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10/03/2023 | MONACO | N°TS/2022-03

Monaco | Tribunal Suprême, 10 mars 2023, Monsieur M. M. c/ État de Monaco, TS/2022-03


TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2022-03

 

Affaire :

Monsieur M. M.

Contre :

État de Monaco

 

DÉCISION

Audience du 23 février 2023

Lecture du 10 mars 2023

 

Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 25 février 2021 rejetant la demande de M. M. tendant à la suppression du classement de la Villa L. au nombre des éléments de bâti remarquables ou, à défaut, à la limitation du classement de ce bâtiment à sa seule façade sur rue et de la décision implicite du Ministre d'État rejetant le

recours gracieux formé le 26 avril 2021 contre cette décision.

 

En la cause de :

Monsieur M. M. ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître...

TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2022-03

 

Affaire :

Monsieur M. M.

Contre :

État de Monaco

 

DÉCISION

Audience du 23 février 2023

Lecture du 10 mars 2023

 

Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 25 février 2021 rejetant la demande de M. M. tendant à la suppression du classement de la Villa L. au nombre des éléments de bâti remarquables ou, à défaut, à la limitation du classement de ce bâtiment à sa seule façade sur rue et de la décision implicite du Ministre d'État rejetant le recours gracieux formé le 26 avril 2021 contre cette décision.

 

En la cause de :

Monsieur M. M. ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par la SARL Cabinet BRIARD, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

 

Contre :

L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

Visa

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Section administrative

 

Vu la requête, présentée par Monsieur M. M., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 25 octobre 2021 sous le numéro TS 2022-03, tendant, en premier lieu, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 25 février 2021 rejetant sa demande tendant à la suppression du classement de la Villa L. au nombre des éléments de bâti remarquables ou, à défaut, à la limitation du classement de ce bâtiment à sa seule façade sur rue et de la décision implicite du Ministre d'État rejetant le recours gracieux formé le 26 avril 2021 contre cette décision, en deuxième lieu, à ce qu'il soit enjoint au Ministre d'État de verser aux débats les avis du Conseil du patrimoine mentionnés dans la décision du 25 février 2021 et, en dernier lieu, à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

 

CE FAIRE :

Attendu que Monsieur M. M. expose, à l'appui de sa requête, qu'il est propriétaire de la Villa L. ; que de style Belle Epoque, cette villa a été classée parmi les bâtiments remarquables de la Principauté en 2016 et figure au nombre des bâtiments remarquables identifiés comme tels en annexe de l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 modifiée ; qu'un tel classement limite voire interdit toute possibilité de développement immobilier ; que, dès lors, en amont de toute demande de permis de construire, il a présenté à la Direction de la Prospective, de l'Urbanisme et de la Mobilité un projet de surélévation de la villa en retrait de la façade existante ; que si la Direction a donné un agrément de principe, le Conseil du patrimoine a rendu un avis défavorable sans qu'il ait pu présenter les atouts du projet ; que par courrier du 12 janvier 2021, il a saisi le Ministre d'État d'une demande tendant à la remise en cause du classement en se fondant essentiellement sur l'absence de caractéristiques véritablement remarquables de la villa, l'absence de classement d'autres édifices situés à proximité et de même style, l'évolution récente de l'urbanisation du quartier ainsi que sur le fait que seule la façade sur rue de la villa présenterait un caractère remarquable ; que, par décision du 25 février 2021, le Ministre d'État a rejeté la demande en faisant référence à deux saisines du Conseil du patrimoine, l'une informelle du 29 mars 2019, l'autre officielle par saisine du 24 janvier 2020 concernant une éventuelle extension et surélévation de la villa ; que le Conseil du patrimoine s'est opposé aux modifications envisagées en estimant qu'il fallait maintenir le périmètre de protection ; que par lettre du    22 avril 2021, reçue le 26 avril 2021, M. M. a formé un recours gracieux contre cette décision de refus et sollicité communication des deux avis du Conseil du patrimoine ; que le Ministre d'État ayant gardé le silence pendant plus de quatre mois, ce recours a fait l'objet d'une décision implicite de rejet ;

