TS 2021-21
Décision
Audience du 17 mai 2022
Lecture du 31 mai 2022
Recours en annulation de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée.
En la cause de :
L'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par la SARL Cabinet BRIARD, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation ;
Contre :
L'État de Monaco représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
Visa
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu la requête présentée par l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 15 septembre 2021 sous le numéro TS 2021-21, tendant à l'annulation des articles 1^er, 2, 3 et 4 de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;
Motifs
CE FAIRE :
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO expose, à l'appui de sa requête, qu'elle a pour objet statutaire la défense de tous les propriétaires de biens immobiliers situés en Principauté ; que le 4 décembre 2018, le Conseil National a adopté la proposition de loi n° 242 dont l'objet était d'instaurer, au profit de tous les propriétaires de locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, une allocation compensatoire de loyer destinée à compenser financièrement l'atteinte au droit de propriété qui résulte de l'impossibilité, pour le propriétaire, de retirer la juste valeur locative de son bien ; que le 18 mai 2020, le Ministre d'État a déposé dans le même sens un projet de loi n° 1.015 ; que la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée a été publiée au Journal de Monaco le 16 juillet 2021 ; que si l'association requérante ne remet nullement en cause le principe même de l'allocation compensatoire de loyer, elle demande au Tribunal Suprême d'annuler les dispositions de cette loi en tant qu'elles ne réparent pas entièrement le préjudice subi par les propriétaires de biens en secteur protégé ; que si le principe de l'indemnisation de la sujétion imposée aux propriétaires constitue une étape importante dans le rétablissement de ceux-ci dans leurs droits, la circonstance que les dispositions nouvelles soient moins rigoureuses que les dispositions antérieures ne saurait par elle-même interdire que la constitutionnalité de la loi soit contestée devant le juge constitutionnel (TS, 20 juin 1989, Association des propriétaires de la Principauté de Monaco c/ le Ministre d'État) ;
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO fait valoir, à titre liminaire, que selon la jurisprudence du Tribunal Suprême, le libre exercice du droit de propriété consacré par l'article 24 de la Constitution doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle applicables dans l'État monégasque ; qu'il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État ainsi que du principe accordant une priorité aux citoyens monégasques, consacré notamment par l'article 32 de la Constitution ; que si l'exiguïté du territoire n'a pas fondamentalement évolué, le périmètre des bénéficiaires du régime propre au secteur protégé s'est grandement accru sous l'impulsion du législateur monégasque ; qu'après la seconde guerre mondiale, dans une période où les finances étaient exsangues, il a été demandé aux propriétaires d'immeubles construits avant le 1^er septembre 1947 de participer à l'effort d'après-guerre, d'une part, en réservant ces logements aux Monégasques et, d'autre part, en bloquant les loyers pour cette catégorie de personnes ; qu'ainsi, seuls les Monégasques avaient vocation à bénéficier de ce régime ; qu'aujourd'hui, peuvent également y prétendre les personnes de nationalité étrangère : - nées d'un auteur monégasque ou adoptées par une personne de nationalité monégasque et qui justifient d'au moins dix années de résidence en Principauté ;
- conjoints survivants d'une personne de nationalité monégasque non remariés ;
- partenaires d'un contrat de vie commune survivants d'une personne de nationalité monégasque et qui justifient d'au moins dix années de résidence en Principauté et n'ayant pas conclu un nouveau contrat de vie commune ou ne s'étant pas mariés ou remariés ; - père ou mère assurant l'entretien et l'éducation d'un enfant de nationalité monégasque et dont le domicile constitue la résidence habituelle ou occasionnelle de l'enfant ; - père ou mère ayant eu, pendant au moins dix ans, la charge effective d'un enfant de nationalité monégasque et qui justifient d'au moins dix années de résidence en Principauté ; - qui résident à Monaco depuis au moins quarante années sans interruption ; - ou telles que définies en tant qu'Enfant du Pays par la loi n° 1.506 du 2 juillet 2021 portant reconnaissance des « Enfants du Pays » et de leur contribution au développement de la Principauté de Monaco ; qu'en 1949, l'État a décidé de favoriser l'accès au logement en Principauté pour un loyer inférieur au prix du marché en instituant un régime protégé alors même qu'une diminution importante de la population avait eu lieu après-guerre et que cette évolution a résulté, à l'époque, de pressions exogènes exercées sur l'État ; qu'il est certes loisible à l'État d'élargir le champ d'application des bénéficiaires de ce régime protégé dès lors qu'il en supporte le coût ; que toutefois, une telle atteinte au droit de propriété n'est plus acceptable aujourd'hui compte tenu de l'élargissement artificiel du périmètre des bénéficiaires du secteur protégé, lequel ne saurait, en tout état de cause, être financé par les seuls propriétaires du secteur protégé ; qu'il résulte de la jurisprudence du Tribunal Suprême (TS, 29 novembre 2018, S.A.M. C. I. c/ Ministre d'État), que la privation d'un bien ou d'une espérance légitime de jouir de ce bien qui n'est pas fondée sur un motif d'intérêt général ou qui n'est pas assortie d'une indemnisation raisonnable caractérise une atteinte au droit de propriété ; que la protection du droit de propriété doit dès lors s'entendre non seulement de la protection contre ses privations mais aussi de la protection de ses différents usages et des fruits que le détenteur d'un bien peut en retirer ;
Attendu qu'à l'appui de sa requête, l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO soutient, en premier lieu, que les dispositions de la loi attaquée limitant le champ d'application des bénéficiaires de l'allocation compensatoire de loyer aux seuls locaux acquis avant le 25 décembre 2004 doivent être annulées dans la mesure où elles méconnaissent le droit de propriété et le principe d'égalité devant la loi ; que c'est à l'occasion d'un recours qu'elle a formé que le Tribunal Suprême a consacré le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques (TS, 1^er février 1994) ; que, s'agissant du principe d'égalité devant la loi, le Tribunal Suprême estime qu'il ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ; que statuant sur la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 modifiant la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, le Tribunal a estimé que les propriétaires de locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 ne se trouvent pas dans la même situation que les propriétaires de locaux construits ou achevés après cette date ; qu'en l'espèce, il résulte de l'exposé des motifs du projet de loi et des travaux du Conseil National que la loi attaquée a pour finalité, d'une part, d'inciter les propriétaires concernés à améliorer leurs biens et, d'autre part, à leur permettre de disposer, sur le long terme, d'un complément de revenus ; que l'article 1^er de la loi prévoit que l'allocation compensatoire de loyer est réservée aux personnes propriétaires d'un ou plusieurs locaux à usage d'habitation régis par les dispositions de la loi du 28 décembre 2000 dont l'acquisition est, pour chacun des locaux, antérieure au 25 décembre 2004, sous réserve des successions et donations intervenues après cette date ; que cette restriction du périmètre des bénéficiaires est justifiée par le motif que l'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2004 a constitué une consolidation du régime du secteur protégé et qu'avant cette date, l'acquisition d'un local à usage