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10/03/2023 | MONACO | N°TS/2022-29

Monaco | Tribunal Suprême, 10 mars 2023, Union des Syndicats de Monaco et Syndicat des agents de l'État et de la Commune c/ État de Monaco, TS/2022-29


TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2022-29

 

Affaire :

UNION DES SYNDICATS DE MONACO et SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE

Contre :

État de Monaco

 

DÉCISION

Audience du 23 février 2023

Lecture du 10 mars 2023

 

Recours en annulation de la loi n° 1.527 du 7 juillet 2022 modifiant la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires.

En la cause de :

L'UNION DES SYNDICATS DE MONACO, dont le siège est (…) représentée par son Secrétaire Général en exercice, domicilié

en cette qualité audit siège ;

et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE, dont le siège (…), représentée par sa Secrétaire Générale en exerci...

TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2022-29

 

Affaire :

UNION DES SYNDICATS DE MONACO et SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE

Contre :

État de Monaco

 

DÉCISION

Audience du 23 février 2023

Lecture du 10 mars 2023

 

Recours en annulation de la loi n° 1.527 du 7 juillet 2022 modifiant la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires.

En la cause de :

L'UNION DES SYNDICATS DE MONACO, dont le siège est (…) représentée par son Secrétaire Général en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE, dont le siège (…), représentée par sa Secrétaire Générale en exercice, domiciliée en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué par Maître Christophe BALLERIO, Avocat-Défenseur près la même Cour, et plaidant par Maître Antoine LYON-CAEN, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

 

Contre :

L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

Visa

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

 

Vu la requête, présentée par l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 20 septembre 2022 sous le numéro TS 2022-29, tendant à l'annulation de la loi n° 1.527 du 7 juillet 2022 modifiant la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

 

CE FAIRE :

Attendu qu'à l'appui de leur requête, l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE exposent, en premier lieu, que près de trente ans après la promulgation du statut des fonctionnaires de l'État, le Gouvernement Princier a engagé une réflexion d'ensemble sur la modernisation de la fonction publique ; que son élaboration a été conduite en plusieurs étapes entre 2007 et 2011 ; que son étude par le Conseil National a duré onze années et a impliqué les élus de trois législatures ; que dans leur requête présentée moins de deux mois après la publication de la loi du 7 juillet 2022, les requérants demandent l'annulation des articles 1^er, 3, 6, 11, 13, 14 et 36 de cette loi en raison de leur contrariété à la Constitution ; que ces dispositions étant indissociables des autres dispositions de la loi, celle-ci devra être annulée dans son ensemble ;

Attendu que les syndicats requérants soutiennent, en premier lieu, que l'article 13 de la loi attaquée méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant la loi et de non-discrimination en ce qu'il autorise des discriminations reposant sur des motifs prohibés (sexe, orientation sexuelle, appartenance ethnique, opinions, etc.) ; que le Tribunal Suprême considère que le principe d'égalité protégé par l'article 17 de la Constitution « ne s'oppose, ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » ; qu'en droit international, le principe de non-discrimination est consacré par le pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques, l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; qu'en outre, les travaux préparatoires de la loi révèlent que le législateur monégasque a entendu se référer au droit de la fonction publique français ; que le principe d'égale admissibilité aux emplois publics impose de fixer des conditions qui ne contreviennent pas à l'esprit et aux exigences du principe d'égalité ; que fondé sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il repose sur une approche capacitaire de l'égalité ; qu'à cet égard, le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont précisé que ne peuvent être retenues des modalités de sélection pour l'accès aux emplois publics qui seraient fondées sur des critères étrangers à la capacité des candidats ;

