Motifs
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu 1°, la requête, présentée par Monsieur J. J., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 25 mars 2020 sous le numéro TS 2020-11, tendant, en premier lieu, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 28 octobre 2019 du chef de service du Département des Affaires Sociales et de la Santé fermant les droits au versement des allocations pour charges de famille au titre de ses beaux-fils et de la décision du 5 février 2020 rejetant son recours hiérarchique formé contre cette décision, en deuxième lieu, à ce que soient ordonnés le réexamen de la situation et le versement des allocations retirées depuis le mois d'octobre 2019, en troisième lieu, à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts et, en dernier lieu, à sa condamnation aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que M. J. J. expose, à l'appui de sa requête, qu'agent de police en fonction à la Direction de la Sûreté publique, il a perçu, jusqu'en octobre 2019, des allocations familiales pour trois enfants, l'enfant né de son union avec son épouse et ses deux beaux-fils, nés de précédentes unions de celle-ci ; que par courrier du 28 octobre 2019, le chef de service du Département des Affaires sociales et de la Santé lui a notifié qu'en application du premier alinéa de l'article 6 de l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018 relative à l'octroi des allocations pour charges de famille aux fonctionnaires et agents de l'État et de la Commune, il n'a plus la qualité de chef de foyer à l'égard des enfants de son épouse et qu'en conséquence, les droits les concernant ont été fermés au 31 septembre 2019, seules les allocations familiales pour l'enfant du couple étant maintenues ; que le recours hiérarchique qu'il a formé a été rejeté par le Conseiller du Gouvernement - Ministre des affaires sociales pour les mêmes motifs ;
Attendu que M. J. soutient, tout d'abord, que les décisions qu'il attaque méconnaissent les dispositions de l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018 ; que si elles sont fondées sur le premier alinéa de l'article 6 de cette Ordonnance, elles ne tiennent compte ni des réserves, auxquelles cet article renvoie et qui sont énoncées aux articles 7 à 12, sur la notion de chef de famille, ni du cinquième alinéa de l'article 15 qui prévoit le versement des prestations familiales à toute personne qui, comme lui, a des enfants à charge, ni de l'article 13 qui permet le maintien des droits pour l'allocataire dont l'enfant à charge ne vit pas sous le même toit mais qui cependant en assume les dépenses nécessaires ;
Attendu que le requérant fait ensuite valoir que les décisions attaquées méconnaissent l'article 22 de la Constitution et les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elles emportent une violation de sa vie privée et familiale, une rupture d'égalité entre son enfant et ses beaux-enfants et une discrimination fondée sur la filiation ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 17 juin 2020, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État précise que l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018 a redéfini, au premier alinéa de son article 6, la notion de chef de foyer en énonçant que, sous réserve des dispositions prévues aux articles 7 à 12, seul le père ou la mère de l'enfant dont la filiation a été légalement établie peut être considéré comme chef de foyer ; que le statut de chef de foyer a ainsi été modifié afin d'assurer l'égalité entre femmes et hommes fonctionnaires, agents de l'État et de la Commune et permettre aux femmes de ne plus perdre la qualité de chef de foyer pour leurs enfants nés de précédentes unions quand elles se remarient, en conservant ce statut qui était précédemment attribué à leur nouveau conjoint, les dispositions des articles 7 à 12 ne concernant que des situations particulières telles que l'adoption ou les cas de maintien ou de perte de la qualité de chef de foyer ;
Attendu que le Ministre d'État soutient qu'il a été fait une exacte application de l'Ordonnance souveraine du 10 octobre 2018, la situation de M. J. ne relevant d'aucune disposition des articles 7 à 12 dont il souligne que le requérant se borne à alléguer qu'elles auraient été méconnues ; que n'a pas été non plus méconnu l'article 15 de la même Ordonnance qui ne peut permettre de contourner les conditions cumulatives d'octroi des prestations pour charges de famille fixées par l'article 5 de l'Ordonnance ; qu'ainsi, seuls peuvent être allocataires de ces prestations les fonctionnaires et agents de l'État ou de la Commune ayant à charge un ou plusieurs enfants qui remplissent cinq conditions cumulatives dont celles d'avoir sa résidence principale à Monaco ou en France, d'être en position d'activité ou