État rejetant sa demande d'abrogation la décision de refoulement prise à son encontre le 28 décembre 2000, d'autre part, à la condamnation de l'État à lui verser une somme de 50.000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi, enfin, à sa condamnation aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que Monsieur K. expose qu'il est promoteur immobilier, investisseur à l'international et sur la Côte d'azur ; qu'il a fait l'objet, par décision du 28 décembre 2000 du Ministre d'État, notifiée le 21 octobre 2008, d'une mesure de refoulement du territoire monégasque pour renseignements défavorables le concernant de nature à compromettre la tranquillité publique ou privée en Principauté ; que, par lettre du 20 juin 2017, il a demandé au Ministre d'État l'abrogation de cette mesure en faisant valoir qu'aucun motif objectif ne justifiait plus son maintien ; que le Ministre d'État a rejeté, par décision implicite née le 20 octobre 2017, cette demande ; que, par lettre du 20 décembre 2017, le requérant a formé un recours gracieux contre la décision implicite de rejet de sa demande de mainlevée de son refoulement et sollicité l'annulation de cette décision ; que le Ministre d'État a rejeté, par une décision implicite, cette nouvelle demande ; que, le 20 février 2018, M. K. a formé un recours devant le Tribunal Suprême tendant à l'annulation de la décision du Ministre d'État du 20 octobre 2017 et à la condamnation de l'État à titre de dommages et intérêts ; que, le même jour, il a demandé au Ministre d'État la communication des motifs de la décision implicite de rejet du 20 octobre 2017 ; que, le 18 février 2019, le Tribunal Suprême a annulé cette décision ; que, par une lettre du 24 avril 2019, le requérant a demandé au Ministre d'État de tirer toutes conséquences de droit de la décision rendue par le Tribunal Suprême et, ce faisant, de procéder à la main levée de la mesure de refoulement ; qu'il a renouvelé cette demande par lettre recommandée avec accusé de réception le 4 juin 2019 ; que, par une lettre du 1er août 2019, le Ministre d'État a estimé que la décision du Tribunal Suprême, en ne visant que la décision implicite de rejet née le 20 octobre 2017, ne remet pas en cause le fond de la mesure de refoulement prise en 2000 ; qu'il a ajouté qu'aucun élément ne démontrait ou n'établissait que le comportement qui avait, à cette date, justifié le refoulement aurait été, depuis cette date, modifié ; qu'en se fondant sur l'absence de nouveaux éléments pouvant justifier une appréciation différente de la situation à l'origine du refoulement de M. K., il a rejeté la demande de la main levée de cette mesure ; que le requérant estime ainsi que le Ministre d'État n'entend pas exécuter la décision du Tribunal Suprême en date du 18 février 2019 et maintient en conséquence la mesure d'éloignement du 28 décembre 2000 ;
Attendu que M. K. soutient, en premier lieu, que l'annulation de la décision implicite de rejet de la demande d'abrogation de la mesure d'éloignement décidée par le Tribunal Suprême le 18 février 2019 emporte nécessairement l'abrogation de la décision initiale ; que la décision du Tribunal Suprême est revêtue de l'autorité de chose jugée et a force exécutoire ; que M. K. a demandé que le Ministre d'État tire toutes conséquences de droit de la décision rendue et procède, par suite, à la main levée de la mesure de refoulement prise à son encontre le 28 décembre 2000 ; qu'il estime que l'annulation d'une décision de refus d'abrogation emporte nécessairement l'obligation d'abroger la décision initiale ; qu'une telle annulation emporte implicitement mais nécessairement la remise en cause du bien-fondé du maintien de la mesure d'éloignement et dès lors l'obligation pour l'autorité administrative d'abroger la mesure initiale du 28 décembre 2000 ; que la décision du 1er août 2019 ne comporte aucun élément nouveau ; qu'en tout état de cause, à supposer que cette décision constitue une nouvelle décision de refoulement, le Tribunal Suprême ne pourra que l'annuler pour excès de pouvoir ;
Attendu, en deuxième lieu, que, selon le requérant, la décision attaquée est fondée sur des motifs inexacts ; que la décision initiale du 28 décembre 2000 était fondée sur une motivation de pur style ; que la décision implicite du 20 octobre 2017 rejetant la demande d'abrogation a été annulée par le Tribunal Suprême au motif que l'État de Monaco s'était abstenu de faire droit à la demande de communication des motifs formulée par le requérant en application de l'article 4 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ; que la décision du 1er août 2019 n'est pas davantage motivée ; qu'ainsi, le requérant demeure ainsi dans l'ignorance des motifs qui fondent la décision du 1er août 2019 ;
