TRIBUNAL SUPRÊME
TS 2022-06, TS 2022-11
et TS 2022-12
Affaires :
Monsieur B. O.
Contre :
État de Monaco
DÉCISION
Audience du 18 novembre 2022
Lecture du 2 décembre 2022
1°/ Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 5 octobre 2021 du Commandant supérieur de la Force publique prononçant, à titre de sanction statutaire, la résiliation du contrat de travail de Monsieur B. O. en qualité que sapeur-pompier.
2°/ Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 14 janvier 2022 par laquelle le Commandant Supérieur de la Force publique a retiré la décision du 5 octobre 2021 par laquelle il a prononcé, à titre de sanction statutaire, la résiliation du contrat de travail de Monsieur B. O.
3°/ Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 14 janvier 2022 par laquelle le Commandant Supérieur de la Force publique a prononcé, à titre de sanction statutaire, la résiliation du contrat de travail de Monsieur B. O. et de la décision du 20 janvier 2022 par laquelle le Ministre d'État a résilié ce contrat de travail.
En les causes de :
Monsieur B. O. ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe BALLERIO, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur ;
Contre :
L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
Visa
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu 1°, la requête présentée par Monsieur B. O., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 2 décembre 2021 sous le numéro TS 2020-06, tendant, en premier lieu, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 5 octobre 2021 par laquelle le Commandant Supérieur de la Force publique a prononcé, à titre de sanction statutaire, la résiliation de son contrat de travail an qualité de sapeur-pompier, en deuxième lieu, à la condamnation de l'État au versement d'une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts et, en dernier lieu, à sa condamnation aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que M. O. expose qu'il exerçait la profession de sapeur-pompier au sein du Corps des sapeurs-pompiers de la Principauté de Monaco ; que dans la soirée du 14 août 2021, il a fait l'objet d'un contrôle par des agents de la Sûreté publique alors qu'il rentrait à son domicile avec sa compagne, avec laquelle il s'était disputé ; qu'il a été convoqué, le 10 septembre 2021, devant le Conseil de discipline de la Force publique ; qu'il a reçu, le 5 octobre 2021, un ordre lui notifiant la résiliation de son contrat de travail ;
Attendu qu'à l'appui de sa requête, M. O. soutient, en premier lieu, que la décision du 5 octobre 2021 du Commandant supérieur de la Force publique prononçant la résiliation de son contrat de travail est entachée d'incompétence ; qu'en effet, l'article 34 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.017 du 1er juin 1984 portant statut des militaires de la Force publique dispose que les actes de résiliation des contrats de travail des militaires du rang, catégorie à laquelle appartient M. O., doivent être signés par le Ministre d'État ; qu'en l'espèce l'acte de résiliation a été signé par le Commandant supérieur de la Force publique, incompétent pour le faire ;
Attendu que le requérant allègue, en deuxième lieu, que la décision attaquée est entachée d'un défaut de motivation, en méconnaissance des articles 1er et 2 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; qu'en effet, elle est motivée de la manière suivante : « Suite à l'avis du Conseil de discipline, réuni le 10 septembre 2021, pour le sapeur B. O., la sanction statutaire, visée par l'Ordonnance Souveraine no 8.017 du 1er juin 1984, portant statut des militaires de la Force Publique et son Règlement de Discipline Générale (RDG), article 63b, approuvée par Son Altesse Sérénissime le Prince Souverain, le 4 octobre dernier, est la suivante : la résiliation de contrat du contrat du sapeur B. O. est prononcée au 1er novembre 2021 (article 67 du RDG) » ; qu'ainsi, dans la décision attaquée, les considérations de droit et de fait ne sont pas explicitées ; que, s'agissant des motifs de droit, le Commandant Supérieur de la Force publique fonde uniquement sa décision de résiliation du contrat de M. O. sur l'Ordonnance Souveraine n° 8.017 du 1er juin 1984, sans préciser l'article de ce texte sur lequel il se fonde ; que, s'agissant des motifs de fait, le requérant prétend que les considérations de fait sont totalement inexistantes, la décision du 5 octobre 2021 ne comportant aucune motivation factuelle et ne faisant référence à aucun comportement fautif éventuel de M. O. ; que ce dernier a sollicité la communication de l'avis du Conseil de discipline le 22 octobre 2021 ainsi qu'une copie de son contrat de travail ; qu'aucun document ne lui a été adressé ;
