TS 2022-09
Décision
Audience du 17 mai 2022
Lecture du 31 mai 2022
Recours en déclaration d'inconstitutionnalité de la loi n° 1.509 du 20 septembre 2021 relative à l'obligation vaccinale contre la COVID-19 de certaines catégories de personnes.
En la cause de :
Madame S. S. ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur ;
Contre :
L'État de Monaco représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
Visa
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu la requête présentée par Madame S. S., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 7 février 2022 sous le numéro TS 2022-09, tendant à la déclaration d'inconstitutionnalité de la loi n° 1.509 du 20 septembre 2021 relative à l'obligation vaccinale contre la COVID-19 de certaines catégories de personnes ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;
Motifs
CE FAIRE :
Attendu que Madame S. expose, à l'appui de sa requête, qu'en vertu de la loi n° 1.509 du 20 septembre 2021, tout membre du personnel d'un établissement de soins ou de santé, quel que soit son poste, est tenu de justifier d'un schéma vaccinal démontrant qu'il a subi une vaccination contre la COVID-19 ; que les modalités d'application de la loi, notamment la définition du schéma vaccinal complet et les modalités pour en justifier, ont été fixées par un arrêté ministériel du 15 octobre 2021, publié le 22 octobre 2021 ; que Mme S. a été embauchée au Centre Hospitalier Princesse Grace en avril 2008 en qualité d'aide-soignante de nuit à la résidence A Quietüdine ; que le 9 novembre 2021, elle s'est vue notifier verbalement et par téléphone qu'elle n'était pas autorisée à se présenter à son poste le lendemain ; qu'en application de la loi du 20 septembre 2021, son contrat de travail s'est trouvé dès lors suspendu ; que c'est la décision attaquée comme fondée sur des dispositions inconstitutionnelles dont la requérante entend se prévaloir par voie d'exception ;
Attendu que Mme S. soutient, tout d'abord, que les dispositions de la loi attaquée méconnaissent le principe général d'égalité devant la loi découlant des articles 17 et 32 de la Constitution ; qu'en effet, l'obligation vaccinale qui pèse sur les membres du personnel d'un établissement de soins ou de santé, qui consiste à leur imposer de justifier d'un schéma vaccinal afin de conserver leur emploi, constitue une discrimination entre les citoyens en fonction de leur activité professionnelle ; qu'une telle distinction entre les citoyens ne pourrait être admise que dans des cas particulièrement dramatiques ou d'urgence assimilables en droit à la force majeure ; qu'il apparaît qu'à ce jour, 4.160 personnes ont été touchées par le coronavirus depuis de le début de la crise sanitaire en Principauté de Monaco et une quarantaine de décès sont à déplorer, soit un taux de létalité de 1,1 % ; que, dès lors, il n'existe aucun état d'urgence de nature à justifier de porter atteinte au principe d'égalité devant la loi ;
Attendu que Mme S. allègue, ensuite, que les vaccins actuellement disponibles auxquels les membres du personnel d'un établissement de santé ou de soins doivent se soumettre pour ne pas se retrouver suspendus et sans salaire n'ont pas bénéficié de la phase de test (phase 4) au terme de laquelle il est possible d'être certain qu'il n'y aura pas d'effet secondaire ; que les conditions de précipitation et de violence dans lesquelles, en dehors de toute justification au regard de la létalité du virus et de ses variants, ont été adoptées des législations attentatoires aux libertés publiques manquent de justification ; que la menace qui pèse sur les salariés dans le domaine de la santé d'une suspension à demi-salaire et d'une perte d'emploi équivaut à une obligation de se soumettre à un processus de vaccination non validé et donc servir de cobayes ; que les dispositions attaquées sont contraires au principe essentiel du respect de l'intégrité physique, lequel exclut que des êtres humains puissent être utilisés comme cobayes à des fins d'expérimentation ; que, même si ce principe ne figure pas expressément dans la Constitution monégasque, il n'en demeure pas moins qu'il se rattache à la préservation des droits les plus élémentaires de la personne humaine, qui sont un prolongement du droit à la sûreté humaine au sens de la Constitution ; qu'admettre le contraire reviendrait à considérer que la Constitution monégasque ne protégerait pas l'intégrité physique et le Tribunal Suprême ne serait pas le gardien de ce droit, ce qui impliquerait, entre autres conséquences, que la torture ne serait pas inconstitutionnelle en Principauté ; que c'est dans le sens de la reconnaissance du droit à l'intégrité physique comme principe fondamental que la Principauté de Monaco a ratifié la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment son article 3 ;
Attendu que Mme S. fait, en outre, grief aux dispositions de la loi attaquée de méconnaître le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 22 de la Constitution ; que ce droit est également garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et assuré par l'article 135 du code de procédure pénale qui exclut qu'un médecin puisse fournir quelque indication que ce soit sur l'état de santé de son patient ; que la loi attaquée viole l'article 22 de la Constitution, l'article 135 du code de procédure pénale et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sans qu'il soit justifié d'un état d'urgence permettant de déroger aux libertés fondamentales ; que la loi attaquée fait peser sur les salariés concernés une obligation exorbitante du droit commun et injustifiée créant un dangereux précédent ;