Attendu, en troisième lieu, qu'il est soutenu par M. K. que le Ministre d'État a entaché sa décision d'une erreur de fait en fondant sur des renseignements inexacts ; qu'en effet, il n'a fait l'objet d'aucune poursuite, ni d'aucune condamnation judiciaire par une juridiction pénale monégasque ou étrangère ; qu'il n'a commis aucun acte répréhensible sur le territoire de la Principauté ; que si deux enquêtes avaient pu être diligentées à son encontre par le Procureur général de Genève, conduisant au blocage de comptes bancaires qu'il détenait en Suisse et à Monaco, une libération de ces comptes a été en définitive obtenue ; qu'il justifie d'éléments nouveaux justifiant l'abrogation de la mesure de refoulement et l'annulation de la décision de rejet de la demande d'abrogation ; qu'en effet, les deux procédures ont été classées sans suite par le Procureur général de Genève ; que, de plus, aucune condamnation n'a été prononcée à son encontre par les juridictions de l'État d'Israël ; qu'il peut circuler librement sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, de la Suisse et dans le reste du monde sans faire l'objet d'aucune mesure de restriction de circulation ou d'éloignement ; que ses activités de promoteur immobilier et d'investisseur en Israël et à l'international ne constituent en rien un trouble à l'ordre public ; qu'en conséquence, le refus d'abrogation de la mesure d'éloignement prononcée à Monaco est fondé sur des motifs inexacts ;
Attendu que M. K. estime, en quatrième lieu, que la décision attaquée a été prise en méconnaissance des articles 6 § 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la Cour européenne des droits de l'homme protège la présomption d'innocence, y compris lorsque les poursuites engagées ont été abandonnées en raison de l'expiration du délai légal de prescription ; que le principe de la présomption d'innocence ne s'applique pas seulement aux décisions constituant des jugements mais aussi à des procédures d'extinction de l'action publique ; que la présomption d'innocence trouve ainsi à s'appliquer à des décisions de non-lieu ou de classement, comme celle du Parquet général de Genève le concernant ; qu'ainsi, le principe de la présomption d'innocence interdit à l'administration monégasque d'invoquer des faits ayant fait l'objet d'un classement sans suite par le Parquet général de Genève ; que, par suite, la décision de refus d'abrogation fondée sur ces faits méconnaît l'article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, de même, le maintien de la mesure de refoulement porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant protégé par l'article 8 de la même convention ; que le maintien de la mesure d'éloignement ne répond à aucune des exigences énoncées au second paragraphe de l'article 8 ; que M. K. exerce l'activité de promoteur immobilier et d'investisseur à l'international et notamment sur la Côte d'Azur ; qu'il investit dans plusieurs opérations immobilières récentes sur la Côte d'Azur ; qu'il lui faudrait se rendre dans les locaux de deux sociétés monégasques avec lesquelles il est en relation professionnelle ; que, de manière générale, son activité professionnelle nécessiterait qu'il se présente et séjourne en Principauté pour y rencontrer investisseurs, partenaires et clients, ce qui lui est actuellement interdit ; qu'en l'état, M. K. ne peut pas ouvrir un compte bancaire en Principauté alors que l'autorisation d'ouverture de compte lui a été donnée par plusieurs établissements de la place ; qu'il n'est pas en mesure d'expliquer à ses partenaires professionnels et potentiels clients les raisons pour lesquelles il lui est interdit d'accepter des rendez-vous en Principauté ; qu'ainsi, il se voit contraint de renoncer à d'ambitieux projets professionnels ; qu'en outre, M. K. et son épouse ont de nombreux amis et connaissances en Principauté auxquels ils aimeraient rendre visite ; qu'ainsi, le maintien de la mesure de refoulement du territoire monégasque depuis près de dix-neuf ans constitue une incontestable entrave à son activité professionnelle et porte atteinte à son honneur et sa réputation ainsi qu'à sa vie privée et familiale ; que le maintien de la mesure de refoulement apparaît disproportionné au but recherché et est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que M. K. soutient, en cinquième lieu, que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'en effet, il ne saurait être donné à une mesure de refoulement un caractère définitif et immuable ; que les mesures de refoulement ne peuvent être maintenues que pour autant que le trouble ou les craintes d'atteinte à l'ordre public sont encore constitués ; qu'en l'espèce, en estimant que la présence de M. K. sur le territoire de la Principauté de Monaco constituerait encore une menace pour l'ordre public, le Ministre d'État a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