Attendu que la loi française n° 75-599 du 10 juillet 1975, dont la rédaction ressemble fortement à celle du premier alinéa de l'article 13 de la loi attaquée, prévoyait que « lorsque la nature des fonctions ou les conditions de leur exercice le justifient, il peut être prévu, pour certains corps dont la liste est établie par décret en Conseil d'État, (…) un recrutement exclusif d'hommes ou de femmes ou, à titre exceptionnel, selon les modalités prévues par le même décret, des recrutements et des conditions d'accès distincts pour les hommes et les femmes » ; que ce temps est révolu puisque désormais plus aucun corps de la fonction publique française n'est ouvert à un seul des deux sexes pour de prétendus motifs de service ; que l'article L. 131-2 du Code général de la fonction publique dispose désormais, sans aucune exception, qu'« aucune distinction ne peut être faite entre les agents publics en raison de leur sexe » ; que le Conseil d'État français interdit désormais toute forme de discrimination au détriment des femmes et ce même dans l'accès à des corps militaires en considérant que ni la nature des fonctions, ni leurs conditions d'exercice ne justifient une limitation de l'accès des femmes au corps des officiers de l'armée de l'air ; que l'article L. 131‑1 du Code général de la fonction publique pose un principe général de non-discrimination a priori en énonçant qu'« aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les agents publics en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sous réserve des dispositions des articles L. 131‑5, L. 131-6 et L. 131-7 » ; que les seules exceptions, dument prévues et strictement encadrées par le législateur français, tiennent, d'une part, à l'âge pouvant être fixé pour le recrutement dans certaines catégories d'emploi ou pour le déroulement de la carrière « lorsqu'elles résultent des exigences professionnelles, justifiées par l'expérience ou l'ancienneté » et, d'autre part, à une situation de handicap ou en raison de l'état de santé du fonctionnaire en ce que ces caractéristiques sont susceptibles d'entrainer d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions ; que si l'âge, l'état de santé ou le handicap peuvent constituer des motifs objectifs en lien avec les conditions d'exercice d'un emploi public, les autres caractéristiques individuelles intrinsèques au fonctionnaire (orientation sexuelle, sexe, opinions, apparence physique, appartenance ethnique) ne peuvent en aucune circonstance justifier une différence de traitement dans l'accession aux emplois publics ou dans le déroulement de la carrière ; que, par ailleurs, l'égalité de traitement au cours de la carrière a été consacrée par le juge administratif français ; que si une différence de traitement entre membres d'un même corps peut être instaurée lorsqu'elle est fondée sur l'existence de conditions différentes d'exercice des fonctions, elle ne peut en aucun cas reposer sur des caractéristiques intrinsèques au fonctionnaire sans rapport avec ses capacités à occuper un emploi public ; que le Code du travail français, qui semble avoir inspiré le législateur monégasque, pose un cadre juridique similaire ; que l'article L. 1132-1 de ce code énonce un principe de non-discrimination ; que si l'article L. 1133-1 du même code énonce que cette disposition « ne fait pas obstacle aux différences de traitement lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée », la portée de cette dérogation est très limitée ; qu'en effet, la loi impose que la justification de la différence de traitement soit de nature professionnelle et non personnelle ; que la « qualité personnelle » prise en compte doit être inséparable de l'emploi ; qu'ainsi un metteur en scène qui recherche un acteur pour jouer un rôle masculin est bien contraint de recruter un homme pour jouer ce rôle ;

Attendu, en outre, que les syndicats requérants invitent le Tribunal Suprême à censurer une incompétence négative venant affecter un droit ou une liberté protégée par le titre III de la Constitution, ce grief permettant de s'assurer de la consistance et de l'effectivité des droits et libertés que la Constitution entend protéger ; que s'il n'apparaît pas que le Tribunal Suprême ait encore reconnu le grief tiré de l'incompétence négative, il a déjà exigé implicitement mais nécessairement que le législateur ait épuisé sa compétence en fixant un cadre général pour ne pas porter atteinte à la liberté en cause (décision du 8 juillet 1981, Union des syndicats de Monaco c. le Ministre d'État) ;