d'habitation en vue de le mettre en location pouvait légitimement permettre aux acquéreurs de ces locaux d'envisager que les loyers seraient susceptibles d'être libéralisés lorsque la situation du marché de l'immobilier le permettrait ; que, toutefois, tout d'abord, la loi du 21 décembre 2004 n'a pas eu spécialement pour objet de pérenniser le régime des locaux en secteur protégé ; qu'à l'instar de la loi du 28 décembre 2000 ou de la loi attaquée, elle a eu pour finalité de chercher un équilibre entre les sujétions imposées aux bailleurs et les nécessités liées au logement des personnes protégées, de préciser la définition de celles-ci et d'apporter diverses précisions notamment sur le droit de reprise ; que les différentes lois marquent une évolution dans le sens d'une meilleure prise en compte des intérêts tant des locataires que des propriétaires ; que la loi du 21 décembre 2004 n'a donc pu cristallier dans le temps un préjudice causé par le législateur aux propriétaires ; qu'ensuite, le Ministre d'État et le Conseil National ont reconnu, au moins depuis 2018, que les propriétaires de locaux loués en secteur protégé subissent un manque à gagner directement imputable à l'État et à sa législation protectrice ; qu'ainsi, une personne ayant récemment acquis un bien immobilier en secteur protégé peut s'attendre à ce que son manque à gagner sur les loyers perçus soit compensé par l'État ; qu'enfin, le véritable motif justifiant la réduction du périmètre des bénéficiaires réside dans des considérations liées à la protection des deniers publics, ainsi que l'énonce expressément l'exposé des motifs du projet de loi ; qu'en tout état de cause, l'exclusion des propriétaires ayant acquis un bien après le 25 décembre 2004 méconnaît le principe d'égalité devant la loi ; qu'en effet, au regard de l'objet de la loi consistant à inciter les propriétaires à améliorer leurs biens et à disposer sur le long terme d'un complément de revenus, les propriétaires ayant acquis un bien avant ou après 2004 sont dans la même situation, les loyers qu'ils peuvent fixer sont soumis au même régime, tout comme les règles relatives à leur renouvellement ou leur résiliation ; que l'allocation compensatoire de loyer permettrait à un propriétaire ayant acquis un bien après 2004 d'améliorer son bien et de compenser un manque à gagner ; que, dès lors, l'exclusion des propriétaires ayant acquis des biens après 2004 pourrait conduire à ce que ces locaux soient moins bien entretenus, ce qui contreviendrait directement à l'objet même de la loi ;
Attendu qu'en outre, les dispositions de la loi attaquée exigent que l'acquisition des locaux soit antérieure à 2004 pour chacun des locaux détenus ; qu'une telle exigence est sans rapport avec l'objet de la loi ; que la circonstance que le propriétaire d'un bien en secteur protégé en acquiert un autre après 2004 ne signifie pas qu'il renonce à percevoir les entiers fruits de son premier bien ; qu'une telle différence de traitement n'est aucunement justifiée ;
Attendu que l'association requérante allègue, en deuxième lieu, que les dispositions de la loi attaquée limitant le périmètre des bénéficiaires de l'allocation compensatoire de loyer aux personnes possédant moins de 500 m^2 de locaux à usage d'habitation en Principauté doivent être annulées dans la mesure où elles méconnaissent le droit de propriété et le principe d'égalité devant la loi ; que s'il existe une différence de situation, au sens vernaculaire ou économique, entre les personnes propriétaires de plus de 500 m^2 et celles possédant des surfaces inférieures en Principauté, une telle différence est ici sans incidence ; que du point de vue de l'objet de la loi, ces deux catégories de personnes sont dans une situation similaire dès lors qu'elles possèdent toutes des locaux à usage d'habitation en secteur protégé ; que l'une comme l'autre de ces catégories de personnes pourraient, d'une part, affecter une partie de l'allocation compensatoire de loyer à la rénovation des biens et, d'autre part, compenser le manque à gagner induit par la législation ; qu'ainsi que l'a rappelé le rapporteur de la commission du logement du Conseil National, le projet de loi traduit le souci « à la fois de préserver la finalité de l'allocation compensatoire de loyer, à savoir permettre aux petits propriétaires de locaux à usage d'habitation soumis aux dispositions de la loi n° 1.235 de percevoir de plus justes revenus de leurs biens, tout en évitant que son coût global représente une charge excessive pour le budget de l'État » ; que l'État a, dans un premier temps, imposé de nombreuses sujétions et un encadrement des loyers aux propriétaires de locaux à usage d'habitation construits avant le 1^er septembre 1947 ; que c'est dans un second temps que l'État vient réparer le préjudice matériel causé aux propriétaires ; que l'État ne peut donc se prévaloir des conséquences pour les finances publiques de l'indemnisation intégrale du préjudice qu'il a lui-même causé et qu'il est d'ailleurs libre de faire cesser en changeant la législation ; qu'ainsi, la différence de traitement est injustifiée et il est porté atteinte à une composante essentielle du droit de propriété, à savoir la possibilité de jouir des fruits de son bien ;
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO fait grief, en troisième lieu, aux dispositions de la loi attaquée limitant le montant de l'indemnité pour une surface maximale de 300 m^2 de méconnaître le droit de propriété et le principe d'égalité devant la loi ; qu'alors que les propriétaires détenant moins de 300 m^2 de locaux du secteur protégé perçoivent l'allocation, ceux détenant des locaux d'une superficie totale comprise entre 300 m^2 et 500 m ^2 ne perçoivent l'allocation qu'à concurrence de 300 m^2 ; qu'une telle différence de traitement n'a aucun rapport avec l'objet de la loi et n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général ; que, selon l'exposé des motifs du projet de loi, il « prévoit que l'allocation compensatoire de loyer sera versée à ceux qui en ont le plus besoin, en l'occurrence les petits propriétaires » ; que dans la mesure où l'allocation compensatoire de loyer n'est pas une prestation sociale versée en fonction des finances de l'intéressé mais la compensation du préjudice causé par l'État aux détenteurs d'un bien, le périmètre des bénéficiaires ne doit être tracé qu'au regard de l'ampleur de ce préjudice ;
Attendu, en quatrième lieu, que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO soutient que les dispositions de la loi du 5 juillet 2021 relatives à la fixation du montant de l'allocation compensatoire de loyer méconnaissent le droit de propriété et le droit à un recours effectif et sont entachées d'incompétence négative ; qu'en vertu de l'article 24 de la Constitution, la juste indemnité due en cas de privation de propriété doit être établie et versée dans les conditions prévues par la loi ; que le caractère juste de cette indemnité découle nécessairement des conditions préalablement prévues par la loi ; qu'or, la loi attaquée renvoie à une Ordonnance Souveraine le soin de préciser les modalités de calcul de l'indemnité octroyée ; que le législateur n'a pas garanti les propriétaires lésés qu'ils pourront, d'une part, participer à l'élaboration du calcul de l'indemnité et, d'autre part, le contester en cas de désaccord ; que n'ayant pas épuisé sa compétence, le législateur a porté atteinte au droit de propriété et au droit à un recours effectif des futurs bénéficiaires de l'indemnité ;