Attendu que M. O. soutient, en troisième lieu, que la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit ; qu'en effet, en vertu de l'article 51 du Règlement de Discipline Générale (R.G.D.), d'une part, la punition sanctionne le manquement au devoir ou la négligence et, d'autre part, une condamnation pénale n'entraîne pas nécessairement une punition disciplinaire ; qu'or, il n'est pas démontré qu'à ce jour, il ait manqué à son devoir ou ait fait preuve de négligence ; que n'ayant fait l'objet d'aucune condamnation pénale, il n'était pas susceptible de faire l'objet d'une punition ;
Attendu que le requérant fait valoir, en quatrième lieu, que la décision qu'il attaque est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'en effet, la sanction prononcée est disproportionnée dans la mesure où une punition n'aurait pas dû lui être infligée ; qu'elle est démesurée par rapport aux faits qui lui sont reprochés ;
Attendu, M. O. fait valoir, en dernier lieu, qu'il est en arrêt maladie pour syndrome anxieux et burn out et éprouve un profond désarroi ; que la brutalité avec laquelle il a été renvoyé l'a placé dans une situation douloureuse émotionnellement et délicate financièrement ; qu'il demande la condamnation de l'État au versement d'une somme 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 1er février 2022, par laquelle Ministre d'État conclut à ce qu'il n'y ait pas lieu pour le Tribunal Suprême de statuer sur la requête de M. O. ;
Attendu que le Ministre d'État soutient qu'en raison du retrait, par une décision du 14 janvier 2022 du Commandant supérieur de la Force publique, de la décision attaquée, les conclusions à fin d'annulation de cette décision sont devenues sans objet ; que, dès lors, il n'y a plus lieu pour le Tribunal Suprême de statuer sur la requête ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 1er mars 2021, par laquelle M. O. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que le requérant maintient ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 5 octobre 2021, dès lors que le Commandant supérieur de la Force publique n'était pas compétent pour la retirer ; que la décision de retrait, qui n'est pas définitive, est illégale ; que sa requête n'est dès lors pas privée d'objet ;
Attendu que M. O. ajoute qu'en raison de la résiliation de son contrat de travail, il n'a pu bénéficier d'aucune indemnité chômage ; qu'avec trois enfants à charge, il se retrouve dans une situation financière délicate ; qu'il verse aux débats plusieurs attestations relatives à ses qualités personnelles et professionnelles, son engagement professionnel au service du Corps des sapeurs-pompiers ainsi qu'à son état d'anxiété et de stress en lien avec la procédure de licenciement engagée à son encontre ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 31 mars 2022, par laquelle le Ministre d'État tend aux mêmes fins que la contre-requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute, tout d'abord, que le requérant confond l'autorité compétente pour prononcer la sanction, c'est-à-dire le Commandant supérieur de la Force publique, et celle compétente pour signer l'acte de résiliation et le notifier, c'est-à-dire le Ministre d'État ; que le Commandant supérieur de la Force publique était compétent pour prononcer la résiliation en application de l'article 32 l'Ordonnance Souveraine du 1er juin 1984 ; qu'en conséquence, il était compétent pour la retirer ; qu'en tout état de cause, l'incompétence du Commandant supérieur de la Force publique, à la supposer établie, serait sans incidence sur la faculté pour cette autorité de retirer sa décision ; qu'en effet, ainsi que le juge le Conseil d'État de France, une autorité incompétente pour prononcer le retrait d'une décision administrative n'excède pas ses pouvoirs en procédant à son retrait, a fortiori si cette décision n'est pas, comme c'est le cas en l'espèce, créatrice de droits ;