Attendu, enfin, que Mme S. soutient que les dispositions de la loi attaquée présentent un caractère imprévisible et inapplicable ; que la prévisibilité de la loi est une exigence de l'État de droit que constitue la Principauté de Monaco ; qu'elle est nécessaire au respect du principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 17 de la Constitution ; que cela suppose que la loi soit à la fois prévisible et applicable dans tous les cas de figure ; qu'or, il résulte des dispositions attaquées qu'en l'absence de justification d'un schéma vaccinal, une suspension du contrat de travail doit intervenir pour une durée de quatre semaines avec maintien de 50 % de la rémunération ; qu'à l'expiration de cette durée, l'employeur a la faculté soit de prononcer le licenciement du salarié sans préavis en raison de son incapacité à occuper son poste de travail, soit de procéder à une mutation d'office dans un poste qui n'est pas soumis à l'obligation vaccinale prévue par la loi ; que la loi comporte un vide juridique dans le cas où l'employeur ne licencie pas le salarié et ne procède pas à sa mutation ; que le salarié n'est pas licencié, n'a plus droit au maintien de la moitié de sa rémunération et n'est plus en situation de suspension de son contrat de travail ; qu'un tel vide juridique porte atteinte au principe de prévisibilité qui s'attache à toute disposition juridique ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 6 avril 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation de Mme S. aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État expose que le 30 janvier 2020, le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé déclarait une urgence de santé publique de portée internationale ; qu'en mars 2020, des mesures exceptionnelles ont été prises par le Gouvernement Princier pour lutter contre l'une des plus graves crises que la Principauté a eu à connaître depuis la seconde guerre mondiale, liée à la propagation du coronavirus ; que depuis, se sont succédé plusieurs vagues de contaminations ; qu'au 22 juillet 2021, 2.744 personnes résidant à Monaco avaient été infectées par le virus SARS-CoV-2 et, parmi elles, 33 sont décédées ; qu'en raison de la multiplication et de la contagiosité de nouveaux variants, la crise sanitaire n'est pas terminée ; que la vaccination contre ce virus protège des formes les plus graves et limite les risques de transmission ; que toutefois, ainsi que l'a relevé l'exposé des motifs du projet de la loi attaquée, « force est de constater que le taux de couverture vaccinale actuelle n'est pas encore assez satisfaisant pour certaines catégories de personnes ayant, du fait de leur activité, des risques particuliers de contamination pour elles-mêmes et pour les personnes vulnérables ou fragiles qu'elles prennent en charge. Par exemple, au 22 juillet 2021, 66,12 % du personnel des établissements de santé ont bénéficié d'une première dose d'un vaccin contre la Covid-19 » ; que, dans ce contexte de crise sanitaire exceptionnelle, le Gouvernement Princier a, dans le souci de préserver la santé publique et notamment celle des personnes vulnérables et fragiles, déposé un projet de loi afin d'instaurer, à l'instar de plusieurs pays voisins dont la France, une obligation vaccinale de certaines catégories de professionnels ; que les amendements, déposés par la Commission des Intérêts Sociaux et des Affaires Diverses du Conseil National et acceptés par le Gouvernement, ont eu notamment pour objet de définir précisément le champ d'application de l'obligation vaccinale par une liste exhaustive des professionnels concernés, de préciser les cas dans lesquels la personne peut être dispensée de l'obligation vaccinale, d'encadrer les conséquences qui s'attachent à un refus d'une personne de se conformer à l'obligation vaccinale et de fixer un terme à l'application de l'obligation édictée ; que la loi du 20 septembre 2021 est ainsi le fruit d'un consensus politique destiné à répondre de manière strictement proportionnée à une exigence de santé publique et de protection des personnes les plus vulnérables ; qu'un arrêté ministériel du 15 octobre 2021 en fixe les modalités d'application ; qu'en application de cette loi, Mme S. a été invitée, le 2 novembre 2021, à transmettre au plus tard le mardi 9 novembre, une attestation au format numérique ou papier justifiant son statut vaccinal (complet ou injection d'une première dose pour un vaccin à deux doses), un certificat de rétablissement en cours de validité ou un certificat de confirmation de contre-indication temporaire ou définitive, délivré par le Comité des médecins créé à cet effet ; que n'ayant produit aucun de ces trois justificatifs, elle a été suspendue à compter du 10 novembre 2021 ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, à titre principal, que la requête de Mme S. est irrecevable à un double titre ; que, d'une part, elle est tardive dès lors que le délai de deux mois prévu par l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 n'a manifestement pas été respecté ; que la requérante déclare attaquer la décision de suspension de son contrat de travail à compter du 10 novembre 2021 comme se fondant sur des dispositions légales inconstitutionnelles, inconstitutionnalité dont elle entend se prévaloir par voie d'exception ; qu'or, c'est plus de deux mois après cette décision, le 7 février 2022, que la requête a été déposée ; qu'à supposer même que soit retenue la date du courrier du 25 novembre 2021 comme point de départ du délai de recours, celui-ci était expiré lorsque Mme S. a saisi le Tribunal Suprême ; que, d'autre part, la requête est irrecevable en ce qu'elle tend exclusivement à voir le Tribunal Suprême déclarer inconstitutionnelle la loi n° 1.509 du 20 septembre 2021 ; que, présentée plus de deux mois après la publication de la loi, une telle demande est recevable si et seulement si elle est soulevée, par voir d'exception, à l'appui d'un recours tendant à l'annulation d'une mesure d'exécution ; que le dispositif de la requête de Mme S. ne comporte aucune conclusion à fin d'annulation mais une unique demande de déclaration d'inconstitutionnalité de la loi ; qu'une telle exception d'inconstitutionnalité, non assortie de conclusions à fin d'annulation, ne saurait être admise ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, à titre subsidiaire, que la requête doit être rejetée dès lors qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé ;
