TRIBUNAL SUPRÊME
TS 2022-08
Affaire :
Madame S. A.
Contre :
État de Monaco
DÉCISION
Audience du 17 novembre 2022
Lecture du 2 décembre 2022
Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 8 mars 2021 du Directeur de la Sûreté publique rejetant la demande de renouvellement de la carte de séjour de résident ordinaire de Mme S. A. et de la décision du 22 novembre 2021 rejetant son recours gracieux contre cette décision.
En la cause de :
Madame S. A. ;
Ayant élu domicile en l'étude de Monsieur le Bâtonnier Thomas GIACCARDI, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué par Maître Pierre-Anne NOGHES du MONCEAU, Avocat-Défenseur près la même Cour, et plaidant par Monsieur le Bâtonnier Thomas GIACCARDI, substitué par Maître Thomas BREZZO, Avocat près la même Cour ;
Contre :
L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
Visa
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu la requête présentée par Madame S. A., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 21 janvier 2022 sous le numéro TS 2022-08, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 8 mars 2021 par laquelle le Directeur de la Sûreté publique a rejeté sa demande de renouvellement de sa carte de séjour de résident ordinaire et de la décision du 22 novembre 2021 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que Mme A. de nationalité italienne, résidente en Principauté depuis vingt-deux ans, expose qu'elle exerce la profession de pharmacien au sein d'une pharmacie sise à Menton depuis le 18 octobre 2021 ; qu'elle a exercé les mêmes fonctions auprès de la pharmacie franco-monégasque sise à Beausoleil, durant près de six années ; qu'elle réside actuellement avec son époux, Monsieur D. A., à la « Villa Roseline » 29, avenue Hector Otto, à Monaco ; que les époux A. se sont mariés à Monaco le 18 mars 2006 ; que Mme A. est titulaire de la carte de résident ordinaire qui lui a été délivrée le 17 juillet 2017 avec une validité courant jusqu'au 30 juin 2020 ; qu'elle a demandé le renouvellement de sa carte de séjour le 26 juin 2020 ; que, par une décision du 8 mars 2021, notifiée le 2 juin 2021, le Directeur de la Sûreté publique a rejeté sa demande au motif qu'elle ne remplissait plus les conditions pour être titulaire d'une carte de séjour ; que la décision est fondée sur les circonstances que le relevé de consommation électrique pour la période de juillet 2020 à janvier 2021 indiquait de faibles consommations, que « la quittance « EDF » de ladite villa turbiasque présentait une consommation de 18.000 kwh pour la période de septembre 2019 à septembre 2020 et que, dans le cadre d'un différend avec la commune de La Turbie, la délibération de son conseil municipal, n° 2017-55, du 18 juillet 2017, mentionnait que les services municipaux s'étaient rendus en 2012 (…) (adresse de la propriété de ses beaux-parents) où, sur place, les services avaient rencontré M. A. D., qui se présentait expressément comme l'occupant de la propriété » et que « la communauté de vie des époux A.n'a pas été dénoncée, à notre connaissance » ; que le 20 juillet 2021, Mme A. a formé un recours gracieux contre cette décision ; que le silence gardé sur sa demande durant un délai de quatre mois a fait naître une décision implicite de rejet ;
Attendu que la requérante soutient, en premier lieu, que les décisions attaquées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ; que le refus de renouvellement est fondé sur la comparaison des consommations électriques de la villa et de l'appartement des époux A., la première étant bien supérieure à la seconde, sur le fait que M. A. se serait lui-même présenté comme l'occupant de la propriété dans le cadre d'un différend avec la commune de La Turbie, que la communauté de vie entre les époux n'ayant pas été dénoncée, Mme A. aurait nécessairement résidé aux côtés de son époux à ladite villa ; que toutefois, la comparaison des consommations électriques n'est nullement de nature à établir qu'elle n'avait pas de résidence en Principauté durant la période considérée dès lors qu'aucune comparaison valable ne saurait être faite entre la consommation d'électricité d'une villa et celle d'un appartement composé de deux pièces ; que cette comparaison porte, de surcroît, sur deux périodes différentes, l'une de juillet 2020 à