TRIBUNAL SUPRÊME
TS 2022-14
Affaire :
Madame B. et autres
Contre :
État de Monaco
DÉCISION
Audience du 24 février 2023
Lecture du 10 mars 2023
Recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 9 novembre 2021 du Conseiller de Gouvernement – Ministre des Finances et de l'Économie rejetant la demande de Mme B. et MM. L. tendant à la rétrocession à leur profit du capital versé par G. M. lors de la souscription de son contrat « habitation-capitalisation » et de la décision du 9 février 2022 du Ministre d'État, rejetant leur recours hiérarchique contre cette décision ainsi qu'à la condamnation de l'État de Monaco à leur verser la somme 201.420,68 euros, montant du capital versé lors de la souscription du contrat « habitation-capitalisation ».
En la cause de :
Madame M. B. ;
Monsieur J-Y. L. ;
Monsieur S. L. ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe BALLERIO, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur ;
Contre :
L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
Visa
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Section administrative
Vu la requête présentée par Madame M. B., Monsieur J-Y L. et Monsieur S. L., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 11 avril 2022 sous le numéro TS 2022-14, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 9 novembre 2021 du Conseiller de Gouvernement – Ministre des Finances et de l'Economie rejetant leur demande de rétrocession à leur profit du capital versé par G. M. de la souscription de son contrat « habitation-capitalisation » et de la décision du 9 février 2022 du Ministre d'État rejetant leur recours gracieux contre cette décision et, d'autre part, à la condamnation de l'État à leur verser la somme de 201.420,68 euros, montant du capital versé lors de la souscription du contrat « habitation-capitalisation » ainsi qu'aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que les requérants exposent, à l'appui de leur requête, que G. M. a souscrit le 4 mai 2016 un contrat « habitation-capitalisation » et versé un capital de 201.420,68 euros ; qu'il est décédé le 22 mars 2021 ; que, par courrier du 4 octobre 2021, Monsieur R. M., frère de G. M., Madame M. B., sa sœur, ainsi que Messieurs J-Y. et S. L., ses neveux, ont, en leur qualité d'héritiers, adressé à l'Administration une demande de rétrocession à leur profit du montant du capital versé à l'occasion de la souscription du contrat « habitation-capitalisation » ; que par une décision du 9 novembre 2021, le Conseiller de Gouvernement – Ministre des Finances et de l'Economie a rejeté cette demande en précisant que la conclusion du contrat s'était effectuée à l'initiative de G. M., que la succession du défunt n'avait pas encore été réglée et qu'il était présumé être sain de corps et d'esprit et apte à disposer de son capital afin de conclure un contrat « habitation-capitalisation » pour l'appartement dans lequel il résidait ; que par un courrier du 11 janvier 2022, Mme M. B., M. R. M. et MM. J-Y. et S. L. ont formé devant le Ministre d'État un recours hiérarchique contre la décision de refus de leur rétrocéder le montant du capital versé ; qu'à l'appui de leur demande, ils ont confirmé que la succession de G. M. était effectivement ouverte et qu'ils étaient bien désignés comme ses héritiers ; qu'ils ont sollicité l'application à la succession de l'article 636 du Code civil ; qu'ils ont précisé qu'à défaut de désignation d'un bénéficiaire du contrat « habitation-capitalisation », faute de descendant et de conjoint, le bénéfice dudit contrat est déterminé par application des règles de droit commun ; que par une décision du 9 février 2022, le Ministre d'État a rejeté leur demande au motif que « la loi n° 1.357 du 19 février 2009, dont les dispositions d'ordre public sont dérogatoires au droit commun, exclut expressément du bénéfice du contrat toutes personnes autres que les bénéficiaires désignés, lesquels ne peuvent être que le conjoint, le partenaire d'un contrat de vie commune ou les héritiers en ligne directe du titulaire du contrat, à condition qu'ils soient de nationalité monégasque » ;