Attendu que les syndicats requérants font valoir, tout d'abord, que le principe de non-discrimination énoncé par l'article 13 de la loi attaquée doit nécessairement, sauf à être entaché d'incompétence négative, être lu comme s'appliquant tant à l'évolution de la carrière du fonctionnaire que pour l'accession à un emploi public ; qu'en effet, l'article 13 ne fait référence à ce principe que « pour l'application du statut » ; qu'or, pour être conforme au principe constitutionnel d'égal accès à l'emploi public, il doit nécessairement s'appliquer également au recrutement des fonctionnaires ; que dans son avis du 25 septembre 2019, le Haut Commissaire à la protection des droits, des libertés et à la médiation a estimé que cette disposition « ne permet pas d'interdire les discriminations dans la phase de recrutement des personnels – les personnes qui candidatent à un poste dans la Fonction publique n'étant pas par définition encore fonctionnaires et n'entrant donc pas dans le champ de l'interdiction des distinctions entre fonctionnaires » ; qu'il appartiendra a minima au Tribunal Suprême d'expliciter, par une réserve d'interprétation, l'entièreté du champ d'application de l'article 13 de la loi attaquée ;

Attendu que les syndicats requérants estiment, ensuite, que la loi attaquée introduit la possibilité de déroger à des motifs de discrimination pourtant prohibés de manière générale et absolue, aucune singularité liée à un emploi public ne pouvant justifier un traitement différencié dans le recrutement ou dans l'application du statut d'un fonctionnaire selon son sexe, son orientation sexuelle, ses opinions, sa couleur de peau ou sa religion ; qu'il ne s'agit pas de critères opérants pour justifier une différence de traitement en ce qu'ils sont étrangers à la capacité du fonctionnaire considéré ; qu'en ce sens, le Haut Commissaire à la protection des droits, des libertés et à la médiation a estimé qu'« il ne sera évidemment jamais possible qu'une exigence essentielle et déterminante permette de déroger au principe d'interdiction de la discrimination fondée par exemple sur l'appartenance à une prétendue race ou à une ethnie » ; que la loi attaquée ne cible pas spécifiquement les seuls motifs permettant de traiter différemment les fonctionnaires ou fonctionnaires en devenir, à savoir l'âge, l'état de santé ou le handicap ; qu'en outre, ces différences de traitement injustifiées autorisées par la loi mettent en cause de nombreux droits et libertés garantis par la Constitution, comme le droit à la vie privée, la liberté des cultes et celle de manifester ses opinions ainsi que la liberté syndicale ;

Attendu que les syndicats requérants allèguent, en outre, que l'incomplétude des motifs de non-discrimination visés par l'article 13 de la loi attaquée caractérise l'incompétence négative du législateur qui, par sa carence, n'assure pas le respect effectif du principe constitutionnel d'égalité ; qu'en effet, de manière générale, cette disposition ne précise pas que l'interdiction de traitements discriminatoires doit s'entendre comme incluant la discrimination directe ou indirecte afin de couvrir, ainsi que l'a souligné le Haut Commissaire à la protection des droits, des libertés et à la médiation, les cas de règles apparemment neutres mais s'avérant en pratique pénalisantes dans leurs effets pour un groupe particulier de personnes à raison d'un des motifs prohibés ; que plus spécifiquement, l'article 13 de la loi attaquée ne mentionne pas l'âge, l'état de grossesse ou encore le nom patronymique, ce dernier étant, selon le Haut Commissaire, « particulièrement nécessaire dans le contexte monégasque en raison de la taille de la population et des préjugés susceptibles d'être fondés sur l'appartenance familiale » ; que, de même, la notion d'appartenance ethnique apparaît trop restrictive et, partant, réductrice pour protéger effectivement les intéressés de toute forme de discrimination prohibée ; que la loi aurait dû inclure la notion de « prétendue race », ainsi que l'a estimé le Haut Commissaire ;

Attendu que l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE soutiennent, en deuxième lieu, que les articles 1^er, 3 et 16 de la loi attaquée, en instituant un principe d'exclusivité au bénéfice des ressortissants monégasques pour prétendre à la qualité de fonctionnaire méconnaissent les articles 17, 25 et 32 de la Constitution ; qu'il résulte des dispositions de la loi attaquée que les emplois permanents de l'État sont occupés par des fonctionnaires ; que seuls les ressortissants monégasques peuvent avoir la qualité de fonctionnaire, à la seule exception des emplois de la Direction de la Sûreté Publique, relatifs à la sécurité et à l'ordre public qui peuvent être occupés par des étrangers ayant la qualité de fonctionnaire ; que les ressortissants étrangers ne peuvent être recrutés qu'en qualité d'agent contractuel de l'État et ce même pour exercer des emplois permanents de l'État, lesquels correspondent pourtant à une activité normale et habituelle de l'administration ; que les emplois permanents de l'État peuvent être pourvus par des agents contractuels « soit lorsque aucune personne de nationalité monégasque ne remplit les conditions requises pour les occuper en qualité de fonctionnaire » soit « pour remplacer des fonctionnaires qui n'assurent pas momentanément leurs fonctions ou les assurent à temps partiel, ou pour remplacer d'autres agents de l'État ou encore pour exercer des missions ou des tâches déterminées » ;