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO allègue, en cinquième lieu, que les dispositions de la loi attaquée régissant la procédure d'octroi de l'allocation compensatoire de loyer portent atteinte au droit au respect de la vie privée des propriétaires ; qu'en vertu de la loi attaquée, pour bénéficier de l'allocation compensatoire de loyer, l'attributaire doit justifier que les locaux loués sont conformes aux normes de sécurité et de confort fixées par arrêté ministériel, que la surface des biens qu'il détient à Monaco est inférieure à 500 m^2, que l'ensemble des locaux en secteur protégé dont il est propriétaire sont loués au jour de la demande et que tout changement dans sa situation ou celle de la personne morale dont la propriété ouvre droit au bénéfice de l'allocation qui serait de nature à modifier ou à faire cesser le versement de cette allocation ; que de telles obligations déclaratives constituent une contrainte inutilement mise à la charge des propriétaires des biens concernés ; qu'en effet, d'une part, cette immixtion dans la composition du patrimoine des propriétaires constitue une atteinte à leur vie privée sans rapport avec l'objet de la loi ; qu'ainsi, le propriétaire d'un appartement de 100 m^2 loué à une personne protégée qui loge par ailleurs sa fille dans un autre appartement qu'il détient devra apporter des éléments établissant que le second appartement est bien occupé par une personne entrant dans la qualification prévue à l'article 16-1 de la loi du 28 décembre 2000 ; que, d'autre part, les locataires qui perçoivent déjà l'aide nationale au logement pour la reverser sous forme de loyer aux propriétaires des biens qu'ils louent seraient bien mieux placés pour solliciter et recevoir cette allocation ou une augmentation de cette aide ; qu'étant les seuls bénéficiaires de ce régime, il serait normal qu'il leur incombe de procéder aux démarches administratives nécessaires, quitte à demander certains documents à leur bailleur ;
Attendu, en sixième lieu, que selon l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO, les dispositions de la loi du 5 juillet 2021 imposant, pour bénéficier de l'allocation compensatoire de loyer, que l'ensemble des locaux détenus par le propriétaire en secteur protégé soient loués doivent être annulées dans la mesure où elles méconnaissent le droit de propriété et le principe d'égalité devant la loi ; que si elle réserve la possibilité d'une occupation par le propriétaire lui-même, ses ascendants ou descendants ou ceux de son conjoint, ses frères et sœurs ou leurs descendants ou pour reloger un locataire évincé, la loi n'en porte pas moins une atteinte excessive au droit de propriété ; qu'en effet, la circonstance qu'une personne possédant deux appartements en secteur protégé en prête un, à titre gratuit, à un ami proche et en loue un autre à une personne protégée, ne devrait pas la priver de la possibilité de percevoir un entier loyer pour le second appartement ; que la différence de traitement opérée entre les propriétaires ayant mis tous leurs biens en location et ceux qui, pour des raisons qui leur incombent, ne rempliraient pas la condition de location de l'ensemble de leurs biens n'a aucun rapport avec les deux finalités de la loi précédemment rappelées ; que toute différence de traitement doit être en rapport avec la situation de l'appartement loué pour lequel l'allocation est demandée et non avec la situation patrimoniale globale du bailleur ;
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO fait valoir, en dernier lieu, que les dispositions de la loi attaquée prévoyant des sanctions à l'encontre des propriétaires omettant de procéder à une déclaration à l'Administration s'agissant de l'allocation compensatoire de loyer ou de la vacance d'un bien méconnaissent les principes de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines ; que, dans sa décision du 18 janvier 2006, Mme R. veuve B. c/ Ministre d'État, le Tribunal Suprême a jugé qu'en excluant toute possibilité pour le propriétaire ayant usé de son droit de reprise de démontrer, sous le contrôle du juge pénal, qu'il a été empêché, pour un motif légitime autre que le cas fortuit ou de force majeure, d'occuper lui-même effectivement les locaux ou de faire occuper ceux-ci par le bénéficiaire du droit de reprise dans le délai de trois mois à compter du départ du locataire congédié, le législateur avait porté une atteinte excessive au droit de propriété ; que, dans la même décision, il a jugé qu'en prévoyant des sanctions pénales à l'encontre du propriétaire en raison du comportement du bénéficiaire du droit de reprise, le législateur avait également méconnu le principe de personnalité des peines ; que la loi attaquée impose au propriétaire d'un logement vacant ou à son représentant de faire une déclaration de vacance auprès de la Direction de l'habitat dans le délai d'un mois ; qu'elle prévoit également que le propriétaire est tenu de proposer son bien vacant à la location dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision du Ministre d'État exigeant sa mise en location ; qu'à défaut d'avoir proposé ce bien à la location dans ce délai, le propriétaire ne peut prétendre au bénéfice de l'allocation compensatoire de loyer ; que peut être prononcée à l'égard de ce propriétaire une sanction de privation de l'allocation compensatoire de loyer pendant une période qui ne peut excéder six mois à compter de la mise en location ; que le Ministre d'État peut, par ailleurs, prononcer une sanction administrative dont le montant ne peut excéder 50.000 euros ; qu'en cas de réitération dans le délai d'un an, le montant de la sanction peut être porté à 75.000 euros ; qu'eu égard au montant des amendes prévues et des privations induites, ces mesures, étant donné leur caractère répressif et leur sévérité, constituent des sanctions ayant le caractère de punition et sont donc assujetties notamment au respect des principes de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines ; que les dispositions critiquées portent atteinte à ces principes pour trois raisons ; que, d'abord, la circonstance qu'un bien soit devenu vacant peut résulter de l'action du bénéficiaire ou de toute autre personne que le propriétaire sans que celui-ci soit mis au courant ; que dès lors, ainsi que l'a jugé le Tribunal Suprême en 2006, sanctionner le propriétaire en raison des agissements d'un tiers contrevient au principe de personnalisation des peines ; qu'ensuite, le délai entre le moment où le bien est devenu vacant et celui où la décision du Ministre d'État forçant le propriétaire à le louer est de deux mois et quinze jours ; qu'or, il n'est aucunement prévu de situation dérogatoire où le propriétaire, hospitalisé ou pour toute autre raison, aurait été dans l'impossibilité matérielle de procéder à une telle déclaration de vacance ; qu'enfin, le montant des amendes et l'interdiction de bénéficier de l'allocation compensatoire de loyer apparaissent disproportionnées au regard du manquement en cause, à savoir le retard à avoir procédé à une déclaration de vacance ; qu'en outre, ces amendes s'ajouteraient à la répétition des sommes indûment perçues au titre de l'allocation compensatoire de loyer, prévue à l'article 33 de la loi ; que dans la mesure où de telles procédures existent et sont de nature à protéger les deniers publics, ces autres sanctions n'aboutissent qu'à punir inutilement le propriétaire, alors même que l'omission de la déclaration de vacance ne peut résulter que d'un oubli du propriétaire, étant donné l'intérêt évident qu'il a que son bien reste occupé ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 16 novembre 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation de l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, à titre principal, que la requête de l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO est irrecevable dès lors qu'elle n'a produit ni ses statuts ni l'acte par lequel l'organe compétent a décidé d'introduire cette action ;
Attendu que le Ministre d'État estime, à titre subsidiaire, que la requête doit être rejetée dès lors qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé ;