Attendu que M. M. invoque, tout d'abord, par voie d'exception, l'illégalité de l'Ordonnance Souveraine ayant servi de fondement juridique à la décision dont la légalité est contestée ; que la procédure de classement d'une construction a été précisée par la loi n° 1.146 du 12 juin 2017 relative à la préservation du patrimoine ; que cette loi a introduit plusieurs dispositions dans l'Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959 concernant l'urbanisme, la construction et la voirie ; qu'aux termes de l'article 5 bis de cette Ordonnance Souveraine, le patrimoine culturel immobilier comprend « les groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur exceptionnelle universelle ou nationale du point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science » ; que son article 5 ter requiert, pour l'identification du patrimoine remarquable, un impératif de sauvegarde du patrimoine culturel immobilier, « notamment le patrimoine architectural et paysager, représentatif de de l'histoire de Monaco » ; qu'aucune des conditions prévues par ce texte n'est remplie pour justifier le classement de la Villa L. ; que cette villa ne présente aucune dimension historique spécifique, est dépourvue de qualité architecturale remarquable, le style Belle Epoque étant relativement courant à Monaco, et est située dans un environnement qui a évolué, caractérisé désormais par un nombre important d'immeubles de grande hauteur ; qu'ainsi, aucune caractéristique ne justifie son classement parmi les bâtiments remarquables au sens des articles 16 et 17 de la loi n° 1.146 du 12 juin 2017 relative à la préservation du patrimoine ; que la décision du 25 février 2021 du Ministre d'État repose d'ailleurs sur une motivation succincte et stéréotypée qui n'explicite en rien le classement opéré ; que la disposition de l'Ordonnance Souveraine classant un bâtiment au nombre des éléments de bâti remarquables est divisible du reste de cette Ordonnance Souveraine ; que sa légalité peut donc être contestée par voie d'exception ; que le classement de la Villa L. par cette disposition n'est pas légalement justifié ;

Attendu que le requérant sollicite, ensuite, pour la clarté des débats, que soit ordonnée la production, même s'ils sont simplement consultatifs selon le b) de l'article 3 de la loi n° 1.446 du 12 juin 2017, des avis rendus par le Conseil du patrimoine les 29 mars 2019 et 24 janvier 2020 ;

Attendu que M. M. soutient, à titre subsidiaire, que quand bien même il conviendrait de reconnaître un intérêt patrimonial, architectural ou historique à la Villa L., un tel intérêt ne justifierait pas le classement intégral du bâtiment mais celui de sa seule façade principale ; que la protection de ses façades latérales n'est pas fondée en l'absence d'éléments architecturaux dignes d'intérêt, dès lors qu'elles sont totalement lisses et que, contrairement à la motivation de la décision du 25 février 2021 du Ministre d'État, leur modification peut être effectuée sans altérer les dégagements et la mise en valeur de la façade principale ;

Attendu que M. M. soutient, enfin, que la servitude contestée, instituée sans garantie procédurale, porte une atteinte excessive et disproportionnée à son droit de propriété, constitutionnellement garanti ; que le classement en bâtiment remarquable interdit, en effet, toute démolition et toute valorisation d'un patrimoine immobilier familial, dans un contexte territorial marqué par la nécessité d'étendre les possibilités de construction ; que contrairement à ce qui est prévu en droit français, aucune enquête publique ou procédure contradictoire préalable n'est prévue en droit monégasque ; qu'il ajoute qu'il n'a pas été mis en mesure de défendre son projet d'extension devant le Conseil du patrimoine ; que, dès lors, le Tribunal Suprême doit exercer un contrôle approfondi sur le bien-fondé des mesures de classement en bâtiment remarquable ; que, par suite, les décisions attaquées sont entachées d'illégalité ;

 