janvier 2021, soit sept mois, pour l'appartement de Monaco, et l'autre de septembre 2019 à septembre 2020, soit un an, pour la villa de La Turbie ; que la consommation relevée pour une villa ne permet pas, en soi, d'identifier ses occupants, ni a fortiori d'établir que Mme A. y était présente ; que cette villa est occupée par les parents de son époux, M. C. A. et Mme F. P. A. ; qu'à l'amorce du confinement de mars 2020, Mme A. et son époux ont pris la décision de se séparer ponctuellement ; qu'en effet, M. A. a fait le choix de se confiner avec ses parents dans leur villa située à La Turbie ; que ces derniers sont respectivement âgés de 84 et 89 ans ; que le père de M. A. est atteint d'une maladie auto-immune le rendant particulièrement fragile et vulnérable à la Covid-19 ; que M. C. A. a été pris en charge pour insuffisance rénale et anémie le 24 février 2020 par une clinique en Italie ; que cette intervention a nécessité des soins ultérieurs à réaliser à domicile, Mme F. P. A. n'étant pas en mesure de s'occuper seule de son mari ; que le confinement étant intervenu quelques jours après, il était impératif pour M. A. d'apporter l'assistance dont ses parents avaient besoin ; que Mme A. n'a pas demeuré aux côtés de son époux pendant cette période ;
Attendu que la requérante fait valoir, en deuxième lieu, que l'Administration a commis une erreur de fait en relevant que l'époux de Mme A. aurait résidé à la villa de La Turbie aux motifs qu'une délibération du 18 juillet 2017 du conseil municipal de cette commune l'aurait désigné comme l'occupant de cette propriété ; qu'en effet, cette délibération n'indique pas que M. D. A. est l'occupant de la propriété mais seulement qu'il représente la SCI S. D. ; que, contrairement aux faits imputés à M. A., c'est M. C. A., père de M. D. A., qui est l'auteur des déclarations consignées dans ledit procès-verbal ; qu'il en justifie par la production d'un avis d'échéance relatif à l'assurance habitation de ladite propriété souscrite au nom de M. D. A., en sa qualité d'occupant des lieux ; qu'une erreur de fait a donc été commise sur ce point et a nécessairement conduit à une erreur manifeste d'appréciation ;
Attendu que la requérante ajoute qu'il est ainsi constant que M. A. réside à Monaco mais s'en est éloigné très temporairement dans un contexte de crise sanitaire qui a bouleversé la vie de tout un chacun ; qu'en tout état de cause, la présence ponctuelle de M. A. à la villa de ses parents ne démontre nullement que la requérante y aurait également résidé ; que, bien consciente de cette évidence, l'Administration a cru pouvoir déduire du principe de communauté de vie entre les époux, dont elle a préalablement constaté qu'elle n'a pas été dénoncée, que Mme A. aurait nécessairement demeuré à la villa de La Turbie avec son époux ; que, cependant, la communauté de vie n'impose nullement une cohabitation systématique des époux ; que, dès lors, la constatation de l'absence de rupture de la vie commune des époux est inopérante et ne démontre pas que Mme A. aurait résidé à la villa de ses beaux-parents ;
Attendu que la requérante précise, enfin, qu'elle a, quant à elle, continué d'exercer sa profession de pharmacien à la pharmacie franco-monégasque ; qu'elle a fait le choix de préserver ses beaux-parents de la Covid-19, bien consciente de ce que ses fonctions l'exposaient à un risque manifeste de contamination, compte tenu de l'importante propagation du virus ; que, dans ces conditions, notamment liées à la restriction des déplacements, il était également indispensable pour Mme A. de rester à proximité de son lieu de travail ; que la requérante est ainsi demeurée plusieurs mois chez sa mère, à Menton ; qu'à la suite du déconfinement et après le décès de leur ancien propriétaire, les époux A. ont pris à bail leur nouvel appartement ; qu'ils ont mis un certain temps avant de trouver un appartement correspondant aux critères posés par la Direction de la Sûreté Publique, deux appartements ayant été préalablement refusés ; qu'une fois accepté par l'administration, l'emménagement des époux A. a été retardé par la rénovation de leur appartement ; que Mme A. produit une attestation de l'agence immobilière, laquelle indique que les travaux ont été achevés début octobre 2020 ; que les époux A. n'ont