de détachement avec un temps minimal d'activité, d'avoir, conformément aux articles 6 à 12, la qualité de chef de foyer, de satisfaire aux conditions propres à chacune des prestations et celle que nulle personne, y compris l'intéressé, ne bénéficie pour ces enfants, en application d'un autre régime monégasque ou étranger, de prestations familiales ou similaires ; que, par ailleurs, le cinquième alinéa de l'article 15 n'a qu'un effet correctif lorsque le versement des prestations familiales à l'attributaire risque de priver l'enfant de leur bénéfice et n'a pas vocation à rendre attributaire, sans respect des conditions cumulatives énoncées par l'article 5, toute personne ayant des enfants à charge ; que la circonstance que les beaux-fils de M. J. soient à sa charge est indifférente s'agissant d'une condition nécessaire mais non suffisante ;
Attendu que le Ministre d'État observe ensuite que l'application de l'Ordonnance souveraine du 10 octobre 2018 ne méconnaît ni le droit à la vie privée et familiale, ni l'interdiction des discriminations ; que le Tribunal Suprême, comme le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État et la Cour de cassation du pays voisin, juge que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il soit dérogé à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit ; qu'en l'espèce, l'enfant du couple J. n'est pas, au regard des règles fixées pour l'octroi d'allocations pour charges de famille aux fonctionnaires et agents de l'État ou de la Commune, dans la même situation que les enfants issus de précédentes unions de l'épouse ; qu'en précisant désormais, pour les fonctionnaires et agents de l'État ou de la Commune, que seul le père ou la mère de l'enfant dont la filiation a été légalement établie peut être considéré comme chef de foyer, le Gouvernement Princier a entendu instaurer, au sein du couple recomposé, le libre choix de l'ouvreur de droits pour les enfants communs et permettre que chacun des parents puisse ouvrir des droits pour ses enfants issus de précédentes unions à condition qu'ils vivent sous le même toit ; que ce nouveau statut de chef de foyer répond à un objectif d'intérêt général, lequel justifie l'existence de régimes différenciés au sein de certaines familles recomposées, la différence de traitement qui en résulte ne présentant pas de caractère disproportionné ; que, de plus, l'Administration a maintenu les droits des beaux-enfants de M. J. sur fonds social pour permettre à leur mère, compte tenu de son absence d'activité et de sa résidence en France, d'y effectuer les démarches nécessaires ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 17 juillet 2020, par laquelle M. J. tend aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Attendu que le requérant ajoute, sur la méconnaissance de l'Ordonnance souveraine du 10 octobre 2018, que l'État reconnaît qu'avoir des beaux-enfants à sa charge est une condition nécessaire mais estime que c'est sans fondement qu'il est affirmé qu'elle n'est pas suffisante ; qu'il n'a jamais été entendu par le service compétent, en méconnaissance du cinquième alinéa de l'article 15 de l'Ordonnance souveraine du 10 octobre 2018 ; que la notion d'enfant à charge dans l'Ordonnance souveraine du 10 octobre 2018 diffère de celle utilisée dans l'Ordonnance souveraine du 12 mars 2020 relative à l'octroi de prestations médicales aux fonctionnaires et agents de l'État et de la Commune ;
Attendu que M. J. fait valoir, en outre, sur la rupture d'égalité, que la différence de traitement entre son enfant et ses beaux-enfants n'est pas en rapport avec l'objet de l'Ordonnance souveraine qui est relatif à « l'octroi » de prestations et non à leur « retrait » et qu'il s'agit d'un recul législatif ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 11 août 2020, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu qu'il ajoute que la référence à l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020 est inopérante ; que le requérant n'avait pas de droit au maintien de l'ancienne réglementation ; qu' il n'y a pas discrimination car c'est un but d'intérêt général qui a conduit à mettre fin à la prise en charge par les régimes sociaux monégasques de prestations qui doivent être assurées par les régimes sociaux étrangers ;
