TS 2022-01 et TS 2022-02
Décision
Audience du 28 juin 2022
Lecture du 12 juillet 2022
1°/ Recours en annulation de l'article 8 de la loi n° 1.508 du 2 août 2021 relative à la sauvegarde et à la reconstruction des locaux à usage d'habitation relevant des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947.
2°/ Recours en annulation des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 8 de la loi n° 1.508 du 2 août 2021 relative à la sauvegarde et à la reconstruction des locaux à usage d'habitation relevant des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947.
En les causes de :
1°/ Monsieur C. M., Madame D. M. et Madame M. M. ;
Ayant élus domicile en l'étude de Maître Patricia REY, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituée par Maître Arnaud CHEYNUT, Avocat-Défenseur près la même Cour, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur, substituée par Maître Clyde BILLAUT, Avocat près la même Cour ;
2°/ L'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO, dont le siège est sis Hades Business Center, 33 rue Grimaldi à Monaco, représentée par son Président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué par Maître Arnaud CHEYNUT, Avocat-Défenseur près la même Cour, et plaidant par la SARL Cabinet BRIARD, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation ;
Contre :
L'État de Monaco représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
Visa
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu 1°, la requête présentée par Monsieur C. M., Madame D. M. et Madame M. M., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 5 octobre 2021 sous le numéro TS 2022-01, tendant à l'annulation de l'article 8 de la loi n° 1.508 du 2 août 2021 relative à la sauvegarde et à la reconstruction des locaux à usage d'habitation relevant des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;
Motifs
CE FAIRE :
Attendu que les hoirs M. exposent, à l'appui de leur requête, qu'ils sont propriétaires de biens immobiliers situés dans le secteur dit « protégé » de Monaco ; que le 1^er juin 2018, a été déposée sur le bureau du Conseil National une proposition de loi n° 239 destinée à permettre à un plus grand nombre de personnes protégées de résider à Monaco en bénéficiant des dispositions favorables de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 et notamment de loyers modérés ; que cette proposition de loi prévoyait notamment d'élargir le champ des « personnes protégées » pouvant bénéficier des mesures de cette loi et créait un dispositif inédit permettant à l'État de se voir transférer à titre gratuit des logements afin de les soumettre aux dispositions de cette loi ; que ce dispositif imposait, en effet, aux propriétaires de locaux relevant du secteur protégé qui souhaitaient les démolir en vue de les reconstruire, ce qui les faisait normalement sortir du champ de la loi du 28 décembre 2000, puisqu'ils étaient alors reconstruits postérieurement au 1^er septembre 1947, de procéder à la construction ou à la dation de locaux similaires et de les céder à titre gratuit à l'État afin qu'il les soumette aux dispositions de la loi du 28 décembre 2000 ; qu'en contrepartie, il était prévu que les propriétaires puissent surélever les constructions nouvellement édifiées et appliquer à cette surélévation les loyers du secteur libre, non soumis aux dispositions de la loi du 28 décembre 2000 ; que le Gouvernement Princier a transformé cette proposition de loi en un projet de loi n° 1.006, déposé le 12 décembre 2019 sur le bureau du Conseil National ; que ce projet de loi a repris, pour l'essentiel, le texte de la proposition de loi en prévoyant cependant que la cession à l'État des locaux reconstruits, équivalents à ceux démolis, devait être effectuée à titre onéreux, tout en précisant que le prix de cette cession devait prendre pour base le seul coût de la construction ; que l'article 8 de la loi du 2 août 2021 a inséré dans la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 un article 39-1 imposant le transfert forcé à l'État des locaux reconstruits après démolition, ainsi que leurs dépendances, à des conditions plus strictes encore que celles qui avaient été prévues dans le projet de loi n° 1.006 ; que cette disposition méconnaît le droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution ; que le Tribunal Suprême juge que cette disposition constitutionnelle fait obstacle tant à des privations du droit de propriété qu'à des atteintes aux conditions d'exercice de ce droit ; que sa jurisprudence rejoint celle du Conseil constitutionnel qui censure tout aussi bien les privations du droit de propriété, sur le fondement de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 que les atteintes aux conditions d'exercice de ce droit, sur le fondement de l'article 2 de la même Déclaration ; qu'une privation du droit de propriété ou une dénaturation de ce droit ayant un effet équivalent à une telle privation n'est admise que si elle poursuit un motif d'intérêt général et donne lieu à une juste indemnisation ; que le Tribunal Suprême a ainsi jugé que « la privation d'un bien (…) qui n'est pas fondée sur un motif d'intérêt général ou qui n'est pas assortie d'une indemnisation raisonnable caractérise une atteinte au droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution » (TS, 29 novembre 2018, S.A.M. C. I. c/ Ministre d'État) ; qu'une atteinte au libre exercice du droit de propriété n'est, quant à elle, admise que si elle poursuit une finalité d'intérêt général et s'il existe une proportionnalité entre le sacrifice demandé au propriétaire et l'avantage procuré par la réalisation de la fin d'intérêt général poursuivie par le législateur ; que le Tribunal Suprême a ainsi jugé que la garantie de l'inviolabilité du droit de propriété « ne saurait mettre obstacle à ce que certaines restrictions au plein exercice de ce droit y soient apportées dans l'intérêt de l'ordre public ou de la chose publique ou en raison des circonstances économiques ou sociales qui l'exigent » (TS, 10 décembre 1948, Société des bains de mer), pour peu que de telles restrictions ne portent pas une « atteinte excessive » au droit de propriété (TS, 18 janvier 2006, Dame R. veuve B.) ; que parmi les buts d'intérêt général pouvant justifier des atteintes au droit de propriété, figure notamment la volonté de permettre aux Monégasques et aux personnes ayant des liens privilégiés avec la Principauté de Monaco de demeurer sur le territoire monégasque ; que le Tribunal Suprême a, en effet, jugé que « le libre exercice du droit de propriété (…) doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle applicables dans l'État monégasque » et qu'« il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État ainsi que du principe accordant une priorité aux citoyens monégasques, consacré notamment par l'article 32 de la Constitution » et « par l'article 25 de la Constitution » (TS, 20 juin 1989, Association des propriétaires de Monaco) ; que le Tribunal Suprême en a déduit qu'une loi restreignant les droits des propriétaires aux fins de permettre à des Monégasques de louer à moindre prix des locaux à Monaco et, partant, de rester sur le territoire monégasque, pouvait « être justifiée par les difficultés exceptionnelles que les candidats à un logement rencontrent pour habiter sur le territoire de l'État monégasque » (TS, 20 juin 1989, Association des propriétaires de Monaco) ; que le Tribunal Suprême veille à ce que les atteintes au droit de propriété soient proportionnées et ne requièrent pas de la part des propriétaires des sacrifices excessifs au regard de l'intérêt général recherché ; que l'État ne peut imposer à des propriétaires de lui céder contre leur gré les locaux qui leur appartiennent, lorsqu'une telle cession ne procède pas de la libre volonté de ces propriétaires (TS, 4 juillet 2012, SAM Esperanza, a contrario) ; que le Tribunal Suprême a également jugé que le législateur ne peut étendre le régime juridique applicable au « secteur protégé » à de nouvelles constructions que si les locaux préexistants soumis à ce régime représentent au moins 50 % de la superficie habitable (TS, 16 avril 2012, Association des propriétaires de la Principauté de Monaco) ; qu'en cas de privation du droit de propriété, l'article 24 de la Constitution prévoit que le propriétaire lésé doit bénéficier d'une « juste indemnité » ; qu'à cet égard, il est nécessaire de prendre en considération la valeur réelle des biens dont les propriétaires sont privés (TS, 3 décembre 2015, SAM P. G.) ; qu'en outre, les atteintes aux conditions d'exercice du droit de propriété doivent faire l'objet de compensations appropriées ; qu'en effet, le Tribunal Suprême juge que l'article 24 de la Constitution a « pour effet d'interdire, sauf compensation appropriée, les atteintes excessives qui pourraient (…) résulter » de dispositions législatives (TS, 4 juillet 2012, Compagnie de financements et d'investissements Holding SA) ;
Attendu que les hoirs M. font valoir, en premier lieu, que l'article 8 de la loi attaquée impose aux propriétaires de locaux relevant du secteur protégé qui souhaiteraient les démolir en vue de les reconstruire, de mettre à la disposition de l'État monégasque des locaux similaires ; qu'une telle atteinte a été présentée comme poursuivant des motifs d'intérêt général ; que les promoteurs du projet de loi ont affirmé vouloir préserver le secteur protégé soumis aux dispositions de la loi du 28 décembre 2000 prévoyant notamment des loyers modérés ;
Attendu que les requérants soutiennent que les atteintes portées par l'article 8 de la loi attaquée sont disproportionnées au regard des buts d'intérêt général poursuivis, en raison, tout d'abord, de la gravité exceptionnelle de ces atteintes, qui résulte tant de leur multiplicité que de leur nature ; que les propriétaires sont tenus de reconstruire leurs immeubles en suivant un cahier des charges contraignant, ce qui les prive de leur droit de choisir librement les modalités de reconstruction de leurs biens et les caractéristiques des locaux qui s'y substituent ; qu'ils sont surtout tenus de procéder à la cession de certains locaux reconstruits au profit de l'État, la loi mettant ainsi en place une mécanisme de cession forcée des biens immobiliers appartenant aux propriétaires ; qu'une telle cession constitue une privation de propriété ; qu'il est prévu que les propriétaires affectent un étage spécifique de l'immeuble reconstruit aux locaux de substitution, voire un deuxième étage spécifique dès le moment où la surface intérieure des locaux du premier étage spécifique serait inférieure à celle des locaux détruits, étant précisé que ces étages spécifiques doivent être exclusivement composés de locaux de substitution ; qu'ainsi, dans le cas où l'immeuble démoli ne comporterait qu'un seul appartement soumis à la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, c'est tout l'étage qui doit être cédé à l'État ; que si ce premier étage de substitution ne suffit pas à compenser la surface intérieure des appartements détruits, ne serait-ce que de quelques mètres carrés, c'est tout le second étage qui doit être cédé ; qu'il en résulte, ainsi que l'a souligné le rapport de la Commission du logement du Conseil National, que la mise en œuvre du texte engendrera une sorte « d'effet de cliquet » grâce auquel l'État pourra récupérer davantage de surfaces de locaux relevant du secteur protégé que celles qui ont été détruites lors de la démolition de l'immeuble ; qu'il a relevé que « si, dans certains cas, la construction d'un second étage ne permettra pas de disposer d'une surface suffisante pour reconstruire l'ensemble des appartements sous loi détruits, dans d'autres, il sera possible de construire davantage d'appartements que ceux détruits » ; qu'ainsi, l'État, pour avoir son comptant de locaux de substitution, entend-il compenser une opération par une autre, sans qu'il y ait de rapport d'équivalence entre le nombre d'appartements détruits et le nombre des appartements de substitution et ce, au préjudice des propriétaires ; qu'il arrive, en effet, fréquemment que des immeubles construits avant le 1^er septembre 1947 soient mixtes au sens où ils comprennent, parfois au même étage, des locaux soumis à la loi du 28 décembre 2000 et des locaux libres, notamment lorsqu'ils ont toujours été occupés par leur propriétaire et n'ont jamais été loués, lorsqu'ils dépendaient d'un commerce, lorsque le locataire en est devenu propriétaire ou encore lorsque l'immeuble a fait l'objet d'une surélévation ; qu'en cas de démolition et reconstruction d'un immeuble « mixte », les propriétaires de locaux libres devront supporter les dispositions de la loi du 28 décembre 2000 qui ne leur est pourtant pas applicable, la présence d'un seul appartement soumis à cette loi pénalisant l'ensemble des copropriétaires ;
Attendu que l'article 8 de la loi attaquée prévoit, par ailleurs, que seule la « surface intérieure » des locaux détruits doit être prise en considération pour le calcul de la surface des locaux de substitution ; qu'ainsi que l'a précisé le rapporteur de la loi, il s'agit « d'éviter que les surfaces extérieures plus importantes dans les nouvelles constructions viennent diminuer d'autant la surface intérieure des appartements de substitution cédés à l'État » en retenant « dans le calcul les surfaces qui, en pratique, seront les plus utiles aux locataires de ces futurs logements » ; que cela signifie cependant que la superficie des balcons, loggias et terrasses ne rentrera pas dans le calcul du prix de cession et sera cédée gratuitement à l'État, les propriétaires se voyant ainsi dépossédés purement et simplement de ces superficies extérieures ;
Attendu que l'article 8 de la loi attaquée prévoit encore que les nouveaux étages spécifiques devant être soumis à la loi du 28 décembre 2000 devront être situés à l'étage médiant de l'immeuble à bâtir, l'éventuel deuxième étage spécifique devant être « situé directement au-dessus du premier » ; qu'en localisant ainsi les étages de substitution au milieu du nouvel immeuble, voire au-dessus encore en cas de second étage spécifique, la loi attribue à l'État des locaux qui sont généralement situés en dehors de l'emprise habituelle des locaux soumis à la loi du 28 décembre 2000, lesquels se situent le plus souvent dans les premiers étages des immeubles ; que la loi attaquée a ainsi pour effet de valoriser grandement les étages cédés à l'État, au détriment des propriétaires dépossédés de leurs locaux et des copropriétaires qui devront se contenter des premiers étages des immeubles ; que les droits de ces copropriétaires s'en trouvent bouleversés ;
Attendu que l'article 8 de la loi attaquée prévoit que la typologie des locaux de substitution, c'est-à-dire leur structure et le nombre de pièces, sera arrêtée par l'État ; qu'il s'agit d'une nouvelle ingérence de l'État monégasque dans le projet de construction des propriétaires qui se voient, ainsi, privés de leur droit de fixer les modalités de reconstruction de leurs biens immobiliers ;
Attendu que l'article 8 de la loi attaquée impose, en outre, aux propriétaires de rattacher à chaque local de substitution « un emplacement de stationnement automobile et une cave » ; qu'ainsi, non seulement les propriétaires sont tenus de créer ces dépendances lorsqu'elles n'existent pas, ce qui pourra se heurter parfois à des impossibilités techniques et matérielles, mais ils doivent abandonner à l'État les profits qu'ils auraient pu en tirer ; qu'à cet égard, il peut être rappelé que le prix de cession des parkings à Monaco oscille entre 200.000 et 300.000 euros l'unité ;
Attendu que le texte prévoit que les propriétaires peuvent échapper à cette obligation de reconstruction de locaux de substitution en procédant soit à la dation de locaux préexistants qui ne relèvent pas du secteur protégé, dès lors qu'ils présentent « des surfaces et qualités équivalentes aux locaux de substitution qui auraient pu être construits », soit à l'affectation spécifique dans un autre immeuble devant être reconstruit dans le cadre d'une opération concomitante, d'un ou deux étages devant comprendre des locaux de substitution ; qu'une telle dation ou affectation ne sera toutefois possible que si les propriétaires disposent de plusieurs immeubles neufs dont certains pourraient être donnés ou affectés en partie au profit de l'État ; qu'en pratique, de telles dérogations ne pourront profiter qu'à des promoteurs immobiliers ; que l'immense majorité des propriétaires privés ne pourra donc pas bénéficier de ces dérogations et sera donc contrainte de reconstruire les locaux de substitution prévus par la loi ; qu'en tout état de cause, que les propriétaires fassent le choix entre la reconstruction de locaux de substitution ou la mise à disposition de locaux de compensation, il est procédé dans les deux cas à une cession forcée particulièrement brutale ; qu'elle prive les propriétaires de la possibilité non seulement de conserver les locaux reconstruits dans leur patrimoine mais aussi de choisir leur cocontractant, dans l'hypothèse où ils souhaiteraient les céder à un tiers ;