Attendu que, en dernier lieu et à titre subsidiaire, M. K. estime que la décision attaquée demeure insuffisamment motivée ; qu'en effet, une décision refusant d'abroger une mesure de refoulement du territoire monégasque doit en principe être motivée par application de l'article premier de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; que la mesure initiale de refoulement du 28 décembre 2000 avait été prononcée au motif de « renseignements défavorables de nature à compromettre la tranquillité publique ou privée en Principauté » ; qu'il s'agissait d'une motivation de pur style ; que, dans le cadre de la précédente procédure en annulation de la décision implicite de rejet du 20 octobre 2017, le Ministre d'État n'avait versé aux débats aucun élément ni aucun document de nature à corroborer la réalité, l'exactitude et la permanence de ces prétendus « renseignements défavorables » ; qu'il s'est également abstenu de répondre à la demande de communication des motifs qui lui a été présentée par le requérant ; que la décision implicite de rejet du 20 octobre 2017 a été annulée par le Tribunal Suprême pour défaut de motivation en application des dispositions de l'article 4 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ; que la décision du 1er août 2019 dont l'annulation est demandée demeure insuffisamment motivée dès lors que le Ministre d'État se contente de faire état de l'absence de « nouveaux éléments pouvant justifier une appréciation différente de la situation à l'origine du refoulement de Monsieur E. K. » ; qu'il n'apporte aucun élément sur la situation à l'origine du refoulement et sur les motifs et circonstances de fait ayant motivé la décision d'éloignement et le refus de l'abroger ; qu'il ne précise ni la nature, ni la date des faits reprochés au requérant, ni n'explicite en quoi les renseignements recueillis seraient de nature à causer un trouble à l'ordre public ou faire craindre une menace pour la tranquillité de la Principauté ; qu'il ne s'explique pas davantage sur les motifs pour lesquels une menace à l'ordre public perdurerait alors que le requérant fait toujours aujourd'hui l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire de la Principauté depuis près de dix-neuf ans ; que le contenu de l'enquête administrative sur laquelle se fonderait la décision du Ministre d'État n'a pas été communiquée au requérant ; qu'il en résulte que l'obligation de motivation énoncée par la loi du 29 juin 2006 n'est pas respectée ; que le Tribunal Suprême pourra, au besoin, ordonner la production aux débats des résultats de cette enquête afin qu'il soit en mesure de contrôler l'exactitude et la légalité des motifs de la décision attaquée ;
Attendu que M. K. demande qu'en réparation des préjudices subis, il lui soit versé des dommages et intérêts qui résultent de l'annulation de la décision qu'il attaque ; qu'il est fondé à solliciter la légitime réparation du préjudice moral que lui a causé le double refus du Ministre d'État d'abroger la mesure de refoulement prononcée à son encontre et d'exécuter la décision rendue par le Tribunal Suprême ; qu'en effet, le maintien de cette mesure a nui à son activité professionnelle et porté atteinte à son honneur et sa réputation ainsi qu'à sa vie privée et familiale ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices résultant pour lui de la décision annulée en condamnant l'État à lui verser la somme de 50.000 euros ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 29 novembre 2019, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en premier lieu, que le moyen d'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté ; qu'en effet, selon la jurisprudence du Tribunal Suprême, il appartient à la personne refoulée qui sollicite l'abrogation de son refoulement d'établir, de façon précise et en produisant des justificatifs convaincants, que son comportement s'est amendé et que son retour sur le territoire monégasque ne constituerait plus une menace pour l'ordre et la tranquillité publique ou privée en Principauté ; que c'est au demandeur à l'abrogation qu'il incombe de démontrer l'existence d'éléments nouveaux, postérieurs au dernier refus, et susceptibles de justifier une appréciation différente de la situation ayant motivé le refoulement ; que, lorsque le demandeur à l'abrogation ne produit pas des éléments nouveaux de nature à modifier l'appréciation antérieurement portée par l'administration, celle-ci peut se borner à relever, comme tel a été le cas en l'espèce, que le nouvel examen de la demande ne l'a pas conduit à modifier sa position ; que, selon la jurisprudence constante du Tribunal Suprême, l'administration n'est pas tenue de justifier pour quel motif elle considère que les arguments du demandeur ne sont pas convaincants ou que les justificatifs produits sont insuffisants ; qu'en l'espèce, la décision attaquée rejette la demande d'abrogation en raison de l'absence de nouveaux éléments pouvant justifier une appréciation différente de la situation à l'origine de la décision