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 22 décembre 2021, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État précise que la Villa L., construite en 1875 et située au croisement de trois voies bordées de nombreux immeubles anciens, les rues P. A., P. F. et G., est exceptionnelle et même unique par son style, sa construction, son ornementation et son couronnement ; qu'elle a été définie comme remarquable par l'Ordonnance Souveraine n° 15.627 du 13 janvier 2003 portant délimitation, plans de coordination et règlement particulier d'urbanisme, de construction et de voirie du quartier ordonnancé de la G. (quartier de la G., zone 5, lot 1) ; que l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 lui a conféré le statut d'élément de bâti remarquable ; que par décision du 12 janvier 2021, il a rejeté la demande de M. M. tendant à ce que soit réexaminé le classement de la villa afin, à titre principal, d'en prononcer le déclassement ou, à titre subsidiaire, de réduire le classement à la seule façade principale ;  qu'il a aussi implicitement rejeté le recours gracieux formé contre sa décision ;

Attendu que le Ministre d'État soutient que n'est pas fondé le moyen tiré de l'exception d'illégalité des dispositions de l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 modifiée qui confèrent à la Villa L. le statut d'élément de bâti remarquable ; que le caractère remarquable de cette villa a été reconnu avant même l'adoption de cette Ordonnance Souveraine par une Ordonnance Souveraine n° 15.627 du 13 janvier 2003 ; qu'il ressort de l'étude sur les éléments de bâti remarquables diligentée par la Direction de la Prospective, de l'Urbanisme et de la Mobilité que la Villa L., premier bâtiment à avoir bénéficié du statut d'élément de bâti remarquable, a une valeur patrimoniale reconnue et présente des caractéristiques propres particulièrement remarquables de par sa composition surmontée d'un fronton cintré, son ornementation, son couronnement constitué d'une corniche à modillons et sa toiture ; qu'elle est l'un des derniers et peut-être le dernier témoignage de bâtiments d'habitation de style néo-classique ; qu'elle répond toujours à l'heure actuelle à un impératif de sauvegarde du patrimoine culturel immobilier représentatif de l'histoire de Monaco, son ancienneté lui conférant une valeur exceptionnelle, universelle ou nationale au sens de l'article 5 bis de l'Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959 ; que le Tribunal Suprême a pris en compte, dans une affaire similaire (TS, 18 février 2008, SCI l. B. c/ État de Monaco), non seulement les éléments décoratifs existants mais également la place des villas concernées dans leur environnement et leur participation à la qualité résidentielle du quartier ; que si l'environnement de la Villa L. a évolué avec la construction d'immeubles de gabarits différents, cette évolution justifie de plus fort la conservation de son classement, étant précisé que la rue G. où elle est édifiée est bordée d'immeubles XIX^ème intéressants ; qu'ainsi, le maintien de son classement étant pleinement justifié, les dispositions de l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 modifiée ne sont entachées d'aucune illégalité ; que c'est donc à bon droit que le Ministre d'État a rejeté les demandes du requérant ;

Attendu que le Ministre d'État estime, ensuite, que la demande de production des avis des 29 mars 2019 et 24 janvier 2020 émis par le Conseil du patrimoine doit être écartée, ces avis ayant été formulés à l'occasion d'un projet de construction particulier et n'ayant donc pas à être versés aux débats de la présente instance ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en outre, que le maintien du classement des façades latérales de la Villa L. est le seul moyen de garantir la conservation des dégagements situés de chaque côté du bâtiment, lesquels assurent la mise en valeur de la façade principale par rapport aux immeubles mitoyens ; qu'il a été reconnu dans l'étude patrimoniale précitée que le plan de masse revêtait un intérêt particulier du fait que la Villa L. n'occupe pas toute la parcelle ;