Attendu que le Ministre d'État estime, en premier lieu, que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devrait être écarté ; que le Conseil d'État français, qui retient une même conception du principe d'égalité, a eu l'occasion d'écarter toute méconnaissance de ce principe par la loi du 5 août 2021 relative à la crise sanitaire qui instaure une obligation vaccinale pour les soignants ; qu'il a estimé que « la circonstance que les dispositions contestées font peser sur les personnes exerçant une activité au sein des établissements de santé une obligation vaccinale qui n'est pas imposée, notamment, aux personnels des établissements scolaires et universitaires, constitue, compte tenu des missions des établissements de santé et de la vulnérabilité des patients qui y sont admis, une différence de traitement en rapport avec cette différence de situation, qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi » (CE, 28 janvier 2022, n° 458261) ; que l'obligation vaccinale instaurée par la loi attaquée répond à l'objectif d'intérêt général de protection de la santé publique et notamment celle des soignants et des personnes vulnérables dont elles ont la charge ; qu'il s'agit de protéger le droit à la vie et le droit à la santé des personnes soumises à l'obligation vaccinale et des individus pris en charge par ces personnes, la COVID-19 pouvant tuer ou avoir des effets extrêmement graves sur la santé, mais également l'intérêt général, en évitant que des services essentiels, comme ceux assurés par les professionnels de santé, ne puissent plus être assurés parce que leurs effectifs auraient été réduits par la COVID-19 ; qu'ainsi que l'a rappelé l'exposé des motifs du projet de loi, dans un contexte de développement de variants à la dangerosité plus élevée et de résultats de nombreuses études scientifiques attestant de ce que la vaccination protège des formes graves et diminue les risques de contamination, la nécessité d'obtenir un taux de couverture vaccinale le plus élevé possible s'impose ; que le fait que la vaccination obligatoire des soignants satisfasse un objectif d'intérêt général a d'ailleurs été admis par les plus hautes juridictions françaises dans le cadre de la lutte contre la pandémie liée au coronavirus ; que, dans un litige afférent à la suspension d'un agent d'un centre hospitalier, le Conseil d'État a très récemment rappelé qu'« en adoptant, pour l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du Code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des personnes qui y étaient hospitalisées » (CE, 2 mars 2022, Centre hospitalier de Saint-Etienne, n° 459274) ; qu'il a également jugé que la loi du pays de Polynésie française du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la COVID-19 a « apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique, et proportionnée à ce but » (CE, 10 décembre 2021, n° 456004) ;
Attendu que dans le but de protéger la santé publique, et notamment celle des personnes les plus fragiles prises en charge par les professionnels de santé, l'article 1^er de la loi attaquée énumère expressément et de manière exhaustive les personnes soumises à l'obligation vaccinale, son article 2 exemptant notamment de l'obligation vaccinale les personnes faisant l'objet d'une contre-indication médicale ; qu'aux membres des personnels des établissements énumérés et aux personnes exerçant l'une des six professions de santé (médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme, pharmacien ou préparateur en pharmacie, auxiliaire médical, ostéopathe), s'ajoutent les personnes exerçant leur activité auprès de ces établissements ou professionnels de santé ; que seuls ceux susceptibles d'être « en contact direct » avec les patients sont concernés par l'obligation vaccinale, dont le champ d'application est ainsi strictement délimité ; que le fait d'imposer une obligation vaccinale a déjà été prévu comme une condition préalable à l'exercice des professions concernées par la loi n° 882 du 29 mai 1970 ; qu'il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les professionnels de santé et ceux susceptibles d'être en contact direct avec les patients ne sont pas placés dans la même situation que l'ensemble des autres citoyens ; que prévoir une obligation vaccinale pour ces seules personnes constitue une différence de traitement en rapport direct avec l'objectif d'intérêt général de protection de la santé publique, et notamment des patients les plus vulnérables ;
Attendu, en deuxième lieu, que selon le Ministre d'État, l'argumentation de la requérante selon laquelle la loi contraindrait les personnes à se soumettre à une vaccination expérimentale en violation du principe du respect de l'intégrité physique procède d'une confusion entre les notions d'autorisation de mise sur le marché conditionnelle et d'expérimentation ; que l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle est prévue par des textes européens pour répondre, en situation d'urgence, à des menaces pour la santé publique dûment reconnues soit par l'Organisation mondiale de la santé, soit par la Communauté européenne ; que si les délais d'instruction des demandes d'autorisation sont réduits, l'Agence européenne du médicament veille à garantir la sécurité, seuls étant autorisés dans ce cadre les vaccins dont les données disponibles indiquent que les bénéfices l'emportent sur les risques ; qu'ainsi que l'a souligné la doctrine, les personnes qui administrent ces vaccins comme celles qui les reçoivent ne sont nullement impliquées dans une expérimentation clinique ; qu'à cet égard, le Conseil d'État français a eu l'occasion d'écarter le moyen tiré du caractère expérimental des vaccins en jugeant qu'il « ressort des pièces du dossier que tous les vaccins contre la covid-19 autorisés par le gouvernement de la Polynésie française ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament. Il ne peut pas être sérieusement contesté que cette dernière autorisation est toujours en vigueur. Si l'autorisation est conditionnelle, il ne s'ensuit pas pour autant que la vaccination obligatoire aurait le caractère d'une expérimentation médicale ou d'un essai clinique, lesquels au surplus obéissent à d'autres fins. Sont donc inopérants les moyens tirés de ce que la » loi du pays « contestée méconnaîtrait les règles et principes auxquels sont subordonnés de tels essais ou expérimentations, notamment et en tout état de cause ceux de la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine signée à Oviedo le 4 avril 1997 » (CE, 10 décembre 2021, n° 456004) ; que cette solution est parfaitement transposable à la situation monégasque dont la législation est identique à celle de la France en la matière ;