Vu 2°, la requête présentée par Monsieur B. O., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 11 mars 2022 sous le numéro TS 2020-11, tendant, en premier lieu, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 14 janvier 2022 du Commandant Supérieur de la Force publique retirant la décision du 5 octobre 2021 par laquelle il a prononcé, à titre de sanction statutaire, la résiliation de son contrat de travail, en deuxième lieu, à la condamnation de l'État au versement de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts et, en dernier lieu, à sa condamnation aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que M. O. soutient, en premier lieu, que la décision de retrait qu'il attaque est entachée d'incompétence ; qu'en effet, en application de l'article 34 de l'Ordonnance Souveraine du 1er juin 1984, seul le Ministre d'État était compétent pour signer l'acte de résiliation de son contrat ; que conséquemment, ce dernier était seul compétent pour retirer la décision de résiliation du 5 octobre 2021 ; que la décision de retrait ayant été signés par le Commandant supérieur de la Force publique, elle est illégale ;
Attendu que le requérant fait valoir, en second lieu, qu'affecté moralement par la résiliation brutale de son contrat de travail après avoir consacré treize années de sa vie au Corps des sapeurs-pompiers, il est également affecté moralement par la multiplication des décisions illégales prises à son encontre ; qu'il est contraint d'exposer des frais d'avocat pour faire valoir ses droits en justice, ce qui représente un préjudice économique en lien direct avec les faits dénoncés ; qu'il sollicite, en conséquence la condamnation de l'État à lui verser une somme de 10.000 euros en réparation des préjudices moral et économique qu'il subit ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général 16 mai 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation de M. O. aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête ; qu'en effet, les conclusions à fin d'annulation de la décision attaquée sont irrecevables dès lors que le retrait d'une décision individuelle défavorable ne peut être regardée comme lui faisant grief ; que, par suite, il est dépourvu d'intérêt à demander l'annulation de cette décision ;
Attendu que le Ministre d'État conclut, à titre subsidiaire, au rejet de la requête ; que l'unique moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée n'est pas fondé ; qu'il résulte des dispositions de l'article 34 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.017 du 1er juin 1984 que le Commandant de la Force publique était compétent pour prononcer, à titre de sanction statutaire, la résiliation du contrat de travail de M. O. puis pour décider de retirer cette décision ; qu'en tout état de cause, la question de la compétence du Commandant supérieur de la Force publique est sans incidence sur la légalité du retrait, l'autorité incompétente ayant pris une décision étant toujours compétente pour la retirer ; que le rejet des conclusions à fin d'annulation entrainera, par voie de conséquence, celui des conclusions indemnitaires ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 14 juin 2022, par laquelle M. O. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que M. O. ajoute, en premier lieu, que la décision de retrait l'a replacé dans ses fonctions et a ainsi modifié immédiatement sa situation juridique ; qu'elle lui fait grief dans la mesure où elle le place dans une situation précaire ; que la résiliation de son contrat a de nouveau été prononcée le 20 janvier 2022 ; qu'en prononçant le retrait d'un acte insuffisamment motivé, l'État a méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ; qu'ainsi, la décision attaquée lui fait grief ;