Attendu que les atteintes au droit de propriété des propriétaires de logements relevant du secteur protégé sont exceptionnellement graves en raison tant de leur accumulation que de leur nature même ; qu'elles sont d'autant plus disproportionnées que les contreparties prévues par le législateur pour tenter de les atténuer sont très largement insuffisantes ; que l'article 8 de la loi attaquée prévoit, certes, que la cession forcée des locaux reconstruits ou donnés en compensation doit être réalisée à titre onéreux et non titre gratuit ; que le législateur est ainsi revenu sur la proposition de loi n° 239 qui prévoyait la cession à titre gratuit des locaux de substitution ou de compensation ; que, selon l'exposé des motifs du projet de loi, celui-ci prévoit « un mécanisme de cession conventionnelle donnant notamment lieu au versement d'une indemnité pécuniaire complémentaire aux propriétaires de locaux détruits » ; que, cependant, une telle indemnité, qui a vocation à compenser une véritable privation du droit de propriété des propriétaires des locaux concernés, ne présente pas un caractère juste, contrairement à ce qu'exige l'article 24 de la Constitution ; que l'indemnisation d'une telle privation du droit de propriété devrait prendre en considération l'ensemble des préjudices matériels et financiers causés par ce qui s'apparente à une véritable expropriation ; qu'or, l'article 8 de la loi attaquée prévoit que le « prix de cession » que l'État monégasque doit verser aux propriétaires expropriés devra être calculé « en prenant comme base le coût de construction, dont les éléments sont déterminés par arrêté ministériel » ; qu'ainsi, non seulement la loi ne prévoit aucune indemnité en sus du prix de cession aux fins de réparer les différents préjudices matériels causés aux propriétaires par la cession forcée de leurs biens, mais elle réduit le prix de cession dû par l'État au seul prix de revient de la reconstruction des locaux concernés ; que l'exposé des motifs du projet de loi précise que « le dispositif projeté prévoit une limite à la portée des négociations des parties aux fins de convenir du montant de l'indemnité pécuniaire complémentaire versée au propriétaire desdits locaux » en mentionnant « à cet effet, que le prix desdits locaux sera calculé en prenant comme base le coût de la construction desdits locaux » ; qu'ainsi, le coût de la construction des locaux ne constitue pas le plancher de négociation du prix de cession entre l'État et les propriétaires, mais bien le plafond de négociation de ce prix ; que le prix de cession dû par l'État monégasque aux propriétaires ne correspond pas à la valeur réelle des locaux reconstruits sur le marché, mais à leur seul coût de revient, les propriétaires ne pouvant dès lors prétendre à la moindre plus-value par rapport aux dépenses engendrées par les travaux ; que la moins-value devant être supportée par les propriétaires est majeure ; qu'en effet, le prix moyen du coût de la construction est évalué en Principauté à 5.000 euros par mètre carré alors que le prix moyen de la revente des locaux neufs est de 50.000 euros par mètre carré ; qu'aussi, l'État monégasque deviendra-t-il propriétaire de locaux neufs en substitution ou en compensation des locaux détruits pour un prix dix fois inférieur à celui du marché ; qu'en outre, si la loi prévoit que le prix de cession sera le fruit d'un accord commun entre les propriétaires et l'État, elle précise que les éléments du coût de la construction seront déterminés par un arrêté ministériel, réservant ainsi à l'État le pouvoir de le fixer unilatéralement au détriment des intérêts des propriétaires ; que, par ailleurs, l'État a mis à la charge exclusive du propriétaire les frais d'acte engendrés par la rédaction des cessions forcées ; qu'une telle clause est contraire aux usages et à l'article 1435 du Code civil qui dispose que « les frais d'actes et autres accessoires à la vente sont à la charge de l'acheteur » ; que, dans ces conditions, l'indemnité prévue par la loi, censée compenser la privation de propriété des propriétaires relevant du secteur protégé, est foncièrement injuste ;
Attendu, par ailleurs, que le législateur a prévu, en contrepartie de la cession des locaux de substitution ou de compensation, l'« octroi de plein droit par l'État (…) d'une majoration du volume constructible » ; que les propriétaires se voient donc accorder le droit d'augmenter la surface de leurs précédents locaux, sachant que cette nouvelle superficie ne sera pas soumise aux dispositions de la loi du 28 décembre 2000, et ils pourront la louer aux tarifs applicables dans le secteur libre ; qu'à défaut d'une telle contrepartie, le mécanisme prévu par l'article 8 de la loi attaquée n'est pas applicable ; que l'article 8 exclut son application dans le quartier de Monaco-Ville et le ravin de Sainte-Dévote ; qu'en dehors de ces secteurs, le champ d'application du dispositif est extrêmement large ; que, par ailleurs, la majoration du volume constructible octroyée aux propriétaires est étroitement limitée ; qu'en effet, elle s'applique dans la limite d'un ou deux étages ; que l'article 8 précise aussi que les nouvelles dispositions s'appliquent « sans préjudice de l'application des prescriptions législatives et réglementaires relatives à l'urbanisme, à la construction et à la voirie » ; que de telles prescriptions étant particulièrement nombreuses et strictes en raison de l'exiguïté du territoire et de la densité préexistante de constructions, les majorations du volume constructible octroyées par l'État seront limitées aux étages devant lui être rétrocédés ; que l'article 8 de la loi attaquée exclut, en outre, la possibilité de bénéficier des dispositions de l'Ordonnance Souveraine du 13 septembre 2013 autorisant la construction d'étages de trois mètres de hauteur sous plafond ; que la hauteur des étages de l'immeuble sera, par conséquent, limitée à 2,7 mètres ; que la loi précise également que « la hauteur desdits étages ne doit pas dépasser la hauteur des étages courants de l'immeuble à construire » ; que ces restrictions au projet architectural des propriétaires souhaitant accroître le volume constructible de leurs immeubles sont des atteintes au libre exercice de leur droit de propriété ; qu'ainsi, les atteintes particulièrement graves au droit de propriété des locaux relevant du secteur protégé ne font pas l'objet de compensations adéquates et suffisantes ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 7 décembre 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation des requérants aux entiers dépens ;
Attendu, selon le Ministre d'État, que dès l'année 1949, la Principauté de Monaco a mis en place une régulation du secteur locatif d'habitation afin de permettre aux foyers monégasques ainsi qu'aux foyers de ressortissants étrangers, privés de leur logement dans la Principauté à la suite, notamment, de la guerre, de pouvoir continuer à se loger ; que cette régulation a pris la forme d'un système d'encadrement légal des loyers ; que l'État a fixé unilatéralement un loyer forfaitaire pour les locaux relevant du secteur protégé ; que les réformes législatives successives ont progressivement assoupli ce régime, dans la mesure qu'autorisaient les impératifs sociaux et les contraintes démographiques de la Principauté ; que la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 a mis en place un régime d'encadrement imposant au propriétaire de fixer le loyer par référence aux loyers appliqués à des logements comparables, relevant du même régime juridique et situés dans des immeubles présentant des caractéristiques équivalentes ; que cette loi a prévu un loyer de marché pour les locaux relevant du secteur protégé, afin d'harmoniser l'ensemble des loyers appliqués dans ce secteur ; qu'il était envisagé de mettre fin au régime des loyers à l'issue d'un délai de cinq ans ; que la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 a opéré un revirement en pérennisant le système d'encadrement des loyers, afin de permettre à tous les nationaux de se loger dans leur pays, aux côtés d'une population stable ayant des attaches réelles et anciennes avec la Principauté, nonobstant toute considération de fortune ; que ces réformes législatives successives n'ont cependant pas permis d'endiguer le phénomène de disparition progressive du secteur d'habitation réservé aux personnes protégées ; que, dans ce contexte, le Gouvernement Princier a accueilli favorablement la proposition de loi n° 239 relative à la sauvegarde et à la reconstitution des locaux à usage d'habitation relevant des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 et l'a transformée en projet de loi ; que les trois objectifs poursuivis par cette proposition de loi étaient de mettre fin à la disparition programmée du secteur protégé au fil des promotions immobilières, d'assurer la transformation et le renouvellement du secteur protégé pour permettre, à terme, aux catégories protégées de vivre dans des immeubles plus confortables, dignes de ce que l'on est en droit de trouver en Principauté de Monaco et de libérer, à terme, les propriétaires privés des contraintes inhérentes à la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 en faisant jouer le rôle social de l'État ; que le projet de loi n° 1006, déposé le 2 décembre 2019, prévoyait de mettre en place différents leviers pour assurer la sauvegarde et la reconstruction des appartements du secteur protégé : d'une part, la construction par le propriétaire de nouveaux locaux à usage d'habitation destinés à se substituer aux locaux détruits ou, à défaut, la dation d'appartements « de compensation », d'autre part, l'octroi au propriétaire de justes contreparties financières consistant, notamment, dans la possibilité d'obtenir auprès des services de l'État une majoration du volume constructible par rapport à celui qui était occupé par l'immeuble détruit, enfin, le repositionnement de l'État en tant qu'acteur principal et stratégique du secteur protégé, afin qu'il puisse assumer et jouer pleinement son rôle social, en prenant en charge le relogement des personnes dont le local d'habitation fait l'objet de travaux de démolition totale en vue d'une reconstruction et en assurant la gestion des appartements de substitution ou de compensation dont il devient propriétaire ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en premier lieu, que n'est pas fondé le moyen tiré de ce que l'obligation de mettre à la disposition de l'État des locaux de substitution porterait une atteinte excessive au droit de propriété dans la mesure où elle conduit potentiellement la propriétaire à devoir transférer à l'État des locaux d'une surface supérieure à celle des locaux détruits qui relevaient du secteur protégé ; qu'en effet, l'article 8 de la loi attaquée prévoit que, sans préjudice de l'application des prescriptions législatives et réglementaires relatives à l'urbanisme, à la construction et à la voirie, les autorisations de démolir et de construire sont délivrées sous réserve de trois conditions cumulatives ; que la première condition est que le projet prévoie la construction de locaux d'habitation venant se substituer à ceux qui seront détruits et qui relèvent, au jour du dépôt des demandes d'autorisation, de la loi du 28 décembre 2000 ; que la deuxième condition est l'octroi de plein droit par l'État d'une majoration du volume constructible ; que la troisième condition porte sur la cession au profit de l'État, lors de l'achèvement des travaux, des locaux à usage d'habitation de substitution, moyennant le versement d'un prix de cession calculé en prenant comme base le coût de la construction ; qu'ainsi, le propriétaire peut se voir autorisé à détruire les locaux soumis à la loi du 28 décembre 2000 et à édifier de nouveaux locaux, d'un volume supérieur, qui ne seront pas soumis à cette loi, à condition d'édifier un ou deux étages de logements destinés à relever du secteur protégé, dont la propriété reviendra à l'État moyennant le versement d'un prix de cession évalué sur la base du coût de construction ; que ce mécanisme est équilibré ; que les propriétaires de locaux relevant du secteur protégé ne sont pas contraints de céder une partie de leurs biens à l'État mais de prévoir qu'une partie limitée des locaux construits le sera au profit de l'État, moyennant indemnisation, tout en étant assurés de conserver pour eux-mêmes un volume de locaux au moins égal à celui dont ils disposaient antérieurement et relevant dorénavant du secteur libre ; que, par ailleurs, la circonstance que les surfaces construites doivent être déterminées sans tenir compte des espaces extérieurs et que chaque local de substitution doive être accompagné d'un emplacement de stationnement automobile et d'une cave ne permet pas à l'État de se voir transférer la propriété de tels espaces sans que l'indemnisation versée au propriétaire n'en tienne compte ; que l'indemnité revenant au propriétaire est en effet calculée sur la base du coût de la construction, lequel comprend le coût de la construction des espaces extérieurs, des caves et des emplacements de stationnement ; qu'à cet égard, l'article 8 de la loi attaquée ne porte donc pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété ;
Attendu, en deuxième lieu, que le Ministre d'État estime que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'article 8 de la loi attaquée méconnaîtrait le droit de propriété en prévoyant que la localisation des étages spécifiques dans lesquels devront se situer les locaux à usage d'habitation de substitution dans le nouvel immeuble à un niveau supérieur à celui auquel se situent habituellement les locaux relevant du secteur protégé, ce qui permettrait à l'État de s'enrichir au détriment du propriétaire ; que, dès lors que l'édification des locaux de substitution constitue une simple obligation d'édifier des locaux revenant à l'État moyennant indemnité, il ne saurait y avoir méconnaissance du droit de propriété ; que l'opération de destruction et de reconstruction est largement favorable au propriétaire dans la mesure elle lui permet de sortir du secteur protégé des locaux d'habitation et d'édifier à son seul profit des locaux du secteur libre d'un volume supérieur ; qu'ensuite, l'État ne bénéficie d'aucun enrichissement dès lors que les locaux de substitution relèvent du secteur protégé et non du secteur libre ; qu'il en résulte que leur valeur est inférieure à celles des locaux appartenant à ce dernier secteur ; que le propriétaire ne supporte aucun appauvrissement car il est en droit de construire à son profit un nombre d'étages équivalent au nombre d'étages dont la propriété est transférée à l'État, qui relèveront du secteur libre et auront en conséquence une valeur bien supérieure aux locaux détruits et aux locaux transférés ;
Attendu, en troisième lieu, que selon le Ministre d'État, la fixation du prix de cession des locaux relevant du secteur protégé sur la base du coût de construction ne constitue pas une privation du droit de propriété pour les motifs précédemment énoncés ; que l'obligation d'édifier des locaux destinés à devenir la propriété de l'État pour garantir le maintien du secteur protégé ne peut s'analyser en une expropriation qui imposerait le versement d'une juste indemnité correspondant à la valeur du bien transmis ; qu'en outre, le propriétaire peut substituer aux locaux relevant du secteur protégé des locaux relevant du secteur libre d'un volume plus important ; qu'ainsi, le législateur pouvait, sans méconnaître le droit de propriété, prévoir que l'indemnité versée est calculée en prenant comme base le coût de la construction et non la valeur des locaux transmis ;
Attendu, en quatrième lieu, que le Ministre d'État allègue que la compensation prévue par la loi est suffisante ; que d'une part, le nombre d'étages que le propriétaire est en droit d'édifier à son profit correspond au nombre d'étages qu'il doit transférer à l'État ; que dès lors qu'ils relèvent du secteur libre, ils ont une valeur locative et une valeur vénale très supérieures à celles des étages transférés ; que, d'autre part, le droit dont dispose le propriétaire d'édifier à son profit un volume supplémentaire n'est pas subordonné aux règles d'urbanisme, ce droit étant octroyé par l'État « de plein droit » « par rapport au volume qui était occupé par l'immeuble détruit ou par rapport au volume constructible autorisé par les cotes maximales de niveau supérieur des bâtiments, telles qu'inscrites au Règlement d'urbanisme en annexe de l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 modifiée » ; que la majoration de plein droit du volume constructible par rapport au volume constructible autorisé par le Règlement d'urbanisme déroge à la disposition générale selon laquelle les autorisations de construire et de démolir sont présentées sans préjudice de l'application des prescriptions législatives et réglementaires relatives à l'urbanisme, à la construction et à la voirie ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 7 janvier 2022, par laquelle les hoirs M. tendent aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que les requérants ajoutent, en premier lieu, que si les réformes relatives au secteur protégé qui se sont succédées ont imposé aux propriétaires de ces locaux diverses limites à leur droit de propriété, la loi attaquée a, elle, pour effet de les priver de leur droit en leur imposant de céder une partie de leurs biens à l'État moyennant un prix fixé par ce dernier ; que cette loi n'est pas une nouvelle évolution de la législation relative au secteur protégé mais une véritable rupture par rapport aux réformes précédentes en portant aux droits des propriétaires des atteintes jusqu'alors inédites ;