Attendu qu'à l'appui de leur requête, Mme B. et MM. L. soutiennent, tout d'abord, pour obtenir l'annulation des décisions qu'ils attaquent, que la décision du 9 novembre 2021 est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle méconnaît les dispositions de l'article 27 de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 et celles de l'article 636 du Code civil ; que l'article 27 de cette loi dispose que « le bénéfice du contrat « habitation-capitalisation » au profit d'un bénéficiaire désigné échappe aux règles de droit commun applicable à la succession du titulaire décédé » ; que cette disposition, par une interprétation a contrario, implique qu'à défaut de désignation d'un bénéficiaire dans le contrat « habitation-capitalisation », les règles de droit commun ont vocation à s'appliquer ; que l'article 636 du Code civil dispose que « la succession d'une personne décédée sans laisser ni postérité, ni père ou mère, est dévolue aux frères et sœurs, ou descendants de ceux-ci, à l'exclusion des autres ascendants et collatéraux » ; que G. M. n'ayant eu aucune descendance, il ne pouvait renseigner les mentions relatives aux bénéficiaires désignés lors de la souscription du contrat et, à défaut de désignation d'un bénéficiaire, le bénéfice dudit contrat devrait être réglé selon le règles de droit commun applicables à la succession ; qu'en modifiant, par la loi n° 1.514 du 10 décembre 2021, la loi n° 1.357 du 19 février 2009 à propos du sort du capital du contrat « habitation-capitalisation » en cas de décès du titulaire, le législateur a souhaité qu'en l'absence de bénéficiaire désigné au décès du titulaire d'un tel contrat, le capital exigible, ou son solde, soit versé à la succession du titulaire décédé ; qu'en privant les héritiers de G. M. de la rétrocession du capital versé lors de la souscription du contrat « habitation-capitalisation », la décision attaquée du 9 novembre 2021 méconnaît les nouvelles dispositions législatives ;
Attendu que Mme B. et MM. L. allèguent, ensuite, que la décision du 9 novembre 2021 méconnaît les dispositions de l'article 977 du Code civil qui disposent qu'« on est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants droits, à moins que le contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature de la convention » ; qu'en s'engageant, à soixante-seize ans, sans descendance ni conjoint, dans un contrat « habitation-capitalisation », G. M. a manifestement entendu stipuler pour lui-même et pour ses héritiers ; que, par voie de conséquence, le refus de transférer le capital investi dans la succession ouverte prive les héritiers de leur droit à succession ;
Attendu que Mme B. et MM. L. soutiennent, en outre, que la décision du 9 novembre 2021 viole l'esprit de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 dans la mesure où l'objet d'un contrat « habitation-capitalisation » se rapproche d'un contrat d'investissement, comparable à un contrat d'assurance-vie ; que la cause de ce type de contrat vise à transmettre un capital en cas de décès ; qu'à l'instar du contrat d'assurance-vie, la transmission des primes en cas de décès, s'il n'existe aucun bénéficiaire nommément désigné, devrait réintégrer l'actif successoral ; que la loi n° 1.514 du 10 décembre 2021 a modifié l'article 33 de la loi n° 1.351 en ce sens, en précisant qu'« en l'absence de bénéficiaire désigné (…) le capital exigible, ou son solde, est versé à la succession du titulaire décédé, selon les modalités prévues par ordonnance souveraine » ;
Attendu, par ailleurs, que Mme B. et MM. L. soutiennent que la décision du 9 février 2022 du Ministre d'État méconnaît l'article 636 du Code civil et l'article 17 de la Constitution ; que cette décision se fonde sur les dispositions de l'article 33, dans leur version antérieure à la loi n° 1.514 du 10 décembre 2021 ; qu'il s'avère que cette disposition est et était illégale en ce qu'elle porte atteinte aux droits des héritiers du titulaire du contrat et aux règles de droit commun de la succession ; que, de surcroit, cette disposition méconnaît le principe d'égalité entre les Monégasques puisque sous l'empire de la loi nouvelle, le capital exigible est désormais reversé, en cas de décès du titulaire et en l'absence de bénéficiaire désigné, à la succession alors que, dans une situation comparable, le capital est acquis à l'État sous l'empire de la loi du 19 février 2009 ;