Attendu que le Ministre d'État allègue, enfin, que doit être rejeté le moyen d'atteinte au droit de propriété résultant de ce que les propriétaires concernés n'auraient pas été consultés préalablement à l'adoption de l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 modifiée ; que, comme le reconnait lui-même le requérant, les vices de forme et de procédure dont un acte règlementaire pourrait être entaché ne peuvent pas être invoqués par voie d'exception mais seulement dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte règlementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux (CE, Ass., 18 mai 2018, Fédération des finances et des affaires économiques de la CFDT (CFDT Finances), n° 414583, au Recueil) ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, le requérant n'ayant exercé son droit de recours ni contre l'Ordonnance Souveraine n° 15.627 du 13 janvier 2003, ni contre celle du 13 septembre 2013 modifiée ; que, de plus, de jurisprudence constante, le droit de propriété consacré par l'article 24 de la Constitution n'est pas absolu et doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle et n'a ni pour objet, ni pour effet de s'opposer à l'adoption de dispositions d'urbanisme réglant dans l'intérêt général les conditions de construction ; qu'ainsi, les règles d'urbanisme qui ont pour effet de réduire les possibilités de construction sans entraîner aucune dépossession et sont inspirées par des considérations d'intérêt général ne méconnaissent pas le caractère inviolable du droit de propriété ; qu'ainsi, le classement en bâtiment remarquable dont a fait l'objet la Villa L. ne porte pas atteinte au droit de propriété ;

 

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 24 janvier 2022, par laquelle M. M. tend aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et sollicite que soit enjoint au Ministre d'État de produire l'étude de la Direction de la Prospective, de l'Urbanisme et de la Mobilité, réalisée par un architecte du patrimoine sur les éléments de bâti remarquables, dont il se prévaut dans sa contre-requête et dont il lui a refusé la communication par lettre du 14 janvier 2022 ;

Attendu que le requérant ajoute, tout d'abord, que le classement de la villa tient plus à une politique d'aménagement qu'à ses qualités propres ; qu'en effet, la villa jouxte côté mer l'ensemble des Jacarandas ; que lors des études précédant l'opération d'aménagement urbain de cet ensemble, l'une des hypothèses envisagées positionnait l'accès à ces nouveaux immeubles à l'emplacement de la Villa L. ; que le 1^er juillet 2002, M. M. a adressé une lettre au Conseiller de Gouvernement compétent pour s'alarmer de cette destruction programmée tout en proposant de participer au remodelage du quartier ; que, de plus, la Villa L. ne constitue pas un bâtiment remarquable au sens de la réglementation monégasque ; que l'article 17 de la loi n° 1.446 du 12 juin 2017 a inséré un article 5 bis dans l'Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959 définissant le patrimoine culturel immobilier, les monuments et les ensembles et prévoyant notamment l'évolution possible des éléments du patrimoine culturel et historique, ainsi qu'un article 5 ter précisant que la conservation des biens immobiliers n'exclut pas la possibilité, sur autorisation, de réaliser des travaux de modification de façade ou de toiture ainsi que des surélévations ; que la Villa L. n'est qu'une « villa » parmi d'autres qui ont déjà été démolies à Monaco, d'un style certes Belle Epoque mais illustré par des constructions plus remarquables comme le café et l'hôtel de Paris, les hôtels Hermitage et Métropole, le musée océanographique, l'opéra Garnier ainsi que les villas Sauber, Miraflores et Girasole ; qu'elle n'est pas mentionnée dans les ouvrages versés aux débats sur les villas de la Principauté ; qu'enfin, rien ne justifie une protection en totalité du bâtiment excluant ainsi toute surélévation ou prolongement de la construction sur sa partie arrière, alors que certains bâtiments remarquables ont déjà donné lieu à des autorisations de travaux affectant profondément leur aspect, tels que la Villa Belgica et l'hôtel de Paris ; qu'en outre, en l'état du droit applicable, rien n'indique qu'une construction puisse être qualifiée de remarquable à raison du plan de masse dans lequel elle s'inscrit ; que le Ministre d'État ne justifie pas de la régularité du classement de la façade arrière de la villa qui est dépourvue de tout élément remarquable ; que des bâtiments classés comme la Villa Belgica ou l'hôtel de Paris ont fait l'objet d'importants travaux, notamment de surélévation par adjonction d'une architecture moderne ; que des modifications très importantes apportées à des parties non remarquables d'un bâtiment ne sont pas nécessairement de nature à en perturber la perception et sont au contraire susceptibles d'en améliorer l'esthétique par des gestes architecturaux où le moderne met en valeur l'ancien ; qu'au cas présent, serait justifiée la limitation de la protection à la seule façade de la Villa L. qui constitue l'élément de bâti remarquable ; que la conservation de la seule façade sur rue a déjà été autorisée pour l'opération de la Villa M. ;