Attendu que les hoirs M. font valoir, en deuxième lieu, que la présence dans l'immeuble d'un seul appartement soumis à la loi du 28 décembre 2000 impose d'édifier au profit de l'État un étage entier, voire deux étages entiers si la superficie intérieure de ce premier étage s'avère inférieure à celle des locaux détruits ; que les propriétaires ont bien l'obligation de transférer à l'État une superficie supérieure à celle des locaux détruits relevant du secteur protégé ;
Attendu que les requérants soutiennent, en troisième lieu, que la loi impose aux propriétaires la création, le cas échéant ex nihilo, de parkings et de caves qui échappent en principe au régime restrictif de la loi du 28 décembre 2000 qui ne concerne que les locaux à usage d'habitation, de sorte qu'ils ne devraient pas être rattachés aux locaux de substitution ou de compensation cédés à l'État ; que l'indemnisation de la création de tels espaces accessoires ne sera réalisée que sur la base du coût de la construction, lequel est dix fois inférieur au prix du marché ; que les surfaces cédées à l'État seront donc bien supérieures à celles détruites ;
Attendu que les requérants précisent, en quatrième lieu, que si le Ministre d'État fait état d'une « simple obligation d'édifier des locaux revenant à l'État moyennant indemnité », la loi évoque expressément « la cession à l'État » ainsi que « le prix de cession » ; que les propriétaires de locaux relevant du secteur protégé sont donc bien contraints de céder à l'État le droit de propriété dont ils sont titulaires sur une partie des locaux qu'ils ont reconstruits ou sur une partie des locaux de compensation qui leur appartiennent ; que la cession présente bien un caractère forcé dès lors que les propriétaires ne peuvent choisir leur cocontractant et qu'elle est réalisée à un prix très défavorable fixé par l'État acquéreur ; que la loi attaquée institue donc un mécanisme d'expropriation forcé et non une simple obligation de faire ; qu'en présence d'une véritable privation de propriété, les propriétaires doivent bénéficier d'une juste indemnité qui ne saurait correspondre au seul coût de la construction mais à la valeur vénale des locaux transférés au prix du marché ;
Attendu, en cinquième lieu, que selon les hoirs M., l'État utilise la législation restrictive relative au secteur protégé pour sous-estimer la valeur des locaux devant être transférés et les racheter à bas prix ; qu'ils produisent les arrêtés ministériels n° 2021-816 et n° 2021-817 du 17 décembre 2021 pris en application de la loi attaquée ; qu'ils révèlent l'ampleur de l'appauvrissement et des contraintes qu'elle impose aux propriétaires ; que l'arrêté n° 2021-816, qui fixe le mode de calcul du coût de la construction devant servir de base au prix de cession des locaux de substitution ou de compensation, est extrêmement défavorable aux propriétaires ; qu'il confirme que ce prix de cession doit équivaloir au coût de la construction, ce dernier ne constituant pas le seuil minimal de la fixation du prix mais correspondant au montant du prix devant être perçu par les propriétaires ; que cet arrêté prévoit la prise en compte du montant des travaux de terrassement, de soutènement et de fondation, du montant des travaux de gros œuvre et du montant des travaux de second œuvre des locaux de substitution revenant à l'État ; que toutes les autres dépenses, soit ne sont prises en compte qu'à hauteur d'une fraction seulement, soit sont totalement exclues du calcul du coût de la construction ; qu'ainsi, le prix de cession n'équivaut même pas à l'intégralité des coûts engendrés par la construction des locaux ; que le même arrêté prévoit que le prix de cession est fixé de manière globale, forfaitaire, non révisable, non actualisable et non indexable ; que les propriétaires se voient, en conséquence, empêchés d'apporter au prix de cession dû à l'État la moindre correction, ce prix étant définitivement fixé alors même que son calcul aurait été entaché d'erreurs ou que des évènements ultérieurs en auraient révélé la disproportion et le caractère préjudiciable ; que l'arrêté n° 2021-817, qui fixe les conditions d'appréciation de l'équivalence des locaux proposés en compensation à l'État, met en lumière la multiplicité des contraintes auxquelles les propriétaires devront se soumettre pour satisfaire l'État ; qu'en particulier, il définit des exigences concernant les sanitaires, la taille minimale des locaux d'habitation en fonction de leur nombre de pièces, la disposition d'un emplacement de stationnement et d'une cave, la desserte par un ascenseur et l'absence de tout occupant à la date de la cession ;
Attendu que les requérants relèvent, en dernier lieu, que lorsque l'immeuble se situe dans un secteur dans lequel les règles d'urbanisme permettent d'ores et déjà d'édifier des volumes supplémentaires, la loi attaquée n'offre aucun avantage et ne fournit aucune compensation aux propriétaires qui bénéficient d'ores et déjà d'un tel droit ; que lorsque l'immeuble se situe dans un secteur dans lequel les règles d'urbanisme ne permettent pas d'édifier un tel volume supplémentaire, la loi ne permet pas, contrairement à ce que soutient le Ministre d'État, de déroger à ces règles ; qu'ainsi, la possibilité laissée aux propriétaires d'édifier un volume supplémentaire ne constitue pas une contrepartie suffisante ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 7 février 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute, en premier lieu, que les propriétaires étant soumis à une obligation d'édifier des locaux pour le compte de l'État moyennant indemnité, la circonstance que la surface des locaux devant être transférés à l'État puisse être supérieure à celle des locaux relevant, avant destruction, du secteur protégé, ne permet pas de caractériser une atteinte injustifiée au droit de propriété ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en deuxième lieu, que si les arrêtés ministériels du 17 décembre 2021 établiraient le caractère exagéré de l'atteinte portée au droit de propriété, cet argument est inopérant, la constitutionnalité d'une loi ne pouvant être appréciée au regard d'actes réglementaires, même s'ils sont adoptés en application de cette loi ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en troisième lieu, que lorsque les règles d'urbanisme permettent d'édifier des étages supplémentaires par rapport à l'immeuble détruit, la compensation des obligations pesant sur les propriétaires résulte de ce que les locaux supplémentaires relèveront du secteur libre, alors que les locaux détruits relevaient du secteur protégé, de sorte qu'ils permettront aux propriétaires de percevoir des loyers bien plus importants et que leur valeur vénale sera sans commune mesure avec celle des locaux détruits ; que, d'autre part, contrairement à ce qu'affirment les requérants, la loi attaquée permet bien aux propriétaires qui construisent un nouvel immeuble d'édifier un volume supplémentaire, sans que les règles d'urbanisme en vigueur puissent leur être opposées ; qu'en accordant une majoration de plein droit du volume constructible par rapport au volume constructible autorisé par le Règlement d'urbanisme, la loi attaquée permet d'édifier un ou deux étages supplémentaires, quelles que soient les règles d'urbanisme applicables ;
Vu 2°, la requête présentée par l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 5 octobre 2021 sous le numéro TS 2022-02, tendant à l'annulation des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 8 de la loi n° 1.508 du 2 août 2021 relative à la sauvegarde et à la reconstruction des locaux à usage d'habitation relevant des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO expose, à l'appui de sa requête, qu'elle a pour objet statutaire la défense de tous les propriétaires de biens immobiliers situés en Principauté ; que le 20 juin 2018, le Conseil National a adopté la proposition de loi n° 239 ; que le 2 décembre 2019, le Ministre d'État a déposé dans le même sens un projet de loi n° 1.006 ; que la loi n° 1.508 du 2 août 2021 relative à la sauvegarde et à la construction des locaux à usage d'habitation relevant des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée a été publiée au Journal de Monaco le 6 août 2021 ; que si l'association requérante ne remet nullement en cause la possibilité pour les propriétaires de locaux relevant du secteur protégé de détruire leurs immeubles, de les agrandir et, le cas échéant, d'en céder une partie à l'État au prix du marché, elle demande au Tribunal Suprême d'annuler les dispositions de cette loi en tant qu'elles continuent de faire peser des sujétions sur ces propriétaires ; que la circonstance que les dispositions nouvelles soient moins rigoureuses que les dispositions antérieures ne saurait par elle-même interdire que la constitutionnalité de la loi soit contestée devant le juge constitutionnel (TS, 20 juin 1989, Association des propriétaires de la Principauté de Monaco c/ le Ministre d'État) ;
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO fait valoir, en premier, que les dispositions de l'article 2 de la loi attaquée étendant le périmètre des personnes susceptibles de bénéficier des locaux d'habitation en secteur protégé portent une atteinte excessive au droit de propriété ; que le Tribunal Suprême considère que le libre exercice du droit de propriété consacré par l'article 24 de la Constitution doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle, notamment les exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État ainsi que le principe accordant une priorité aux Monégasques, consacré notamment par l'article 32 de la Constitution ; que si l'exiguïté du territoire n'a pas fondamentalement évolué, le périmètre des bénéficiaires du régime propre au secteur protégé s'est grandement accru sous l'impulsion du législateur ; qu'après la seconde guerre mondiale, dans une période où les finances étaient exsangues, il a été demandé aux propriétaires d'immeubles construits avant le 1^er septembre 1947 de participer à l'effort d'après-guerre, d'une part, en réservant ces logements aux Monégasques et, d'autre part, en bloquant les loyers pour cette catégorie de personnes ; qu'ainsi, seuls les Monégasques avaient vocation à bénéficier de ce régime ; qu'en 1949, l'État monégasque a décidé de favoriser l'accès au logement en Principauté pour un loyer inférieur au prix du marché en instituant un régime protégé alors même qu'une diminution importante de la population avait eu lieu après-guerre et que cette évolution a résulté, à l'époque, de pressions exogènes exercées sur l'État monégasque ; qu'ont ainsi été successivement ajoutées à la liste des bénéficiaires du secteur protégé, notamment par les lois n^os 1.235, 1.377, 1.470 et 1.481, les personnes de nationalité étrangère nées d'un auteur monégasque, les conjoints ou les partenaires d'un contrat de vie commune survivants d'une personne de nationalité monégasque, les pères et mères d'un enfant mineur de nationalité monégasque, les personnes nées à Monaco ou ayant fait l'objet d'une adoption plénière, qui y résident depuis leur naissance ou leur adoption, à la condition que l'un de leurs auteurs ou adoptants ait également résidé à Monaco au moment de celle-ci ainsi que les personnes qui résident à Monaco depuis au moins quarante années sans interruption ; que l'article 2 de la loi attaquée ajoute trois nouvelles catégories de personnes : - le père ou la mère ayant eu, pendant au moins dix ans, la charge effective d'un enfant de nationalité monégasque et qui justifie d'au moins dix années de résidence en Principauté ; - les personnes de nationalité étrangère telles que définies en tant qu'Enfants du Pays par la loi n° 1.506 du 2 juillet 2021 portant reconnaissance des « Enfants du Pays » et de leur contribution au développement de la Principauté de Monaco et dont l'un de leurs auteurs ou adoptants est également né à Monaco et y résidait au moment de cette naissance ou de cette adoption ; - les autres personnes de nationalité étrangère définies en tant qu'Enfants du Pays par la même loi ; que s'il est loisible à l'État d'élargir le champ d'application des bénéficiaires de ce régime protégé, il doit en supporter le coût ; que l'élargissement du périmètre des personnes protégées contrevient au principe selon lequel le secteur protégé est un encadrement temporaire voué à disparaître lorsque les problèmes de logement touchant les Monégasques seront résorbés ; qu'en janvier 2021, le Président du Conseil National a estimé que le jour où le nombre d'appartements domaniaux seront suffisants pour les Monégasques, ils quitteront le secteur protégé et libéreront des appartements ; que l'État ne saurait prendre prétexte du besoin de loger de nouvelles catégories de personnes à Monaco pour limiter le droit de propriété des détenteurs de locaux d'habitation en secteur protégé dès lors que l'élargissement des bénéficiaires résulte de sa volonté ; que cet élargissement porte ainsi une atteinte disproportionnée aux droits des personnes concernées ; qu'en effet, la charge que constitue cette politique sociale devrait reposer sur l'État ou, à titre subsidiaire, sur l'ensemble des propriétaires, que les biens soient situés en secteur libre, sous loi n° 887 ou sous loi n° 1.235 ; que cette atteinte est d'autant plus injustifiée que le secteur domanial comprend nombre de logements aptes à accueillir ces nouvelles catégories ; que l'État pourrait ainsi acquérir ou faire construire davantage de logements, à Monaco même ou dans le département des Alpes-Maritimes afin de sauvegarder les deniers publics ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'association requérante soutient que l'article 3 de la loi attaquée restreint également de manière excessive le droit de propriété ; que cette disposition impose au propriétaire autorisé à démolir son immeuble pour en reconstruire un autre sur le même terrain et qui a donné congé à son locataire, de verser à l'État une indemnité pour le relogement de ce locataire dans les conditions déterminées par arrêté ministériel ; qu'en droit, une indemnité est une somme d'argent destinée à dédommager une victime, à réparer le préjudice qu'elle a subi par attribution d'une valeur équivalente qui apparaît tout à la fois comme la réparation d'un dommage et la sanction d'une responsabilité ; qu'or, l'État n'a aucun droit acquis à ce que le locataire d'un local d'habitation en secteur protégé y vive sans interruption ; que si les locataires ont normalement vocation à y séjourner au moins pendant les six années que dure leur bail, cette résidence peut être interrompue notamment en raison de travaux ; que la réalisation de tels travaux va d'ailleurs dans le sens des objectifs poursuivis par le législateur ; qu'il s'agit, effet, selon le rapporteur de la Commission du logement du Conseil National, d'« assurer la transformation et le renouvellement du secteur protégé pour permettre, à terme, aux catégories protégées de vivre dans des immeubles plus confortables, dignes de ce que l'on est en droit de trouver en Principauté de Monaco » ; que, par ailleurs, l'État n'étant en rien lésé par le congé délivré au locataire, le versement d'une telle indemnité constitue un enrichissement sans cause ; que la protection du droit de propriété interdit qu'une telle indemnité injustifiée par une créance ou un dommage soit mise à la charge des propriétaires et versée à l'État ;
Attendu, en troisième lieu, que l'association requérante fait grief aux articles 3 et 5 de la loi attaquée de méconnaître également le droit de propriété en imposant au propriétaire de respecter un préavis de six mois pour donner congé au locataire en cas de démolition et reconstruction de l'immeuble et de travaux rendant le local impropre à l'habitation ; que la durée d'un tel préavis ne se justifie pas pour des raisons pratiques ; que le Tribunal Suprême a déjà jugé qu'un délai de préavis trop long imposé au propriétaire peut méconnaître le droit de propriété (TS, 16 janvier 2006, Mme R. veuve B. et autres c/ Ministre d'État) ; que, d'une part, en vertu de l'article 14 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, l'État adresse au locataire évincé une offre de relogement dans un délai de trois mois à compter de la réception de l'information de son congé et le locataire qui entend accepter cette offre notifie son accord au propriétaire et à l'État dans le délai d'un mois ; qu'ainsi, le délai de six mois n'est pas justifié et pourrait être ramené à quatre mois et sept jours, en raison des délais postaux ; que, d'autre part, s'agissant des travaux lorsque le local est rendu impropre à l'habitation par l'exécution des travaux, un délai de préavis de six mois aboutirait à maintenir le locataire en place sur une longue période alors même que son intérêt est de vivre dans un appartement rénové ; que, dans la mesure où cette durée contrevient à l'objectif que la loi s'est assigné de transformation et de renouvellement du secteur protégé, elle méconnaît le droit de propriété du bailleur et les intérêts du locataire ;