Attendu, selon le Ministre d'État, que dès l'année 1949, la Principauté de Monaco a mis en place une régulation du secteur locatif d'habitation afin de permettre aux foyers monégasques ainsi qu'aux foyers de ressortissants étrangers, privés de leur logement dans la Principauté à la suite, notamment, de la guerre, de pouvoir continuer à se loger ; que cette régulation a pris la forme d'un système d'encadrement légal des loyers ; que l'État a fixé unilatéralement un loyer forfaitaire pour les locaux relevant du secteur protégé ; que les réformes législatives successives ont progressivement assoupli ce régime, dans la mesure qu'autorisaient les impératifs sociaux et les contraintes démographiques de la Principauté ; que la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 a mis en place un régime d'encadrement imposant au propriétaire de fixer le loyer par référence aux loyers appliqués à des logements comparables, relevant du même régime juridique et situés dans des immeubles présentant des caractéristiques équivalentes ; que cette loi a prévu un loyer de marché pour les locaux relevant du secteur protégé, afin d'harmoniser l'ensemble des loyers appliqués dans ce secteur ; qu'il était envisagé de mettre fin au régime des loyers à l'issue d'un délai de cinq ans ; que la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 a opéré un revirement en pérennisant le système d'encadrement des loyers ; que le nombre de bénéficiaires de ce régime n'a pas augmenté dès lors que le nombre de logements relevant du secteur protégé, qui ne regroupe que des locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947, ne peut s'accroître ; que des disparités persistent dans les loyers pratiqués au sein du secteur protégé ; que c'est afin de protéger les petits propriétaires de locaux relevant de ce secteur, qui ne peuvent fixer librement les loyers, que le législateur a envisagé d'instituer un dispositif d'aide destiné à minimiser les conséquences des sujétions d'ordre public indispensables à la protection de l'intérêt général ; que, partageant la volonté exprimée par le Conseil National lors du vote de la proposition de loi n° 242 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, le Gouvernement Princier a décidé de transformer cette proposition de loi en projet de loi ; qu'eu égard à l'incidence budgétaire d'une telle mesure, le mécanisme d'aide initialement envisagé a été ajusté afin de permettre aux petits propriétaires de retirer des revenus locatifs équivalents à ceux des propriétaires percevant les loyers les plus élevés du secteur protégé, qui concernent pour l'essentiel les locaux remis à neuf ; que la loi du 5 juillet 2021 prévoit le versement d'une allocation compensatoire de loyer aux propriétaires de locaux à usage d'habitation relevant du secteur protégé dont l'acquisition est antérieure au 25 décembre 2004 ou reçus par voie de succession ou de donation postérieurement à cette date, à la condition qu'ils aient été acquis antérieurement à cette date ;
Attendu que le Ministre d'État entend également préciser que, contrairement à ce que soutient l'association, le périmètre des bénéficiaires du secteur protégé est indifférent ; qu'en effet, sont seuls concernés les logements du secteur protégé, c'est-à-dire les locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 ; que le nombre de logements concernés ne peut, par définition, augmenter ; qu'en outre, la jurisprudence du Tribunal Suprême relative à « l'espérance légitime » du propriétaire de pouvoir jouir de son bien réserve expressément l'hypothèse de limitations apportées au droit de propriété fondées sur un motif d'intérêt général ; que tel est bien le cas en l'espèce ;
Attendu que le Ministre d'État estime, en premier lieu, que n'est pas fondé le moyen tiré de ce que les dispositions limitant le champ d'application du bénéfice de l'allocation compensatoire de loyer aux seuls locaux acquis avant le 25 décembre 2004 méconnaîtraient le droit de propriété et le principe d'égalité ; qu'en effet, le Tribunal Suprême décide de manière constante que le libre exercice du droit de propriété consacré par l'article 24 de la Constitution n'est pas absolu et doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle, en particulier les exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État et le principe de la priorité accordée aux citoyens monégasques, consacrés notamment par les articles 25 et 32 de la Constitution ; que le principe constitutionnel d'égalité devant la loi inscrit à l'article 17 de la Constitution n'interdit pas que des situations différentes soient réglées de façon différente, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la réglementation qui l'établit ; que dans sa décision du 18 janvier 2006, Dame R. veuve B., le Tribunal Suprême a jugé que ne portaient pas une atteinte excessive au droit de propriété les dispositions de la loi du 21 décembre 2004 qui prévoyaient que les locaux auxquels elles s'appliquaient ne pouvaient être loués qu'à certaines personnes, que les contrats de bail étaient renouvelés de plein droit et que le propriétaire ne pouvait faire jouer son droit de reprise, que les loyers devaient être établis par référence aux loyers appliqués pour des locaux comparables, que les augmentations de loyer étaient limitées, que lorsque la commission arbitrale était saisie, le montant du loyer fixé ne pouvait excéder un certain montant, que le propriétaire d'un local devenu vacant devait, sous peine d'amende, faire une déclaration de vacance et une offre de location, consentir la location à une personne protégée dans l'ordre de priorité fixé par la loi et, enfin, que ces exigences étaient d'ordre public ; que les dispositions attaquées, qui se bornent à réserver le bénéfice de l'allocation compensatoire de loyer à certains propriétaires de locaux, ne sauraient a fortiori porter une atteinte excessive au droit de propriété ;
Attendu que les dispositions attaquées ne méconnaissent pas davantage le principe d'égalité devant la loi ; que la date du 25 décembre 2004 est celle de l'entrée en vigueur de la réforme opérée par la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 ; que cette date constitue une étape décisive dans la pérennisation du secteur protégé puisqu'elle a conduit à la pérennisation du système d'encadrement des loyers fixé par la loi du 28 décembre 2000 alors que celui-ci devait initialement prendre fin en 2006 ; qu'ainsi, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2004, il était permis aux acquéreurs de locaux à usage d'habitation d'espérer que les loyers seraient libéralisables à partir de l'année 2006 ; que l'entrée en vigueur de cette loi a mis fin à cette espérance ; qu'en revanche, les propriétaires de locaux relevant du secteur protégé acquis postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi savaient, lors de l'acquisition, que les loyers correspondants ne seraient pas libéralisés ; que ces deux catégories de propriétaires se trouvent donc dans des situations différentes ; que le législateur pouvait régler de façon différente ; que la circonstance que la loi poursuit l'objectif d'assurer la rénovation et le bon entretien des locaux d'habitation en secteur protégé ne fait pas obstacle à ce que le bénéfice de l'allocation compensatoire de loyer soit réservé aux propriétaires relevant de la première catégorie dès lors que le législateur doit concilier les différents intérêts en présence et prendre en compte, en particulier, la nécessaire protection des deniers publics ; qu'afin de concilier l'objectif poursuivi par la loi et la préservation des deniers publics, le législateur a pu réserver le bénéfice de l'allocation compensatoire de loyer aux propriétaires dont la situation a été modifiée défavorablement par la loi du 21 décembre 2004 ; que, par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'association requérante, la loi attaquée ne prévoit pas que l'allocation compensatoire de loyer est réservée aux personnes ayant acquis l'intégralité des locaux leur appartenant avant le 25 décembre 2004 ; qu'il ressort des termes de la loi comme de son exposé des motifs qu'un propriétaire qui a acquis des locaux avant le 25 décembre 2004 et d'autres après cette date pourra percevoir l'allocation mais uniquement au titre des locaux acquis avant le 25 décembre 2004 ;