Attendu que M. M. maintient, en outre, que la décision de refus attaquée porte atteinte à son droit de propriété ; que la jurisprudence limitant le champ des moyens invocables dans le cadre d'une exception d'illégalité est propre au pays voisin et n'est pas transposable à l'espèce ; que n'est pas davantage invocable la décision du Tribunal Suprême du 18 février 2008, SCI L. B., rejetant la contestation du classement en bâtiment remarquable d'une villa de style Belle Epoque, comprise dans un ensemble de sept villas de remarquable facture et non d'une seule villa, anachronique et hétéroclite, isolée dans un ensemble urbain profondément modernisé ;

Attendu que M. M. fait valoir, de plus, que la limitation des contraintes de protection à la seule façade de la Villa L. permettrait de réaliser une opération de construction dans une perspective patrimoniale purement familiale et s'inscrirait dans l'objectif des autorités monégasques de densification de l'existant, la préservation du passé ne devant pas bloquer le développement de Monaco ;

Attendu que M. M. ajoute, enfin, qu'il est indispensable que, en sus des communications déjà sollicitées des deux avis du Conseil du patrimoine, le Tribunal Suprême ordonne le versement aux débats de l'étude de l'architecte du patrimoine sur les éléments de bâti remarquables diligentée par la Direction de la Prospective, de l'Urbanisme et de la Mobilité pour s'assurer que le caractère de bâtiment remarquable est reconnu à la Villa L. sur la base de critères objectifs et pertinents, également appliqués aux autres édifices pris en considération par cette étude ;

 

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 25 février 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu qu'il estime, tout d'abord, qu'est inopérant et contradictoire l'argument du requérant affirmant, d'une part, que c'est pour éviter sa destruction et à sa demande que la Villa L. a été définie comme remarquable, et ajoutant, d'autre part, que la Villa L. ne pourrait constituer un élément de bâti remarquable dans la mesure où elle n'est pas représentative de l'histoire de Monaco ; qu'il n'est pas nécessaire au regard de l'article 5 ter de l'Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959 qu'un bâtiment soit représentatif de l'histoire de Monaco pour se voir conférer le statut d'élément de bâti remarquable, dès lors que sa conservation est justifiée par un impératif de sauvegarde du patrimoine culturel immobilier représentatif de l'histoire de Monaco ; que c'est donc en vain que le requérant affirme que la Villa L. ne serait pas, en elle-même, représentative de l'histoire de Monaco dans la mesure où ne s'y rattacherait aucun personnage célèbre, aucun évènement, aucun organisme et aucune institution ; qu'en l'espèce, la qualité architecturale de la villa lui confère une valeur patrimoniale reconnue ; que constituant l'un des derniers bâtiments d'habitation néoclassique, en raison de la démolition de villas comparables lors de programmes immobiliers, elle répond, toujours aujourd'hui et de plus fort, à l'impératif de sauvegarde du patrimoine culturel immobilier représentatif de l'histoire de Monaco ; qu'est sans incidence la circonstance que la Villa L. ne soit pas mentionnée dans les ouvrages cités par le requérant à l'appui de sa demande ;

Attendu que le Ministre d'État allègue, en outre, que la circonstance que certains bâtiments, dans certains cas, puissent s'accommoder de modifications ne saurait permettre de poser en principe que tout bâtiment remarquable pourrait être modifié sans être altéré ; qu'en l'espèce, le maintien du classement des façades latérales constitue le seul moyen de garantir la conservation des dégagements situés de chaque côté du bâtiment, lesquels assurent la mise en valeur de la façade principale par rapport aux immeubles mitoyens ; qu'ainsi, la préservation de la Villa L. en tant qu'élément de bâti remarquable impose le maintien de son classement total ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, ensuite, concernant l'atteinte invoquée au droit de propriété portée par le classement de la Villa L. par une Ordonnance Souveraine du 13 septembre 2013, que le requérant, qui disposait d'un droit de recours contre cette Ordonnance Souveraine, ne l'a pas exercé ; que, par ailleurs, rien ne fait obstacle à la transposition de la jurisprudence du Conseil d'État français CFDT Finances, qui vise à préserver le maintien des textes réglementaires en vigueur qui n'ont pas été frappés de recours et à éviter la remise en cause de situations constituées pour de simples motifs de forme ;