Attendu que le requérant soutient, en second lieu, qu'il résulte de la jurisprudence du Conseil d'État de France que lorsque l'incompétence de l'auteur de l'acte initial a été soulevée, il appartient à l'autorité qui aurait été compétente pour le prendre de le retirer ; qu'ainsi, seul le Ministre d'État était compétent tant pour signer la décision du 5 octobre 2021 prononçant la résiliation du contrat de travail que pour prononcer le retrait de cette décision ; que la décision attaquée est donc bien entachée d'incompétence ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 8 juillet 2022, par laquelle le Ministre d'État tend aux mêmes fins que la contre-requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute que la décision attaquée précise que le retrait a été prononcé en raison de l'insuffisance de motivation de la décision du 5 octobre 2021 ; que le requérant, qui a sollicité du Tribunal Suprême l'annulation de cette décision, a soulevé un moyen d'insuffisance de motivation ; que, par suite, il ne peut sérieusement soutenir que l'État aurait méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ; que M. O. est dépourvu d'intérêt à agir contre une décision de retrait qui ne lui fait pas grief ;
Vu 3°, la requête présentée par Monsieur B. O., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 21 mars 2022 sous le numéro TS 2020-12, tendant, en premier lieu, à l'annulation de la décision du 14 janvier 2022 par laquelle le Commandant Supérieur de la Force publique a prononcé, à titre de sanction statutaire, la résiliation de son contrat de travail et de la décision du 20 janvier 2022 par laquelle le Ministre d'État lui a résilié ce contrat, en deuxième lieu, à la condamnation de l'État au versement de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts et, en dernier lieu, à sa condamnation aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que M. O. soutient, en premier lieu, que les décisions des 14 et 20 janvier 2022 sont insuffisamment motivées, en méconnaissance des exigences de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; que les considérations de fait énoncées par ces décisions, formulées en termes trop généraux, ne sont pas suffisamment explicitées et précises ; qu'il n'est fourni, en particulier, aucun élément précis concernant le « comportement menaçant et irrespectueux envers les agents de Police dépositaires de l'autorité publique lors d'une interpellation ayant eu lieu le 15 août 2021 » ;
Attendu que le requérant allègue, en deuxième lieu que les décisions qu'il attaque sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'en effet, la sanction prise à son encontre présente un caractère démesuré ; qu'il a été recruté dans le Corps des sapeurs-pompiers de Monaco le 1er février 2006 en qualité de sapeur ; que le 1er février 2017, son contrat a été renouvelé pour une durée de cinq ans ; qu'il a donc servi la Principauté de Monaco dans le Corps des Sapeurs-Pompiers pendant plus de quinze années, durant lesquelles il estime avoir fait preuve d'un professionnalisme et d'une conscience professionnelle incontestables ; qu'impliqué et dévoué dans son travail, il n'a pas hésité à sacrifier sa vie de famille pour son travail ; qu'il ressort de son dossier que ses notations étaient satisfaisantes, voir excellentes ; qu'il a été décoré de la Médaille du Mérite du Sang en bronze lors la Fête nationale de 2020 ; qu'en quinze années de service, il n'a jamais comparu devant le Conseil de discipline et que son comportement en service a été exempt de toute sanction disciplinaire ;
Attendu que M. O. précise, en troisième lieu, s'agissant des faits qui lui sont reprochés, qu'alors qu'il n'était pas en fonction, dans la soirée du 14 août 2021, il rentrait à son domicile avec sa compagne avec laquelle il s'était disputé verbalement ; qu'il a alors fait l'objet d'un contrôle par des agents de la Sûreté publique ; qu'un mois plus tard, il était convoqué devant la Commission de discipline qui s'est tenue le 10 septembre 2021 ; que lors de la réunion de cette commission, il a pu s'expliquer sur le déroulement de cette soirée du 14 août 2021 et a contesté formellement et catégoriquement tout fait de violence ; qu' alors que l'évènement survenu le 14 août 2021 dans un cadre purement privé était l'unique manquement, isolé, en quinze années, le Conseil de discipline a proposé la sanction disciplinaire la plus élevée, à savoir la résiliation de son contrat ;