Attendu, en deuxième lieu, que selon le Ministre d'État, les motifs qui précèdent justifient également la restriction du périmètre de l'allocation aux propriétaires possédant moins de 500 m^2 de locaux à usage d'habitation ; qu'au demeurant, le Tribunal Suprême a déjà jugé, dans sa décision du 21 mars 2006, S.C.I. E., que les propriétaires d'une surface importante de locaux à usage d'habitation ne se trouvent pas dans la même situation que les propriétaires de surfaces limitées ; qu'en l'espèce, les personnes propriétaires de plus de 500 m^2 de locaux à usage d'habitation ne se trouvent pas dans une situation similaire à celles qui possèdent moins de 500 m^2 de locaux de ce type, compte tenu notamment de la différence de revenus que ces deux catégories de personnes peuvent percevoir au titre de la location de ces locaux ; que l'objet de la loi étant d'assurer la rénovation et le bon entretien des locaux d'habitation en secteur protégé, le législateur a pu mettre en place une aide réservée aux petits propriétaires, qui perçoivent un revenu moindre, afin de leur permettre de rénover et d'entretenir les locaux leur appartenant, les propriétaires plus importants ayant, pour leur part, des moyens financiers qui leur permettent d'assurer l'entretien et la rénovation de leurs locaux sans avoir besoin de percevoir une aide ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en troisième lieu, que, pour les mêmes raisons que celles précédemment évoquées, doit être écarté le moyen tiré de ce que le droit de propriété et le principe d'égalité devant la loi seraient méconnus par les dispositions prévoyant que le montant de l'allocation est déterminé en tenant compte d'une surface maximale de 300 m2 ; qu'il appartient en effet au législateur de concilier le respect du principe d'égalité devant la loi et la préservation des deniers publics, ce qui justifie que le versement d'aides soit subordonné à certaines conditions ; que les propriétaires détenant une surface totale comprise en 300 m2 et 500 m2 se trouvent dans une situation intermédiaire justifiant qu'ils ne perçoivent l'aide qu'à concurrence d'une surface de 300 m2 ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en quatrième lieu, que l'article 24 de la Constitution qui prévoit que « la propriété est inviolable » et que « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi » n'impose pas que l'allocation compensatoire de loyer soit fixée par la loi ; que, d'une part, cette disposition constitutionnelle ne restreint pas au législateur la compétence pour fixer le montant des indemnités dues en cas de privation de propriété ; que, d'autre part, l'allocation compensatoire de loyer ne vise pas à compenser une privation de propriété mais la privation pour les propriétaires de la possibilité de fixer librement le montant de leurs loyers ; que les propriétaires concernés disposent d'un droit de recours contre l'Ordonnance Souveraine fixant les modalités de calcul du loyer moyen au mètre carré, lequel entre dans le calcul de l'allocation compensatoire de loyer ; qu'il a enfin été démontré que l'allocation compensatoire de loyer ne méconnaît pas le droit de propriété ; qu'ainsi, le législateur a épuisé sa compétence et n'a porté atteinte ni au droit de propriété ni au droit au recours effectif des futurs bénéficiaires de l'allocation compensatoire de loyer ;
Attendu que le Ministre d'État allègue, en cinquième lieu, que la procédure d'octroi de l'allocation compensatoire de loyer ne porte aucunement atteinte au respect de la vie privée des propriétaires ; que, tout d'abord, l'obligation pour les propriétaires de justifier que les locaux loués sont conformes aux normes de sécurité et de confort fixées par arrêtés ministériels n'est pas critiquable dès lors qu'une aide d'État ne peut être versée au titre de locaux qui ne respecteraient pas les obligations réglementaires de sécurité et de confort en vigueur ; que, de même, le propriétaire doit justifier que la surface des biens qu'il détient à Monaco est inférieure à 500 m^2 puisqu'il n'est pas en droit de percevoir l'aide s'il est propriétaire de locaux d'une surface totale supérieure ; qu'il est tout aussi justifié d'exiger des propriétaires qui sollicitent l'octroi d'une allocation de déclarer tout changement dans leur situation de nature à modifier ou à faire cesser le versement de cette allocation ; que l'obligation de justifier que l'ensemble des locaux concernés sont loués ne constitue pas une atteinte au droit au respect de la vie privée des propriétaires ; que cette obligation ne porte que sur les locaux pour lesquels il sollicite l'octroi de l'allocation et non sur ceux ayant fait l'objet d'une reprise pour occupation personnelle ou en vue d'une occupation par un membre de la famille du propriétaire ainsi que des locaux objet d'une déclaration de vacance ; que la déclaration requise pour l'octroi de l'allocation est donc réduite aux informations strictement nécessaires à l'étude de la demande ; qu'ensuite, l'allocation n'étant pas destinée au locataire mais au propriétaire, afin de compenser l'obligation qui pèse sur lui de limiter le montant des loyers qu'il pratique et étant fonction de son patrimoine immobilier dont le locataire n'a pas connaissance, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les locataires seraient mieux placés pour solliciter et recevoir l'allocation compensatoire de loyer ;
Attendu, en sixième lieu, que, selon le Ministre d'État, la loi attaquée se borne à imposer au propriétaire de justifier que sont loués au jour de la demande tous les locaux soumis à la loi du 28 décembre 2000 dont il est propriétaire ou usufruitier, à l'exception des locaux repris par le propriétaire lui-même ou pour un membre de sa famille et des locaux ayant fait l'objet d'une déclaration de vacance ; que, par suite, contrairement à ce qui est soutenu par l'association requérante, la loi attaquée ne met pas à la charge des propriétaires qui sollicitent le bénéfice de l'allocation l'obligation de louer l'ensemble des locaux qu'ils détiennent en secteur protégé ; que, dès lors, elles ne méconnaissent pas le droit de propriété et le principe d'égalité devant la loi ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en dernier lieu, que les dispositions de la loi prévoyant des sanctions ne méconnaissent pas les principes de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines ; qu'il rappelle tout d'abord, que le Tribunal Suprême, dans sa décision du 18 janvier 2006, Dame R. veuve B., a sanctionné une disposition légale soumettant une personne à des sanctions pénales destinées à réprimer des faits commis par un tiers ; qu'en l'espèce, la loi sanctionne le propriétaire qui n'a pas exécuté l'obligation pesant sur lui de procéder à une déclaration de vacance dans le délai d'un mois suivant la vacance ; que ce texte sanctionne ainsi un acte commis par le propriétaire lui-même ; que la circonstance, invoquée par l'association requérante, selon laquelle le bien peut être devenu vacant en raison du comportement de toute autre personne que le propriétaire sans que celui-ci soit mis au courant est inopérante dès lors, d'une part, que c'est le défaut de déclaration qui est sanctionné et non la vacance elle-même et, d'autre part, qu'il appartient au propriétaire de s'assurer que les locaux qui lui appartiennent ne sont pas vacants ; que le principe de personnalité des peines n'est donc pas méconnu ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, ensuite, que la loi n'avait pas à prévoir l'hypothèse dans laquelle le propriétaire s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle de procéder à la déclaration de vacance ; qu'une telle précision est inutile dès lors qu'en vertu de l'article 4-2 du code pénal, il n'y a « point de délit ou de contravention en cas de force majeure » ; que le propriétaire qui s'est trouvé dans l'incapacité avérée de procéder à la déclaration prévue par la loi attaquée pour un cas de force majeure ne saurait donc être poursuivi pénalement ; qu'en tout état de cause, une mise en demeure du propriétaire n'est susceptible d'intervenir qu'après que celui-ci ait été entendu en ses explications, ou du moins appelé à les fournir, dans un délai de quinze jours à compter du manquement constaté ;