Attendu que le Ministre d'État conclut au rejet des demandes de production des deux avis du Conseil du patrimoine de 2019 et 2020, ces avis, relatifs à un projet d'éventuelle surélévation de la Villa L., ne concernant pas la demande présentée dans la présente instance ; qu'en revanche, il verse aux débats l'étude demandée sur les éléments de bâti remarquables diligentée par la Direction de la Prospective, de l'Urbanisme et de la Mobilité,  la fiche très documentée relative à la Villa L. lui reconnaissant une valeur patrimoniale forte et la rangeant dans la catégorie des bâtiments à conserver dans la liste des éléments patrimoniaux protégés, ainsi que la fiche des immeubles remarquables de ….. dont il ressort que l'îlot 2 du quartier ….., où se trouve la Villa L., est un quartier ancien constitué à quelques exceptions près « d'un tissu homogène d'immeubles du XIX^ème siècle de gabarit et d'architecture similaires », l'étude ajoutant que « l'ornementation est foisonnante, notamment les balcons sur consoles à volutes créant ainsi une typologie bien particulière à la Condamine. Cette typologie mérite une attention spécifique » ; que ces documents permettent d'établir que l'erreur manifeste d'appréciation invoquée par le requérant n'est pas fondée ;

Vu la demande d'autorisation de triplique enregistrée au Greffe Général le 4 mars 2022 ;

Vu l'Ordonnance du 8 mars 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a accordé un ultime délai à fin de production d'une triplique ;

Vu la triplique, enregistrée au Greffe Général le 8 avril 2022, par laquelle M. M. tend aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;

Attendu qu'il ajoute, d'une part, que la prétendue demande de classement qu'il aurait formulée a été motivée par la contrainte, pour échapper à un projet d'expropriation et de démolition de la villa ; qu'il a d'ailleurs précisé que, le cas échéant, il préférerait « participer au remodelage du quartier » ; que l'imprécision de la notion d'« impératif de sauvegarde » justifie le contrôle du Tribunal Suprême ; que, de plus, est erronée l'affirmation que la Villa L. constituerait l'un des derniers témoignages d'habitation de style néoclassique ; que, de surcroit, la circonstance qu'ait été autorisée la démolition de bâtiments de style Belle Epoque n'autorise par l'État à faire peser des contraintes excessives et arbitraires sur le bâtiment de petite taille d'un particulier ; qu'enfin, le document versé par le Ministre d'État n'établit pas qu'il y avait lieu de classer la Villa L., alors qu'en revanche, il ressort des photo-montages produits au soutien de la requête que le projet de modification envisagé ne comprend aucun élargissement du bâti existant et s'insère parfaitement au cœur de l'ancien ;

Attendu que le requérant soutient que rien n'impose en droit monégasque la limitation des moyens d'exception d'illégalité d'un acte réglementaire aux seuls vices de légalité interne ; qu'en l'espèce, n'est d'ailleurs pas en cause un vice de procédure, dès lors que l'illégalité du classement tient à ce qu'il a pour fondement une règlementation illégale, pour reposer sur une loi inconstitutionnelle, la loi n° 1.146 du 12 juin 2017, en ce que ses dispositions imposent des restrictions au droit de propriété sans enquête publique préalable ou procédure contradictoire ;