Attendu, enfin, que Mme B. et MM. L. soutiennent que les décisions qu'ils attaquent leur ont causé un préjudice dans la mesure où ils n'ont pu disposer du capital investi par G. M. à l'occasion de la souscription du contrat « habitation-capitalisation » ; qu'ils estiment que l'actif de la succession de feu G. M. serait lésé de la somme de 201.420,68 euros, correspondant au capital versé lors de la souscription du contrat ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 13 juin 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation de Mme B. et de MM. L. aux entiers dépens ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, tout d'abord, qu'il a fait une exacte application des dispositions des articles 27, 32 et 33 de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 1.514 du 10 décembre 2021 ; que l'article 32 prévoyait que « le contrat « habitation-capitalisation » est résilié de plein droit par l'État : / 1°) en cas d'absence de bénéficiaire désigné au décès du titulaire du contrat (…) » ; qu'en vertu de l'article 33 : « En l'absence de bénéficiaire désigné au décès du titulaire du contrat, le Ministre d'État prononce la résiliation du contrat. (…) En l'absence de bénéficiaire désigné et, de personne mentionnée au premier alinéa de l'article 30 (…) ce capital reste acquis à l'État » ; qu'il se déduit de ces dispositions que la loi n° 1.357 du 19 février 2009 institue une dérogation à la règle générale posée par l'article 636 du Code civil selon laquelle « la succession d'une personne décédée sans laisser ni postérité, ni père ou mère, est dévolue aux frères et sœurs, ou descendants de ceux-ci, à l'exclusion des autres ascendants et collatéraux » ; que le fait que la loi n° 1.514 du 10 décembre 2021 soit venue modifier les règles de dévolution du capital en cas de décès du titulaire est sans incidence sur le cas d'espèce ; que la nouvelle législation ne s'appliquait pas au moment du décès de G. M. ; que la décision du 9 novembre 2021 ne méconnaît donc pas l'article 27 de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 ;
Attendu que le Ministre d'État estime, ensuite, que la décision du 9 novembre 2021 n'a pas méconnu l'article 977 du Code civil ; que cette disposition ne permet pas d'interpréter tout engagement contractuel comme ayant été souscrit au profit de celui qui y consent et à celui de ses héritiers ; que dans la rédaction applicable à la date de la négociation du contrat, la loi n° 1.357 du 19 février 2009 ne permettait pas à G. M. de prévoir qu'en cas de décès, le capital investi serait transmis à ses frères et sœurs ou aux descendants de ceux-ci ; que l'article 26 de la loi du 19 février 2009 prévoyait expressément que le bénéfice du contrat était transmis « au conjoint de nationalité monégasque ainsi qu'aux descendants en ligne directe de nationalité monégasque dudit titulaire, en qualité de bénéficiaires désignés, dès la notification du décès au Ministre d'État » ; que si ce texte a été complété par la loi n° 1.481 du 17 décembre 2019 qui étend le bénéfice du contrat « au partenaire d'un contrat de vie commune de nationalité monégasque », il n'était pas possible de reverser le capital investi à d'autres personnes que celles mentionnées par l'article 30 de la loi du 19 février 2009 ; que l'article 30-1 de la loi, qui permet désormais de mentionner jusqu'à trois personnes physiques comme bénéficiaires désignés dans un contrat « habitation-capitalisation », n'a été introduit dans cette loi que postérieurement au décès de G. M. ; qu'en conséquence, celui-ci ne pouvait être considéré comme ayant souhaité transmettre à ses héritiers le capital versé lors de la conclusion du contrat ;
Attendu que le Ministre d'État considère, par ailleurs, qu'est inexacte l'affirmation selon laquelle un contrat « habitation-capitalisation » aurait pour objet la transmission d'un capital au moment du décès de son titulaire ; que contrairement à ce que soutiennent les requérants, le contrat « habitation-capitalisation » n'est pas comparable à un contrat d'assurance-vie ; que la possibilité de transmettre le capital investi à une personne autre que le conjoint non séparé de corps et les descendants en ligne directe n'a été introduite dans la loi n° 1.357 du 19 février 2009 que par la loi n° 1.514 du 10 décembre 2021 ; qu'antérieurement, le contrat « habitation-capitalisation » prévoyait expressément qu'à défaut de conjoint ou de descendant en ligne directe, le capital exigible lors du décès du titulaire « reste acquis à l'État » ;