initiale de refoulement ; que, par conséquent, aucune insuffisance de motivation ne peut être reprochée à la décision attaquée ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, que l'autorité administrative n'est pas tenue d'abroger une mesure de refoulement à la suite de l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir d'une décision antérieure refusant d'abroger cette mesure ; qu'elle n'y est tenue que si le motif de cette annulation est un motif de fond, le juge ayant considéré que le maintien de la mesure de refoulement n'était plus justifié parce que la présence de l'intéressé sur le territoire de la Principauté ne constituait plus une menace pour l'ordre public ; que, lorsque le motif de l'annulation de la décision refusant d'abroger la mesure de refoulement est un motif de pure forme, tenant par exemple à un défaut de motivation de la décision de refus, le juge ne s'est pas prononcé sur le bien-fondé du refus d'abrogation et l'autorité administrative n'est pas tenue de procéder à l'abrogation de la mesure de refoulement ; qu'il n'y a, dans ce cas, ni inexécution de la décision juridictionnelle d'annulation, ni méconnaissance de l'autorité de chose jugée ; qu'au demeurant, il ne s'agit nullement en l'espèce de reconnaître au Ministre d'État la possibilité de maintenir une décision « anéantie » par une décision de justice ; que la décision attaquée ne résulte pas d'une inexécution de la décision du 18 février 2019 du Tribunal Suprême et n'est donc pas intervenue en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée ;
Attendu que le Ministre d'État estime, en troisième lieu, que la décision attaquée est bien fondée ; que c'est de manière inopérante que le requérant affirme, sans le démontrer, que les motifs qui justifiaient la mesure de refoulement intervenue à la fin de l'année 2000, pris de renseignements défavorables le concernant, auraient été inexacts ; que la mesure de refoulement n'ayant pas été déférée par le requérant à la censure du Tribunal Suprême, ces motifs ne peuvent plus être remis en cause, fût-ce à l'occasion d'une requête dirigée contre un refus opposé à une demande d'abrogation ; qu'en présence d'une décision portant refus d'abrogation d'une mesure de refoulement, c'est au demandeur à l'abrogation, et non à l'autorité administrative, d'apporter des éléments nouveaux susceptibles de justifier une appréciation différente de la situation ayant motivé le refoulement ; que les éléments nouveaux invoqués par le requérant ne suffisent pas à établir l'illégalité du refus d'abrogation du refoulement litigieux ; que le classement par le Procureur Général de Genève de deux affaires pénales dans lesquelles le requérant était impliqué est intervenu en 1999 et 2003 ; que l'intéressé en a été informé dès 2004, soit antérieurement à la notification, le 21 octobre 2008, de la mesure de refoulement, sans qu'il ait contesté cette mesure ; que ni le classement des deux affaires pénales, ni l'attestation de son avocat selon laquelle il ne ferait pas l'objet d'autres procédures en Suisse, n'ont la portée que leur prête le requérant pour exiger l'abrogation de la mesure de refoulement et invoquer l'illégalité du refus opposé à cette abrogation ; qu'il en va de même de l'absence de condamnation par une juridiction pénale ou de l'insertion professionnelle et sociale qu'il invoque désormais, éléments qui, à eux seuls, ne permettent pas de considérer que la mesure de refoulement antérieure aurait perdu toute justification ;
Attendu, en quatrième lieu, selon le Ministre d'État, qu'est inopérant le moyen tiré de la méconnaissance par la décision attaquée des stipulations de l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, garantissant le principe de la présomption d'innocence ; qu'il est jugé de façon constante par le Tribunal Suprême que le principe de la présomption d'innocence ne s'applique pas aux décisions administratives ; qu'en conséquence, le moyen tiré de la violation de l'article 6 § 2 est inopérant à l'encontre de mesures de police administrative relatives aux étrangers ;
Attendu que le Ministre d'État considère, en cinquième lieu, que le moyen tiré de l'atteinte à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas fondé ; que le requérant ne conteste pas que le maintien de la mesure de refoulement prise à son encontre se rattache bien à une « ingérence de l'autorité publique » prévue par la loi, en cas notamment d'atteinte à la sûreté publique telle que la prévoit le paragraphe 2 de l'article 8 ; que le requérant fait seulement valoir que le maintien de la mesure de refoulement porterait à sa vie privée une atteinte disproportionnée ; que le Ministre d'État soutient que cette disproportion n'existe pas dès lors que le requérant, qui réside en Israël, n'a aucune attache familiale à Monaco et que le refoulement dont il fait l'objet n'est une entrave ni à son activité