donc pas été en mesure d'intégrer leur appartement avant le mois d'octobre 2020, raison pour laquelle les consommations électriques sur la période relevée par l'Administration, de juillet 2020 à janvier 2021, sont faibles ; que M. A. a, quant à lui, tenu à habiter avec ses parents pour les aider jusqu'à leur vaccination totale contre le virus de la Covid-19, intervenue en mai 2021 ; qu'en l'état, les époux A. reconnaissent avoir emménagé avec retard en raison des circonstances liées à la crise sanitaire de la Covid-19, ce qui explique la faible consommation d'électricité dans leur appartement de la « villa Roseline » sur la période considérée ; que cet emménagement tardif s'explique par un contexte particulier et sans précédent qui ne justifiait nullement le refus de renouvellement de la carte de séjour de Mme A., laquelle, contrairement à ce que l'Administration a cru devoir retenir, n'a nullement demeuré à la villa de ses beaux-parents ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 24 mars 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation de la requérante aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État expose, à titre liminaire, que Mme S. D., épouse A., née le 13 février 1971 à Gênes, de nationalité italienne, exerçant la profession de pharmacien en France, a d'abord été titulaire d'une carte de résident avec éligibilité en catégorie de résident privilégié monégasque expirant en 2012 ; que cette carte a été renouvelée en 2012 et en 2015, mais que Mme A. a été maintenue en catégorie de résident ordinaire, les services de la Sûreté publique ayant constaté que sa consommation d'électricité à Monaco était faible et appris que son beau-père était propriétaire d'une villa en France, à La Turbie ; qu'en 2018, lors du renouvellement de sa carte de séjour, elle a été maintenue en catégorie de résident ordinaire ; qu'elle a sollicité le renouvellement de sa carte de séjour le 26 juin 2020 et précisé qu'elle demeurait avec son mari, M. D. A., dans un appartement situé « Villa Roseline », au 29 de l'avenue Hector Otto, à Monaco, en vertu d'un contrat de bail à loyer du 18 juin 2020 ; que, depuis le 18 octobre 2021, elle exerce son activité professionnelle au sein de la « pharmacie des Jardins Bioves » située à Menton ; que, dans le cadre de l'instruction de cette demande de renouvellement de carte de séjour, la Direction de la Sûreté publique a constaté que le relevé de consommation électrique du 21 janvier 2021 relatif à la période de juillet 2020 à janvier 2021 de l'appartement censé être occupé à Monaco par les époux A. était très faible, alors que la quittance d'électricité de la villa précitée située à La Turbie révélait que la consommation électrique de cette villa s'est avérée importante pour la période de septembre 2019 à septembre 2020 ; que la Direction de la Sûreté publique a également relevé que les services de la commune de La Turbie se sont rendus dans cette villa en 2012 et y ont rencontré M. D. A., mari de la requérante, qui s'est présenté comme l'occupant de la propriété ; que la communauté de vie des époux A. n'ayant pas été dénoncée, le Directeur de la Sûreté publique a considéré que Mme A. ne remplissait plus les conditions pour être titulaire d'une carte de séjour et a, par décision du 8 mars 2021, rejeté sa demande de renouvellement ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en premier lieu, que le moyen de défense tiré de ce que la comparaison des consommations électriques entre l'appartement situé à Monaco dont la requérante est locataire avec son époux et la villa située à La Turbie ne démontrerait pas que sa résidence effective n'était pas située en Principauté durant la période antérieure au 8 mars 2021 n'est pas fondé ; que si la requérante fait valoir qu'elle se serait temporairement séparée de son époux, pendant la crise sanitaire, afin que celui-ci puisse se confiner avec ses parents âgés et malades, tandis qu'elle-même aurait demeuré pendant plusieurs mois chez sa mère, à Menton, afin de pouvoir continuer à exercer sa profession de pharmacien dans cette ville, un telle argumentation ne pourra être retenue ; que, tout d'abord, elle ne s'appuie sur aucune pièce justificative ; que Mme A. ne verse aux débats aucune attestation établissant que, comme elle