Attendu, enfin, que selon le Ministre d'État, les nouvelles dispositions des articles 30 et 30-1 de la loi du 19 février 2009 constituent une réforme en profondeur du mécanisme du contrat « habitation-capitalisation » ; qu'il en résulte que les héritiers du titulaire d'un contrat bénéficiant du régime issu de la loi du 10 décembre 2021 ne sont pas placés dans la même situation que les héritiers du titulaire d'un contrat régi par la loi du 19 février 2009 dans sa version antérieure ; que dans ces conditions, la décision du 9 février 2022 ne créé pas une inégalité entre les Monégasques puisqu'elle se borne à appliquer la loi dans la rédaction antérieure à celle résultant de la loi du 10 décembre 2021 ; qu'il convient, en conséquence, de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par les requérants en rappelant qu'en vertu de l'article 33 du contrat « habitation-capitalisation » signé le 4 mai 2016 par G. M., le capital exigible reste acquis à l'État lorsque le titulaire décède sans avoir désigné de bénéficiaire ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 13 juillet 2022, par laquelle Mme B. et MM. L. tendent aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que les requérants ajoutent qu'ils sont bien, avec M. R. M., les héritiers de G. M. ; que la décision du 9 novembre 2021 méconnaît les dispositions de l'article 27 de la loi n° 1.357 au motif qu'une interprétation a contrario de ce dernier imposerait d'appliquer le droit commun au bénéficiaire d'un contrat « habitation-capitalisation » ; qu'en refusant de faire droit à la demande de restitution de la somme versée lors de la conclusion du contrat « habitation-capitalisation », la décision du 9 novembre 2021 est illégale ;
Attendu que les requérants soutiennent, ensuite, qu'en souscrivant un contrat « habitation-capitalisation » à l'âge de soixante-seize ans, sans descendant ni conjoint et en payant comptant la somme de 201.420,68 euros, G. M. a ainsi entendu souscrire un contrat d'investissement pour lui et au bénéfice de ses héritiers ; qu'ils contestent l'interprétation faite par le Ministre d'État de l'article 977 du Code civil, cette disposition pouvant être interprétée comme une stipulation pour autrui ; que le refus de faire droit à leur demande de restitution méconnaît les dispositions de l'article 977 du Code civil ainsi interprétées ;
Attendu que Mme B. et MM. L. font également valoir que la décision attaquée du 9 novembre 2021 méconnaît les stipulations du contrat « habitation-capitalisation » et les dispositions de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 ; que l'esprit du dispositif s'apparente à celui d'un contrat d'assurance-vie ; que dans ce cadre, le capital investi par G. M. n'avait pas vocation à revenir à l'État mais à ses héritiers ; que la réforme du contrat « habitation-capitalisation » intervenue par la loi du 10 décembre 2021 confirme cette interprétation puisque le contrat a désormais vocation à favoriser la constitution d'un patrimoine familial transmissible ; que l'article L. 132-11 du Code des assurances dispose que « lorsque l'assurance en cas de décès a été conclue sans désignation d'un bénéficiaire, le capital ou la rente garantis font partie du patrimoine ou de la succession du contractant » ; que le contrat « habitation-capitalisation » signé le 4 mai 2016, qui se rapproche d'un contrat d'assurance-vie, a été conclu afin de transmettre le capital de 201.420,68 euros aux héritiers de feu G. M. ;
Attendu que les requérants invoquent, en outre, une méconnaissance des articles 2 et 24 de la Constitution ; que la décision du 9 novembre 2021, en refusant de reverser le capital investi dans le contrat « habitation-capitalisation », conduit à priver les héritiers de leur droit de propriété, qui est un droit fondamental ; qu'il est possible d'écarter les dispositions de la loi n° 1.357 du 19 février 2009, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 1.514 du 10 décembre 2021, au motif d'une atteinte disproportionnée aux droits des héritiers ;