professionnelle qu'il n'exerce qu'en partie sur la Côte d'Azur, ni à la possibilité de rencontrer ses amis et connaissances monégasques, lesquels peuvent, au demeurant, se déplacer dans les communes françaises limitrophes ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir en dernier lieu, que le moyen d'erreur manifeste d'appréciation n'est pas fondé ; qu'en effet, les diverses pièces versées aux débats ne suffisent pas à établir la réalité du changement de comportement de M. K. ; que ni le classement des poursuites diligentées à son encontre, ni l'attestation de son avocat selon laquelle il ne ferait pas l'objet d'autres procédures en Suisse, n'ont de portée significative qu'il en va de même de l'absence de condamnation par une juridiction pénale ou de l'insertion professionnelle et sociale dont il se prévaut, lesquelles ne contredisent pas les renseignements défavorables recueillis sur l'intéressé ; qu'ainsi, aucune erreur manifeste d'appréciation n'entache la décision attaquée pour en avoir décidé ainsi ;
Attendu que le Ministre d'État conclut au rejet des conclusions indemnitaires présentées par M. K., tout d'abord par voie de conséquence du rejet des conclusions aux fins d'annulation de la décision du 20 octobre 2017, le Tribunal Suprême n'étant compétent, aux termes du 1° du B de l'article 90 de la Constitution, que pour octroyer les indemnités « qui résultent d'une annulation pour excès de pouvoir » ; que ces demandes indemnitaires seront rejetées, en tout état de cause, faute pour les préjudices invoqués d'être établis tant dans leur principe que dans leur quantum ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 18 décembre 2019, par laquelle M. K. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu qu'il ajoute, concernant le moyen d'insuffisance de motivation, que la motivation de la décision attaquée ne le satisferait que s'il avait par ailleurs connaissance des motifs ayant présidé à la solution initiale, ce qui n'est pas le cas ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 17 janvier 2020, par laquelle le Ministre d'État conclut eu rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute, tout d'abord, qu'à l'époque où il est intervenu, son refoulement n'était pas assujetti à l'obligation de motivation et qu'il ne l'a pas contesté devant le Tribunal Suprême, admettant ainsi son bien-fondé ; que, dès lors que la décision attaquée retient, conformément aux exigences de la jurisprudence, que la demande d'abrogation ne comporte pas d'éléments nouveaux de nature à modifier l'appréciation de l'administration, elle est suffisamment motivée ;
Attendu qu'en ce qui concerne le respect des conséquences de l'annulation par le Tribunal Suprême de la précédente décision du 19 octobre 2017, le Ministre d'État rappelle, ensuite, que le principe est constant, selon lequel, à la suite de l'annulation d'une décision refusant d'abroger une mesure de refoulement, l'autorité administrative peut reprendre une décision de refus d'abrogation lorsque l'annulation a été prononcée pour un motif de forme ; qu'en pareil cas, la mesure de refoulement, qui n'a pas été annulée par le juge de l'excès de pouvoir, demeure et la « nouvelle décision » que l'autorité administrative peut légalement prendre est une nouvelle décision de refus d'abrogation et non, comme l'affirme de façon erronée le requérant, une nouvelle mesure de refoulement ; qu'en l'occurrence, l'annulation de la décision de refus d'abrogation du 19 octobre 2017 n'a pas affecté la mesure de refoulement du 28 décembre 2000 et, prononcée pour un motif de forme, elle permettait légalement à l'autorité administrative d'opposer un nouveau refus à la nouvelle demande d'abrogation dont elle était saisie par le requérant ; que la décision attaquée n'a donc pas été prise en méconnaissance de la décision du 18 février 2019 du Tribunal Suprême ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, enfin, que le moyen tiré de l'inexactitude des motifs de la décision attaquée doit être rejetée ; qu'en effet, le requérant n'est pas en mesure de préciser sur quel fondement juridique pourraient être remis en cause les motifs de la décision initiale de refoulement à l'occasion d'un recours en annulation dirigé contre une décision refusant d'abroger ce refoulement, alors que ce dernier est devenu définitif faute d'avoir été contesté ; que la remise en cause des fondements d'une décision définitive est juridiquement impossible ; que l'absence de contestation de la décision initiale de refoulement traduit un acquiescement à ce refoulement prononcé à raison du risque que la présence de l'intéressé comportait pour la tranquillité publique ; que le requérant ne saurait se retrancher derrière une prétendue méconnaissance des faits qui lui sont reprochés pour dissimuler sa carence à produire des éléments de nature à établir que le refus d'abrogation ne serait pas fondée ; qu'il n'est pas en mesure de contester que, comme l'a établi la contre-requête, ni le classement par le Procureur Général de Genève des deux affaires dans lesquelles il était impliqué, ni l'attestation de son avocat ou l'absence de condamnation par une juridiction pénale, ne permettent de considérer que la mesure initiale de refoulement serait aujourd'hui dépourvue de justification ;