Attendu, enfin, selon le Ministre d'État, que le montant des sanctions administratives prévu n'est pas disproportionné au regard du comportement en cause, le défaut de déclaration de vacance d'un logement permettant au propriétaire de continuer à percevoir indûment une allocation compensatoire de loyer dont le montant peut être important ; que la loi ne fixe que le montant maximal de la sanction qui peut être prononcée par le Ministre d'État ; qu'il appartient à ce dernier de tenir compte du montant de l'allocation compensatoire irrégulièrement perçue par le propriétaire pour fixer celui de la sanction qu'il prononce ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 16 décembre 2021, par laquelle l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu, tout d'abord, que l'association, qui produit ses statuts et la décision de son bureau autorisant son président à initier devant le Tribunal Suprême le présent recours, soutient qu'elle a bien qualité pour agir ;
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO ajoute, sur le fond, que le Ministre d'État ne peut affirmer que l'institution d'un secteur protégé était nécessaire pour loger les foyers monégasques après la fin de la seconde guerre mondiale ; qu'en effet, la population a drastiquement baissé après la guerre et le niveau de population de 1939 n'a été atteinte à nouveau qu'en 1962 ; que, d'autre, part, le parc immobilier monégasque n'a pas été significativement affecté par la guerre, un seul immeuble ayant été détruit du fait des combats ; qu'ainsi, les atteintes au droit de propriété n'étaient pas nécessaires ab initio ;
Attendu que l'association requérante fait également valoir, sur son premier moyen, que l'argumentation du Ministre d'État doit être écartée ; que la loi du 21 décembre 2004 ne constitue pas une date décisive, l'exposé des motifs de la loi attaquée mettant en évidence l'évolution progressive vers une meilleure prise en compte des droits des propriétaires ; que le Ministre d'État ne peut justifier une injustice, à savoir ne pas pouvoir tirer les fruits de son bien, par l'existence d'une autre injustice, à savoir ne pas pouvoir tirer les fruits de son bien alors qu'on pouvait espérer que la collectivité abroge une norme l'en empêchant ; que l'État étant à l'origine des deux injustices, il ne peut se prévaloir de l'une pour justifier l'autre ; que tous les propriétaires de biens en secteur protégé sont privés de la possibilité de percevoir des loyers au prix du marché ; qu'or, la loi attaquée a bien pour objectif de réparer cette injustice et de ne pas faire peser la politique sociale de l'État sur les seuls propriétaires en secteur protégé et ce, quelle que soit l'année d'acquisition de leur bien ; qu'au regard de l'objet de la loi, tous les propriétaires sont dans la même situation ;
Attendu, ensuite, que, selon l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO, l'exclusion des propriétaires d'une surface supérieure à 500 m^2 eut été admissible dans des conditions normales de marché où les propriétaires de plusieurs appartements pourraient éventuellement dégager une marge supérieure à celle des petits propriétaires ; que, toutefois, dans le cadre du secteur protégé, une telle distinction entre petits et grands propriétaires n'a pas de raison d'être, ces biens ne permettant pas de dégager des ressources suffisantes pour justifier économiquement leur rénovation, quelle que soit leur taille ; qu'il est évident que le coût des rénovations est plus élevé pour un bien d'une plus grande surface ; qu'une telle distinction pourrait, par ailleurs, conduire les propriétaires exclus à négliger la rénovation et le bon entretien de leurs biens ou à les céder à des plus petits propriétaires, ce qui est contraire au but poursuivi ; que l'exclusion des propriétaires de locaux de plus de 500 m^2 ne sert aucune des finalités de la loi ;
Attendu que l'association requérante estime, par ailleurs, que la limitation du montant de l'indemnité pour une surface maximale de 300 m^2 n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général ; que les propriétaires concernés ont été, depuis soixante-dix ans, les seuls à supporter la politique du logement monégasque ; qu'il est abusif de demander à la même catégorie de personnes ayant vu la rentabilité de leur bien sacrifiée pour le bien de la collectivité, de supporter encore une fois la collectivité en limitant leur indemnisation ;
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO précise, enfin, que pour donner une portée effective à l'article 24 de la Constitution, la protection du droit de propriété doit s'entendre non seulement de la protection contre ses privations mais aussi de la protection de ses différents usages et des fruits que le détenteur d'un bien peut en tirer ; que, compte tenu de l'ampleur de la restriction apportée au droit de propriété, les modalités de calcul de l'indemnité octroyée doivent être établies par la loi ; que, par ailleurs, le Ministre d'État ne dit rien de la possibilité de former un recours contre la décision individuelle fixant l'indemnité pour chaque propriétaire et la possibilité qu'aura celui-ci de la contester ; que la loi attaquée porte bien atteinte au droit à un recours effectif ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 17 janvier 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute que l'argument de l'association selon lequel la création d'un secteur locatif protégé après la fin de la seconde guerre mondiale n'aurait pas été justifiée est inopérant dès lors qu'il n'est pas de nature à justifier l'annulation des dispositions attaquées ; qu'il est également infondé dans la mesure où la circonstance que la population monégasque a été moins importante après la seconde guerre mondiale n'établit pas l'absence de difficultés de logement ; que c'est principalement l'accroissement du montant des loyers monégasques après la guerre qui a justifié la création d'un secteur protégé permettant aux Monégasques de continuer à se loger en Principauté ;
Attendu que, selon le Ministre d'État, il est également inopérant que les dispositions de la loi du 21 décembre 2004 soient justes ou injustes ; qu'elles n'ont, au demeurant, pas été censurées par le Tribunal Suprême ; qu'une différence de situation objective existe dès lors que les propriétaires ayant acquis leur bien avant le 25 décembre 2004 ont opéré ces acquisitions en l'état d'une législation dont il était prévu qu'elle prenne fin en 2006 alors que ceux qui ont acquis des biens après cette date l'ont fait en sachant que le système d'encadrement des loyers allait perdurer ; que la différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi dès lors qu'il appartient au législateur de concilier les différents intérêts en présence et de prendre en compte, en particulier, la nécessaire protection des deniers publics ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en outre, que les grands propriétaires, qui possèdent des surfaces importantes, bénéficient de revenus locatifs plus importants que les petits propriétaires ; que, ces deux catégories se trouvant dans des situations différentes, le principe d'égalité n'est pas méconnu ; qu'au surplus, la différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi dans la mesure où elle vise à permettre aux petits propriétaires, qui perçoivent des revenus locatifs inférieurs aux grands propriétaires, d'assurer la rénovation et le bon entretien de leurs locaux ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, par ailleurs, que la loi tient compte de la circonstance que les propriétaires se trouvant dans une situation intermédiaire entre les petits et les grands propriétaires ont moins besoin d'être aidés que les petits propriétaires ; que la nécessité de préserver les deniers publics participe de l'objectif d'intérêt général de bon usage des deniers publics ;