Vu 2°, la requête présentée par Monsieur J. J., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 16 décembre 2020 sous le numéro TS 2021-09, tendant, en premier lieu, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 17 juin 2020 du chef de service du Département des Affaires sociales et de la Santé refusant la reconduction de ses droits en qualité de chef de foyer de ses beaux-enfants concernant la prise en charge des prestations médicales et de la décision de rejet implicite de son recours hiérarchique du 17 août 2020, en deuxième lieu, à ce que soient ordonnés le réexamen de la situation et le versement des prestations médicales retirées, en troisième lieu, à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêt et, en dernier lieu, à sa condamnation aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que M. J. expose, à l'appui de sa requête, qu'il a sollicité, après l'entrée en vigueur de l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020 relative à l'octroi des prestations médicales aux fonctionnaires et agents de l'État et de la Commune, le bénéfice de ces prestations pour deux enfants issus de précédentes unions de son épouse présents à son foyer et à sa charge ; qu'un refus lui a été opposé le 17 juin 2020 au motif que si l'Ordonnance souveraine du 12 mars 2020 comporte une disposition particulière au 3° de son article 3 au sujet de la prise en charge des enfants du conjoint, ce dispositif dérogatoire n'est pas applicable lorsqu'un droit primaire subsiste auprès d'un autre organisme lié soit à l'activité professionnelle soit au lieu de résidence du parent concerné ; que tel est le cas de son épouse qui, par leur résidence en France, y ouvre un droit direct pour ses enfants et elle-même à une prise en charge au titre de la protection universelle maladie ; que son recours hiérarchique formé le 17 aout 2020 est resté sans réponse ;
Attendu que M. J. soutient, en premier lieu, que ce refus d'octroi de prestations médicales est contraire à l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020 dont les articles 3, 4 et 5 reconnaissent la qualité d'ayant droit de l'assuré à son conjoint et aux enfants à charge de celui-ci ayant leur résidence habituelle à son foyer ; que tel est le cas des enfants de son épouse à sa charge et à son foyer, celle-ci ne travaillant pas ; que la résidence en France de son épouse ne peut leur être opposée ;
Attendu que le requérant fait ensuite valoir que les décisions attaquées méconnaissent l'article 22 de la Constitution et les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elles emportent une violation de sa vie privée et familiale, une rupture d'égalité entre son enfant et ses beaux-enfants et une discrimination fondée sur la filiation ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 18 février 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État précise qu'il a expressément rejeté le recours hiérarchique formé par M. J. par décision du 14 décembre 2020 ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en premier lieu, qu'a été fait une exacte application du 3° de l'article 3 de l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020 ; qu'en effet, en vertu des 1° et 5° de l'article 1er de cette Ordonnance, la qualité d'assuré relevant du service des prestations médicales est reconnue aux fonctionnaires et agents de l'État actifs et à leurs ayants droit ; que le 3° de l'article 3 précise cette notion d'ayants droit de l'assuré en prévoyant que sont reconnus comme tels, à titre subsidiaire, les enfants du conjoint lorsque celui-ci n'ouvre droit à aucun autre régime d'assurance maladie du chef de son activité ou de sa résidence dans les conditions fixées par l'article 5 ; que ce régime dérogatoire et subsidiaire n'est donc pas applicable lorsque le conjoint de l'affilié est éligible à un autre régime d'assurance maladie à l'étranger de par sa résidence ; que c'est bien le cas de Mme J. dont la résidence en France lui ouvre un droit direct pour ses enfants et elle-même à une prise en charge au titre de la protection universelle maladie en application des articles L. 160-1 et suivants du Code de la sécurité sociale français ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en second lieu, que l'application de l'Ordonnance souveraine du 12 mars 2020 ne méconnait ni le droit à la vie privée et familiale, ni l'interdiction de discrimination ; qu'il est constant, comme le jugent le Tribunal Suprême et les hautes juridictions du pays voisin, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il soit dérogé à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit ; qu'en l'espèce, l'enfant du couple n'est pas, au regard des règles fixées pour l'octroi des prestations médicales aux fonctionnaires et agents de l'État et de la Commune, dans la même situation que les enfants nés de précédentes unions de l'épouse ;