Attendu que les vaccins qui sont administrés à Monaco sont uniquement ceux qui ont reçu une autorisation de mise sur le marché conformément aux dispositions du droit commun régissant ce type d'autorisation et prévues par l'article 2 de l'Ordonnance Souveraine n° 15.712 du 3 mars 2003 relative à la mise sur le marché des médicaments à usage humain ; que le respect de ces exigences de droit commun a été rappelé par la décision ministérielle du 30 décembre 2020 relative à la vaccination contre la COVID-19, prise en application de l'article 65 de l'Ordonnance Souveraine n° 6.387 du 9 mai 2017 relative à la mise en œuvre du Règlement Sanitaire International (2005) en vue de lutter contre la propagation internationale des maladies ; que l'affirmation selon laquelle la loi attaquée conduirait à utiliser les soignants « comme des cobayes à des fins d'expérimentation » est donc erronée ;
Attendu que s'agissant des prétendus effets secondaires dont la réalisation risquerait de porter atteinte à l'intégrité physique des personnes soumises à l'obligation vaccinale, la requête n'est pas assortie des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé ; que néanmoins, les effets secondaires des vaccins contre la COVID-19 n'ont pas été ignorés par les autorités sanitaires ; qu'à l'échelle de la population visée par l'obligation vaccinale, les risques apparaissent bien moindres que les bénéfices attendus pour tous ; que dans le cadre de la campagne de vaccination contre la COVID-19, un dispositif spécifique de surveillance renforcée des effets indésirables des vaccins a été mis en place par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, compétente à Monaco en vertu des dispositions de l'article 1^er de l'Ordonnance Souveraine n° 15.712 du 3 mars 2003 ; que ce dispositif s'intègre dans le plan de gestion des risques coordonné par l'Agence européenne du médicament et destiné à réaliser une évaluation continue de la sécurité des vaccins contre la COVID-19 afin d'être en capacité de s'assurer de leur innocuité ou de prendre rapidement les mesures qui s'imposeraient ; qu'à ce titre, ont été décidées des restrictions d'indication pour les vaccins à adénovirus d'Astra Zeneca et de Janssen ; qu'une synthèse bimensuelle des effets indésirables recensés pour tous les types de vaccins autorisés contre la COVID-19 est publiée sur le site de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ; que le dernier bulletin disponible relève que la majorité des effets indésirables du vaccin Pfizer utilisé à la Monaco « sont attendus et non graves » ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en troisième lieu, que le moyen tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée n'est pas sérieux ; que ce droit, garanti par l'article 22 de la Constitution, n'est pas absolu ; qu'il peut être porté atteinte à ce droit dès lors qu'une telle atteinte est prévue par la loi, qu'elle poursuit un but d'intérêt général et qu'elle est strictement proportionnée à cet objectif ; qu'en l'espèce, le législateur a veillé à préserver ce rapport de proportionnalité en assortissant l'obligation pour les salariés concernés de justifier d'un schéma vaccinal complet d'un certain nombre de garanties ; qu'en vertu de l'article 3 de la loi, lorsqu'elle ne souhaite pas les transmettre elle-même à son employeur, la personne peut transmettre le document attestant qu'elle a effectué un schéma vaccinal complet, le certificat de rétablissement ou le certificat de contre-indication à l'Office de la Médecine du Travail, qui informe sans délai l'employeur de la satisfaction de l'obligation prévue par la loi ; qu'ainsi que le précise le rapport de la Commission des Intérêts Sociaux et des Affaires Diverses du Conseil National, l'Office ne précisera pas à l'employeur si la personne dispose d'un schéma vaccinal complet ou d'un certificat de rétablissement et, dans l'hypothèse d'une contre-indication médicale à la vaccination, l'employeur ne pourra connaître la raison précise de cette contre-indication ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en dernier lieu, que le moyen tiré de la méconnaissance du principe de prévisibilité de la norme manque en fait ; que l'article 3 de la loi attaquée prévoit notamment qu'à l'échéance d'un délai de quatre semaines de suspension et jusqu'à l'échéance d'un délai de douze semaines de suspension, l'employeur peut, sauf si la personne s'y oppose, prononcer son licenciement, la muter d'office sur un poste qui n'est pas soumis à l'obligation vaccinale ou, à défaut, prononcer sa mise à la retraite lorsque ses droits à la retraite sont ouverts ; qu'il est expressément prévu qu'en cas d'opposition, la personne demeure suspendue de ses fonctions soit jusqu'à la satisfaction de l'obligation vaccinale, soit jusqu'à la rupture de la relation de travail ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, l'hypothèse dans laquelle l'employeur ne licencie pas le salarié et ne procède pas à sa mutation est envisagée par la loi ; que les travaux préparatoires de la loi confirment que dans une telle situation, la personne demeure suspendue ; que, par ailleurs, les conséquences qui s'attachent à la suspension sont précisément définies par l'article 3 de la loi ; que, dès lors, la loi n'est entachée d'aucun vide juridique ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 21 avril 2022, par laquelle Mme S. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que Mme S. entend préciser, en premier lieu, que sa requête tend exclusivement à remettre en cause la constitutionnalité de la loi du 20 septembre 2021 et de son arrêté ministériel d'application et non à l'annulation de la décision administrative de suspension prise sur son fondement ; que, dans sa décision du 14 décembre 2021, le Tribunal Suprême a admis la validité d'un recours formé sur l'inconstitutionnalité d'une loi en dehors du délai de deux mois après sa publication ; qu'en effet, le Tribunal n'a pas jugé irrecevable une requête formée le 2 juin 2021 contre la loi n° 1.471 du 2 juillet 2019, soit près de deux ans après la publication de la loi ; qu'en outre, le délai de deux mois ne s'applique pas au recours formé à l'encontre d'une loi par voie d'exception, c'est-à-dire à l'occasion d'une décision administrative faisant grief fondée sur la loi attaquée ; qu'en l'espèce, c'est bien à l'occasion de la décision de suspension de son contrat de travail que la requérante a formé le présent recours ; que celui-ci n'est donc encadré par aucun délai ; que l'affirmation du Ministre d'État selon laquelle le recours formé à l'encontre d'un texte de loi inconstitutionnel par voie d'exception ne serait recevable que si la requête comporte une demande formelle d'annulation d'une décision administrative n'est fondée sur aucun texte ou disposition quelconque ; que la fin de non-recevoir soulevée par le Ministre d'État sera dès lors écartée ; que la requête vise expressément la décision de suspension du contrat de travail de Mme S. fondée sur la loi du 20 septembre 2021, qui se trouvera de plein droit invalidée dès lors que les dispositions sur lesquelles elle se fonde seront déclarées inconstitutionnelles par le Tribunal Suprême, ce qui implique qu'il n'est nul besoin d'en solliciter l'annulation ;