Attendu que l'association requérante allègue, en quatrième lieu, que l'article 4 de la loi attaquée méconnaît le principe d'égalité ; qu'en effet, cette disposition met à la charge du bailleur le relogement du locataire dans le cas où le local est rendu impropre à l'habitation par l'exécution des travaux alors que ce relogement est à la charge de la Direction de l'habitat dans le cas d'une destruction totale de l'immeuble ; que le Tribunal Suprême a consacré le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques (TS, 1^er février 1994, Association des propriétaires de Monaco) ; que, s'agissant du principe d'égalité devant la loi, le Tribunal Suprême estime qu'il ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ; que la loi attaquée institue une différence de traitement entre les propriétaires de locaux à usage d'habitation en secteur protégé qui réalisent des travaux conduisant à une destruction partielle et ceux détruisant totalement leur immeuble pour le reconstruire ; que les premiers travaux ne changent pas la nature du bien qui reste en secteur protégé tandis que la destruction et la reconstruction aboutissent au contraire à faire sortir de ce secteur une grande partie de l'immeuble ; qu'or, le maintien d'un secteur protégé fait partie des objectifs que s'est assignés le législateur ; que traiter plus défavorablement les propriétaires rénovant leur bien que ceux le détruisant conduit, dès lors, à défavoriser le maintien de ces locaux en secteur protégé, contrairement à l'objectif poursuivi par le législateur ; qu'une telle différence de traitement méconnaît le principe d'égalité ; que ces dispositions seront censurées au profit d'une obligation de relogement à la seule charge de l'État, quel que soit le type de travaux entrepris ;
Attendu, en cinquième lieu, que, selon l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO, l'article 6 de la loi attaquée méconnaît le droit de propriété ; que cette disposition prévoit que le loyer est établi par référence aux loyers appliqués dans le même secteur d'habitation pour des locaux de même type relevant du même régime juridique, situés dans le même quartier ou un quartier voisin, dans des immeubles considérés comme étant de qualité similaire et présentant des prestations équivalentes ; qu'il ressort des travaux du Conseil National que cette modification vise à empêcher que les loyers dans le secteur protégé soient déterminés par comparaison avec des locaux achevés après 1947 ; qu'une telle modification n'a, en pratique, pour seule finalité que de minorer les loyers en secteur protégé ; que, toutefois, d'une part, un bien régulièrement rénové par son propriétaire peut très bien présenter les mêmes caractéristiques de confort qu'un appartement construit après 1947 ; qu'en interdisant par principe la comparaison avec ces immeubles récents, le législateur porte atteinte au fruit qu'un propriétaire diligent et soigneux est en droit d'attendre de son bien ; que, par ailleurs, une telle mesure a pour objet de décourager le propriétaire de réaliser les rénovations nécessaires dans la mesure où, quelles que soient les caractéristiques du bien loué, le loyer ne sera établi qu'en comparaison de biens en fonction de leur qualification juridique et non de leurs qualités intrinsèques réelles ; que, d'autre part, ces dispositions méconnaissent gravement les droits des propriétaires de biens de substitution qui ont été construits ou achevés postérieurement au 1^er septembre 1947 ; que ces locaux sont bien soumis à la loi n° 1.235 mais l'établissement de leur loyer devrait faire fi de leur construction récente pour ne les comparer qu'avec des locaux construits avant 1947 ; que, là encore, l'atteinte au droit de jouir des fruits de la propriété n'est ni justifiée, ni proportionnée ;
Attendu, en sixième lieu, que l'association requérante fait grief à l'article 8 de la loi attaquée de méconnaître également le droit de propriété et le principe d'égalité en ce qu'il subordonne l'octroi d'une autorisation de démolition intégrale et de nouvelle construction d'un immeuble à l'obligation de céder à l'État une partie du nouvel immeuble ; qu'une telle cession forcée constitue une privation de propriété ; que dans le droit du pays voisin, la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique est légalement constatée ; qu'en Principauté, le Tribunal Suprême suit un raisonnement comparable et vérifie que le législateur a bien caractérisé la cause d'utilité publique exigée par l'article 24 de la Constitution (TS, 4 octobre 2010, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Le Sardanapale » c/ Ministre d'État) ; que, par ailleurs, le Tribunal Suprême déduit de ce même article 24 que « la privation d'un bien ou d'une espérance légitime de jouir de ce bien qui n'est pas fondée sur un motif d'intérêt général ou qui n'est pas assortie d'une indemnisation raisonnable caractérise une atteinte au droit de propriété » (TS, 29 novembre 2018, S.A.M. C. I. c/ Ministre d'État) ; que trois raisons justifient l'annulation de la disposition critiquée ;
Attendu, tout d'abord, que les objectifs poursuivis par le législateur sont de mettre fin à la disparition programmée des locaux du secteur protégé, d'assurer la transformation et le renouvellement du secteur protégé pour permettre à terme aux catégories protégées de vivre dans des immeubles confortables et de libérer à terme les propriétaires privés des contraintes inhérentes à la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; qu'or, la loi attaquée contraint le propriétaire qui souhaite démolir son bien et le reconstruire à en céder une partie à l'État, à savoir les étages spécifiques au sens de la loi ; que ce transfert de propriété des étages spécifiques ne répond à aucune cause d'utilité publique légalement constatée ; que la démolition et la reconstruction d'un bien en secteur protégé qui ne serait pas transférée à l'État n'empêche pas que ces étages spécifiques restent à la fois en secteur protégé et détenus par des personnes privées ; que rien n'interdit à l'État de proposer aux propriétaires d'acquérir leur bien et d'y loger les catégories de personnes protégées ; que la cession forcée des futurs locaux n'est donc en rien indispensable pour limiter la disparition des appartements en secteur protégé ; qu'il s'agit d'un détournement du pouvoir législatif pour exproprier ces biens sans avoir à respecter les conditions inscrites dans la loi n° 502 du 6 avril 1949 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique ; que le propriétaire du local d'habitation en secteur protégé a une espérance légitime de pouvoir détruire et reconstruire son bien, dans le respect des règles d'urbanisme, sans en avoir à céder la moindre parcelle à l'État ;
Attendu, ensuite, que les dispositions critiquées instituent une différence de traitement entre les propriétaires de locaux en secteur libre, sous loi n° 887 et ceux dont les biens sont sous loi n° 1.235 ; qu'alors que les premiers peuvent détruire et reconstruire leurs biens librement sous réserve des règles d'urbanisme, les seconds sont contraints de céder un voire deux étages à l'État ; que le principe d'égalité garanti par l'article 17 de la Constitution implique que la politique nationale du logement qui vise à assurer le logement de toutes les personnes protégées repose sur l'ensemble des propriétaires et non sur une partie d'entre eux ; que le principe même de l'encadrement des loyers constituant une première différence de traitement, cette cession forcée à l'État, qui plus est à un prix dérisoire, à savoir le coût de la construction, consiste en une nouvelle différence de traitement indue et discriminatoire ; qu'il n'existe pas de réelle différence de situation justifiant une telle différence de traitement ; que si ces biens sont soumis à des régimes juridiques différents, il s'agit dans tous les cas de locaux à usage d'habitation qui sont tous susceptibles de devenir la demeure d'une personne protégée ; qu'aucune différence de situation n'est en rapport avec l'objet de la loi ; que les dispositions critiquées méconnaissent, dès lors, le principe d'égalité ;
Attendu, enfin, que la loi ne prévoit pas d'exclure du dispositif les locaux d'habitation en secteur protégé mais occupés de manière continue par leur propriétaire ou les personnes visées à l'article 16-1 de la loi du 28 décembre 2000 ; que dès lors qu'un local d'habitation est occupé depuis suffisamment longtemps par un propriétaire ou ses proches, l'application du principe de la cession forcée apparaît particulièrement inéquitable ; que cela conduit à ce que le propriétaire d'un seul appartement de 50 mètres carré en secteur protégé soit légalement contraint de céder à l'État le nouvel appartement édifié ; qu'une telle cession forcée étant prévue sur une base de prix très inférieure au prix du marché, le propriétaire concerné n'aura pas les moyens d'acquérir un nouvel appartement du même type à Monaco même et se trouvera contraint de vivre hors de la Principauté ; que l'application indifférenciée de la loi est ainsi susceptible d'entraîner des conséquences contraires aux objectifs poursuivis par le législateur ; que cette disposition sera annulée comme portant une atteinte disproportionnée au droit de propriété pour n'avoir pas prévu le cas des locaux d'habitation en secteur protégé occupés de manière continue par leur propriétaire ou les personnes visées à l'article 16-1 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ;
Attendu, en septième lieu, que l'association requérante fait valoir que l'article 8 de la loi attaquée méconnaît également le droit de propriété et le principe d'intelligibilité et de clarté de la loi en ce qu'il détermine la localisation des étages spécifiques ; qu'il résulte de cette disposition que dans un immeuble de trois étages, l'étage spécifique sera situé au deuxième étage et, dans le cas d'un immeuble à quatre étages, au troisième étage ; que l'application de cette règle relative à la localisation de l'étage conduit à ce qu'un local d'habitation en secteur protégé situé au premier étage sera, par l'effet de la loi, situé au troisième étage dans le futur immeuble ; que la valeur locative ou à la vente des étages supérieurs étant bien supérieure à celle des étages inférieurs, il en découle une privation de propriété dans la mesure où ce futur étage spécifique devra être cédé non au prix du marché mais au prix de la construction, qui ne varie que très peu d'un étage à l'autre ; qu'il s'agit d'une privation injustifiée sauf à vouloir étendre la propriété de l'État au détriment des propriétaires sans compensation adaptée ; que, d'autre part, si l'association requérante n'est pas sans savoir que le Tribunal Suprême a jusqu'à présent considéré que le moyen tiré de l'inintelligibilité et de l'absence de clarté de la loi est inopérant car ne relevant pas du titre III de la Constitution, elle estime que cette position doit évoluer ; que dans le cas d'une loi entraînant une privation du droit de propriété, l'imprécision du texte législatif porte en soit atteinte au droit de propriété ; qu'en l'espèce, il n'est pas possible, à la lecture du texte ou des travaux préparatoires, de comprendre où doivent se situer le ou les étages spécifiques dans un immeuble composé de cinq étages ou plus ;
Attendu, en huitième lieu, que, selon l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO, l'article 8 de la loi attaquée méconnaît encore le droit de propriété en ce qu'il impose que les étages spécifiques ne comportent que des locaux de substitution ; que la rédaction de cette disposition est entachée d'une contradiction dans la mesure où elle prévoit, d'une part, que la surface des locaux de substitution doit être calculée à partir de critères identiques à ceux ayant servi à la détermination de la surface des locaux auxquels ils se substituent et, d'autre part, que les étages spécifiques sont intégralement composés de locaux de substitution ; qu'il s'en infère que, lorsque la surface des locaux de substitution à construire excède la surface d'un étage, tout le second étage spécifique est dédié aux locaux de substitution alors même que seule une partie de cet étage supplémentaire devrait être concernée ; que le rapporteur de la loi a d'ailleurs souligné cet effet d'aubaine en affirmant que « la mise en œuvre du texte engendrera par conséquent une sorte » d'effet de cliquet « grâce auquel l'État pourra récupérer davantage de surfaces de locaux relevant du secteur protégé que celles qui ont été détruites lors de la démolition de l'immeuble » ; que les dispositions critiquées ne tendent pas, conformément à l'objectif du législateur, à sauvegarder les locaux en secteur protégé mais à en augmenter la surface au détriment des propriétaires ; que dans la mesure où il est tout à fait possible qu'un même étage comporte des appartements de l'État et d'autres relevant du secteur libre, aucune cause d'utilité publique ne justifie une telle privation de propriété ;
Attendu, en neuvième lieu, que l'association requérante allègue que les dispositions de l'article 8 de la loi attaquée déterminant le prix de cession méconnaissent aussi le droit de propriété ; qu'il est prévu que « le prix de cession sera calculé en prenant comme base le coût de construction, dont les éléments sont déterminés par arrêté ministériel » ; que ces dispositions emportent une privation du droit de propriété en raison d'une compensation dérisoire ; que la décision de vendre ou non, d'abuser ou non de sa propriété est inhérente au droit de propriété de sorte que priver le propriétaire de la décision de ne pas vendre revient à une privation de propriété ; que le Tribunal Suprême considère qu'une translation de propriété non désirée à l'Administration constitue une expropriation ; que l'article 8 de la loi attaquée n'emporte pas une cession normale entre deux parties libres de contracter ou non mais une cession forcée d'un bien, à charge pour les deux parties de se mettre d'accord sur un prix ; qu'en droit, en combinant l'article 24 de la Constitution et l'article 439 du Code civil, sont requises une base légale, une cause d'utilité publique et le versement d'une indemnité ; que les mesures de privation de propriété doivent, en outre, être placées sous le contrôle du juge qui sera chargé de vérifier le respect de ces trois conditions ; que le caractère juste de l'indemnisation découle nécessairement de la façon dont elle est fixée et des conditions préalablement prévues par la loi ; qu'il s'agisse d'une privatisation, d'une nationalisation ou d'une expropriation, le droit du pays voisin impose que l'estimation de l'indemnité versée en cas de privation de propriété soit évaluée au vu du prix du marché ; que l'exproprié a la liberté de défendre devant le juge la méthode d'évaluation qu'il souhaite voir adoptée ; que pour les immeubles bâtis, le juge peut utiliser la méthode d'évaluation par comparaison, la méthode d'évaluation de la rentabilité, dite également « par le revenu », la méthode d'évaluation par la valeur de récupération foncière et la méthode par le coût de reconstitution ; que le Tribunal Suprême a suivi un tel raisonnement dans l'affaire Société Condor Financiera Panama ayant trait à la création d'actions nouvelles de la Société des bains de mer au profit de l'État (TS, 6 mars 1967) en admettant le calcul de la prime d'émission des actions nouvelles sur la base du cours des titres en bourse pendant une période de référence ; qu'en l'espèce, le coût de la construction, au regard duquel est calculé le prix de cession, n'est qu'une des composantes de la valeur d'un bien immobilier ; qu'ainsi que l'a relevé le rapporteur de la loi, la Principauté « dispose d'un prix au mètre carré à la vente particulièrement élevé, alors que le coût de la construction reste, quant à lui, raisonnable au vu dudit prix de vente » ; que le prix du foncier (entre 30 et 50.000 euros par m^2 en moyenne à Monaco) étant très supérieur au coût de la construction (entre 2 et 6.000 euros par m^2 en moyenne), la valeur de marché en dépend bien davantage ; qu'en prévoyant que le prix de cession aura pour base le coût de la construction, le législateur a opéré une privation de propriété sans qu'une juste indemnité soit prévue ;
Attendu, en dixième lieu, que l'association requérante estime que les dispositions de l'article 8 de la loi attaquée, dès lors qu'elles ne prévoient aucun mécanisme de règlement des différends entre le propriétaire et l'État dans la détermination du prix de cession, portent atteinte au droit de propriété et au droit à un recours effectif ; que le législateur n'a pas épuisé sa compétence ; que la jurisprudence du pays voisin impose que l'exproprié dispose d'une voie de recours appropriée ; que la loi attaquée permet à l'État d'empêcher la destruction et la reconstruction d'un bien au seul motif qu'il souhaite l'acquérir à un prix inférieur à sa valeur vénale ; que le propriétaire souhaitant obtenir l'autorisation de démolition et de reconstruction n'a d'autre choix que d'accepter le prix avancé par l'Administration ; qu'une telle situation porte une atteinte grave et injustifiée au droit de propriété ;