Attendu que, selon les requérants, le principe de priorité posé par l'article 25 de la Constitution implique que pour tout recrutement dans un emploi public effectué, à titre permanent ou contractuel, une préférence soit donnée, à aptitude égale, au candidat de nationalité monégasque ; que dans une décision du 5 novembre 2022, le Tribunal Suprême a indiqué, s'agissant d'emplois privés, que « la priorité reconnue aux Monégasques par les dispositions précitées s'exercent, lorsqu'un emploi est vacant, à la condition qu'ils possèdent les aptitudes nécessaires à cet emploi » ; qu'il résulte de la combinaison des articles 25 et 32 de la Constitution que si les étrangers peuvent être soumis à des conditions supplémentaires, le droit ne disparaît pas au profit des ressortissants non monégasques ; qu'il s'agit de stabiliser dans la Principauté une population non monégasque mais ayant développé avec elle des liens étroits et pérennes ; que, dès lors, le principe constitutionnel de priorité ne peut tendre à préférer un ressortissant monégasque à un ressortissant étranger que sous réserve du respect d'une approche capacitaire, objectif que ne permet pas d'atteindre l'exclusion de principe des étrangers compte tenu de la réalité historique et démographique monégasque ; qu'en l'espèce, en instituant une principe d'exclusivité au profit des Monégasques pour accéder aux emplois publics en qualité de fonctionnaire, les dispositions de la loi attaquée méconnaissent frontalement l'article 25 de la Constitution qui pose un simple principe de priorité nationale découlant de la réalité historique et démographique monégasque ; que le principe d'exclusivité posé par la loi est entendu d'autant plus strictement que, même dans le cas où aucun Monégasque ne remplirait les conditions requises pour occuper un emploi public en qualité de fonctionnaire, le ressortissant non monégasque ne peut, en aucune manière, l'occuper en tant que fonctionnaire mais seulement en qualité d'agent contractuel ; que les dispositions législatives attaquées ne respectent l'article 25 de la Constitution qu'en ce qui concerne la situation des agents contractuels de l'État où le principe de priorité s'applique ; que l'interprétation stricte de la notion de priorité n'a pu être celle du Constituant qui, contrairement aux modèles étrangers conditionnant le statut de fonctionnaire à la détention de la nationalité, a fait le choix d'une simple exigence de priorité dans la mesure où, de facto, l'ensemble des emplois publics ne peut être pourvu par des Monégasques ; que ce sont les mêmes raisons historiques et démographiques qui ont conduit le législateur de 1975 à ne pas subordonner l'entrée au service de l'État à une exigence de nationalité ; que cette réalité démographique n'a pas changé depuis l'adoption de la Constitution ; qu'au 31 décembre 2020, les Monégasques représentent seulement un tiers des emplois publics ; que l'objectif poursuivi par le législateur de fermeture de l'accès à la qualité de fonctionnaire n'est pas réalisable compte tenu de la réalité démographique ;