Attendu que Mme S. ajoute, en deuxième lieu, que si le Ministre d'État estime que le danger représenté par l'épidémie est malheureusement toujours d'actualité, les toutes dernières statistiques publiées en la matière démontrent que le variant Omicron, quoique très contagieux, n'est absolument pas létal, aucune admission en soins intensifs ni aucun décès lié à ce variant n'étant enregistré ; qu'en outre, l'affirmation suivant laquelle l'épidémie de COVID-19 aurait constitué, au moment de la promulgation de la loi litigieuse, un péril de nature à justifier l'adoption de mesures attentatoires aux libertés publiques et aux principes essentiels ne résiste pas à l'analyse des données statistiques concernant cette épidémie ; qu'au 19 avril 2022, ont été enregistrés en France 26,39 millions de cas de contamination à la COVID-19, s'étant traduits par un nombre de décès à la même date de 142.912, soit un taux de létalité de l'épidémie d'environ 0,5 % ; qu'un tel taux de létalité correspond approximativement à ce qui est enregistré dans le cadre d'épidémies de grippe conventionnelle et ne saurait par conséquent être considéré comme un état d'urgence sanitaire d'une telle gravité qu'il justifierait une violation des libertés fondamentales ; que les personnes vaccinées représentent 42 % des cas de décès, ce qui illustre assez l'inefficacité des vaccins potentiellement dangereux qui ont été inoculés à la population ; qu'il apparaît que l'adoption de dispositions similaires dans d'autres États, notamment la France, a eu pour objet non de parer à un risque mortel important mais d'éviter la surcharge éventuelle des services de réanimation dont l'efficacité avait été impactée pour des raisons économiques difficilement justifiables ; qu'une telle situation n'existant pas en Principauté de Monaco, les dispositions attaquées sont disproportionnées au regard du danger objectif de cette épidémie ;
Attendu, en outre, que la circonstance invoquée que l'utilisation d'un vaccin de type ARN messager permettrait d'éviter les formes les plus graves de la maladie paraît questionnable au vu des statistiques ; que la seule et unique justification de l'obligation de vaccination prévue par la loi attaquée réside dans le fait que les salariés du secteur de la santé sont en contact avec des personnes qui, du fait de leur état de santé, présentent des facteurs de comorbidité tels que la transmission de la maladie pourrait avoir, en ce qui les concerne, des conséquences particulièrement préjudiciables ; que, toutefois, aucune autorité médicale sérieuse n'a jamais affirmé que la vaccination aurait un effet quelconque sur le risque de transmission de la maladie ; qu'un salarié, vacciné ou non, présente très exactement le même risque de transmission de la maladie aux patients hospitalisés dont il a la charge ; qu'il appartiendra à l'État de rapporter la preuve que le vaccin ARN messager diminue les risques de contamination alors même que toutes les données scientifiques démontrent le contraire et qu'il n'y a pas de contestation sur cette question au sein de la Faculté ; que d'ailleurs, pour lutter contre le manque d'effectifs, le Centre Hospitalier Princesse Grace a demandé à des salariés effectivement atteints du COVID-19 mais vaccinés de venir travailler ; qu'ainsi, bien que le vaccin n'ait aucun incidence sur la transmission du virus, des salariés non malades ont été écartés et sanctionnés parce qu'ils n'étaient pas vaccinés alors que des salariés effectivement atteints du COVID-19 ont été mis en contact avec des personnes hospitalisées ;
Attendu, enfin, que Mme S., comme d'autres salariés ayant également refusé la vaccination, a proposé une solution alternative consistant à effectuer quotidiennement des tests permettant d'être assuré de son état de santé ; qu'une telle solution, qui présentait l'avantage d'être totalement fiable et de ne faire courir aucun danger aux personnes hospitalisées, n'a reçu aucune suite ;
Attendu que Mme S. entend préciser qu'elle n'est en aucun cas hostile par principe à toute vaccination mais qu'elle a refusé de se soumettre à une obligation indirecte de vaccination car les vaccins existants ne présentent aucune garantie en ce qui concerne les effets secondaires potentiellement très graves qu'ils ont pu avoir dans certains cas ou qu'ils pourraient avoir dans plusieurs années ;
Attendu, en troisième lieu, que, selon Mme S., la Principauté de Monaco est un État indépendant dont le droit est d'ailleurs sensiblement différent de celui de la République française ; que les décisions rendues par les juridictions du pays voisin ne s'imposent en aucun cas aux juridictions monégasques ; que la décision du Conseil d'État français citée par le Ministre d'État, prise dans un contexte politique et économique qui n'est pas celui de la Principauté de Monaco, retient de manière contestable que les dispositions en cause ne seraient pas disproportionnées au regard d'un impératif de santé publique ; qu'en effet, la discrimination ne porte pas sur les conditions de l'application de ces dispositions, c'est-à-dire les salariés auxquels elle s'applique mais sur les conséquences de son application au niveau d'une même catégorie de salariés ; que la discrimination réside dans le fait que les salariés justifiant d'une vaccination vont avoir la possibilité de continuer à travailler alors que ceux qui n'en justifient pas vont être privés de leur emploi ; qu'il a été démontré que la proportionnalité de la mesure prévue par la loi n'existe pas ; qu'ainsi, les dispositions de la loi attaquée introduisent une discrimination entre salariés en fonction de leur état de santé ; qu'une véritable urgence sanitaire n'est nullement caractérisée ; que la preuve qu'une telle discrimination serait efficace pour éviter la propagation de la maladie n'est pas démontrée ; que cette discrimination n'était donc ni justifiée, ni proportionnée à la date de la promulgation de la loi ; qu'elle l'est moins encore au moment où les États renoncent aux mesures contraignantes adoptées pour enrayer la transmission du virus ;