Attendu que le requérant fait valoir, en quatrième lieu, qu'en prononçant la sanction de résiliation de son contrat de travail et en résiliant ce contrat, le Commandant supérieur de la Force publique et le Ministre ont entaché leurs décisions respectives d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où la sanction disciplinaire proposée était clairement disproportionnée par rapport aux faits reprochés ; qu'en effet, il ressort des dispositions de l'article 32 de l'Ordonnance Souveraine n° 8.017 du 1er juin 1984 que la résiliation du contrat, pour un militaire sous contrat, est la sanction disciplinaire la plus élevée ; qu'en quinze années de service au sein du Corps des sapeurs-pompiers, il n'a jamais comparu devant le Conseil de discipline pour des faits ou des fautes dans le cadre de ses fonctions ; qu'il n'a fait preuve d'aucune violence ; qu'aucune plainte ni aucune main courante n'a d'ailleurs été déposée contre lui et aucune poursuite judiciaire n'a été engagée à son encontre ; qu'enfin, concernant l'attitude dont il aurait fait preuve à l'égard des agents de la Sûreté publique lors de son contrôle, M. O. souligne qu'aucune plainte n'a été déposée par ces derniers à son encontre ; qu'il se prévaut de sa bonne moralité et de son absence d'antécédents judiciaires, ses casiers judiciaires monégasque et français étant vierges ;
Attendu que M. O. allègue que les décisions attaquées ont ravivé la souffrance psychologique ressentie lors de la première résiliation de son contrat de travail ; qu'il estima avoir subi un préjudice moral et financier important, qu'il évalue à 50.000 euros ; qu'il réclame la condamnation de l'État au versement de cette somme à l'État à titre de dommages et intérêts ;
Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 20 mai 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête de M. O. et à sa condamnation aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État expose que, le 15 août 2021, M. O. a porté gravement atteinte à la dignité militaire et à l'image du Corps des sapeurs-pompiers ; que placé en cellule de dégrisement à la suite de l'intervention d'un agent de la Sûreté publique en raison de coups portés au visage d'une jeune femme, il a notamment fait preuve d'un comportement menaçant et irrespectueux envers les agents de police ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en premier lieu, que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions attaquées manque en fait ; que le Tribunal Suprême admet la motivation par référence à un document ; que les décisions attaquées visent les dispositions sur le fondement desquelles elles sont prises, à savoir l'article 34 de l'Ordonnance Souveraine du 1er juin 1984 ; qu'elles rappellent les faits qui sont reprochés à M. O., notamment le comportement menaçant et irrespectueux qu'il a adopté envers des agents de police dépositaires de l'autorité publique lors de son interpellation du 15 août 2021 ; qu'elles se réfèrent au procès-verbal du Conseil de discipline en date du 10 septembre 2021 ; que ce procès-verbal, joint à la décision du 14 janvier 2022, comporte un exposé particulièrement précis et détaillé des faits reprochés à M. O. ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, que les décisions attaquées ne sont entachées d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; qu'en effet, M. O. a adopté, dans les circonstances de l'espèce, un comportement ayant porté atteinte à la dignité du corps auquel il appartient ; que la circonstance que les faits se sont déroulés dans un cadre privé, alors qu'il n'était pas en fonction, est, à cet égard, inopérante ; qu'un membre de la Force publique se doit de ne pas porter atteinte à la dignité militaire et à l'image de son corps tant dans l'exercice de ses fonctions que dans le cadre de sa vie privée ; qu'il a fait l'objet, entre 2009 et 2020, de 18 punitions représentant 57 jours d'arrêt pour des écarts de conduite incompatibles avec le statut de militaire ; qu'est également inopérante la circonstance selon laquelle aucune plainte n'aurait été déposée ; qu'une telle absence de plainte n'est pas de nature à remettre en cause la matérialité des faits justifiant la sanction prononcée de résiliation du contrat ; que les bonnes notations et la décoration obtenues par M. O. ne sont pas davantage de nature à remettre en cause la matérialité de ces faits ; qu'en outre, la circonstance qu'il n'ait pas fait l'objet d'une suspension n'est pas de nature à remettre en cause la gravité de la faute commise ; que la sanction de résiliation du contrat est strictement proportionnée à la gravité des faits reprochés à M. O. ainsi qu'en témoignent les motifs de la délibération unanime du Conseil de discipline ;