Attendu, enfin, que le Ministre d'État entend rappeler que, selon la jurisprudence du Tribunal Suprême, celui-ci n'étant compétent pour statuer sur les recours en annulation en matière constitutionnelle que s'ils ont pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le titre III de la Constitution, « les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, pour demander l'annulation (d'une) loi de ce qu'elle méconnaîtrait la compétence que la Constitution du 17 décembre 1962 attribue au législateur » (TS, 4 juillet 2012, S.A.M. E.) ; que l'association ne saurait utilement soutenir que le législateur se serait abstenu d'épuiser sa compétence en ne fixant pas lui-même les modalités de calcul de l'allocation compensatoire de loyer ; que, par ailleurs, la circonstance que la loi attaquée n'ait pas expressément prévu la possibilité de former un recours contre la décision individuelle fixant le montant de l'allocation à verser à un propriétaire ne permet pas de considérer qu'elle porte atteinte au droit à un recours effectif ; que les propriétaires concernés ont la possibilité, s'ils estiment que les dispositions de la loi leur cause un préjudice anormal et spécial, d'en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques ;
SUR CE,
Vu la loi attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 2, 17, 20, 22 et 24 et le 2° du A de son article 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 ;
Vu la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 modifiant loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ;
Vu la loi n° 1.377 du 18 mai 2011 modifiant loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 ;
Vu l'Ordonnance du 16 septembre 2021 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier RIBES, Vice-président, comme rapporteur ;
Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 25 janvier 2022 ;
Vu l'Ordonnance du 7 avril 2022 modifiée, par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 17 mai 2022 ;
Ouï Monsieur Didier RIBES, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître François-Henri BRIARD, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO ;
Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général adjoint en ses conclusions par lesquelles il s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ
1. Considérant que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO demande, sur le fondement du 2° du A de l'article 90 de la Constitution, l'annulation de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le Ministre d'État
2. Considérant que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO a produit, à l'appui de sa réplique, ses statuts et la décision de son bureau autorisant son président à initier devant le Tribunal Suprême un recours tendant à l'annulation de la loi du 5 juillet 2021 ; qu'il ressort de ces pièces que l'association requérante a qualité pour agir ; que par suite, la fin de non-recevoir opposée par le Ministre d'État doit être écartée ;
Sur les conclusions de la requête
3. Considérant que dans le but de permettre aux Monégasques et aux personnes ayant des liens particuliers avec la Principauté de se loger à Monaco, la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 a notamment pour objet, d'une part, d'imposer aux propriétaires de déclarer leurs biens vacants et de les offrir à la location et, d'autre part, d'encadrer le choix du locataire en faveur des personnes protégées dans l'ordre de priorité fixé par la loi, le montant des loyers ainsi que les conditions de renouvellement du bail et d'exercice, par le propriétaire, de son droit de reprise ; que le législateur n'a pas entendu prévoir une indemnisation des préjudices résultant des restrictions apportées par cette loi à l'exercice du droit de propriété, les propriétaires subissant un préjudice anormal et spécial pouvant en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques ; que la loi attaquée, en instituant une allocation compensatoire de loyer, n'a pas pour objet d'indemniser les restrictions au droit de propriété résultant, pour l'ensemble des propriétaires concernés, de l'application de la loi du 28 décembre 2000 mais est destinée, ainsi que l'énonce l'exposé des motifs du projet de loi, à inciter « les petits propriétaires » « en complément des aides existantes à améliorer leurs biens » et « à leur permettre de disposer, sur le long terme, d'un complément de revenus » ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du droit de propriété
4. Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la Constitution : « La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi ».
5. Considérant, en premier lieu, que l'allocation compensatoire de loyer n'ayant pas le caractère d'une indemnité mais d'une aide économique, le moyen tiré de ce que les dispositions déterminant les bénéficiaires et le montant de cette aide méconnaîtraient le droit de propriété garanti par la Constitution est inopérant et ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
6. Considérant, en second lieu, que loi attaquée prévoit que, pour bénéficier de l'allocation compensatoire de loyer, le propriétaire doit justifier que l'ensemble des locaux, régis par la loi du 28 décembre 2000, qu'il possède sont, sauf exceptions prévues par la même loi, loués au jour de la demande ; que cette obligation répond à l'objectif d'intérêt général de réduction des logements vacants au profit des Monégasques et des autres personnes bénéficiaires de la loi du 28 décembre 2000 et ne concerne que les biens régis par la loi du 28 décembre 2000 ; qu'elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au libre exercice du droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité
7. Considérant que le principe d'égalité, garanti par l'article 17 de la Constitution, ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;
8. Considérant, en premier lieu, que la loi attaquée prévoit que l'allocation compensatoire de loyer est versée aux propriétaires de locaux à usage d'habitation régis par la loi du 28 décembre 2000 et dont l'acquisition est antérieure au 25 décembre 2004 ou qui ont été reçus par voie de succession ou de donation postérieurement à cette date, à la condition qu'ils aient été acquis antérieurement à cette date ; qu'il ressort des termes de la loi que celle-ci n'impose pas, contrairement à ce que soutient l'association requérante, que l'ensemble des biens détenus par le propriétaire aient été acquis avant le 25 décembre 2004 ;
9. Considérant qu'en adoptant la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004, le législateur a entendu pérenniser le régime d'encadrement des loyers prévu par la loi du 28 décembre 2000 ; qu'ainsi, postérieurement au 25 décembre 2004, date d'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2004, les décisions d'acquisition de biens régis par la loi du 28 décembre 2000 ont été prises au regard de cet encadrement pérenne des loyers et de son incidence sur les charges supportées par le propriétaire ; qu'ainsi, les propriétaires de locaux à usage d'habitation acquis postérieurement au 25 décembre 2004 ne se trouvent pas dans la même situation que les propriétaires de locaux acquis antérieurement à cette date ; qu'en limitant le bénéfice de l'allocation compensatoire de loyer aux propriétaires de locaux acquis antérieurement au 25 décembre 2004, la loi attaquée a établi une différence de traitement en rapport avec son objet rappelé au considérant n° 3 et n'a pas méconnu le principe d'égalité ;
10. Considérant, en deuxième lieu, que la loi attaquée prévoit que les propriétaires de locaux à usage d'habitation régis par la loi du 28 décembre 2000 et dont la surface totale est supérieure à 500 mètres carrés ne peuvent bénéficier de l'allocation compensatoire de loyer et que le propriétaire admis au bénéfice de l'allocation ne peut la solliciter qu'à concurrence d'une surface maximale de 300 mètres carrés ;
11. Considérant que ces différences de traitement entre les propriétaires de locaux relevant de la loi du 28 décembre 2000 reposent sur des critères en rapport avec l'objet de la loi rappelé au considérant n° 3 et ne sont pas disproportionnées ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité n'est pas fondé ;