Attendu, en onzième lieu, que selon l'association requérante, les dispositions de l'article 8 de la loi attaquée sont entachées d'une autre méconnaissance du droit de propriété dans la mesure où elles ne sont pas rendues applicables « au secteur réservé, tel que défini à l'article 12.1 A de l'Ordonnance Souveraine n° 3.647 du 9 septembre 1966, modifiée » ; que, d'une part, le périmètre de cette exclusion n'est pas clair ; qu'à première vue, l'ensemble du mécanisme de cession forcée en cas de destruction et de reconstruction n'est pas applicable aux locaux situés dans les locaux de Monaco-Ville et du ravin de Sainte-Dévote ; qu'il semblerait toutefois, à la lumière des travaux préparatoires, que cette exclusion ne vise que la disposition relative à la majoration du volume constructible ; que ces dispositions méconnaissent le principe de clarté et d'intelligibilité dans une mesure qui affecte directement le droit de propriété ; que, d'autre part, à supposer que l'exclusion en cause ne concerne que la majoration de volume constructible, une telle restriction constitue une différence de traitement entre les propriétaires d'immeubles situés dans ces deux quartiers et les autres propriétaires ; qu'il existe certes une différence de situation entre ces deux catégories liée à l'existence d'un secteur réservé et donc de règles d'urbanisme plus exigeantes ; que, toutefois, cette différence de situation est sans rapport avec l'objet de la loi qui vise à sauvegarder à la fois le secteur protégé et les droits des propriétaires ; que l'exclusion de la possibilité de bénéficier d'une majoration du volume constructible aura pour conséquence de contraindre le propriétaire à devoir céder les étages spécifiques du nouvel immeuble à l'État sans que cet immeuble comporte plus d'étages qu'auparavant ; qu'il en résultera un appauvrissement du propriétaire au profit de l'État et donc une privation de propriété sans indemnisation ;
Attendu, en dernier lieu, que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO soutient que la composition du comité consultatif se prononçant sur les équivalences de surfaces et qualités des immeubles, telle qu'elle est prévue par l'article 8 de la loi attaquée, porte une nouvelle atteinte au droit de propriété ; qu'en effet, ce comité, s'il doit comprendre des représentants du Gouvernement et du Conseil National, ne compte pas de représentants des associations concernées ; que, dès lors, le législateur a privé les propriétaires d'une garantie supplémentaire empêchant que la privation de propriété dont ils font l'objet soit réalisée dans des conditions inéquitables ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 7 décembre 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation de l'association requérante aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, à titre principal, que la requête de l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO est irrecevable dès lors qu'elle n'a produit ni ses statuts ni l'acte par lequel l'organe compétent a décidé d'introduire cette action ;
Attendu que le Ministre d'État estime, à titre subsidiaire, que la requête doit être rejetée dès lors qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé ;
Attendu, selon le Ministre d'État, que dès l'année 1949, la Principauté de Monaco a mis en place une régulation du secteur locatif d'habitation afin de permettre aux foyers monégasques ainsi qu'aux foyers de ressortissants étrangers, privés de leur logement dans la Principauté à la suite, notamment, de la guerre, de pouvoir continuer à se loger ; que cette régulation a pris la forme d'un système d'encadrement légal des loyers ; que l'État a fixé unilatéralement un loyer forfaitaire pour les locaux relevant du secteur protégé ; que les réformes législatives successives ont progressivement assoupli ce régime, dans la mesure qu'autorisaient les impératifs sociaux et les contraintes démographiques de la Principauté ; que la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 a mis en place un régime d'encadrement imposant au propriétaire de fixer le loyer par référence aux loyers appliqués à des logements comparables, relevant du même régime juridique et situés dans des immeubles présentant des caractéristiques équivalentes ; que cette loi a prévu un loyer de marché pour les locaux relevant du secteur protégé, afin d'harmoniser l'ensemble des loyers appliqués dans ce secteur ; qu'il était envisagé de mettre fin au régime des loyers à l'issue d'un délai de cinq ans ; que la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 a opéré un revirement en pérennisant le système d'encadrement des loyers, afin de permettre à tous les nationaux de se loger dans leur pays, aux côtés d'une population stable ayant des attaches réelles et anciennes avec la Principauté, nonobstant toute considération de fortune ; que ces réformes législatives successives n'ont cependant pas permis d'endiguer le phénomène de disparition progressive du secteur d'habitation réservé aux personnes protégées ; que, dans ce contexte, le Gouvernement Princier a accueilli favorablement la proposition de loi n° 239 relative à la sauvegarde et à la reconstitution des locaux à usage d'habitation relevant des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 et l'a transformée en projet de loi ; que les trois objectifs poursuivis par cette proposition de loi étaient de mettre fin à la disparition programmée du secteur protégé au fil des promotions immobilières, d'assurer la transformation et le renouvellement du secteur protégé pour permettre, à terme, aux catégories protégées de vivre dans des immeubles plus confortables, dignes de ce que l'on est en droit de trouver en Principauté de Monaco et de libérer, à terme, les propriétaires privés des contraintes inhérentes à la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 en faisant jouer le rôle social de l'État ; que le projet de loi n° 1006, déposé le 2 décembre 2019, prévoyait de mettre en place différents leviers pour assurer la sauvegarde et la reconstruction des appartements du secteur protégé : d'une part, la construction par le propriétaire de nouveaux locaux à usage d'habitation destinés à se substituer aux locaux détruits ou, à défaut, la dation d'appartements « de compensation », d'autre part, l'octroi au propriétaire de justes contreparties financières consistant, notamment, dans la possibilité d'obtenir auprès des services de l'État une majoration du volume constructible par rapport à celui qui était occupé par l'immeuble détruit, enfin, le repositionnement de l'État en tant qu'acteur principal et stratégique du secteur protégé, afin qu'il puisse assumer et jouer pleinement son rôle social, en prenant en charge le relogement des personnes dont le local d'habitation fait l'objet de travaux de démolition totale en vue d'une reconstruction et en assurant la gestion des appartements de substitution ou de compensation dont il devient propriétaire ;
Attendu que le Ministre d'État estime, en premier lieu, que n'est pas fondé le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 2 de la loi attaquée méconnaîtraient le droit de propriété ; qu'en effet, le Tribunal Suprême décide de manière constante que le libre exercice du droit de propriété consacré par l'article 24 de la Constitution n'est pas absolu et doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle, en particulier les exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État et le principe de la priorité accordée aux Monégasques, consacré notamment par les articles 25 et 32 de la Constitution ; que dans sa décision du 18 janvier 2006, Dame R. veuve B., le Tribunal Suprême a jugé que ne portaient pas une atteinte excessive au droit de propriété les dispositions de la loi du 21 décembre 2004 qui prévoyaient que les locaux auxquels elles s'appliquaient ne pouvaient être loués qu'à certaines personnes, que les contrats de bail étaient renouvelés de plein droit et que le propriétaire ne pouvait faire jouer son droit de reprise, que les loyers devaient être établis par référence aux loyers appliqués pour des locaux comparables, que les augmentations de loyer étaient limitées, que lorsque la commission arbitrale était saisie, le montant du loyer fixé ne pouvait excéder un certain montant, que le propriétaire d'un local devenu vacant devait, sous peine d'amende, faire une déclaration de vacance et une offre de location, consentir la location à une personne protégée dans l'ordre de priorité fixé par la loi et, enfin, que ces exigences étaient d'ordre public ; que les dispositions de la loi du 21 décembre 2004 prévoyaient également une extension du périmètre des bénéficiaires du secteur protégé sans mettre à la charge de l'État les conséquences financières de cette extension ; que les dispositions attaquées, qui se bornent à étendre le périmètre des personnes protégées ne portent donc pas une atteinte excessive à l'exercice du droit de propriété ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, que les dispositions de l'article 3 de la loi attaquée imposant au propriétaire qui donne congé à son locataire de verser une indemnité à l'État ne méconnaissent pas le droit de propriété ; qu'en effet, cette disposition n'a pas d'incidence sur la liberté du propriétaire de démolir l'intégralité de son immeuble pour reconstruire, sur le même terrain, un autre immeuble ; que l'indemnité prévue est liée à l'obligation pesant sur l'État de proposer une offre de relogement au locataire évincé, lequel bénéficie ainsi d'un droit d'accès à un logement dans la Principauté, de manière prioritaire, dans les conditions définies à l'article 3 de la loi attaquée ; que si le locataire est une personne de nationalité monégasque, son relogement est prioritaire sur les demandes d'attribution d'un appartement domanial déposées auprès de l'Administration ; que si le locataire évincé relève de l'une des catégories de personnes protégées visées aux 2° à 5° de l'article 3 de la loi du 28 décembre 2000, il a priorité pour accéder à un logement relevant du secteur protégé sur toutes les autres catégories de personnes protégées ; que dans le cas où l'État ne disposerait pas d'un logement disponible, le locataire évincé se voit offrir la possibilité d'occuper un logement d'un autre secteur d'habitation dont le montant du loyer et des charges locatives doivent être en adéquation avec les ressources du foyer, ce qui implique, en cas d'inadéquation, une prise en charge des surcoûts de loyer par l'État ; que le versement d'une indemnité par le propriétaire est destiné à compenser le préjudice pour l'État résultant des dérogations ainsi prévues aux règles normales d'attribution d'un logement domanial ou d'un appartement du secteur protégé ainsi que, dans certaines circonstances, du surcoût pour l'État résultant de la prise en charge d'une partie du loyer du locataire relogé ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en troisième lieu, que doit être écarté le moyen tiré de ce que le droit de propriété serait méconnu par le délai de préavis de six mois prévu par les articles 3 et 5 de la loi attaquée ; que le Tribunal Suprême a déjà jugé qu'un délai de préavis de six mois pouvait être imposé au propriétaire souhaitant mettre fin au bail ; qu'il a jugé que l'article 13 de la loi n° 1.377 du 18 mai 2011 modifiant la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 pouvait, sans porter une atteinte excessive au droit de propriété, porter de trois à six mois le délai imposé au propriétaire pour notifier au locataire son intention d'exercer son droit de reprise, dans la mesure où cette disposition s'avérait nécessaire pour permettre aux Monégasques et aux personnes ayant des liens particuliers avec la Principauté de se loger à Monaco (TS, 16 avril 2012, Association des propriétaires c/ Ministre d'État) ; que la durée du préavis imposée au propriétaire par la loi du 2 août 2021, au demeurant identique à celle qui est prévue en France, ne présente pas un caractère excessif ;
Attendu que le Ministre d'État allègue, en quatrième lieu, que l'article 4 de la loi attaquée ne méconnaît pas le principe d'égalité ; qu'à titre liminaire, le Ministre d'État entend souligner que cette disposition n'a pas mis à la charge du bailleur une obligation de relogement du locataire lorsque le local serait rendu impropre à l'habitation par la réalisation de travaux puisque cette obligation figurait déjà dans la rédaction antérieure de la loi du 28 décembre 2000 ; qu'au demeurant, le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 17 de la Constitution n'interdit pas que des situations différentes soient réglées de façon différente, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la réglementation qui l'établit ; que les propriétaires qui réalisent des travaux dans le local loué ne sont, à l'évidence, pas placés dans la même situation que ceux qui détruisent totalement l'immeuble pour le reconstruire ; que dès lors que le locataire d'un local qui fait l'objet de travaux a vocation à réoccuper ce local après achèvement des travaux, il est logique que ce soit sur le propriétaire du local que pèse l'obligation de le reloger temporairement ; qu'en revanche, le locataire dont le logement est détruit pour reconstruction n'a pas vocation à intégrer l'immeuble nouvellement édifié et risque donc de devoir être relogé définitivement, ce qui constitue une charge plus lourde que celle consistant à reloger temporairement le locataire ; qu'il est logique de faire peser cette charge sur l'État, en tant qu'acteur principal et stratégique du secteur protégé ; que la différence de traitement instituée par la loi est en rapport direct avec son objet ;
Attendu, en cinquième lieu, selon le Ministre d'État, que la critique de l'article 6 de la loi attaquée n'est pas fondée ; que la détermination du loyer d'un appartement par son propriétaire repose sur la prise en compte des loyers pratiqués pour des appartements relevant exclusivement du secteur protégé ; que les loyers pour des appartements du secteur ancien et libre ne sauraient entrer en ligne de compte pour la fixation des loyers du secteur protégé ; qu'en revanche, au sein même du secteur protégé, la loi du 28 décembre 2000 tient compte des quartiers, de la qualité des immeubles et de leurs prestations ; que, dès lors, le loyer d'un appartement soumis à la loi du 28 décembre 2000 ayant fait l'objet d'importants travaux de rénovation destinés à en améliorer les caractéristiques de confort peut être fixé par référence à des loyers d'appartements de ce secteur présentant un niveau de prestations comparable ; que tel est précisément le sens de la modification de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2000 par l'article 6 de la loi attaquée ; que le texte énonce désormais que les loyers seront établis par référence à « des immeubles considérés comme étant de qualité similaire et présentant des prestations équivalentes » ; que selon l'exposé des motifs du projet de loi, « cela devrait permettre de fixer les loyers par référence au plus haut standing des biens soumis au secteur protégé, c'est-à-dire ceux ayant fait l'objet de travaux significatifs de rénovation et/ou d'amélioration » ; qu'en application de la disposition critiquée, entreront dorénavant dans la détermination du loyer de l'appartement rénové les loyers qui seront appliqués pour les appartements de substitution appelés à relever du secteur protégé et dont l'État deviendra propriétaire à la suite des opérations de démolition en vue de la reconstruction de l'immeuble ; qu'or, les loyers de ces appartements, compte tenu de leur caractère récent, ne pourront que se situer dans une fourchette haute au regard des prestations offertes ; que la construction des nouveaux appartements du secteur protégé devrait mécaniquement avoir pour effet d'augmenter les loyers des appartements construits avant 1947 ayant fait l'objet d'une rénovation ; que la loi n'interdit nullement aux propriétaires de se prévaloir, à l'avenir, des loyers des locaux de substitution pour déterminer le loyer propre à leur appartement ;