Attendu que le Ministre d'État soutient que le rejet des conclusions à fin d'annulation entrainera, par voie de conséquence, celui des conclusions indemnitaires ;
Vu la réplique enregistrée au Greffe Général le 20 juin 2022 par laquelle M. O. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que M. O. ajoute, en premier lieu, qu'il conteste catégoriquement avoir porté des coups au visage de sa compagne ; que le couple avait simplement eu un différend verbal ; que les affirmations du Ministre d'État relative à un prétendu comportement violent ne sont corroborées par aucune pièce du dossier ;
Attendu que le requérant fait valoir, en deuxième lieu, que si la référence à un document est possible, la décision administrative doit en tout état de cause reprendre dans son corps les éléments qui se trouvent dans ce document extérieur ; qu'or, les faits reprochés ne sont aucunement décrits de manière précise dans les décisions attaquées ; que si le procès-verbal de la réunion du Conseil de discipline a été communiqué à M. O., tel n'est pas le cas des annexes ; que le procès-verbal fait lui-même référence de manière imprécise à un comportement arrogant et menaçant de M. O. sans détailler, décrire ou expliquer ce qu'il aurait dit ou fait pour que son comportement puisse être qualifié comme tel ; qu'ainsi, les décisions attaquées ne comportent pas la motivation exigée ; que, par ailleurs, le fondement de la résiliation étant l'article 32 de l'Ordonnance Souveraine du 1er juin 1984 et non l'article 34 de la même Ordonnance Souveraine, les décisions sont illégales pour défaut de motivation car elles ne comportent pas le fondement juridique adéquat ;
Attendu que M. O. soutient, en dernier lieu, que la sanction est fondée sur des faits erronés puisqu'il n'a pas porté de coups au visage de sa compagne ; que les décisions attaquées ne comportent aucune description du comportement qu'aurait adopté M. O. à l'égard des agents de la Sûreté publique ; qu'il conteste avoir fait preuve d'arrogance ou avoir eu un comportement menaçant ; que, dès lors, la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est aucunement établie par les pièces du dossier ; qu'à supposer même qu'il aurait commis de tels faits, la sanction prononcée n'est ni justifiée, ni adaptée ; qu'à titre de comparaison, la révocation d'un fonctionnaire n'est prononcée que lorsque l'agent a commis des fautes très graves qui portent atteinte à l'image de l'Administration ; que les faits retenus, qui se sont déroulés en dehors du service, n'ont pas eu pour effet de perturber le bon déroulement du service et n'ont fait l'objet d'aucune publicité ; qu'aucun discrédit n'a été porté à l'image du Corps des sapeurs-pompiers ; que le Conseil d'État français a pu estimer, en ce sens, que « le comportement d'un fonctionnaire ou d'un militaire en dehors du service peut constituer une faute de nature à justifier une sanction s'il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l'administration ; que, toutefois, en fondant la sanction infligée à M. X sur le motif que celui-ci avait eu un comportement en privé susceptible de porter gravement atteinte à la dignité militaire ou au renom de l'armée alors que M. X avait conservé à la relation qui lui est reprochée un caractère strictement privé et qu'il n'a pris aucune part à la publicité qui lui a été donnée, le ministre de la défense a commis une erreur de qualification juridique des faits de l'espèce » (CE, 15 juin 2005, n° 261691) ; que dans la majorité des cas qui sont soumis aux juridictions administratives françaises, les sanctions disciplinaires les plus sévères sont prononcées lorsque les faits reprochés à l'agent constituent une infraction pénale grave, ce qui n'est pas le cas pour M. O. ; que celui-ci n'a pas eu un comportement délictueux ; qu'il est de bonne moralité ; qu'il peut se prévaloir, par ailleurs, d'excellentes notations professionnelles et d'une décoration pour son professionnalisme, son mérite et son dévouement ; que son professionnalisme a également été salué dans trois lettres de félicitations reçues du Prince Souverain et du Chef