l'affirme, son mari serait demeuré temporairement avec ses parents à La Turbie pendant la période de confinement tandis qu'elle aurait elle-même vécu avec sa mère à Menton ; qu'elle ne prouve donc pas la véracité de ses affirmations ; que la requérante reconnaît, en revanche, ne plus avoir demeuré à Monaco à compter du mois de mars 2020 ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en deuxième lieu, que le moyen d'erreur de fait n'est pas fondé ; qu'en effet, la requérante se fonde sur un protocole d'accord conclu le 28 juillet 2017 entre la société propriétaire de ladite villa, la SCI S. D. et la commune de La Turbie, dont il ressortirait que M. D. A. ne s'est pas présenté comme occupant de la propriété, mais seulement comme représentant de la SCI signataire du protocole ; que, toutefois, le protocole d'accord versé aux débats par la requérante mentionne expressément, à sa première page, que M D. A. s'est présenté « comme occupant de la propriété et comme propriétaire de la grue » y ayant été installée ; que ce protocole est ancien puisqu'il a été conclu en 2017 ; que dès 2012, M. D. A. s'est présenté comme l'occupant de la propriété auprès des services de la commune de La Turbie ; que M. D. A. se présentait donc comme occupant de la propriété située à La Turbie bien avant le confinement dû à la crise sanitaire ; qu'en outre, il ressort du protocole d'accord que la villa située à La Turbie appartient à la SCI S. D., et non à son beau-père, M. C. A. ;
Attendu que le Ministre d'État allègue, en troisième lieu que dès lors que l'Administration était en possession d'éléments concordants établissant que l'époux de Mme A. ne réside plus à Monaco, elle pouvait se fonder, entre autres indices, sur l'absence de rupture de la communauté de vie entre les époux pour considérer que Mme A. a elle-même quitté la Principauté ; qu'elle disposait d'éléments faisant apparaître que M. A. réside dans la villa appartenant à la SCI S. D. située à La Turbie, dont il s'est lui-même présenté comme étant l'occupant dès 2012 ; qu'en outre, Mme A. a elle-même indiqué dans sa requête qu'elle ne demeure plus à Monaco depuis le début de la crise sanitaire ; qu'au vu de ces différents éléments, la Direction de la Sûreté publique pouvait retenir que, la communauté de vie entre les époux A. n'ayant pas été rompue, Mme A. ne remplissait plus la condition de résidence nécessaire à la délivrance d'une carte de séjour ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en dernier lieu, que l'argument de la requérante soutenant que ce serait en raison des travaux qui ont dû être réalisés dans l'appartement monégasque qu'elle a pris à bail avec son époux à compter du 18 juin 2020 et qui n'auraient été achevés qu'au début du mois d'octobre 2020, que la consommation électrique afférente à cet appartement s'est avérée faible au cours de la période de juillet 2020 à janvier 2021, ne saurait être retenu ; qu'il ne ressort pas des stipulations du contrat de bail à loyer produit par la requérante que cet appartement aurait nécessité, pour être habitable, la réalisation de travaux pendant trois mois ; qu'au contraire, l'article 26 des conditions générales du contrat de bail prévoit expressément que le preneur a « reconnu avoir reçu les locaux loués en parfait état » ; qu'au surplus, si, comme l'affirme la requérante, elle avait emménagé dans l'appartement loué début octobre 2020, la consommation électrique pour la période de juillet 2020 à janvier 2021 n'aurait pas été aussi faible que celle que la Direction de la Sûreté publique a constatée, soit 161 kWh ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 25 avril 2022, par laquelle Mme A. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que la requérante ajoute, en premier lieu, qu'il appartient à l'État d'établir la véracité des motifs allégués à l'appui de sa décision de refus et ainsi de mettre en mesure le Tribunal Suprême d'exercer son contrôle de légalité ; qu'à l'occasion de l'examen d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une décision de retrait de titre de séjour, le Tribunal Suprême a reproché au Ministre d'État l'absence de communication de tout élément de preuve et l'a enjoint de satisfaire à cette production ;