Attendu que M. M. estime, enfin, que le Ministre d'État persiste, sans justification convaincante, à refuser de verser aux débats les avis sollicités du Conseil du patrimoine concernant le même projet du même propriétaire pour la même villa ; que l'examen de l'étude produite sur les éléments de bâti remarquables ne justifient pas le classement ; qu'il est notamment relevé que les façades latérales sont de très simple facture, que l'entrée doit se faire sur la façade latérale par l'intermédiaire d'un passage étroit, que la façade est relativement peu ornementée, que les ferronneries sont récentes, que les balcons à balustre ont été ajoutés postérieurement, provoquant la suppression des décors, et que le traitement des ouvertures du sous-sol et l'ajout de vitrages au rez-de-chaussée, au niveau des garde-corps, constituent des éléments de dénaturation de l'état initial du bâtiment ; que la fiche ne comporte aucune référence historique ; que, par ailleurs, la rue G. est aujourd'hui largement dénaturée par des constructions de toutes les décennies, notamment par les quatorze étages de l'immeuble en verre au n° 45 et les pastiches édifiés aux n^os 19, 23, 25 et 27 ; que l'erreur manifeste d'appréciation est ainsi caractérisée ; que lors des débats du Conseil National ayant précédé l'adoption de la loi n° 1.146 du 12 juin 2017, il a été rappelé que « Monaco est un pays qui de tous temps, a détruit pour reconstruire, a effacé son passé pour créer son futur » et que « l'histoire monégasque avait toujours privilégié les souvenirs mémoriels à la réalité virtuelle, considérant que rien ou presque à Monaco n'est éternel… » ;

Vu les observations sur le mémoire en triplique, enregistrées au Greffe Général le 12 mai 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que le Ministre d'État ajoute que la requête tente artificieusement de modifier le débat contentieux concernant les moyens susceptibles d'être invoqués par voie d'exception à l'encontre de l'acte réglementaire fondant la décision, en passant d'un débat sur la légalité de cet acte réglementaire, l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013, au regard de la loi n° 1.146 du 12 juin 2017, à un débat sur la constitutionnalité de cette loi au regard de l'article 24 de la Constitution ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir que, contrairement à ce que soutient le requérant, les éléments qu'il mentionne n'établissent pas que la Villa L. n'aurait pas une valeur patrimoniale forte ; qu'au contraire, le caractère remarquable du bâtiment provient de l'ornementation de la façade ainsi que du gabarit et de la toiture qui ont été préservés ; que la bichromie fortement prononcée « met en exergue l'écriture architecturale » ; que l'auteur de l'étude a conclu à la valeur patrimoniale forte de la villa qui appartient au corpus patrimonial monégasque qui compose la forme urbaine du quartier de ….. ; que la prescription retenue a été la conservation dans la liste des éléments patrimoniaux protégés ; que la circonstance qu'en raison de son environnement, la bâtiment a une valeur patrimoniale urbaine moyenne, liée à la présence d'un contexte hétéroclite, ne remet pas en cause cette prescription ; que la rue G. est, pour sa part, principalement bordée d'immeubles du XIX^ème siècle ; que compte tenu de l'emplacement de l'îlot, situé au pied du Rocher, de nombreux panoramas, vues et perspectives en covisibilité directe doivent être préservés ; que la rue G. n'est pas dénaturée dès lors qu'elle accueille principalement des immeubles intéressants du XIX^ème siècle ;

 

SUR CE,

 Vu les décisions attaquées ;

Vu les pièces produites et jointes aux dossiers ;

Vu la Constitution, notamment le B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959 modifiée, concernant l'urbanisme, la construction et la voirie ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 15.627 du 13 janvier 2003 portant délimitation, plans de coordination et règlement particulier d'Urbanisme, de Construction et de Voirie du quartier ordonnancé de la Gare ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 modifiée, portant délimitation et règlement d'urbanisme du secteur des quartiers ordonnancés ;

Vu la loi n° 1.446 du 12 juin 2017 relative à la préservation du patrimoine national ;

Vu l'Ordonnance du 26 octobre 2021 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Membre suppléant, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en chef adjoint en date du 23 mai 2022 ;

Vu l'Ordonnance du 16 janvier 2023 modifiée, par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 23 février 2023 ;

Ouï Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître François-Henri BRIARD, pour Monsieur M. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions par lesquelles il s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