Attendu que Mme B. et MM. L. réitèrent, enfin, leur demande d'appliquer le droit commun, en l'occurrence l'article 977 du Code civil ; qu'à défaut de désignation d'un bénéficiaire du contrat « habitation-capitalisation », les règles du droit commun devaient s'appliquer à la succession de feu G. M. ; qu'en refusant de faire droit à leur demande de restitution, les décisions attaquées sont illégales ; que ces décisions ont causé préjudice aux requérants dans la mesure où le capital investi dans le cadre de la souscription du contrat « habitation-capitalisation » n'a pu être versé à la succession de feu G. M. ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 16 août 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que le Ministre d'État ajoute, en premier lieu, que l'interprétation faite par les requérants de l'article 27 de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 ne saurait être retenue ; que cette disposition ne présente aucune difficulté d'interprétation puisqu'elle prévoit expressément une dérogation aux règles applicables à la succession du titulaire décédé en précisant « qu'en l'absence de bénéficiaire désigné et de personne mentionnée au premier alinéa de l'article 30, le capital exigible reste acquis à l'État » ; que dès lors, la décision du 9 novembre 2021, qui applique cette règle, n'est pas illégale ;
Attendu, en deuxième lieu, que, selon le Ministre d'État, l'interprétation défendue par les requérants de l'article 977 du Code est infondée ; que cette disposition pose la règle selon laquelle l'engagement d'un contractant s'impose à ses héritiers ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en troisième lieu, qu'il est inexact de rapprocher le contrat « habitation-capitalisation » d'un contrat d'investissement tel le contrat d'assurance-vie ; que l'article 30 de la loi 1.357 du 19 février 2009 prévoyait qu'en cas d'absence de bénéficiaire désigné, le capital restait acquis à l'État ; que le contrat « habitation-capitalisation » permet à son souscripteur de se loger sans avoir à s'acquitter d'un loyer tandis que le contrat assurance-vie est un contrat d'épargne ; que les deux types de contrats diffèrent ainsi par leur objet ;
Attendu qu'en quatrième lieu, le Ministre d'État rejette toute méconnaissance par la décision du 9 novembre 2021 du droit constitutionnel de propriété, garanti par l'article 24 de la Constitution ; qu'en versant intégralement le capital en exécution du contrat, G. M. n'a pas entendu que ce capital revienne à ses héritiers ; que sinon, il n'aurait pas conclu ce contrat ; que les dispositions de l'article 30 de la loi n° 1.357 ont été modifiées par la loi n° 1.514 du 10 décembre 2021, soit postérieurement au décès de G. M. ; que les dispositions de l'article 33 de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit fondamental d'obtenir le versement du capital engagé dans la mesure où la somme revendiquée ne faisait plus partie du patrimoine au jour du décès de feu G. M. ;
Attendu, que le Ministre d'État rejette, en dernier lieu, l'argumentation selon laquelle la décision du 9 février 2022 méconnaitrait l'article 636 du Code civil, qu'elle aurait violé l'article 17 de la Constitution, qu'elle méconnaitrait les stipulations du contrat et qu'il conviendrait au Tribunal Suprême d'écarter l'application des dispositions de l'article 33 de la loi 1.357 du 19 février 2009 ; que ces moyens ne sont pas plus fondés que ceux dirigés contre la décision du 9 novembre 2021 ;
SUR CE,
Vu les décisions attaquées ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution, notamment le B de son article 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu le Code civil ;
Vu la loi n° 1.357 du 19 février 2009 modifiée, définissant le contrat « habitation-capitalisation » dans le secteur domanial ;
Vu la loi n° 1.514 du 10 décembre 2021 portant modification de certaines dispositions de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 définissant le contrat « habitation-capitalisation » dans le secteur domanial ;
Vu l'Ordonnance du 12 avril 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Philippe BLACHER, Membre titulaire, comme rapporteur ;
Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef adjoint en date du 23 août 2022 ;
Vu l'Ordonnance du 13 janvier 2023 modifiée, par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 24 février 2023 ;
Ouï Monsieur Philippe BLACHER, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître Christophe BALLERIO, Avocat-Défenseur, pour Madame M. B., Monsieur J-Y. L. et Monsieur S. L. ;
Ouï Maître François MOLINIE, Président de l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions tendant au rejet de la requête ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
Motifs
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que G. M. a souscrit le 4 mai 2016 un contrat « habitation-capitalisation » et versé à l'État un capital de 201.420, 68 euros ; qu'il est décédé le 22 mars 2021 ;que, par courrier du 4 octobre 2021, Monsieur R. M., frère de G. M., Madame M. B., sa sœur, ainsi que Messieurs J-Y. et S. L., ses neveux, ont, en leur qualité d'héritiers, adressé à l'Administration une demande de rétrocession à leur profit du montant du capital versé à l'occasion de la souscription du contrat « habitation-capitalisation » ; que par une décision du 9 novembre 2021, le Conseiller de Gouvernement – Ministre des Finances et de l'Economie a rejeté cette demande ; que par un courrier du 11 janvier 2022, Mme M. B., M. R. M. et MM. J-Y. et S. L. ont formé devant le Ministre d'État un recours hiérarchique contre la décision de refus de leur rétrocéder le montant du capital versé ; que par une décision du 9 février 2022, le Ministre d'État a rejeté ce recours ; que Mme M. B., M. J-Y. L. et M. S. L. demandent au Tribunal Suprême l'annulation pour excès de pouvoir de ces décisions et la condamnation de l'État à leur verser la somme de 201.420,68 euros, montant du capital versé lors de la souscription du contrat « habitation-capitalisation » ;
2. Considérant, d'une part, que l'article 636 du Code civil dispose que « la succession d'une personne décédée sans laisser ni postérité, ni père ou mère, est dévolue aux frères et sœurs, ou descendants de ceux-ci, à l'exclusion des autres ascendants et collatéraux» ; qu'en vertu de l'article 977 du même code, « on est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants cause, à moins que le contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature de la convention» ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1^er de la loi du 19 février 2009 définissant le contrat « habitation-capitalisation » dans le secteur domanial, dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 décembre 2021 portant modification de certaines dispositions de cette loi : « Est qualifiée de contrat « habitation-capitalisation », et soumise aux dispositions de la présente loi, la convention de droit privé qui présente les caractères généraux énoncées ci-après : – l'engagement de l'État de conférer au titulaire du contrat un droit personnel d'habitation d'un appartement mentionné à l'article 2, à titre onéreux, et pour une durée de 75 ans à l'issue de laquelle un nouveau contrat peut être conclu dans les conditions prévues par la présente loi ; – l'indication d'un prix dont les modalités de calcul et le mode de versement sont fixés par la présente loi ; – la faculté pour le titulaire d'opter à tout moment pour la renonciation au bénéfice du contrat, et d'obtenir alors le paiement, dans les conditions prévues par la présente loi, d'un capital correspondant aux sommes par lui investies en exécution du contrat ; – au décès du titulaire, l'attribution du bénéfice du contrat « habitation-capitalisation » à son conjoint de nationalité monégasque, à son partenaire de vie commune de nationalité monégasque et à ses descendants en ligne directe de nationalité monégasque» ;