Attendu que les syndicats requérants ajoutent que la logique de l'exclusivité retenue par la loi du 7 juillet 2022 induit des effets pervers antinomiques avec la volonté du Constituant ; que, tout d'abord, le principe législatif d'exclusivité a pour effet direct de niveler par le bas le niveau de compétences attendu pour occuper un emploi en faisant primer un Monégasque sur un ressortissant étranger même moins qualifié ; que le principe constitutionnel de priorité permet, quant à lui, de préserver la compétence des fonctionnaires occupant les emplois de l'État et donc la qualité de service public offerte puisqu'il s'applique à compétence égale ; que le principe législatif d'exclusivité conduit à exclure le ressortissant étranger alors même qu'il aurait été mieux qualifié et qu'il aurait pu raisonnablement prétendre à l'emploi public considéré ; qu'ensuite, le principe législatif d'exclusivité induit une précarisation des ressortissants étrangers qui bénéficieront exclusivement du statut d'agent non titulaire alors même qu'ils auront, pour certains, vocation à occuper des emplois permanents de l'État ; que la précarité est déjà, en soi, inhérente au statut d'agent contractuel, compte tenu de l'aléa guidant le renouvellement de son contrat ;  qu'il en va de même du régime de retraite, notamment quant à l'âge minimum de départ à la retraite (50 ans pour les fonctionnaires, 60 ans pour les agents non titulaires) ; que cette précarité est encore renforcée par le fait que le statut des agents contractuels n'est pas défini par la loi attaquée ; qu'elle renvoie en effet à une Ordonnance Souveraine, sans aucune ligne directrice, la détermination des dispositions générales applicables aux agents contractuels et des conditions dans lesquelles ils sont recrutés et leurs contrats renouvelés ; qu'une Ordonnance Souveraine n'offre aucune garantie aux agents non titulaires en ce que leurs conditions de travail seront toujours modifiables à souhait sans consultation du Conseil National ; que le principe de priorité institué par l'article 25 de la Constitution n' était pas incompatible avec un tronc commun pour les fonctionnaires et les contractuels tout en préservant les spécificités de chacune de ces catégories ;

Attendu que, selon les syndicats requérants, la notion d'exclusivité choisie par le législateur n'est pas conciliable avec la liberté du travail garantie par l'article 25 de la Constitution ; que cette disposition constitutionnelle ne réserve pas l'accès aux emplois publics aux Monégasques mais fixe un simple principe de priorité ; que ce principe de priorité ne peut aller jusqu'à remettre en cause la liberté du travail en empêchant l'ensemble des ressortissants étrangers d'accéder au statut de fonctionnaire et partant aux emplois permanents de l'État y afférents ; qu'il ne saurait, en effet, y avoir de liberté du travail si une catégorie de personnes ne peut accéder au statut de fonctionnaire et se trouve automatiquement réduite au rang d'agent contractuel alors qu'elles disposent de qualifications leur permettant raisonnablement de prétendre à l'emploi public considéré ;

Attendu que les syndicats requérants allèguent, enfin, que le principe d'exclusivité prévu par la loi attaquée induit plusieurs violations du principe d'égalité devant la loi ; que, tout d'abord, la loi attaquée génère une méconnaissance du principe d'égalité entre ressortissants étrangers travaillant sur le sol monégasque ; qu'en effet, il en résulte une différence de traitement disproportionnée selon les catégories d'emploi public occupé et plus précisément selon qu'ils exercent des emplois de la Direction de la Sûreté publique, relatifs à la sécurité et à l'ordre public ou d'autres emplois publics ; que les seconds sont exclus du statut protecteur de fonctionnaire sans justification objective, raisonnable et proportionnée par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur ; que le Conseil constitutionnel français a estimé qu'« aucune exigence constitutionnelle n'impose que tous les emplois participant à l'exercice de « fonctions régaliennes » soient occupés par des fonctionnaires » ; que, par ailleurs, la loi attaquée induit une méconnaissance du principe d'égalité entre ressortissants étrangers travaillant sur le sol monégasque selon qu'ils occupent un emploi privé ou un emploi public ; qu'alors que l'article 25 de la Constitution prévoit un principe de priorité nationale indistinctement pour l'accession aux emplois publics et privés, seuls les étrangers souhaitant accéder à un emploi public se voient frappés par le principe d'exclusivité avec pour conséquence directe d'être privés du statut protecteur de fonctionnaire ; qu'enfin, la loi attaquée méconnaît le principe d'égalité entre, d'un côté, les Monégasques bénéficiant du statut de fonctionnaire et, d'un autre côté, les étrangers qui sont tous des agents contractuels subissant un statut dégradé et non défini par la loi ; que cette méconnaissance du principe d'égalité est la conséquence de la violation de l'article 25 de la Constitution ;