Attendu que Mme S. relève, en quatrième lieu, que le Ministre d'État ne conteste pas que le principe du respect de l'intégrité physique des êtres humains soit intégré dans le bloc de constitutionnalité de la Principauté de Monaco ; qu'elle ajoute que le vaccin à base d'ARN messager administré à Monaco n'a pas été soumis à l'ensemble des tests qui doivent normalement être effectués pour un tel vaccin avant sa mise sur le marché ; que l'autorisation délivrée est conditionnelle ; que la question des effets secondaires de ce type de vaccin est posée, aucun consensus médical n'existant à ce sujet ; que ces vaccins utilisent des technologies nouvelles à ARN messager et ADN recombiné, jamais utilisés chez l'Homme pour lutter contre une infection ; que leur autorisation de mise sur le marché a été mise en place dans le cadre d'une procédure d'urgence après étude accélérée de la phase 1 et de la phase 2 des tests, dans des conditions, extrêmement critiquables, d'absence de transparence ; que la phase 3, sans laquelle il est impossible de garantir une bonne connaissance des effets secondaires potentiels, est toujours en cours et les résultats sont attendus pour 2023 ; que ces vaccins sont donc de véritables substances expérimentales dont les effets indésirables à moyen et surtout à long terme sont totalement inconnus et particulièrement inquiétants, tels qu'une modification du génome et de l'épigénétique ; que nul ne peut affirmer que des effets secondaires particulièrement redoutables ne vont pas se manifester chez les personnes vaccinées dans plusieurs années ; que l'ensemble des mesures de surveillance évoquées par le Ministre d'État démontre le caractère expérimental et potentiellement dangereux de tels vaccins ; que ces mesures de précaution sont insuffisantes pour prévenir de tels effets secondaires ; que la base de données des effets secondaires aux États-Unis rapporte plus d'un million d'effets secondaires dont 21.000 décès confirmés au 27 décembre 2021 et 20.560 myocardites ; que les vaccins contre la COVID-19 ont accumulé en un an plus d'effets secondaires graves que tous les autres vaccins réunis en trente-quatre ans ; qu'au 1er^ janvier 2022, 1.327.876 cas d'effets secondaires ont été signalés sur la base de données de l'Agence européenne du médicament parmi lesquels 36.267 décès susceptibles d'être en rapport direct avec l'administration du vaccin Pfizer ; que les effets secondaires de ces vaccins expérimentaux semblent plus graves chez les personnes jeunes pour lesquelles le risque lié à la COVID-19 est extrêmement faible ; que la confiance aveugle que semblent accorder les autorités de la Principauté aux décisions prises dans le pays voisin traduisent un manque de prudence et un manquement au respect du principe de précaution qui aurait dû s'imposer dans le contexte d'une épidémie dont il y a lieu de se demander si la létalité n'est pas inférieure à celle des vaccins destinés à lutter contre elle ; qu'un tribunal administratif français a annulé les suspensions d'un certain nombre d'agents concernés par des dispositions similaires ; que, par une ordonnance de référé rendu le 1^er mars 2022, le conseil des prud'hommes d'Alençon a déclaré illicite la suspension d'une salariée sur le fondement de telles dispositions aux motifs que l'Agence européenne du médicament n'a délivré qu'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle qui rend nécessaire que des études complémentaires soient menées en cours d'utilisation et de commercialisation du traitement sur son efficacité et son innocuité, que les vaccins concernés doivent être regardés comme des médicaments expérimentaux et que, quatre mois et demi après la mise en place de l'obligation vaccinale, les faits démontrent que la vaccination n'empêche ni la contamination, ni le développement de la maladie des personnes vaccinées ; qu'il s'ensuit que le fait de soumettre, même indirectement, et sous la menace d'une perte d'emploi, non assortie d'indemnités de chômage, un salarié à une obligation factuelle de vaccination en présence de risques d'effets secondaires non maîtrisés qui confèrent au vaccin un caractère expérimental est contraire au principe de respect de l'intégrité physique et au principe de sûreté garanti par la Constitution ;
Attendu que Mme S. fait valoir, en cinquième lieu, que l'article 3 de la loi attaquée ajoute un intermédiaire, l'Office de la Médecine du Travail, dans le processus mais il n'en demeure pas moins que le salarié est obligé d'informer l'employeur de son état de santé, dans le cadre de son schéma vaccinal ; que les débats au sein du Conseil National évoqués par le Ministre d'État ne constituent pas une norme dès lors que leur contenu n'a pas été incorporé dans le texte litigieux ; qu'ainsi, la loi attaquée porte atteinte au droit constitutionnel au respect de la vie privée qui a pour corollaire, entre autres, le droit au respect du secret médical ;