de Corps ; que ces considérations n'ont pas été mentionnées par le Conseil de discipline ; que les punitions, qui s'étalent sur quinze ans, ont été prononcées à la suite notamment de retards et de quelques manquements divers, lesquels n'ont aucunement justifié des sanctions sévères ; que la sanction prononcée est ainsi entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que M. O. estime, en outre, que cette sanction n'était pas adaptée et cohérente ; qu'en effet, le 16 août 2021, une punition de douze jours d'arrêt simple lui a été infligée ; que la sanction disciplinaire la plus sévère, les arrêts de rigueur, n'ayant pas été prononcée, il est démontré que les faits reprochés ne sont pas d'une particulière gravité ; que dès lors, ils ne pouvaient justifier le prononcé de la sanction statutaire la plus grave ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 21 juillet 2022, par laquelle le Ministre d'État tend aux mêmes fins que la contre-requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute, en premier lieu, que la sanction n'est pas fondée sur les coups que M. O. aurait porté au visage de sa compagne mais sur son comportement menaçant et irrespectueux envers des agents dépositaires de l'autorité publique ; qu'il était en état d'ivresse manifeste au moment de son arrestation le 15 août 2021, a décliné une fausse identité et a adopté, durant le temps qu'il a passé avec le forces de l'ordre, une attitude constamment menaçante et arrogante ; qu'il n'a manifesté ensuite aucun regret et a refusé de présenter ses excuses aux agents de la Sûreté publique ; que ces faits, même commis dans un cadre privé, ont porté atteinte à l'image du Corps des sapeurs-pompiers et des militaires de la Force publique, sont suffisamment graves pour servir de fondement à la sanction prise ; que les bons états de service de M. O., qui n'ont pas été ignorés par le Conseil de discipline, ne sauraient atténuer la gravité des faits commis ; que, par ailleurs, les 18 punitions disciplinaires infligées au requérant l'ont été pour des retards, des manquements aux règles de service, de la mauvaise volonté en service, une attitude désinvolte ou un manque de rigueur en service, des négligences dans l'observation d'une consigne, un manque de respect ou une attitude insolente envers un supérieur ; qu'en outre, ni le Règlement de Discipline Générale, ni l'Ordonnance Souveraine du 1er juin 1984 ne fait obstacle à ce que la sanction statutaire la plus lourde soit prononcée alors que la punition disciplinaire la plus élevée n'a pas été prononcée ; que la proportionnalité de la sanction statutaire s'apprécie au regard de la gravité des faits reprochés et non au regard de la punition disciplinaire le cas échéant prononcée ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir que M. O. ne fournit aucun élément d'évaluation de la somme de 50.000 euros qu'il sollicite à titre de dommages et intérêts ;
SUR CE :
Vu les décisions attaquées ;
Vu les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;
Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 8.017 du 1er juin 1984 modifiée, portant statut des militaires de la Force publique ;
Vu les Ordonnances des 6 décembre 2021, 14 mars 2022 et 25 mars 2022 par lesquelles le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Stéphane BRACONNIER Membre titulaire, comme rapporteur ;
Vu les procès-verbaux de clôture de Madame le Greffier en Chef en date des 11 avril 2022, 15 juillet 2022 et 23 août 2022 ;
Vu l'Ordonnance du 13 octobre 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé les causes à l'audience de ce Tribunal du 18 novembre 2022 ;
Ouï Monsieur Stéphane BRACONNIER, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en ses rapports ;
Ouï Maître Christophe BALLERIO, Avocat-Défenseur, pour Monsieur B. O. ;
Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions par lesquelles il s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;
La parole ayant été donnée en dernier lieu aux parties ;
Motifs
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ
1. Considérant que les trois requêtes visées ci-dessus, dirigées contre la résiliation du contrat de travail de Monsieur B. O. en qualité de sapeur-pompier ou des décisions qui y sont liées, présentent à juger des questions connexes ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Sur la requête TS 2020-06