Attendu que l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE font valoir, en troisième lieu, que l'article 11 de la loi attaquée, en prévoyant que des pièces, indéterminées, ne sont pas consultables par le fonctionnaire frappé de poursuites disciplinaires, méconnaît les droits de la défense garantis par l'article 19 de la Constitution ; que le Conseil d'État français juge que le droit à la communication intégrale du dossier individuel du fonctionnaire s'applique alors même que les pièces considérées visent des tiers (CE, 23 novembre 2016, n° 397733, aux Tables ; CE, 5 février 2020, n° 433130, au Recueil) ; que ce droit à communication s'applique préalablement à des mesures prises en considération de la personne, catégorie bien plus large que celle des sanctions ; que, tout d'abord, l'article 11 de la loi attaquée ne permet pas l'exercice effectif des droits de la défense par le fonctionnaire poursuivi car il ne pose pas pour principe le droit de prendre copie de son dossier dans des conditions à définir au besoin par Ordonnance Souveraine ; qu'ensuite, la limitation du champ d'application du droit à la communication préalable du dossier pour les seules sanctions nécessitant le passage en conseil de discipline méconnaît également le principe constitutionnel des droits de la défense ; que si l'article 11 ne s'applique qu'aux « sanctions disciplinaires visées à l'article 41 », l'ensemble des sanctions et même plus largement des décisions prises en considération de la personne doivent entrer dans le champ du droit de communication du dossier ; que l'article 11 méconnaît également le principe constitutionnel des droits de la défense en posant le principe de pièces, indéterminées par la loi, non consultables par le fonctionnaire faisant l'objet de poursuites disciplinaires et en renvoyant le soin à une Ordonnance Souveraine de fixer ces conditions sans que le législateur n'ai posé aucun encadrement à cette atteinte substantielle aux droits de la défense ; que la loi autorise ainsi des pratiques arbitraires sur les pièces composant le dossier individuel du fonctionnaire dont il peut recevoir communication ; que l'exposé des motifs du projet de loi évoquait « des raisons de confidentialité, celles faisant mention d'une autre personne ou les documents préparatoires à une décision » ; que le Haut Commissaire a critiqué l'absence de communication au fonctionnaire de l'intégralité de son dossier, quitte à prévoir une possibilité d'anonymisation des mentions relatives aux tiers ; qu'en laissant au pouvoir réglementaire une liberté absolue pour déterminer les pièces pouvant être soustraites du dossier individuel du fonctionnaire, la loi est entachée d'une incompétence négative de nature à caractériser une atteinte substantielle aux droits de la défense du fonctionnaire ; que le fonctionnaire ne peut, en outre, être assuré de l'absence de pièces méconnaissant ses droits constitutionnels et notamment son droit au respect de la vie privée, sa liberté d'opinion et sa liberté syndicale ; que si le premier alinéa de l'article 11 de la loi attaquée prévoit que « ne peut figurer au dossier aucune mention faisant état des opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales de l'intéressé, ni de données relatives à son orientation sexuelle, à ses mœurs ou à ses origines raciales ou ethniques », il est nécessaire, pour que cette interdiction ne soit pas purement incantatoire, que le législateur fixe un cadre clair sur les pièces du dossier du fonctionnaire pouvant être soustraites de son droit à communication du dossier ;

Attendu que l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE allèguent, en quatrième lieu, que l'article 14 de la loi attaquée, en énonçant une exigence de « bonne moralité » pour l'accession à un emploi public méconnaît les droits fondamentaux garantis par la Constitution ; qu'en droit français de la fonction publique, la condition de bonne moralité prévue par les statuts de 1946 et 1959 a été supprimée par la loi du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires ; que cette exigence a été remplacée par celle de ne pas avoir de mentions portées au bulletin n° 2 du casier judiciaire qui seraient incompatibles avec l'exercice des fonctions ; que la notion de « bonne moralité » est imprécise et relative en ce qu'elle renvoie à ce qui est jugé « moral », d'autant que cette condition n'est pas corrélée aux garanties nécessaires pour l'exercice des fonctions sollicitées ; qu'une notion aussi subjective permet une sélection discrétionnaire voire arbitraire contraire au principe d'égalité devant la loi, lequel impose des critères clairs et transparents en lien avec l'exercice d'un emploi public ; que cette condition porte également en germe une violation de l'ensemble des droits fondamentaux garantis ; que n'étant pas définie et par nature subjective, la notion de « bonne moralité » peut permettre à l'autorité administrative de retenir des caractéristiques intrinsèques au candidat et sans lien avec sa capacité à occuper un emploi public (son sexe, son orientation sexuelle, ses opinions, son apparence, sa couleur de peau) ; qu'en outre, ce choix est contraire à l'objectif législatif affiché de transparence des conditions de recrutement ;