Attendu, en sixième lieu, que le Ministre d'État fait valoir que la loi attaquée poursuit l'objectif, qui était déjà l'un de ceux de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, de garantir la suffisance du nombre de logements relevant du secteur protégé ; que la loi du 28 décembre 2000 s'appliquait déjà aux locaux construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 ainsi qu'aux locaux offerts en compensation conformément aux dispositions de l'article 42 de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation ; que l'article 8 de la loi attaquée prévoit que des locaux construits après le 1^er septembre 1947 sont soumis à la loi du 28 septembre 2000 dès lors qu'ils sont venus soit se substituer à des locaux construits ou achevés avant cette date, déjà soumis à la loi et détruits par des travaux de démolition intégrale régulièrement autorisés, soit compenser le défaut de construction de tels locaux ; que les autorisations de démolition et de reconstruction d'un ou plusieurs locaux à usage d'habitation soumis à la loi n° 1.235 sont délivrées sous réserve du respect de trois conditions cumulatives ; que la première condition est que le projet de construction prévoie la construction de locaux à usage d'habitation venant se substituer à ceux qui seront détruits et qui relèvent, au jour du dépôt des demandes d'autorisation, de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; que la deuxième condition est l'octroi « de plein droit » par l'État d'une majoration de volume constructible ; que la troisième condition porte sur la cession, au profit de l'État, lors de l'achèvement des travaux, moyennant le versement d'un prix de cession calculé en prenant comme base le coût de la construction ; qu'un propriétaire de locaux soumis à la loi du 28 décembre 2000 peut se voir autorisé à les détruire et à édifier de nouveaux locaux, d'un volume plus important, même si les constructions surélevées excèdent les cotes maximales du niveau supérieur des bâtiments, telles qu'inscrites au Règlement d'urbanisme ; que ces nouveaux locaux ne seront pas soumis à la loi, à la condition que soit édifiés un ou deux étages de logements destinés à relever du secteur protégé, dont la propriété reviendra à l'État moyennant le versement d'un prix évalué sur la base du coût de la construction ; que ce mécanisme est équilibré puisqu'il permet au propriétaire de locaux dont le loyer est encadré de les détruire et de les remplacer par un volume de locaux plus important, dont le loyer sera libre, à la seule condition d'édifier au profit de l'État un ou deux étages de locaux, dont le loyer sera encadré, sans supporter le coût de cette construction supplémentaire ; que les moyens tirés de la méconnaissance du droit de propriété et du principe d'égalité ne sont pas fondés ;
Attendu, tout d'abord, que contrairement à ce qui est soutenu par l'association requérante, ce mécanisme ne peut être assimilé à une expropriation dans la mesure où, d'une part, il permet au propriétaire d'édifier à son profit un nombre de locaux d'une surface supérieure ou au moins équivalente à celui dont il bénéficiait antérieurement, qui échapperont en outre au secteur protégé et, d'autre part, le propriétaire ne transfère pas la propriété de son bien à l'État mais édifie pour le compte de ce dernier des logements moyennant indemnisation ;
Attendu, en outre, que les dispositions critiquées n'instituent pas une différence de traitement injustifiée entre les propriétaires de locaux d'habitation relevant du secteur libre et les propriétaires de locaux d'habitation relevant du secteur protégé ; qu'en effet, ces différents types de propriétaires ne sont pas dans une situation équivalente imposant qu'ils soient traités de manière similaire ;
Attendu, enfin, que le mécanisme mis en place par l'article 8 de la loi attaquée permet au propriétaire qui détruit et reconstruit un immeuble d'édifier à son profit un volume de même importance que le volume existant, de sorte qu'il a la possibilité d'affecter une partie des logements nouvellement construits à son usage personnel ou à celui des personnes visées à l'article 16-1 de la loi n° 1.235, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il devra édifier au profit de l'État des locaux qui seront affectés au secteur protégé d'une surface équivalente à celle qui a été démolie ;
Attendu, en septième lieu, que le Ministre d'État estime que les dispositions de l'article 8 de la loi attaquée relatives à la localisation des étages spécifiques ne méconnaissent pas le droit de propriété et l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ; que, tout d'abord, une telle méconnaissance ne peut être retenue dès lors que l'édification de locaux de substitution au profit de l'État ne s'analyse pas comme une atteinte au droit de propriété mais comme une simple obligation d'édifier des locaux revenant à l'État moyennant une indemnisation des coûts de construction correspondants ; que l'opération de destruction et de reconstruction lui est largement favorable, dans la mesure où elle lui permet de sortir du champ des locaux d'habitation du secteur protégé ; qu'ensuite, comme le souligne l'association requérante elle-même, l'intelligibilité et l'accessibilité de la loi ne figurent pas au nombre des libertés ou droits consacrés par le titre III de la Constitution, de sorte que le moyen tiré de la violation de cet objectif est inopérant (TS, 4 juillet 2012, SAM Centre immobilier P., SAM Esperanza) ; qu'en tout état de cause, les dispositions critiquées sont parfaitement intelligibles ; que ce texte prévoit, en effet, que le premier étage spécifique doit être situé à l'étage médian de l'immeuble à bâtir entre le premier étage de locaux à usage d'habitation et le dernier étage de l'immeuble et qu'en cas de nombre d'étages pair, l'étage spécifique sera situé à l'unité supérieure ; que, l'étage spécifique d'un immeuble de sept étages entièrement affectés à l'habitation serait le quatrième étage et éventuellement le cinquième en cas d'existence d'un second étage spécifique ; que lorsque les deux premiers étages d'un immeuble de sept étages ne sont pas affectés à l'habitation, le ou les étages spécifiques sera ou seront le cinquième et le sixième étages ; que si l'immeuble comporte huit étages et est entièrement affecté à l'habitation, le ou les étages spécifiques sera ou seront les cinquième et sixièmes étages ;
Attendu, en huitième lieu, que le Ministre d'État estime que la circonstance que la surface des locaux relevant du secteur protégé puisse être dans le nouvel immeuble, supérieure à celle des locaux protégés démolis ne prive pas le propriétaire concerné de sa propriété ; qu'en effet, l'obligation d'édifier des locaux au profit de l'État moyennant indemnité ne peut s'analyser en une privation de propriété dans la mesure où l'État lui permet d'édifier un volume plus important que celui qui est détruit, dont il conservera la propriété et qui lui permettra de faire échapper les locaux construits au régime du secteur protégé ; que les dispositions critiquées ne sont pas contradictoires dans la mesure où elles ne prévoient pas que la surface des locaux de substitution à construire doit être identique à celle des locaux démolis mais uniquement que les surface de ces deux catégories de locaux doivent être déterminées au moyen de critères identiques ;
Attendu, en neuvième lieu, que, selon le Ministre d'État, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que la fixation, sur la base du coût de la construction, du prix de cession des locaux relevant du secteur protégé devrait s'analyser en raison du caractère dérisoire de la compensation financière qu'elle conduit à allouer au propriétaire ; que ce moyen devra être écarté pour les mêmes motifs que les précédents ; que l'obligation d'édifier des locaux destinés à devenir la propriété de l'État ne constitue pas une atteinte au droit de propriété mais uniquement une contrepartie à la possibilité offerte au propriétaire de locaux relevant du secteur protégé de les détruire et de reconstruire à son profit des locaux relevant du secteur libre d'un volume supérieur ; que cette obligation ne peut donc s'analyser en une expropriation qui imposerait le versement d'une « juste indemnité » correspondant à la valeur du bien transmis, mais en un mécanisme d'obligation de faire, destiné à garantir le maintien du secteur protégé, tout en permettant au propriétaire de substituer aux locaux lui appartenant relevant de ce secteur des locaux relevant du secteur libre d'un volume plus important ; qu'en outre, le propriétaire n'est pas appauvri par l'opération, puisqu'il substitue à ses locaux relevant du secteur protégé des locaux relevant du secteur libre ; que, par suite, la loi attaquée pouvait donc, sans méconnaître le droit de propriété, prévoir que l'indemnité versée au propriétaire en contrepartie de l'édification des locaux revenant à l'État sera calculée en prenant comme base le coût de la construction et non la valeur des locaux transmis ;
Attendu, en dixième lieu, que le Ministre d'État allègue que le législateur n'a pas méconnu le droit de propriété et le droit à un recours effectif en s'abstenant de prévoir un mécanisme de règlement des désaccords relatifs au prix de cession des locaux devant revenir à l'État ; qu'en effet, dès lors que l'opération ne s'analyse pas en un mécanisme d'expropriation mais en une obligation de construction au profit de l'État, le montant de l'indemnité devant être versée au propriétaire ne saurait tenir compte de la valeur vénale des locaux édifiés ; que ce montant est destiné à acquitter le coût de la construction par le propriétaire des locaux à usage d'habitation entrant dans le secteur protégé ; que l'article 8 de la loi prévoit que le prix de cession sera calculé en prenant comme base le coût de construction « dont les éléments sont déterminés par arrêté ministériel » ; que les propriétaires disposent d'un droit de recours dès lors qu'ils peuvent contester la légalité de cet arrêté interministériel ;
Attendu, en onzième lieu, que le Ministre d'État soutient que les dispositions de l'article 8 de la loi attaquée prévoyant qu'elles ne s'appliquent pas au secteur réservé ne présente aucune ambiguïté ; qu'en effet, elles prévoient expressément que « les dispositions du présent article ne sont pas applicables au secteur réservé » ; que l'exposé des motifs précise de même qu' « une atténuation du principe a été prévue, par l'insertion d'une disposition particulière permettant d'exclure du champ d'application de l'article 39-1 les opérations de démolition intégrale pour lesquelles cette majoration du volume constructible ne pourra pas matériellement être accordée » ; qu'ainsi, le nouveau dispositif ne s'appliquera pas dans le secteur réservé en raison de règles d'urbanisme très strictes qui ne le permettent pas ; qu'il s'en déduit que les dispositions critiquées n'instituent pas une différence de traitement injustifiée entre les propriétaires d'immeubles situés dans le secteur protégé et les autres propriétaires ;
Attendu, en dernier lieu, que le Ministre d'État fait valoir que si le législateur a précisé lui-même que la composition du comité consultatif chargé de donner un avis sur la dérogation à l'obligation d'édifier des locaux de substitution au sein de l'immeuble comprendra des représentants du Gouvernement et du Conseil National, il a renvoyé à un arrêté ministériel le soin de préciser sa composition ; qu'il n'a donc pas exclu les associations de propriétaires de la composition de ce comité ; qu'il sera loisible à l'association requérante de former un recours contre l'arrêté ministériel si elle estime qu'il ne garantit pas suffisamment les droits des propriétaires ; que toute méconnaissance du droit de propriété doit être écartée ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 6 janvier 2022, par laquelle l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu, tout d'abord, que l'association, qui produit ses statuts et la décision de son bureau autorisant son président à initier devant le Tribunal Suprême le présent recours, soutient qu'elle a bien qualité pour agir ;
Attendu que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO ajoute, sur le fond, en premier lieu, que le Tribunal Suprême ne s'est pas prononcé dans les motifs et le dispositif de sa décision du 18 janvier 2006 sur l'élargissement du périmètre des personnes protégées ; que le Ministre d'État s'abstient d'expliquer comment l'élargissement du périmètre des personnes protégées et la diminution concomitante du périmètre des propriétaires en secteur protégé ne conduiraient pas à faire peser sur une fraction des propriétaires une charge démesurée ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'association requérante précise, sur l'article 3 de la loi attaquée, qu'il n'y a aucun dommage infligé à l'État par le propriétaire qui donne congé à son locataire et encore moins un quelconque droit à réparation ; qu'un propriétaire a le droit de modifier son bien sans que cela ne fasse naître une quelconque créance dans le patrimoine d'un tiers, sauf si ces travaux occasionnent un dommage particulier ; que si préjudice ou surcoût il y a pour l'État, il est directement causé par le législateur et non par un propriétaire souhaitant démolir son propre bien ; que, selon le rapporteur de la Commission du logement, un des trois leviers dont usait le projet de loi était « le repositionnement de l'État en tant qu'acteur principal et stratégique du secteur protégé, afin qu'il puisse assumer et jouer pleinement son rôle social, d'une part, en prenant en charge le relogement des personnes dont le local d'habitation fait l'objet de travaux de démolition totale en vue d'une reconstruction » ; que la politique sociale et de logement n'ayant pas à être supportée par une fraction des propriétaires mais par la collectivité, le préjudice invoqué par le Ministre d'État doit être écarté ; que le Ministre d'État affirme lui-même que le relogement définitif du locataire dont le logement est détruit pour reconstruction « constitue une obligation plus lourde que celle consistant à reloger temporairement le locataire, qu'il est logique de faire peser sur l'État, en tant qu'acteur principal et stratégique du secteur protégé qui a un rôle social » ;
Attendu, en troisième lieu, que l'association requérante relève que le Ministre d'État ne nie pas l'inutilité d'un préavis de six mois dans la mesure où l'application du droit positif ne nécessite qu'un délai de quatre mois et quelques jours ; que la circonstance qu'un délai de six mois soit prévu en France est sans incidence, faute de délais comparables et surtout faute d'obligation de relogement des locataires par l'État voisin ;
Attendu, en quatrième lieu, que l'association requérante entend souligner une contradiction flagrante dans la défense du Ministre d'État concernant l'obligation pour le propriétaire de reloger le locataire lorsque le local occupé est rendu impropre à l'habitation par l'exécution de travaux ; qu'en effet, il prétend, au sujet du deuxième moyen soulevé, que « les conditions dans lesquelles le locataire est évincé du fait de la décision du propriétaire de conduire son opération immobilière [impliquent] un surcoût pour l'État résultant d'une prise en charge d'une partie du loyer du locataire relogé » alors qu'il prétend que l'obligation de relogement est une obligation lourde pesant sur l'État stratège et non sur le propriétaire ; qu'un des deux moyens a donc vocation à prospérer ; que, par ailleurs, la destruction d'un bien entrainant la cession forcée d'une partie du futur bien immobilier à l'État, la charge du relogement des personnes protégées est tout aussi temporaire dans un cas que dans l'autre ; que, contrairement à ce que soutient le Ministre d'État, la loi vise à permettre le renouvellement et la rénovation des locaux d'habitation en secteur protégé et non le simple accès audit secteur protégé ;
Attendu, en cinquième lieu, que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO estime, s'agissant des dispositions de l'article 6 de la loi attaquée relative à la détermination du montant des loyers, qu'elles portent une atteinte manifestement injustifiée au droit de propriété ; qu'en effet, à taille, prestations et confort identiques, le loyer d'un appartement construit le 30 août 1947 sera beaucoup plus faible que celui d'un appartement construit le 2 septembre 1947 ; que, de même, un appartement de substitution construit en 2025 aura un loyer très inférieur à celui d'un appartement construit le 2 septembre 1947, à taille, prestations et confort identiques ; que, par ailleurs, l'association requérante entend attirer l'attention du Tribunal Suprême sur la pratique développée par l'État consistant à racheter, par l'exercice du droit de préemption, des appartements en secteur protégé pour les mettre ensuite en location pour un loyer très inférieur au loyer moyen en secteur protégé ; que, de la sorte, les loyers en secteur protégé déterminés par la moyenne des loyers enregistrés sont revus artificiellement à la baisse ;
Attendu, en sixième lieu, qu'il y a privation de propriété imputable à la personne publique à condition, d'abord, que la privation trouve sa source dans un acte émanant de la puissance publique, ensuite que l'atteinte aboutisse à une dépossession totale de l'objet de propriété et des droits du propriétaire et, enfin, que la dépossession de la propriété et du droit associé soit définitive ; que le dispositif critiqué n'est ni une privation de propriété par réquisition, en raison de son caractère permanent, ni une privation de propriété par confiscation, n'étant pas la conséquence d'une sanction administrative, ni une privation de propriété par préemption, dans la mesure où la préemption n'est rendue possible que par la volonté initiale du propriétaire de céder son bien à un tiers déterminé ; que la seule voie pour surmonter l'absence de volonté ou le refus de vendre demeure l'expropriation ou la cession forcée ; qu'en Principauté, une dépossession forcée conduit systématiquement à l'engagement d'une procédure d'expropriation ; que de rares cas de cession ou d'acquisition forcée existent dans le pays voisin et ils aboutissent systématiquement à une indemnisation correspondant à la valeur vénale du bien cédé ; qu'à Monaco comme en France, il est possible de rendre mitoyen un mur, en cas de jonction ou de rehaussement en forçant le propriétaire voisin à l'acquérir pour moitié ; que l'indemnité versée correspond à la moitié du coût de la construction et la moitié de la valeur du terrain sur lequel le mur est bâti ;