Attendu que Mme S. précise, en dernier lieu, que la suspension sans traitement appliquée dans un second temps au salarié qui n'a pas justifié de sa vaccination constitue une sanction administrative qui ne peut en temps normal être décidée qu'après que le salarié a eu l'occasion de présenter sa défense et à l'issue d'un conseil de discipline ; que l'adoption d'une telle mesure ne saurait être envisagée en dehors de toute faute commise par le salarié ; que dans le cas, qui est celui de la requérante, où l'employeur n'envisage pas le licenciement ou la révocation du salarié, celui-ci se trouve placé devant une alternative qui consiste soit à rester dans l'impossibilité de travailler et de percevoir une rémunération, soit à devoir donner sa démission, ce qui implique qu'il sera privé de toute indemnité de chômage ; que cette situation inacceptable, conséquence pratique d'une imprécision juridique, renforce le caractère de sanction d'une particulière gravité des dispositions de la loi à l'encontre des salariés réfractaires aux risques de la vaccination ; qu'il est difficile d'imaginer des dispositions plus inhumaines et moins légitimes dans un État de droit puisqu'elles consistent à contraindre par une forme de violence les salariés du secteur de la santé, à ce qu'il soit porté atteinte à leur intégrité physique, sous la menace d'une privation partielle puis totale de rémunération et, pour finir, d'indemnités chômage ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 6 mai 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute, en premier lieu, que l'exception d'inconstitutionnalité d'une loi ne peut être invoquée qu'à l'appui d'une requête dirigée contre une décision administrative prise en application de cette loi ; que si le recours à l'appui duquel est soulevée l'exception d'inconstitutionnalité est irrecevable car tardif, l'exception d'inconstitutionnalité est également irrecevable ; que, par ailleurs, un recours direct contre la loi doit être présenté dans les deux mois qui suivent sa publication, ce qui n'est manifestement pas le cas en l'espèce ; que dans l'affaire TS 2021-17 jugée par le Tribunal Suprême le 2 décembre 2021, l'Union des syndicats de Monaco avait saisi, dans le délai de recours, le Tribunal Suprême d'une requête dirigée contre la loi du 2 juillet 2019 mais l'avait saisi à tort en sa qualité de juge administratif sur le fondement du B de l'article 90 de la Constitution ; que le Tribunal Suprême a jugé, dans sa décision du 6 avril 2021, que la requête ayant été portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, la requête avait conservé le délai de recours prévu à l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 ; que c'est dans ce délai que l'Union des syndicats de Monaco a saisi le Tribunal d'une requête présentée sur le fondement du A de l'article 90 de la Constitution ; qu'ainsi, de quelque point de vue que ce soit, la requête de Mme S. est tardive ;
Attendu, en deuxième lieu, que, selon le Ministre d'État, la proportionnalité de l'obligation vaccinale mise en œuvre par la loi litigieuse ne saurait s'apprécier au regard du seul taux de létalité de la COVID-19 ; qu'il importe, en effet, de prendre en considération les risques de développement de formes graves de la maladie, avec l'ensemble des conséquences qui s'attachent au bouleversement du système hospitalier provoqué par un nombre important de patients en soins intensifs ; qu'en outre, si la vaccination ne supprime pas le risque de transmission, elle contribue à le diminuer ; que ces affirmations reposent sur les conclusions de nombreuses études scientifiques ; que l'Organisation mondiale de la santé indique, sur son site internet mis à jour au 16 mars 2022, que « les vaccins anti-COVID-19 confirment une forte protection contre des maladies graves, une hospitalisation et le décès. On dispose aussi de données prouvant qu'en étant vacciné(e), vous aurez moins de risques de transmettre le virus à d'autres » ; que cette circonstance a pu être prise en compte par le Conseil d'État français dans le cadre de l'application d'un dispositif similaire à celui mis en œuvre en Principauté ; qu'enfin, il n'appartient pas au juge constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur ; qu'il lui incombe seulement de vérifier que les restrictions posées à l'exercice d'une liberté ne sont pas disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi par la loi qui l'établit ; que dans sa décision n° 457879 du 28 janvier 2022, le Conseil d'État français a estimé, en ce sens, que « le droit à la protection de la santé (…) n'impose pas de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteinte par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé » ; que la circonstance selon laquelle le législateur monégasque aurait pu faire le choix d'exiger un test négatif quotidien en lieu et place d'une obligation vaccinale est ainsi indifférente ; qu'il a été démontré dans la contre-requête que l'obligation vaccinale mise en œuvre est proportionnée ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en troisième lieu, que, dès lors que le Conseil d'État français retient une conception identique du principe d'égalité, ses décisions relatives à l'obligation vaccinale des soignants sont particulièrement éclairantes et transposables à l'appréciation de la législation monégasque similaire ; qu'à suivre la logique de la requérante, toute loi fixant une obligation sanctionnée serait susceptible de conduire à une discrimination entre les personnes la respectant et celles refusant de la respecter ; que pour apprécier le respect du principe d'égalité, il ne s'agit pas de comparer la situation des soignants selon qu'ils se soumettront à l'obligation vaccinale mais de s'assurer que cette obligation, qui pèse sur certains professionnels seulement, est en rapport avec l'objectif qu'elle poursuit ;
Attendu que le Ministre d'État estime, en quatrième lieu, qu'en se bornant à évoquer l'existence de rares effets secondaires et la circonstance selon laquelle les vaccins en cause reposent sur des technologies nouvelles, la requérante ne remet en cause ni l'existence d'un rapport bénéfice-risque positif, ni l'impérieuse nécessité de protection de la santé publique ; que dans sa décision n° 457879 du 28 janvier 2022, le Conseil d'État a écarté la méconnaissance, par l'obligation vaccinale des soignants, de l'exigence constitutionnelle de protection de la santé, de l'inviolabilité du corps humain et du principe de respect de la dignité de la personne humaine, au motif que « la vaccination contre la COVID-19, dont l'efficacité au regard des deux objectifs rappelés au point 6 est établie en l'état des connaissances scientifiques, n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires » ; que l'argumentation de Mme S. repose sur des affirmations erronées, telles que celle selon laquelle les vaccins contre le coronavirus à ARN messager auraient pour effet de modifier le génome ; que, selon l'INSERM, il résulte de plusieurs décennies de recherche en laboratoire sur les vaccins que l'ARN injecté via le vaccin contre la COVID-19 n'a aucun risque de transformer le génome ou d'être transmis à la descendance ; que seuls bénéficient d'une autorisation conditionnelle les vaccins dont les données disponibles indiquent que les bénéfices l'emportent sur les risques ; qu'il ne saurait dès lors être déduit du caractère conditionnel des autorisations, inhérent à la situation d'urgence liée à la pandémie, l'impossibilité de rendre obligatoire la vaccination ; qu'enfin, la requérante ne peut se fonder sur des décisions isolées, émanant de juridictions françaises de première instance, pour remettre en cause des solutions posées par les plus hautes juridictions ;