Attendu que Mme A. relève qu'en l'espèce, pour motiver la mesure de non renouvellement contestée, l'Administration se fonde sur la comparaison des consommations électriques de la villa occupée par ses beaux-parents et celle de son appartement ; que, bien que cette comparaison porte sur deux périodes différentes, la consommation électrique de la première est effectivement supérieure à la seconde ; que la constatation des consommations électriques relevées en France permet de prouver que la villa située à La Turbie est bien occupée ; que, pour autant, l'Administration ne démontre aucunement que cette villa serait occupée par Mme A. et que cette consommation lui serait imputable, même pour partie ; que l'État est en réalité défaillant à rapporter la preuve que Mme A. ne résiderait pas à Monaco ;
Attendu que la requérante soutient, en deuxième lieu, que si la décision attaquée est fondée sur le fait qu'elle résiderait nécessairement aux côtés de son époux, la communauté de vie est une notion subjective qui implique une communauté à la fois affective et intellectuelle ; que la cohabitation des époux n'est pas indispensable pour qu'il existe entre eux une communauté de vie au sens de l'article 187 du Code civil ; que la constatation de l'absence de rupture de la vie commune des époux est dès lors inopérante et ne démontre aucunement que Mme A. aurait nécessairement résidé à la villa de ses beaux-parents ; que, de plus, dès lors que Mme A. reconnaissait ne pas avoir résidé en Principauté durant la période considérée, il lui aurait été loisible d'admettre qu'elle logeait avec son époux à La Turbie, si tel avait été le cas ; que l'éloignement des époux A. hors de Monaco durant la période de crise sanitaire s'est expliqué, pour M. A., par le souci de protéger et d'assister ses parents âgés ; que Mme A. ayant continué d'exercer sa profession de pharmacien, à un rythme soutenu, il n'était pas concevable qu'elle séjourne auprès d'eux ; que la requérante produit aux débats une attestation rédigée par sa mère ; que cette dernière confirme que Mme A. a temporairement habité chez elle à Menton, durant la période de la crise sanitaire ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre d'État, Mme A. prouve bien la véracité de ses affirmations ;
Attendu que Mme A. fait valoir, en dernier lieu, que les travaux de l'appartement monégasque ont consisté dans la refonte de l'ensemble du câblage électrique ainsi que du système d'eau, à la suite de quoi l'appartement a été entièrement nettoyé et repeint ; qu'elle précise, en outre, qu'elle n'a jamais affirmé avoir emménagé dans l'appartement loué en octobre 2020 ; qu'au contraire, elle a toujours indiqué que son époux et elle-même ont mis un certain temps avant d'intégrer leur appartement ; que l'année 2020 a été marquée par une crise sanitaire sans précédent, laquelle a été à l'origine d'importants ralentissements et de restrictions ; qu'après la réalisation des travaux, Mme A. n'a pas été en mesure d'aménager seule cet appartement, ce d'autant que ses fonctions l'en empêchaient ; que ces circonstances sont venues s'ajouter aux mois de travaux ayant dû être réalisés dans l'appartement des époux A. ; qu'ils ont, en conséquence, estimé qu'il valait mieux différer leur emménagement à une période qu'ils estimaient plus opportune ; que cet emménagement a été effectif en mai 2021 ; que l'intention des époux A., et notamment de Mme A., n'a jamais été de se déporter durablement hors de la Principauté ; qu'en outre, si le contrat de bail prévoyait que le preneur reconnaissait « avoir reçu les locaux loués en parfait état », c'était sous condition que les travaux « de mise en conformité électrique » soient effectués par le bailleur ; que Mme A. réside avec son mari en Principauté depuis plus de 21 ans ; que, pour autant, contrairement à ce que l'État soutient, elle n'a jamais été titulaire d'une carte de résident avec éligibilité en catégorie de résident privilégié ; que c'est donc à tort que l'État a affirmé que Mme A. avait fait l'objet d'un maintien en catégorie de résident ordinaire en 2012 et en 2015 ; que l'explication fournie par l'Administration, selon laquelle « nos services ayant eu connaissance que son beau-père était propriétaire d'une villa en France, à La Turbie » et que « en outre, elle présentait une consommation d'électricité faible de leur