4. Considérant que l'article 26 de la même loi, dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 décembre 2021, dispose que « le décès du titulaire du contrat « habitation-capitalisation » transfère le bénéfice de celui-ci au conjoint de nationalité monégasque, au partenaire d'un contrat de vie commune de nationalité monégasque ainsi qu'aux descendants en ligne directe de nationalité monégasque dudit titulaire, en qualité de bénéficiaires désignés, dès la notification du décès au Ministre d'État »; que l'article 27 de la même loi précise que « le bénéfice du contrat « habitation-capitalisation » au profit d'un bénéficiaire désigné échappe aux règles de droit commun applicables à la succession du titulaire décédé. / Le bénéficiaire désigné est réputé avoir eu droit au bénéfice du contrat dès sa conclusion. / Lorsque le bénéficiaire désigné a également la qualité d'héritier du titulaire décédé, il conserve le droit au bénéfice du contrat « habitation-capitalisation» même en cas de renonciation de sa part à la succession. / Les sommes dues au bénéficiaire désigné (…) en exécution du contrat « habitation-capitalisation » échappent aux poursuites des créanciers du titulaire décédé » ; qu'aux termes de l'article 32 de la même loi : « Le contrat « habitation-capitalisation » est résilié de plein-droit par l'État : / 1°) en cas d'absence de bénéficiaire désigné au décès du titulaire du contrat ; /(…) » ; que l'article 33 de la même loi, dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 décembre 2021, dispose : « En l'absence de bénéficiaire désigné au décès du titulaire du contrat, le Ministre d'État prononce la résiliation du contrat. /(…) / En l'absence de bénéficiaire désigné (…), le capital exigible reste acquis à l'État » ; qu'en vertu de son article 45, les dispositions de la loi du 19 février 2009 sont d'ordre public ;
5. Considérant que la loi du 10 décembre 2021 a inséré dans la loi du 19 février 2009 un article 30-1 ainsi rédigé : « Le titulaire peut désigner lors de la souscription du contrat « habitation-capitalisation » jusqu'à trois personnes physiques de son choix qui pourront prétendre au versement du capital exigible à concurrence du pourcentage qu'il aura déterminé, en cas de décès de ce titulaire, en l'absence de bénéficiaire désigné (…). / À défaut de désignation lors de la souscription du contrat « habitation-capitalisation », le titulaire peut, à tout moment, désigner ces personnes et préciser le pourcentage de répartition entre elles du capital exigible au moyen d'un formulaire disponible auprès de l'Administration des Domaines, qui doit lui être retourné dûment rempli et accompagné des pièces justificatives requises, laquelle en accuse réception. / (…) / Cette ou ces personnes peuvent prétendre au pourcentage déterminé par le titulaire du capital résultant des sommes antérieurement versées en exécution du contrat « habitation-capitalisation » et calculé dans les conditions prévues à l'article 23. / (…)» ; qu'elle a modifié l'article 33 de la même loi pour prévoir, d'une part, qu'au décès du titulaire du contrat, en l'absence de bénéficiaire désigné, l'État verse à la ou aux personnes désignées par le titulaire en application de l'article 30-1, la part du capital leur revenant et d'autre part, qu'en l'absence de personnes ainsi désignées ou en cas de refus par le bénéficiaire désigné ou par ces personnes de leur part du capital, « le capital exigible, ou son solde, est versé à la succession du titulaire décédé, selon les modalités prévues par ordonnance souveraine. Lorsque la succession est vacante, ce capital reste acquis à l'État» ; que l'article 17 de la loi du 10 décembre 2021 précise que les dispositions de la loi « s'appliquent aux contrats « habitation-capitalisation » en cours à la date de leur entrée en vigueur » ;
6. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions de la loi du 19 février 2009, dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 décembre 2021, que le conjoint de nationalité monégasque, le partenaire d'un contrat de vie commune de nationalité monégasque et les descendants en ligne directe de nationalité monégasque du titulaire du contrat « habitation-capitalisation » ont seuls la qualité de bénéficiaires désignés du contrat au décès de son titulaire ; qu'en l'absence de bénéficiaire désigné au décès du titulaire du contrat, le capital exigible reste acquis à l'État ; que ces dispositions dérogent à l'article 636 du Code civil ;