Attendu, en cinquième lieu, que le Ministre d'État relève que la requérante feint d'ignorer que l'Office de la Médecine du Travail ne précisera pas à l'employeur si la personne dispose d'un schéma vaccinal complet ou d'un certificat de rétablissement ; que l'article 3 comporte ainsi une garantie du droit au respect de la vie privée ;
Attendu que le Ministre d'État estime, en dernier lieu, que Mme S. ne critique plus, dans sa réplique, le « vide juridique » de la loi mais le fait qu'elle conduit à la suspension des salariés qui ne satisfont pas à l'obligation vaccinale ; qu'à cet égard, le Conseil d'État français a estimé, dans sa décision n° 457879 du 28 janvier 2022, qu'en prévoyant un mécanisme de suspension et non de rupture du contrat de travail, « les dispositions attaquées ont opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences qui découlent du droit à l'emploi et du droit à la protection de la santé » ; qu'il n'y a pas lieu de raisonner différemment ;
SUR CE,
Vu la loi attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution, notamment le B de son article 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 1.509 du 20 septembre 2021 relative à l'obligation vaccinale contre la COVID-19 de certaines catégories de personnes ;
Vu l'Ordonnance du 8 février 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier RIBES, Vice-président, comme rapporteur ;
Vu l'Ordonnance du 8 février 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a réduit les délais de production de la réplique et de la duplique ;
Vu l'Ordonnance du 7 avril 2022 modifiée, par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 17 mai 2022 ;
Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef adjoint en date du 13 mai 2022 ;
Ouï Monsieur Didier RIBES, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître Frank MICHEL, Avocat-Défenseur, pour Madame S. S. ;
Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général adjoint en ses conclusions par lesquelles il s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ
1. Considérant qu'aux termes de l'article 90 de la Constitution : « A. - En matière constitutionnelle, le Tribunal Suprême statue souverainement : / (…) / 2°) sur les recours en annulation, en appréciation de validité et en indemnité ayant pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution, et qui ne sont pas visés au paragraphe B du présent article. / B. - En matière administrative, le Tribunal Suprême statue souverainement : / 1°) sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les Ordonnances Souveraines prises pour l'exécution des lois, ainsi que sur l'octroi des indemnités qui en résultent ; / (…) » ; que l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême dispose que « (…) le délai du recours devant le Tribunal Suprême est, à peine d'irrecevabilité, de deux mois à compter, selon le cas, de la notification de la signification ou de la publication de l'acte ou de la décision attaquée. / En toute autre hypothèse, le recours doit, à peine d'irrecevabilité, être formé dans les deux mois à partir du jour où le fait sur lequel il est fondé a été connu de l'intéressé. En cas de contestation, la preuve de cette connaissance incombe à la partie défenderesse » ;
2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'un justiciable dispose d'un délai de deux mois suivant la publication d'une loi pour saisir le Tribunal Suprême d'une requête tendant à l'annulation de cette loi en raison d'une atteinte aux droits et libertés garantis par le titre III de la Constitution ; que, par ailleurs, à l'occasion d'une requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif et formée dans le délai de recours ouvert contre cet acte, il est loisible à un justiciable d'invoquer, par la voie de l'exception, la méconnaissance du titre III de la Constitution par la loi sur le fondement de laquelle a été pris l'acte administratif attaqué ; qu'en revanche, aucun recours n'est ouvert aux fins d'obtenir que, postérieurement à l'expiration du délai de recours ouvert contre une loi, le Tribunal Suprême la déclare contraire à la Constitution ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment de sa réplique que le recours de Mme S., formé plus de quatre mois et demi après la publication de la loi du 20 septembre 2021 relative à l'obligation vaccinale contre la COVID-19 de certaines catégories de personnes, tend à ce que le Tribunal Suprême déclare cette loi inconstitutionnelle ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'un tel recours est irrecevable ;
4. Considérant qu'à supposer même qu'eu égard à la teneur de sa requête, Mme S. puisse être regardée comme soulevant, par voie d'exception, le moyen tiré de la méconnaissance de la Constitution par la loi du 20 septembre 2021 au soutien de conclusions tendant à l'annulation de la décision administrative prise sur le fondement de cette loi et prononçant la suspension de ses fonctions à compter du 10 novembre 2021, de telles conclusions, présentées postérieurement à l'expiration du délai de recours de deux mois ouvert contre cette décision, seraient également irrecevables ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de Mme S. ne peut qu'être rejetée ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
La requête de Madame S. S. est rejetée.
Article 2
Les dépens sont mis à la charge de Madame S.
Article 3
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, rapporteur, Philippe BLACHER, Pierre de MONTALIVET, Membres titulaires, et Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Membre suppléant, et prononcé le trente et un mai deux mille vingt-deux en présence du Ministère public, par Monsieur Didier RIBES, assisté de Madame Sylvie DA SILVA ALVES, Greffier.
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