appartement à Monaco » est insuffisante ; que la résidence de Mme A. est toujours demeurée effective ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 24 mai 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute, tout d'abord, que le protocole d'accord mentionnant que M. D. A. était occupant de la villa de La Turbie a été conclu bien avant la survenance de la crise sanitaire, de sorte qu'il ne peut être considérée qu'il aurait résidé temporairement France en raison de cette crise ; qu'il est établi que Mme A. n'occupait pas l'appartement situé « villa Roselyne », au 29 de l'avenue Hector Otto à Monaco, dont elle est locataire avec son mari en vertu d'un contrat de bail à loyer du 18 juin 2020 ; que, par ailleurs, si la communauté de vie entre époux n'impose pas une cohabitation systématique, la circonstance que le logement dont Mme A. est locataire à Monaco ne soit pas occupé permet de considérer que, dans la mesure où la communauté de vie entre les époux n'a pas pris fin, elle réside avec son mari dans la villa située à La Turbie ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, ensuite, que si la requérante produit une attestation émanant de sa mère, dont elle affirme qu'elle établirait qu'elle a vécu avec elle à Menton pendant la période de la crise sanitaire et non avec son mari à La Turbie, l'attestation indique qu'elle a « vécu occasionnellement » dans l'appartement de sa mère situé à Menton pendant la durée de la crise sanitaire ; qu'il ne peut qu'être considéré que c'est avec son mari qu'elle a résidé principalement ; qu'en réalité, M. et Mme A. ont cessé de résider sur le territoire monégasque en juillet 2019, lorsqu'ils ont quitté un appartement situé boulevard de Belgique ; qu'ils ont indiqué ensuite résider au 30, avenue de Grande-Bretagne, mais le local dans lequel ils ont déclaré habiter était un local commercial, puis au 15, Boulevard du Jardin exotique, alors qu'il s'agissait d'une chambre de bonne insuffisamment caractérisée comme habitable, puis enfin « villa Roseline », au 29, avenue Hector Otto, en vertu d'un contrat de bail à loyer du 18 juin 2020 ; que Mme A. reconnaît toutefois qu'elle n'a pas emménagé dans cet appartement avant le mois de mai 2021 ; que les éléments objectifs en possession des services de police permettent ainsi de penser que le séjour monégasque des époux A. a été interrompu entre juillet 2019 et mai 2021, la requérante reconnaissant n'avoir pas demeuré en Principauté entre mars 2020 et mai 2021 ;
Attendu que le Ministre d'État relève, enfin que, si Mme A. allègue qu'elle n'aurait pas emménagé dans cet appartement après l'achèvement des travaux qui ont été réalisés au cours de l'été 2020, mais en mai 2021 seulement, pour justifier la faiblesse de la consommation électrique de l'appartement dont elle est locataire à Monaco au cours de la période de juillet 2020 à janvier 2021, cette affirmation ne s'appuie sur aucun élément permettant d'en apprécier la réalité, alors qu'il aurait été aisé pour la requérante d'établir qu'elle a emménagé dans l'appartement en mai 2021 ; que, par ailleurs, elle a affirmé dans un premier temps que c'est en raison des travaux qui ont dû être réalisés dans l'appartement monégasque pris à bail le 18 juin 2020 qu'elle n'a pu occuper cet appartement dès le mois de juin 2020 ; que, dès lors, la vraisemblance de l'affirmation selon laquelle elle aurait emménagé, non après la réalisation des travaux, mais sept mois plus tard, ne peut qu'être mise en doute ;
SUR CE,
Vu les décisions attaquées ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers ;
Vu l'Ordonnance du 24 janvier 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Guillaume DRAGO, Membre suppléant, comme rapporteur ;
Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 7 juin 2022 ;
Vu l'Ordonnance du 13 octobre 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 17 novembre 2022 ;
Ouï Monsieur Guillaume DRAGO, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître Thomas BREZZO, Avocat près la Cour d'appel, substituant Monsieur le Bâtonnier Thomas GIACCARDI, Avocat-Défenseur, pour Madame S. A. ;
Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions par lesquelles il s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
Motifs