Attendu que l'association requérante conteste l'argumentation du Ministre d'État selon laquelle la loi ne prévoit pas un transfert de propriété à l'État mais une édification pour le compte de celui-ci moyennant indemnisation ; que, d'une part, tout propriétaire d'un bien immobilier a le droit fondamental de détruire et reconstruire son bien, le législateur ne pouvant qu'encadrer l'exercice de cette liberté ; que l'encadrement des loyers constitue une atteinte au droit de propriété qui n'a pas vocation à perdurer ; qu'il est déjà possible, sous l'empire du droit antérieur à la loi attaquée, de détruire un bien immobilier et de construire un édifice plus grand ; qu'il résulte des lignes directrices du Ministre d'État relatives à la surdensification volumétrique qu'il est possible d'édifier une construction dont le volume dépasse l'indice de construction dans les secteurs d'aménagement délimités et réglementés sous condition de verser une indemnité ou « contrepartie » égale à la moitié de la différence entre le coût de construction et la valeur de vente ; qu'alors même que ces propriétaires doivent s'acquitter d'une seule indemnité ponctuelle et libératoire, les propriétaires du secteur protégé sont contraints de céder une partie de leur propriété pour réaliser la même opération ; qu'il est donc inexact de présenter cette possibilité comme un privilège octroyé par le législateur aux propriétaires ; que, d'autre part, le Ministre d'État ne peut soutenir qu'il n'y aurait pas de transfert de propriété ; que les travaux du Conseil National évoquent une cession à l'État ou une acquisition par celui-ci des étages spécifiques ; que l'article 39-1 de la loi du 28 décembre 2000, issu de l'article 8 de la loi attaquée, utilise à quatre reprises le mot « cession » ; que le propriétaire se trouve empêché de modifier son propre bien s'il refuse de donner son accord à une telle opération ; que cette opération soit nommée expropriation, transfert forcé ou édification pour le compte d'un tiers ne change rien au fait qu'il s'agit d'une privation de propriété devant répondre aux standards établis par la Constitution et le Tribunal Suprême ;
Attendu, en septième lieu, que selon l'association requérante, le Ministre d'État ne répond pas à la critique précise concernant le prix de cession des étages spécifiques indexé sur le coût de la construction alors que la valeur de marché de ces étages, situés en hauteur, dépend bien plus de la demande que du prix de la construction qui varie peu d'un étage à l'autre ;
Attendu, en huitième lieu, que l'association requérante fait valoir que le prix de cession des étages spécifiques devrait indemniser le coût exact non seulement de la construction mais aussi de la cession de ces étages ; que, par ailleurs, il est inexact de prétendre que le propriétaire se trouverait enrichi après l'opération ; que le terme de comparaison normal permettant de déterminer l'enrichissement ou l'appauvrissement du propriétaire demeure la situation d'un propriétaire disposant de l'ensemble des attributs de la propriété et qui est libre de reconstruire et de jouir librement de son immeuble ; qu'à cet égard, l'opération prévue par la loi attaquée emporte bien un appauvrissement du propriétaire ; que si la loi s'était bornée à prévoir l'obligation d'édifier certains appartements en secteur protégé mais restant dans le patrimoine du propriétaire, l'appauvrissement aurait été moindre alors que l'objectif de sauvegarde des logements en secteur protégé aurait été tout aussi atteint ; qu'enfin, le Ministre d'État ne répond pas à la critique de la comparaison du prix de cession assis non sur la valeur globale au prix du marché mais sur le coût de construction, dérisoire par rapport au prix du foncier ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 7 février 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que le Ministre d'État estime, en premier lieu, que l'argument de l'association requérante selon lequel la création d'un secteur protégé après la fin de la seconde guerre mondiale n'aurait pas été justifiée par la nécessité de garantir l'offre de logement, outre qu'il est inexact, est inopérant pour obtenir l'annulation des dispositions de la loi attaquée ; que la circonstance que la population monégasque ait été moins importante après la guerre n'établit pas l'absence de difficultés de logement ; que c'est en effet la très forte augmentation du montant des loyers après la guerre qui a justifié l'existence d'un secteur protégé permettant aux foyers monégasques de continuer à se loger en Principauté ;
Attendu, en deuxième lieu, que le Ministre d'État ajoute que si le Tribunal Suprême ne s'est pas expressément prononcé, dans sa décision du 28 janvier 2006, sur la constitutionnalité de la disposition étendant le périmètre des personnes protégées, il s'évince de la motivation d'ensemble de cette décision que les dispositions de la loi attaquée ne portent pas une atteinte excessive à l'exercice du droit de propriété ; qu'au surplus, la loi attaquée a contribué à restreindre le périmètre des personnes protégées en ajoutant, pour certaines catégories, des conditions de résidence qui n'existaient pas ;
Attendu, en troisième lieu, que le Ministre d'État précise que les dispositions législatives critiquées ne prévoient pas un mécanisme d'indemnisation du préjudice qui serait subi par l'État en raison de la décision de propriétaires de donner congé à leurs locataires au motif qu'ils envisagent de démolir et de reconstruire un immeuble en secteur protégé ; que la loi prévoit en revanche un mécanisme mettant à la charge de l'État l'obligation de reloger le locataire concerné, à titre provisoire ou définitif, ainsi que l'obligation corrélative pour les propriétaires de verser à l'État une indemnité permettant de compenser en partie les obligations de l'État envers le locataire ; qu'il ne s'agit donc pas de l'indemnisation d'un préjudice mais d'une participation des propriétaires aux conséquences financières de leurs décisions ; que la circonstance, invoquée par l'association requérante, selon laquelle l'État devrait assurer le relogement définitif du locataire en tant qu'acteur principal et stratégique du secteur protégé ayant un rôle social, est inopérante, l'attribution d'un tel rôle à l'État ne faisant pas obstacle à ce que les propriétaires puissent être assujettis au paiement d'une indemnité assurant leur participation aux conséquences financières de leur décision pour la collectivité ; que l'obligation prévue par la loi ne porte donc pas une atteinte excessive au droit de propriété ;
Attendu, en quatrième lieu, que le Ministre d'État fait valoir que la durée de préavis de six mois prévue par les dispositions critiquées n'est pas manifestement excessive, dans la mesure où les propriétaires disposent d'un délai de trois mois pour adresser au locataire une offre de relogement et où ce dernier dispose d'un délai d'un mois pour accepter cette offre, ce qui ne laisse qu'un délai de deux mois pour quitter les lieux s'il ne l'accepte pas ;
Attendu, en cinquième lieu, que le Ministre d'État soutient que l'État supporte l'obligation de reloger définitivement le locataire lorsque le logement est détruit pour reconstruction et les propriétaires ont pour seule obligation, dans ce cas, de lui verser une indemnité ; que les bailleurs supportent quant à eux l'obligation de reloger temporairement le locataire lorsqu'ils se bornent à réaliser des travaux dans le local loué ou l'immeuble ; que dans un tel cas, l'objet du bail ne disparaît pas, l'appartement étant conservé par son propriétaire sous le régime de la loi n° 1.235 ; que la relation contractuelle entre le bailleur et le locataire se poursuit sans que l'État n'ait à s'immiscer dans cette relation ; que les dispositions de la loi n° 1.235, non modifiées par la loi attaquée, prévoient que le locataire est réintégré dans le local qu'il occupait dans le mois qui suit l'issue des travaux et que les frais normaux de déménagement sont à la charge du propriétaire ;
Attendu, en sixième lieu, que le Ministre d'État entend rappeler que la différence de régime des logements construits avant et après le 1^er septembre 1947 résulte, non de la loi attaquée mais des textes antérieurs dont la constitutionnalité ne saurait être remise en cause à l'occasion du présent contentieux ; que, par ailleurs, dès lors qu'un local de substitution est, par hypothèse, destiné à se substituer à un local relavant du secteur protégé, il ne peut qu'être soumis aux règles de fixation des loyers applicables en secteur protégé et n'est pas assimilable à un appartement construit dès l'origine en dehors de ce secteur ;
Attendu, en septième lieu, que selon le Ministre d'État, un propriétaire qui entend détruire et reconstruire son bien doit bénéficier d'une autorisation de démolir et d'une autorisation de construire ; que le propriétaire d'un bien relevant du secteur protégé ne peut détruire ce bien et reconstruire des locaux ne relevant pas de ce secteur qu'en vertu de la loi, le principe étant que les locaux de substitution relèvent eux-mêmes du secteur protégé ; qu'il n'est pas contestable que le propriétaire qui édifie un nouvel immeuble ne transfère pas la propriété de son bien à l'État mais édifie pour le compte de ce dernier des logements moyennant indemnisation ; que le mécanisme prévu ne peut s'analyser en une expropriation qui imposerait que le prix de cession des locaux supplémentaires édifiés soit fixé par le juge ; que la majoration du volume de construction autorisé au profit du propriétaire exclut tout préjudice patrimonial ;
Attendu, en huitième lieu, que le Ministre d'État soutient que, pour le propriétaire, la loi attaquée est neutre, tant en termes de surface, dès lors qu'il ne perd aucun mètre carré du fait de la majoration du volume constructible, qu'en termes financiers, puisque le coût de construction du ou des étages revenant à l'État lui est payé ; que la circonstance que la surface des locaux devant être transférés à l'État puisse être supérieure à celle des locaux relevant, avant destruction, du secteur protégé, ne permet donc pas de caractériser une atteinte injustifiée au droit de propriété ;
Attendu, en dernier lieu, que le Ministre d'État fait valoir que le mécanisme ne s'analysant pas en une cession de locaux au profit de l'État mais en une obligation d'édifier des locaux pour son compte moyennant une indemnité, il n'est pas anormal que cette indemnité ne tienne compte que du coût de la construction des locaux concernés ; qu'aucun coût supplémentaire n'est mis à la charge des propriétaires ; que le mécanisme a donc bien pour effet d'enrichir les propriétaires concernés ;
SUR CE,
Vu la loi attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;
Vu la Constitution, notamment le 2° du A de son article 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 887 du 25 juin 1970 modifiée, portant limitation du champ d'application de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation ;
Vu loi la n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 ;
Vu la loi n° 1.506 du 2 juillet 2021 portant reconnaissance des Enfants du Pays « et de leur contribution au développement de la Principauté de Monaco ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 3.647 du 9 septembre 1966 modifiée, concernant l'urbanisme, la construction et la voirie ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 modifiée, portant délimitation et règlement d'urbanisme du secteur des quartiers ordonnancés ;
Vu les Ordonnances du 6 octobre 2021 par lesquelles le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier RIBES, Vice-président, comme rapporteur ;
Vu les procès-verbaux de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 16 février 2022 ;
Vu l'Ordonnance du 19 mai 2022, par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé les causes à l'audience de ce Tribunal du 28 juin 2022 ;
Ouï Monsieur Didier RIBES, Vice-président du Tribunal Suprême, en ses rapports ;
Ouï Maître Clyde BILLAUD, Avocat près la Cour d'appel, substituant Maître Patricia REY, Avocat-Défenseur, pour les hoirs M. ;
Ouï Maître François-Henri BRIARD, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO ;
Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions par lesquelles il s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ
1. Considérant que les hoirs M. demandent, sur le fondement du 2° du A de l'article 90 de la Constitution, l'annulation de l'article 8 de la loi n° 1.508 du 2 août 2021 relative à la sauvegarde et à la reconstruction des locaux à usage d'habitation relevant des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ; que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO demande, sur le même fondement, l'annulation des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 8 de la même loi ; que leurs requêtes étant dirigées contre les dispositions de la même loi, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par une même décision ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le Ministre d'État
2. Considérant que l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO a produit, à l'appui de sa réplique, ses statuts et la décision de son bureau autorisant son président à initier devant le Tribunal Suprême un recours tendant à l'annulation de la loi du 2 août 2021 ; qu'il ressort de ces pièces que l'association requérante a qualité pour agir ; que par suite, la fin de non-recevoir opposée par le Ministre d'État doit être écartée ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la loi attaquée
3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 24 de la Constitution : » La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi « ;
4. Considérant que le libre exercice du droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution doit être concilié avec les règles, principes et exigences de valeur constitutionnelle applicables dans l'État monégasque ; qu'il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État de Monaco ainsi que du principe accordant une priorité aux Monégasques, consacré par la Constitution ; qu'il est, en outre, loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations justifiées par l'intérêt général à la condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ;
5. Considérant, d'autre part, que le principe d'égalité, garanti par l'article 17 de la Constitution, ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;
En ce qui concerne l'article 2 de la loi attaquée
6. Considérant que l'article 3 de la loi du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 énumère les catégories de personnes protégées au titre de cette loi, au premier rang desquelles figurent les personnes de nationalité monégasque ; que l'article 2 de la loi attaquée y ajoute le père ou la mère d'un enfant de nationalité monégasque ayant eu pendant au moins dix ans la charge effective de cet enfant et qui justifie d'au moins dix années de résidence en Principauté, les personnes de nationalité étrangère telles que définies en tant qu'Enfants du Pays par la loi du 2 juillet 2021 portant reconnaissance des » Enfants du Pays « et de leur contribution au développement de la Principauté de Monaco et dont l'un de leurs auteurs ou adoptants est également né à Monaco et y résidait au moment de leur naissance ou de leur adoption ainsi que les autres personnes de nationalité étrangère définies en tant qu'Enfants du Pays par la même loi ;
7. Considérant que le législateur, faisant usage de la liberté d'appréciation qui lui appartient, a ainsi entendu prendre en compte, dans la détermination des bénéficiaires du régime prévu par la loi du 28 décembre 2000, les liens étroits de ces catégories de personnes avec la Principauté ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que cette disposition porterait au droit de propriété une atteinte excédant celle qui peut lui être apportée au regard des règles, principes et exigences constitutionnels ci-dessus rappelés ;
En ce qui concerne l'article 3 de la loi attaquée
8. Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l'article 14 de la loi du 28 décembre 2000, dans leur rédaction résultant de l'article 3 de la loi attaquée, disposent qu'en cas de travaux de démolition et de reconstruction d'un immeuble, l'État assure le relogement des locataires évincés ; que ces dispositions sont destinées à ne pas faire peser les conséquences financières du relogement sur le locataire évincé ; qu'elles prévoient également que le propriétaire verse à l'État une indemnité pour chaque locataire ayant droit à un relogement dans des conditions déterminées par arrêté ministériel ; qu'en prévoyant une participation du propriétaire aux frais de relogement assumés par l'État, cette disposition ne lui impose pas une obligation portant en elle-même une atteinte excessive au droit de propriété ; qu'il appartiendra au Ministre d'État de fixer le montant de cette indemnité conformément à son objet et de veiller à ce qu'elle ne constitue pas une charge excessive pour les propriétaires concernés ;