SUR CE,
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution, notamment le B de son article 90 ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 6 § 2 et 8 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l`organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;
Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; Vu la décision du Tribunal Suprême n° 2018-07 du 18 février 2019 ;
Vu l'Ordonnance du 2 octobre 2019 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Guillaume DRAGO, Membre suppléant, comme rapporteur ;
Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 28 janvier 2020 ;
Vu l'Ordonnance du 17 février 2021 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 22 mars 2021 ;
Ouï Monsieur Guillaume DRAGO, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ; Ouï Maître Jean-Charles S. GARDETTO, Avocat-Défenseur, pour Monsieur K. ;
Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Madame le Procureur Général en ses conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée ; La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'une décision de refoulement a été prise par le Ministre d'État à l'encontre de Monsieur E. K. le 28 décembre 2000 au motif de « renseignements défavorables de nature à compromettre la tranquillité publique ou privée en Principauté » ; que cette décision lui a été notifiée le 21 octobre 2008 ; que, par une décision implicite, le Ministre d'État a rejeté la demande présentée par le requérant le 20 juin 2017 et tendant à l'abrogation de la décision de refoulement prise à son encontre ; qu'il a implicitement rejeté le recours gracieux formé par M. K. ; que, par une décision du 18 février 2019, le Tribunal Suprême a annulé pour défaut de motivation la décision rejetant la demande d'abrogation de la décision de refoulement ; qu'à la suite de cette décision, M. K. a demandé au Ministre d'État d'abroger la mesure de refoulement ; que, par une décision du 1er août 2019, le Ministre d'État a rejeté à nouveau sa demande d'abrogation ; que M. K. demande au Tribunal Suprême, d'une part, d'annuler la décision du 1er août 2019 du Ministre d'État et, d'autre part, de l'indemniser du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de l'illégalité de cette décision ;
Sur les conclusions à fin d'annulation
2. Considérant que, l'objet des mesures de police administrative étant de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public, il suffit que les faits retenus révèlent des risques suffisamment caractérisés de trouble à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée pour être de nature à justifier de telles mesures ;
3. Considérant que, par décision du 28 décembre 2000, le Ministre d'État a prononcé le refoulement de M. K. au motif de « renseignements défavorables de nature à compromettre la tranquillité publique ou privée en Principauté » ; que M. K. soutient sans être contredit qu'il n'a, depuis lors, commis aucune infraction et n'est soumis dans d'autres pays à aucune mesure administrative de restriction de circulation ou d'éloignement ; que les éléments dont il fait état concernant sa situation personnelle et professionnelle attestent de sa pleine insertion sociale au cours des dix-neuf années écoulées depuis la décision de refoulement prononcée à son encontre ; que le Ministre d'État ne fait, par ailleurs, état d'aucune circonstance révélant un comportement préjudiciable à la sécurité publique ; que, dans ces conditions et eu égard à l'ancienneté des faits ayant justifié la mesure de refoulement, ceux-ci ne permettent plus de révéler, à la date de la décision attaquée, un risque suffisamment caractérisé de trouble à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée de nature à justifier le maintien de la mesure de refoulement ; que, dès lors, en refusant d'abroger la mesure de refoulement prise à l'encontre de M. K., le Ministre d'État a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. K. est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation
5. Considérant que M. K. n'apporte aucune justification des préjudices qu'il invoque ; que ses conclusions indemnitaires ne peuvent dès lors qu'être rejetées ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
La décision du er août 2019 du Ministre d'État est annulée.
Article 2
Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3
Les dépens sont mis à la charge de l'État.
Article 4
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
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