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le 26 juin 2020, Mme S. A. a adressé au Directeur de la Sûreté publique une demande de renouvellement de sa carte de séjour de résident ordinaire ; que, par une décision du 8 mars 2021, notifiée le 2 juin 2021, le Directeur de la Sûreté publique a rejeté sa demande ; que Mme A. a formé, le 20 juillet 2021, un recours gracieux contre cette décision ; qu'une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le Directeur de la Sûreté publique ; que Mme A. demande au Tribunal Suprême d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 mars 2021 du Directeur de la Sûreté publique et la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
2. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 5 de l'Ordonnance Souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté « Lorsque l'étranger réside dans la Principauté depuis plus de trois ans, il peut être attribué une carte de séjour de résident ordinaire, valable trois ans » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la même Ordonnance Souveraine « Pour obtenir une carte de séjour de résident ordinaire, l'étranger doit justifier : / – de l'autorisation des autorités compétentes s'il désire occuper un emploi ou exercer une profession libérale, industrielle ou commerciale ; / – de ressources suffisantes, s'il n'a pas l'intention de se livrer à une activité professionnelle. /La carte de résident ordinaire peut être renouvelée, à la demande de son titulaire, s'il remplit les conditions ci-dessus en ce qui concerne ses ressources ou l'exercice de son activité professionnelle. /La demande de renouvellement doit être souscrite au cours du mois qui précède l'expiration de la validité de la carte et doit faire mention de tout changement intervenu dans la situation de l'intéressé » ;
4. Considérant que le pouvoir d'appréciation ainsi reconnu à l'autorité administrative peut s'exercer à tout moment, que ce soit à l'occasion de la première demande d'une carte de séjour, en cours de validité ou à l'occasion d'une demande de renouvellement ;
5. Considérant que les décisions attaquées sont fondées sur la circonstance que les époux A. ne résideraient plus à Monaco ; que, toutefois, les éléments sur lesquels elles sont fondées sont insuffisants à caractériser une absence de résidence de Mme A. en Principauté ; qu'en effet, la seule circonstance que M. A. ait fait état, dans ses relations avec la commune française de La Turbie, de sa qualité d'occupant de la maison, située dans cette commune et dans laquelle vivent ses parents âgés, ne permet pas d'établir que les époux A. résideraient de manière permanente dans cette maison ; qu'en outre, il appartenait à la Direction de la Sûreté publique de tenir compte des circonstances exceptionnelles résultant de la pandémie de Covid-19 ; que dès lors, elle ne pouvait opposer à Mme A. le choix fait par son époux ou par elle-même, pour des motifs personnels et professionnels légitimes au regard de telles circonstances, de ne pas résider en Principauté durant la période de la crise sanitaire, en particulier durant le confinement de l'ensemble de la population ; qu'enfin, l'inoccupation d'un logement nouvellement loué en Principauté durant une période de travaux et d'emménagement est insusceptible de justifier un refus de renouvellement d'une carte de séjour ; que les travaux réalisés démontrent, au contraire, la volonté des époux A. de résider dans l'appartement loué à Monaco ; que, dès lors, le refus de renouvellement de la carte de séjour de résident ordinaire de Mme A. est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A. est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions qu'elle attaque ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
Les décisions du 8 mars 2021 et du 22 novembre 2021 du Directeur de la Sûreté publique sont annulées.
Article 2
Les dépens sont mis à la charge de l'État.
Article 3
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, Philippe BLACHER, Pierre de MONTALIVET, Membres titulaires, et Guillaume DRAGO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Membre suppléant, rapporteur, et prononcé le deux décembre deux mille vingt-deux en présence du Ministère public, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Bénédicte SEREN-PASTEAU, Greffier.
Le Greffier, Le Président.
^