9. Considérant, en second lieu, que les mêmes dispositions imposent un délai de préavis de six mois au propriétaire qui souhaite donner congé à son locataire en vue de procéder à la démolition et la reconstruction de son bien ; qu'eu égard à l'exigence de relogement des bénéficiaires de la loi du 28 décembre 2000 et aux délais prévus pour la mise en œuvre de la procédure de relogement, un tel délai ne porte pas une atteinte excessive au droit de propriété ;
En ce qui concerne l'article 4 de la loi attaquée
10. Considérant que l'article 14-1 de la loi du 28 décembre
2000, dans sa rédaction résultant de l'article 4 de la loi attaquée, met à la charge du propriétaire qui souhaite effectuer des travaux ayant pour objet de créer des locaux indépendants des logements existants par surélévation ou addition de construction et rendant impropre à l'habitation le local occupé par le locataire, une obligation de relogement de ce dernier jusqu'à l'achèvement des travaux ;
11. Considérant que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, les propriétaires réalisant de tels travaux ne se trouvent pas dans la même situation que ceux qui procèdent à une opération de démolition et de reconstruction de leur bien ; qu'en effet, la relation contractuelle entre le bailleur et le locataire se poursuit dans le premier cas, le locataire retrouvant son logement à l'issue des travaux, alors que cette relation prend fin dans le second cas ; qu'ainsi, la différence de traitement établie par la loi attaquée, en rapport direct avec son objet, ne méconnaît pas le principe d'égalité ;
En ce qui concerne l'article 5 de la loi attaquée
12. Considérant que l'article 15 de la loi du 28 décembre 2000, dans sa rédaction résultant de l'article 5 de la loi attaquée, impose également un délai de préavis de six mois au propriétaire qui souhaite donner congé à son locataire en vue d'effectuer des travaux dont l'exécution rend impropre à l'habitation le local occupé par le locataire ; qu'eu égard à l'exigence de relogement des bénéficiaires de la loi du 28 décembre 2000, le moyen tiré de ce que cette disposition méconnaîtrait le droit de propriété n'est pas fondé ;
En ce qui concerne l'article 6 de la loi attaquée
13. Considérant que le premier alinéa de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2000, dans sa rédaction résultant de l'article 6 de la loi attaquée, prévoit que » le loyer est établi par référence aux loyers appliqués dans le même secteur d'habitation pour des locaux de même type relevant du même régime juridique à la date de promulgation de la présente loi, situés dans le même quartier ou un quartier voisin, dans des immeubles considérés comme étant de qualité similaire et présentant des prestations équivalentes « ;
14. Considérant, d'une part, que si la disposition critiquée, se bornant à reprendre la rédaction initiale de la loi du 28 décembre 2000, ne mentionne que les locaux relevant du secteur protégé à la date de la promulgation de cette loi, elle doit être interprétée comme faisant référence à l'ensemble des locaux, énumérés à son article 1^er, entrant dans le champ d'application de la loi du 28 décembre 2000 ; que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, l'article 6 de la loi attaquée tend à permettre, pour la détermination des loyers des locaux d'habitation régis par la loi du 28 décembre 2000, la comparaison entre les biens neufs entrés dans le champ de cette loi et les biens construits ou achevés avant le 1^er septembre 1947 mais ayant fait l'objet de travaux significatifs de rénovation ou d'amélioration ;
15. Considérant, d'autre part, que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'article 6 de la loi attaquée aurait également dû prendre en compte le montant des loyers des locaux d'habitation neufs non soumis à la loi du 28 décembre 2000 ;
16. Considérant que le moyen tiré de ce que l'article 6 de la loi attaquée méconnaîtrait le libre exercice du droit de propriété ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
En ce qui concerne l'article 8 de la loi attaquée
17. Considérant que l'article 8 de la loi attaquée insère dans la loi du 28 décembre 2000 un article 39-1 ; que, sans préjudice de l'application des prescriptions législatives applicables en matière d'urbanisme, de construction et de voirie, cette disposition conditionne les autorisations de démolition et de reconstruction des immeubles comprenant un ou plusieurs locaux d'habitation soumis aux dispositions de la loi du 28 décembre 2000 ;
18. Considérant, tout d'abord, que la loi impose que le projet de construction prévoie la construction de locaux d'habitation venant se substituer à ceux qui relèvent de la loi du 28 décembre 2000 et qui seront détruits ; qu'au sein de l'immeuble reconstruit, un étage spécifique doit être affecté aux locaux d'habitation de substitution ; que lorsque la surface intérieure des locaux d'habitation de cet étage spécifique est inférieure à la surface intérieure des locaux d'habitation relevant de la loi du 28 décembre 2000 qui seront détruits, le projet de construction doit prévoir l'affectation d'un second étage spécifique ; que les étages spécifiques sont exclusivement composés de locaux de substitution ; que la loi attaquée détermine elle-même de manière précise la localisation des étages spécifiques au sein de l'immeuble à bâtir ; qu'ainsi, le premier étage spécifique doit être situé à l'étage médian de l'immeuble à bâtir, entre le premier étage de locaux d'habitation et le dernier étage de l'immeuble, l'étage spécifique compris ; qu'en cas de nombre d'étages pair, l'étage spécifique est situé à l'unité supérieure ; que s'il y a lieu, le second étage spécifique est situé directement au-dessus du premier ; qu'en outre, un emplacement de stationnement automobile et une cave doivent être rattachés à chaque local d'habitation de substitution ;
19. Considérant, ensuite, que l'article 8 de la loi attaquée impose la cession à l'État, lors de l'achèvement des travaux, des locaux d'habitation de substitution situés, selon le cas, à l'étage ou aux étages spécifiques ainsi que des locaux accessoires et dépendances qui doivent être rattachés à chaque local d'habitation de substitution ; que les modalités et le prix de cession de l'ensemble de ces locaux et de leurs dépendances sont fixés par l'accord commun du propriétaire et du Ministre d'État ; que la loi précise toutefois que » le prix sera calculé en prenant comme base le coût de construction, dont les éléments sont déterminés par arrêté ministériel « ; que l'accord de cession doit être joint aux demandes d'autorisation de démolir et de construire ; que les frais d'acte sont à la charge exclusive du propriétaire ;
20. Considérant, par ailleurs, que l'article 8 de la loi attaquée permet qu'à la demande du propriétaire et avec l'accord de l'État le projet de construction ne prévoie pas la construction de locaux d'habitation de substitution au sein de l'immeuble reconstruit ; que dans ce cas, le propriétaire doit procéder, au choix de l'État, soit à la dation de locaux existants, construits et achevés après le 1^er septembre 1947, non régis par la loi du 28 décembre 2000 et présentant des surfaces et qualités équivalentes aux locaux de substitution qui auraient dû être construits, soit à l'affectation, au sein d'un immeuble objet d'une autre demande d'autorisation de démolir et de construire déposée concomitamment, d'un ou deux étages spécifiques d'une surface égale ou supérieure à celle des locaux de substitution qui auraient dû être construits ; qu'il est renvoyé à un arrêté ministériel le soin de fixer les critères permettant de déterminer l'équivalence des surfaces et qualités des locaux donnés à titre de compensation ; qu'un comité consultatif, dont la loi précise qu'il doit comprendre des représentants du Gouvernement et du Conseil National, est appelé à émettre un avis ; que les modalités de fonctionnement et la composition complète de ce comité sont précisées par arrêté ministériel ;
21. Considérant, en outre, que l'article 8 de la loi attaquée prévoit l'octroi de plein droit par l'État, en contrepartie de la cession des locaux d'habitation de substitution ou de la dation de locaux d'habitation de compensation, d'une majoration de volume constructible, dans la limite, selon le cas, d'un ou deux étages, par rapport au volume qui était occupé par l'immeuble détruit ou par rapport au volume constructible autorisé par les cotes maximales du niveau supérieur des bâtiments telles qu'inscrites au Règlement d'urbanisme en annexe de l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 modifiée ; que lorsque la majoration porte sur deux étages, les dispositions de l'article 12.6 des dispositions générales de la même Ordonnance Souveraine ne sont pas applicables ;
22. Considérant, enfin, que l'article 8 de la loi attaquée prévoit que ses dispositions ne sont pas applicables aux demandes d'autorisation de démolir et de construire pour lesquelles la majoration du volume constructible ne peut être octroyée en raison d'une impossibilité technique ou juridique ; qu'il précise, en particulier, que ses dispositions ne s'appliquent pas, d'une part, aux bâtiments soumis aux articles 21 et 23 des dispositions générales du Règlement d'urbanisme et, d'autre part, à ceux situés dans le secteur réservé défini à l'article 12.1 A de l'Ordonnance Souveraine n° 3.647 du 9 septembre 1966 modifiée ;
23. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions de la loi du 28 décembre 2000, dans leur rédaction antérieure à la loi attaquée, que la démolition et la reconstruction d'un immeuble a pour effet de mettre fin à l'application du régime prévu par la loi du 28 décembre 2000 aux locaux d'habitation relevant, au sein de l'immeuble, de cette loi ; que, par les dispositions critiquées, le législateur a entendu, en premier lieu, faire obstacle à la disparition progressive des locaux régis par la loi du 28 décembre 2000 par l'effet des promotions immobilières, en deuxième lieu, assurer la transformation et le renouvellement de ces locaux d'habitation pour permettre, à terme, aux personnes protégées de vivre dans des immeubles plus confortables et, en dernier lieu, libérer, à terme, les propriétaires privés des contraintes résultant de l'application de la loi du 28 décembre 2000 par le » repositionnement de l'État en tant qu'acteur principal et stratégique du secteur protégé « ; que les dispositions critiquées doivent ainsi être regardées comme concourant aussi longtemps que nécessaire à ce que les Monégasques et les personnes ayant des liens particuliers avec la Principauté puissent se loger à Monaco et, par suite, au respect des principes et exigences rappelés ci-dessus ;
24. Considérant, d'autre part, qu'il résulte tant des termes de la loi attaquée que de ses travaux préparatoires que celle-ci prévoit la cession à l'État d'un ou deux étages de l'immeuble reconstruit ou d'un autre immeuble à reconstruire ou, à défaut, la dation par le propriétaire concerné de locaux d'habitation présentant des caractéristiques équivalentes ; que si la loi énonce que l'indemnité de cession versée par l'État, laquelle doit tenir compte des surfaces extérieures, est déterminée d'un commun accord entre le propriétaire et l'État, le défaut d'accord de l'État sur le montant de l'indemnité fait obstacle à l'octroi de l'autorisation de démolition et de reconstruction ; qu'en outre, s'il est prévu que l'indemnité est calculée en prenant » comme base « le coût de la construction des locaux, il ressort des travaux préparatoires de la loi que cette disposition doit être interprétée comme plafonnant l'indemnité versée par l'État au coût de la construction tel que précisé par un arrêté ministériel ; qu'ainsi, l'indemnité versée par l'État ne correspond pas à la valeur vénale des biens concernés ; qu'en outre, ainsi qu'il lui était loisible de le faire, la loi attaquée met à la charge des propriétaires les frais de l'acte de cession ; que le législateur a toutefois prévu, à titre de contrepartie, l'octroi, de plein droit et par dérogation aux règles d'urbanisme applicables, d'une majoration de volume constructible ; que si la loi peut avoir pour effet d'imposer à un propriétaire de céder des locaux d'une surface supérieure à celle des locaux de l'immeuble concerné régis par la loi du 28 décembre 2000, il bénéficie, au titre de la majoration de surface constructible, d'une surface supplémentaire identique à celle cédée ; que, par ailleurs, les étages supérieurs construits au bénéfice de la majoration, d'une superficie égale ou supérieure à celle des locaux d'habitation régis par la loi du 28 décembre 2000, ne sont pas soumis aux dispositions de cette loi ; que leur valeur vénale et leur valeur locative sont supérieures à celles des locaux détruits et des locaux cédés qui sont soumis au régime prévu par la loi du 28 décembre 2000 ; que si l'État peut autoriser, en dehors du cadre défini par la loi attaquée, la réalisation d'une construction dont le volume dépasse l'indice de construction dans des secteurs d'aménagement délimités et réglementés, c'est à la condition que le propriétaire verse à l'État une somme égale à la moitié de la différence entre la valeur de vente et le coût de la construction ; qu'ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que le bénéfice à titre gratuit d'une majoration de volume constructible ne constituerait pas une compensation raisonnable de la cession prévue par la loi ;
25. Considérant, toutefois, en premier lieu, que si l'emplacement de stationnement automobile et la cave qui doivent être rattachés à chaque local d'habitation de substitution font l'objet d'une cession à l'État à titre onéreux, la loi attaquée ne prévoit pas de compensation en volume pour ces locaux et dépendances ; que, par suite, l'obligation légale d'affecter ces locaux et dépendances aux locaux d'habitation cédés à l'État est susceptible, eu égard aux caractéristiques de l'immeuble, de remettre en cause la disponibilité, pour le ou les propriétaires de l'immeuble, d'une partie de ces locaux et dépendances ;
26. Considérant, en deuxième lieu, qu'en conditionnant la démolition et la reconstruction des immeubles comprenant des locaux d'habitation régis par la loi du 28 décembre 2000 au respect de ses dispositions, l'article 8 de la loi attaquée a pour effet, dans le cas d'une copropriété, de restreindre l'exercice du droit de propriété non seulement des propriétaires de locaux d'habitation relevant de la loi du 28 décembre 2000 mais également des propriétaires de locaux d'habitation qui ne sont pas régis par cette loi ; qu'en outre, les dispositions critiquées ne garantissent pas que la localisation des étages spécifiques et la majoration de volume constructible n'aient pas d'incidence négative sur la situation et la valeur vénale des appartements des propriétaires de locaux d'habitation ne relevant pas de la loi du 28 décembre 2000 ;
27. Considérant, en troisième lieu, que l'article 8 de la loi attaquée conditionne le droit de démolir et de reconstruire son bien, composante du droit de propriété, à l'obligation, pour les propriétaires concernés, d'entrer en copropriété avec l'État pour une durée indéterminée ;
28. Considérant, en dernier lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les objectifs poursuivis par le législateur n'auraient pu être satisfaits par des dispositions portant une atteinte moindre au libre exercice du droit de propriété ;
29. Considérant qu'il résulte de ce qui précède et eu égard à l'ensemble des restrictions déjà apportées par le législateur au droit de propriété des propriétaires de locaux d'habitation soumis à la loi du 28 décembre 2000 que l'article 8 de la loi attaquée porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété ;
30. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation des seules dispositions de l'article 8 de la loi qu'ils attaquent ; que les dispositions de l'article 1^er et du dernier alinéa de l'article 10 de la loi attaquée sont indissociables de celles de son article 8 ; qu'elles doivent, par voie de conséquence, être annulées ; qu'il en va de même, au deuxième alinéa de l'article 14 de la loi du 28 décembre 2000, dans sa rédaction résultant de l'article 3 de la loi attaquée, des mots » sous réserve des dispositions du second alinéa de l'article premier « ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
Les requêtes n^os 2022-01 et 2022-02 sont jointes.
Article 2
Les articles 1^er et 8, l'article 3 en tant seulement qu'il comporte les mots » sous réserve des dispositions du second alinéa de l'article premier " et le dernier alinéa de l'article 10 de la loi n° 1.508 du 2 août 2021 sont annulés.
Article 3
Article rectifié par la décision du 2 août 2022 du Tribunal Suprême
Sous les réserves d'interprétation énoncées aux considérants n^os 8 et 14, le surplus des conclusions de la requête de l'Association des propriétaires de Monaco est rejeté
Article 4
Les dépens sont mis à charge de l'État.
Article 5
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, rapporteur, Philippe BLACHER, Stéphane BRACONNIER, Membres titulaires, et Guillaume DRAGO, Membre suppléant, et prononcé le douze juillet deux mille vingt-deux en présence du Ministère public, par Monsieur Didier RIBES, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.
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