12. Considérant, en dernier lieu, que, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant n° 6, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de la loi attaquée imposant au propriétaire de justifier de la location de l'ensemble des locaux, régis par la loi du 28 décembre 2000, qu'il possède seraient contraires au principe d'égalité ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et familiale
13. Considérant que l'article 22 de la Constitution dispose :
« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et au secret de sa correspondance » ;
14. Considérant que les articles 31 à 33 de la loi du 28 décembre 2000, dans leur rédaction résultant de la loi attaquée, mettent à la charge des propriétaires qui sollicitent l'octroi de l'allocation compensatoire de loyer un ensemble d'obligations déclaratives ; que ces dispositions n'impliquent pas la divulgation, par le demandeur, d'informations qui ne seraient pas nécessaires à l'Administration pour s'assurer du respect des conditions d'octroi de l'allocation compensatoire de loyer et pour calculer le montant de l'allocation verser ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que la loi attaquée méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 22 de la Constitution ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif
15. Considérant que le droit à un recours juridictionnel effectif est inhérent à l'affirmation constitutionnelle de la Principauté de Monaco en tant qu'État de droit ; que le respect de ce droit participe à la garantie des libertés et droits fondamentaux consacrés par le titre III de la Constitution ;
16. Considérant que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, le silence de la loi attaquée ne prive pas les propriétaires de toute voie de recours contre les mesures prises en application de cette loi ; que la légalité de l'Ordonnance Souveraine à laquelle la loi renvoie le soin de préciser certaines modalités de calcul de l'allocation compensatoire de loyer peut être critiquée devant le Tribunal Suprême ; qu'il est, par ailleurs, loisible à tout propriétaire de former un recours juridictionnel contre la décision administrative fixant le montant de l'allocation compensatoire de loyer à laquelle il a droit ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par la Constitution n'est pas fondé ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des principes de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines
17. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 20 de la Constitution : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi » ;
18. Considérant que l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.377 du 18 mai 2011, impose notamment au propriétaire de tout logement régi par cette loi et qui devient vacant de faire une déclaration de vacance auprès de la Direction de l'habitat dans le délai d'un mois et, sauf exceptions qu'il prévoit, d'offrir ce logement à la location dans le mois suivant la déclaration de vacance ; que l'article 35-1 de la même loi précise que, sauf motif légitime, le local doit être effectivement occupé avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date de la déclaration de vacance ; qu'en vertu de l'article 37 de la même loi, dans sa rédaction issue de la loi du 18 mai 2011, tout propriétaire ne respectant pas les dispositions de l'article 35 est passible d'une amende administrative, prononcée par le Ministre d'État, dont le montant ne peut excéder 50.000 euros ; que l'article 3 de la loi attaquée étend l'application de l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000 aux logements vacants ; qu'il ouvre également la faculté au Ministre d'État de prononcer à l'égard du propriétaire qui n'a pas respecté les obligations prévues à l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, outre une sanction pécuniaire d'un montant maximal de 50.000 euros, une sanction consistant en l'interdiction de percevoir l'allocation compensatoire de loyer pendant une période qui ne peut excéder six mois à compter de la mise en location ; qu'en vertu du même article 3 de la loi attaquée, la sanction pécuniaire peut être portée à 75.000 euros en cas de réitération de faits ayant donné lieu au prononcé d'une sanction pécuniaire dans le délai d'un an à compter du jour de sa notification ; que la loi attaquée prévoit, par ailleurs, qu'en cas de méconnaissance des obligations énoncées par l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, le propriétaire est entendu en ses explications ou dûment appelé à les fournir dans un délai de quinze jours à compter du manquement constaté et que le Ministre d'État peut mettre en demeure le propriétaire de proposer le bien à location dans un délai d'un mois ; que l'article 4 de la loi attaquée prévoit que les propriétaires de logements vacants au jour de son entrée en vigueur disposent d'un délai d'un an pour effectuer la déclaration de vacance ;
19. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que les dispositions législatives attaquées, en permettant que le propriétaire puisse être sanctionné en raison du comportement d'un tiers, méconnaîtraient le principe de personnalité des peines, qui découle de l'article 20 de la Constitution, manque en fait ;
20. Considérant, en deuxième lieu, d'une part, qu'un administré peut toujours se prévaloir d'un cas de force majeure de nature à l'exonérer du respect d'une obligation légale alors même que la loi ne réserve pas le cas de la force majeure ; que, d'autre part, loin d'interdire au propriétaire de pouvoir faire état d'un motif légitime pour lequel il n'aurait pas été en mesure de respecter l'une des obligations prévues à l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, la loi attaquée impose, au contraire, à l'Administration de recueillir ses explications préalablement au prononcé de toute sanction ; qu'un tel motif peut justifier qu'aucune sanction ne soit prononcée à l'encontre du propriétaire à raison du manquement à ses obligations ;
21. Considérant, en dernier lieu, que les sanctions prévues par la loi attaquée ne sont pas manifestement disproportionnées ; qu'il appartient au Ministre d'État, lorsqu'il est appelé à sanctionner la méconnaissance par un propriétaire d'une des obligations énoncées à l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes, notamment du comportement du propriétaire, de la gravité du manquement, appréciée au regard de sa durée, de sa répétitivité et, le cas échéant, du montant de l'allocation compensatoire de loyer indûment perçue ainsi que, si ces éléments sont portés à sa connaissance, de la situation financière du propriétaire ; que les sanctions prononcées sur le fondement des dispositions attaquées sont soumises au contrôle du juge de l'excès de pouvoir ;
22. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le législateur aurait méconnu les principes de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines qui découlent de l'article 20 de la Constitution ;
23. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO n'est pas fondée à demander l'annulation de la loi qu'elle attaque ; que sa requête doit, par suite, être rejetée ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
Sous les réserves d'interprétation énoncées aux considérants n^os 20 et 21, la requête de l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO est rejetée.
Article 2
Les dépens sont mis à la charge de l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO.
Article 3
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, rapporteur, Stéphane BRACONNIER, Membre titulaire, Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, et Monsieur Guillaume DRAGO, Membres suppléants, et prononcé le trente et un mai deux mille vingt-deux en présence du Ministère public, par Monsieur Didier RIBES, assisté de Madame Sylvie DA SILVA ALVES, Greffier.
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