* 2. Considérant que par une décision du 5 octobre 2021, le Commandant supérieur de la Force publique a prononcé, à titre de sanction statutaire, la résiliation du contrat de de travail M. O. ; que cette décision a été retirée par une décision du 14 janvier 2022 de la même autorité ; que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 5 octobre 2021 sont ainsi devenues sans objet ; que, par suite, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la requête, y compris ses conclusions indemnitaires ;
Sur la requête TS 2022-11
* 3. Considérant que la décision du 14 janvier 2022 du Commandant supérieur de la Force publique retirant la décision du 5 octobre 2021 par laquelle il a prononcé, à titre de sanction statutaire, la résiliation du contrat de travail de M. O. ne peut être regardée que comme lui faisant grief ; que ce dernier est dès lors dépourvu d'intérêt à en demander l'annulation ; que la requête, y compris ses conclusions indemnitaires, doivent être rejetées ;
Sur la requête TS 2022-12
* 4. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'en vertu de l'article 34 de l'Ordonnance Souveraine du 1er juin 1984 modifiée, portant statut des militaires de la Force publique, les sanctions statutaires sont prononcées à l'égard des militaires autres que les officiers supérieurs, officiers et sous-officiers supérieurs, par le Commandant supérieur de la Force publique après avis du Conseil de discipline ; que l'acte de résiliation du contrat de travail est signé par le Ministre d'État ;
* 5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives individuelles qui : / (…) / 2° – infligent une sanction ; / (…)» ; que l'article 2 de la même loi précise que « la motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;
* 6. Considérant que les décisions attaquées mentionnent les dispositions sur le fondement desquelles elles sont prises ; qu'elles font état des faits reprochés à M. O. et décrits dans le procès-verbal du Conseil de discipline joint à ces décisions et les qualifient d'actes portant gravement atteinte à la dignité miliaire et à l'image du Corps des sapeurs-pompiers et de la Force publique sur le territoire de la Principauté ; que les décisions comportent ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que le moyen tiré de ce que ces décisions seraient insuffisamment motivées doit être écarté ;
* 7. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les décisions attaquées sont fondées sur le comportement menaçant et irrespectueux de M. O. envers les agents de la Sûreté publique, dépositaires de l'autorité publique, lors d'une interpellation ayant eu lieu le 15 août 2021 ; qu'un tel comportement fait suite à une succession d'écarts de conduite dans l'exercice de ses fonctions qui ont donné lieu, entre 2009 et 2020, à dix-huit punitions disciplinaires ; que de tels faits, même commis en dehors du service et alors que le requérant a par ailleurs reçu des distinctions ou marques de reconnaissance pour son mérite et son dévouement, eu égard à leur gravité et à leur incompatibilité avec le statut militaire, constituent un manquement portant atteinte à la fonction et à l'image du Corps des sapeurs-pompiers et de la Force publique justifiant la sanction statutaire, la plus élevée, de résiliation du contrat de travail de M. O. ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation n'est pas fondé ;
* 8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. O. n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque ; que ses conclusions indemnitaires ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête TS 2022-06.
Article 2
Les requêtes TS 2022-11 et TS 2022-12 sont rejetées.
Article 3
Les dépens sont mis à la charge de Monsieur O.
Article 4
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, Stéphane BRACONNIER, rapporteur et Pierre de MONTALIVET, Membres titulaires, et Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Membre suppléant, et prononcé le deux décembre deux mille vingt-deux, en présence du Ministère public par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Bénédicte SEREN-PASTEAU, Greffier.
Le Greffier, Le Président.
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