1. Considérant que M. M., propriétaire de la Villa L., classée comme élément de bâti remarquable par l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 modifiée, portant délimitation et règlement d'urbanisme du secteur des quartiers ordonnancés, a demandé au Ministre d'État la suppression de ce classement ou, à défaut, la limitation du classement de ce bâtiment à sa seule façade sur rue ; que par une décision du 25 février 2021, le Ministre d'État a rejeté cette demande ; qu'il a ensuite rejeté implicitement le recours gracieux formé le 26 avril 2021 contre cette décision ; que M. M. demande au Tribunal Suprême l'annulation pour excès de pouvoir de ces décisions ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par sa décision du 25 février 2021, le Ministre d'État a rejeté la demande de M. M. en indiquant en particulier que, concernant un avant-projet d'extension et de surélévation de la Villa L., le Conseil du patrimoine, saisi les 29 mars 2019 et 24 janvier 2020, s'est opposé à ces modifications en estimant qu'il fallait maintenir le périmètre de protection ;

3. Considérant qu'il y a lieu pour le Tribunal Suprême, sur le fondement de l'article 32 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'inviter le Ministre d'État, en premier lieu, à apporter toutes précisions utiles sur le périmètre exact de protection de la Villa L. en tant qu'élément de bâti remarquable, sa consistance et sa portée, en deuxième lieu, à indiquer les mesures déjà envisagées par l'Administration pour des déclassements partiels d'éléments de bâti remarquables et la méthode pour les mettre en œuvre et, en dernier lieu, à produire les deux avis rendus par le Conseil du patrimoine sur saisines des 29 mars 2019 et 24 janvier 2020 ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

Le Ministre d'État est invité, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, à préciser le périmètre de protection de la Villa L. en tant qu'élément de bâti remarquable, sa consistance et sa portée, à indiquer la méthode de déclassement partiel d'un élément de bâti remarquable et à produire les deux avis du Conseil du patrimoine relatifs à la Villa L. sur saisines des 29 mars 2019 et 24 janvier 2020.

Article 2

Les dépens sont réservés.

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président et Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, et Madame Magali INGALL-MONAGNIER, Membre suppléant, rapporteur, et prononcé le dix mars deux mille vingt-trois en présence du Ministère public, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.

Le Greffier en Chef,                                    Le Président.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2022-03
Date de la décision : 10/03/2023

Analyses

Monsieur M. M. intente un recours en annulation pour excès de pouvoir à l'encontre de la décision du Ministre d'État tendant à la suppression du classement de la Villa L., dont il est le propriétaire, au nombre des éléments de bâti remarquables ou, à défaut, à la limitation du classement de ce bâtiment à sa seule façade sur rue et contre la décision implicite du rejet de son recours gracieux. De plus, ces décisions interviennent postérieurement au rejet des avis du Conseil du patrimoine qui s'était opposé à un avant-projet d'extension et de surélévation de la Villa L., en estimant qu'il fallait maintenir le périmètre de protection. Sur le fondement de l'article 32 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le Tribunal Suprême décide d'inviter le Ministre d'État, à apporter dans un délai d'un mois toutes les précisions utiles sur le périmètre exact de protection de la Villa L. en tant qu'élément de bâti remarquable, de sa consistance et de sa portée. Il lui demande également d'indiquer les mesures déjà envisagées par l'Administration pour des déclassements partiels d'éléments de bâti remarquables et la méthode pour les mettre en œuvre et, en dernier lieu, de produire les deux avis rendus par le Conseil du patrimoine.

Culture et patrimoine  - Immeuble à usage d'habitation  - Règles d'urbanisme.

Immeubles - Bâti remarquable - Déclassement - Recours en annulation - Sursis à statuer.


Parties
Demandeurs : Monsieur M. M.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

loi n° 1.146 du 12 juin 2017
Ordonnance Souveraine n° 15.627 du 13 janvier 2003
Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959
loi n° 1.446 du 12 juin 2017
articles 16 et 17 de la loi n° 1.146 du 12 juin 2017
article 5 bis de l'Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959
Vu la Constitution
article 24 de la Constitution
TS, 18 février 2008, SCI l. B. c/ État de Monaco
article 3 de la loi n° 1.446 du 12 juin 2017
Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
article 5 ter de l'Ordonnance-Loi n° 674 du 3 novembre 1959
article 17 de la loi n° 1.446 du 12 juin 2017


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2023-03-10;ts.2022.03 ?

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