7. Considérant, en premier lieu, que la liberté du législateur de modifier les règles de transmission du capital versé en exécution d'un contrat « habitation-capitalisation » implique que les personnes auxquelles ont été appliquées les dispositions de la loi du 19 février 2009 dans leur rédaction antérieure à leur modification par la loi du 10 décembre 2021 ne se trouvent pas dans la même situation que celles auxquelles s'appliquent les nouvelles dispositions ; que le moyen tiré de ce que les dispositions de la loi du 19 février 2009 dans leur rédaction antérieure à la loi du 10 décembre 2021 méconnaîtraient le principe d'égalité ne peut, en conséquence, qu'être écarté ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu'il est loisible à toute personne, dans l'exercice de son droit de propriété garanti par l'article 17 de la Constitution, de décider, dans les conditions et limites prévues par la loi, que des éléments de son patrimoine seront transmis, à son décès, à d'autres personnes que celles qui sont ses héritiers en application des dispositions du code civil ; qu'une personne célibataire et sans enfant de nationalité monégasque ayant souscrit en toute connaissance de cause un contrat « habitation-capitalisation » selon les modalités prévues par la loi du 19 février 2009, dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 décembre 2021, doit être regardée comme ayant fait usage de cette faculté ; que, par suite, les requérants ne sauraient utilement soutenir que les dispositions de la loi du 19 février 2009 portent atteinte aux droits des héritiers du titulaire d'un contrat « habitation-capitalisation » garantis par l'article 17 de la Constitution ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que G. M. était célibataire et sans descendant en ligne directe ; que le contrat « habitation-capitalisation » qu'il a souscrit n'avait donc pas de bénéficiaire désigné au sens des dispositions de la loi du 19 février 2009 dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 décembre 2021; qu'en outre, G. M. n'a pas fait usage de la faculté, dont dispose tout titulaire d'un contrat « habitation-capitalisation » en vertu de l'article 1^er de la même loi, d'opter à tout moment pour la renonciation au bénéfice du contrat ; qu'à son décès, survenu le 22 mars 2021, et en l'absence de bénéficiaire désigné, le contrat « habitation-capitalisation » qu'il a souscrit a été résilié de plein droit et le capital qu'il a versé est resté acquis à l'État en application des dispositions de la loi du 19 février 2009 dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 décembre 2021 ; que si le Ministre d'État s'est prononcé sur le recours hiérarchique des requérants postérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 10 décembre 2021, celles-ci n'étaient pas applicables au contrat « habitation-capitalisation » souscrit par G. M. et résilié en raison de son décès en mars 2021 ; qu'ainsi, en rejetant la demande des requérants, les auteurs des décisions attaquées ont fait une exacte application des dispositions de la loi du 19 février 2009 ;
10. Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les requérants ne peuvent utilement soutenir que les décisions attaquées auraient méconnu l'article 636 du Code civil ;
11. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 8 qu'en souscrivant un contrat « habitation-capitalisation » régi par les dispositions de la loi du 19 février 2009 dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 décembre 2021, G. M. ne peut être regardé comme ayant stipulé pour soi et pour ses héritiers ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que les décisions qu'ils attaquent méconnaîtraient l'article 977 du Code civil ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B., M. J-Y. L. et M. S. L. ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions qu'ils attaquent ; qu'il suit de là que leur demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
La requête de Mme B. et MM. L. est rejetée.
Article 2
Les dépens sont mis à la charge de Mme B. et MM. L.
Article 3
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président et Philippe BLACHER, Membre titulaire, rapporteur, et prononcé le dix mars deux mille vingt-trois en présence du Ministère public, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.
Le Greffier en Chef, Le Président.
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