Attendu que, selon le Ministre d'État, aucune méconnaissance des principes constitutionnels et conventionnels invoqués n'est caractérisée car c'est dans un but d'intérêt général qu'il a été mis fin à la prise en charge par les régimes sociaux monégasques de prestations relevant de régimes sociaux étrangers ; que la différence de traitement qui en résulte, en lien avec l'objet de l'Ordonnance souveraine qui l'établit, n'est pas disproportionnée ; qu'il appartient seulement à l'épouse, au regard de son lieu de résidence, d'effectuer les démarches nécessaires auprès des services compétents en France ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 18 mars 2021, par laquelle M. J. tend aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Attendu qu'il ajoute, sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020, que les enfants de son épouse sont à sa charge, le père de l'un étant absent, le père de l'autre ne versant rien pour son entretien ; qu'ils sont recueillis de façon permanente et durable à son foyer ; que, pour que les enfants soient pris en charge par le régime français, il faudrait que leur mère s'y affilie aussi ; que deux des enfants à son foyer sont ainsi sans couverture médicale, un imbroglio administratif les empêchant d'être affiliés auprès de la caisse primaire d'assurance maladie qui les considère toujours sous régime monégasque ; que cette situation est d'autant plus anormale qu'une dérogation a été accordée à un autre agent dans la même situation, mais qui réside en Principauté ;
Attendu qu'il fait valoir, en outre, que la différence de traitement entre son fils et ses beaux-enfants n'est pas en rapport avec l'objet de l'Ordonnance souveraine qui est relatif à « l'octroi » des prestations médicales et non à leur « retrait » ; qu'il s'agit d'un recul législatif comme le retrait des allocations familiales qui fait l'objet d'un recours parallèle ; qu'il s'agit d'une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale et d'une discrimination entre enfants d'une famille recomposée en créant une rupture d'égalité entre eux de par leur filiation ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 12 avril 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute que la situation d'un autre agent invoquée par le requérant n'est pas identique à la sienne, les droits de l'assuré ayant été maintenus par application des dispositions subsidiaires de l'Ordonnance souveraine pour un foyer résidant en Principauté et non en France ;
Attendu que, selon le Ministre d'État, la circonstance que les enfants soient accueillis au foyer de M. J. ne permet pas de leur conférer la qualité d'ayant droit dès lors que leur mère est éligible à une protection médicale française ; que l'Administration a d'ailleurs pris soin de maintenir les droits des deux enfants jusqu'au 31 décembre 2019 pour lui permettre d'effectuer les démarches nécessaires auprès des organismes français ; que l'absence de couverture médicale des enfants est imputable à leur mère qui ne justifie pas de l'inexistence d'un droit pour elle-même et ses enfants à être affiliés à la caisse primaire d'assurance maladie de son lieu de résidence ;
Attendu que le Ministre d'État précise enfin qu'il n'y a pas de discrimination car c'est dans un but d'intérêt général que le Gouvernement Princier a mis fin à la prise en charge par les régimes sociaux monégasques des prestations qui doivent normalement être assurées par les régimes sociaux étrangers ;
SUR CE,
Vu les décisions attaquées ;
Vu les pièces produites et jointes aux dossiers ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 22 et 90 ;
Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'Ordonnance souveraine n° 8.019 du 26 mars 2020 portant suspension des délais de recours et de procédure par-devant le Tribunal Suprême pour faire face aux conséquences des mesures prises pour lutter contre la pandémie de virus COVID-19 ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 8 et 14 ;
Vu la loi n° 486 du 17 juillet 1948 relative à l'octroi des allocations pour charges de famille, des prestations médicales, chirurgicales et pharmaceutiques aux fonctionnaires de l'État et de la commune ;
Vu l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018 relative à l'octroi des allocations pour charges de famille aux fonctionnaires et agents de l'État et de la Commune ;
Vu l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020 relative à l'octroi des prestations médicales aux fonctionnaires et agents de l'État et de la Commune ;
Vu les Ordonnances des 26 mars et 18 décembre 2020 par lesquelles le Président du Tribunal Suprême a désigné Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Membre suppléant, comme rapporteur ;
Vu les procès-verbaux de clôture de Madame le Greffier en chef en date des 31 août 2020 et 19 avril 2021 ;
Vu l'Ordonnance du 20 avril 2021 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé les causes à l'audience de ce Tribunal du 28 mai 2021 ;
Ouï Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître Aurélie SOUSTELLE, Avocat au Barreau de Nice, pour Monsieur J.;
Ouï Maître François MOLINIE, Président de l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Madame le Procureur Général en ses conclusions par lesquelles elle s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ
1. Considérant que l'article 2 de la loi du 17 juillet 1948 relative à l'octroi des allocations pour charges de famille, des prestations médicales, chirurgicales et pharmaceutiques aux fonctionnaires de l'État et de la commune dispose que « les allocations et prestations sont dues (...) selon les modalités qui seront déterminées par Ordonnances souveraines prises après avis de la Commission de la Fonction publique, le Conseil d'État entendu » ; que ces modalités ont été précisées par l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018 relative à l'octroi des allocations pour charges de famille aux fonctionnaires et agents de l'État et de la Commune et par l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020 relative à l'octroi des prestations médicales aux fonctionnaires et agents de l'État et de la Commune ;
1. Considérant que, par des décisions du 28 octobre 2019 et 17 juin 2020, prises respectivement sur le fondement de l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018 et de l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020, le chef de service du Département des Affaires sociales et de la Santé a, d'une part, fermé les droits de Monsieur J. J. au versement des allocations pour charges de famille au titre de ses beaux-fils et, d'autre part, refusé la prise en charge de leurs prestations médicales ; que les recours hiérarchiques formés contre ces décisions ont été rejetés ; que, par deux requêtes, M. J. demande au Tribunal Suprême, d'une part, d'annuler ces décisions et les décisions rejetant les recours hiérarchiques qu'il a formés, d'autre part, d'ordonner à l'Administration de réexaminer la situation et de verser les allocations et les prestations médicales retirées, enfin, de condamner l'État à lui verser une somme globale de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
1. Considérant que ces requêtes présentent à juger des questions connexes ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par une même décision ;
Sur les conclusions à fin d'annulation
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018
1. Considérant qu'en vertu de l'article 5 de l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018, « tout fonctionnaire et agent de l'État et de la Commune, ayant à sa charge un ou plusieurs enfants, a droit pour ces enfants aux prestations familiales, dans les conditions cumulatives : / (...) 3°) l'intéressé a, conformément aux articles 6 à 12, la qualité de chef de foyer ; / (...) / 5°) nulle personne, y compris l'intéressé, ne bénéficie, pour ces enfants, en application d'un autre régime monégasque ou d'un régime étranger, de prestations familiales ou de prestations similaires. / (...) » ; que les premier et troisième alinéas de l'article 6 de la même Ordonnance précisent que « sous réserve des dispositions prévues par les articles 7 à 12, seul le père ou la mère de l'enfant, dont la filiation a été légalement établie, peut être considéré comme chef de foyer » et qu'« en cas de séparation des père et mère, le chef de foyer est celui d'entre eux chez lequel la résidence habituelle de l'enfant a été fixée. Cependant, lorsque le parent ainsi désigné n'exerce aucune activité professionnelle, n'ouvre droit à aucun régime de prestations familiales et n'assume pas la charge effective du foyer, le chef de foyer est, pour une période ne pouvant excéder une année à compter du jour de la séparation, l'autre parent » ;
1. Considérant qu'en application de ces dispositions, M. J., qui réside en France avec son épouse, leur enfant et deux enfants issus de précédentes unions de son épouse, bénéficie en tant qu'agent de police en fonction à la Direction de la Sûreté publique d'allocations pour charges de famille et de prestations médicales pour l'enfant issu de leur union ;
1. Considérant, en premier lieu, que si M. J. critique le refus qui lui a été opposé de lui octroyer des allocations pour charges de famille pour les enfants nés de précédentes unions de son épouse, il se borne à alléguer, sans l'établir, que les refus qui lui ont été opposés méconnaîtraient les dispositions des articles 7 à 12 de l'Ordonnance souveraine du 10 octobre 2018 ;
1. Considérant, en deuxième lieu, que le cinquième alinéa de l'article 15 de la même Ordonnance souveraine prévoit que « lorsque le versement des prestations familiales à l'attributaire risque de priver l'enfant de leur bénéfice, le Service compétent peut, après avoir entendu ledit attributaire en ses explications ou dûment appelé à les fournir, les verser à toute autre personne ayant également à sa charge l'enfant » ; que M. J., qui n'a pas la qualité de chef de foyer à l'égard de ses beaux-enfants en application du premier alinéa de l'article 6 de l'Ordonnance souveraine du 10 octobre 2018, ne peut utilement invoquer une méconnaissance des dispositions du cinquième alinéa de l'article 15 de la même Ordonnance ;
1. Considérant, en dernier lieu, que, pour le même motif, M. J. ne peut utilement se fonder sur les dispositions du second alinéa de l'article 13 de l'Ordonnance souveraine du 10 octobre 2018 qui prévoit que « lorsque, pour un motif légitime, l'enfant à charge ne vit pas sous le même toit que le chef de foyer, le maintien du droit aux prestations familiales est subordonné à la présentation trimestrielle au Service compétent, par l'allocataire, de justificatifs prouvant qu'il assume les dépenses nécessaires à l'entretien et à l'éducation de l'enfant » ;
1. Considérant que M. J. n'est ainsi pas fondé à soutenir que les décisions lui refusant l'octroi d'allocations pour charge de famille pour ses beaux-enfants méconnaîtraient les dispositions de l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018 ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020
1. Considérant que l'article 1er de l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020 prévoit que la qualité d'assuré relevant du Service des Prestations médicales de l'État est reconnue aux fonctionnaires et agents de l'État et de la Commune actifs et à leurs ayants droit ; qu'il résulte de la combinaison des articles 3, 4 et 5 de la même Ordonnance que les ayants droit de l'assuré ayant la qualité de chef de foyer au sens de l'Ordonnance souveraine n° 7.155 du 10 octobre 2018 sont notamment, d'une part, son conjoint, à la condition notamment que ce dernier n'ouvre de droit direct à aucun autre régime d'assurance maladie du chef de son activité ou de sa résidence, et, d'autre part, à titre subsidiaire, les enfants à charge du conjoint lorsque celui-ci n'ouvre droit à aucun autre régime d'assurance maladie du chef de son activité ou de sa résidence ;
1. Considérant qu'il n'est pas contesté que Mme J. réside en France et qu'elle ouvre, du chef de cette résidence, un droit direct, pour elle-même et pour ses enfants issus de précédentes unions, à une prise en charge au titre de la protection universelle maladie en application des articles L. 160-1 et suivants du Code de la sécurité sociale français ; que, par suite, en application des dispositions des articles 3 à 5 de l'Ordonnance n° 8.011 du 12 mars 2020, Mme J. et les enfants qu'elle a eu de précédentes unions n'ont pas la qualité d'ayants droit de M. J. ;
1. Considérant qu'il en résulte que M. J. n'est pas fondé à soutenir que les décisions lui refusant l'octroi des prestations médicales pour ses beaux-enfants méconnaîtraient les dispositions de l'Ordonnance souveraine n° 8.011 du 12 mars 2020 ;
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'égalité et du droit au respect de la vie privée et familiale
1. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il soit dérogé à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit ;
1. Considérant qu'au regard des prestations sociales et médicales de l'État, les beaux-enfants d'un fonctionnaire ou d'un agent de l'État ou de la Commune, à supposer même qu'il en assume la charge, ne sont pas dans la même situation que ses enfants ; que l'octroi de prestations sociales et médicales procède de la solidarité nationale ; que la distinction opérée par les deux Ordonnances souveraines n° 7.155 et n° 8.011 entre enfants et beaux-enfants des assurés concernant l'octroi d'allocations familiales et de prestations médicales répond à l'objectif de mettre fin à la prise en charge par les régimes sociaux monégasques de prestations devant normalement être assurées par les régimes sociaux étrangers ; que la différence de traitement critiquée, qui repose ainsi sur des critères en rapport avec le motif d'intérêt général poursuivi, ne méconnaît pas le principe d'égalité ;
1. Considérant que les décisions refusant à M. J. des prestations familiales et médicales pour les enfants issus de précédentes unions de son épouse ne l'empêchent nullement de continuer à les accueillir à son foyer ; qu'elles n'emportent ainsi aucune atteinte excessive à sa vie privée et familiale ;
1. Considérant qu'il en résulte que les moyens tirés de la violation de l'article 22 de la Constitution et des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés ;
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'indemnisation
1. Considérant que le rejet par la présente décision des conclusions à fin d'annulation entraîne le rejet des conclusions indemnitaires et, en tout état de cause, des conclusions à fin d'injonction ;
Dispositif
Décide :
Article 1er
Les deux requêtes sont jointes.
Article 2
Les requêtes de Monsieur J. J. sont rejetées.
Article 3
Les dépens sont mis à la charge de Monsieur J.
Article 4
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
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