Attendu, en dernier lieu, que selon l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE, l'article 36 de la loi attaquée méconnaît le principe constitutionnel d'égalité et la liberté du travail garantie par l'article 25 de la Constitution en conditionnant le droit à l'effacement des sanctions disciplinaires à la condition que le fonctionnaire ait « donné toute satisfaction » ; qu'en droit français de la fonction publique, l'effacement de la mention de la sanction pour les sanctions du premier groupe est automatique au bout de trois ans si aucune nouvelle sanction n'est intervenue ; que les sanctions d'exclusion temporaire de fonctions ou de déplacement d'office sont, quant à elles, effacées à la demande du fonctionnaire, après dix années de services effectifs à partir de la date de la sanction ; que l'administration ne peut refuser cette demande si aucune sanction n'est intervenue pendant cette période ; qu'a donc été supprimée toute référence à la notion de satisfaction qui figurait auparavant à l'article 18 du décret n° 84‑961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'État ; que si l'absence d'effacement automatique des sanctions disciplinaires passé un certain délai n'est, en soi, contraire à aucun principe constitutionnel, la condition subordonnant l'effacement méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant la loi ; que le droit à l'oubli ne peut être encadré par une notion aussi subjective que le fait d'avoir « donné toute satisfaction » ; que la notion de « satisfaction » ne permet pas d'encadrer le champ d'appréciation de l'autorité hiérarchique ; qu'elle ne saurait garantir qu'il soit fait référence à la manière de servir du fonctionnaire considéré et donc à des objectifs liés à la carrière du fonctionnaire pour faire droit ou non à sa demande d'effacement ; que le seul élément tiré du comportement du fonctionnaire qui présente un lien objectif avec le service pour conditionner l'effacement d'une sanction tient, conformément au principe constitutionnel d'égalité, à l'absence de nouvelle sanction prononcée depuis lors ; que cet effacement est déterminant dans la carrière d'un fonctionnaire puisqu'une fois effacée, la sanction ne peut plus être prise en compte dans l'évolution de la carrière du fonctionnaire (avancement, promotion, mobilité, etc.) ; que c'est en ce sens que l'article 36 de la loi attaquée méconnaît également la liberté de travailler protégée par l'article 25 de la Constitution qui implique notamment la liberté constitutionnelle d'évoluer professionnellement ;

 

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 21 novembre 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation des requérants aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État expose que la loi du 7 juillet 2022 entre en vigueur le 1^er janvier 2023 ; qu'une modification de l'Ordonnance Souveraine du 17 août 1978 fixant les conditions d'application de la loi du 12 juillet 1975 est en cours d'élaboration ; que conformément à l'objectif poursuivi par la loi nouvelle, un statut propre aux agents non titulaires de l'État est également en cours d'élaboration ; qu'ainsi que l'a rappelé le Tribunal Suprême dans sa décision TS 2022-09 du 31 mai 2022, « aucun recours n'est ouvert aux fins d'obtenir que, postérieurement à l'expiration du délai de recours ouvert contre une loi, le Tribunal Suprême la déclare contraire à la Constitution » ; que lorsqu'une requête tend, par voie d'action, à l'annulation d'une loi modifiant une précédente loi, seules les dispositions nouvelles peuvent être contestées ; qu'il s'ensuit que le requérant n'est pas recevable à critiquer les dispositions antérieures de la loi qui n'ont pas été modifiées ; qu'ainsi, les requérants ne sont pas recevables à critiquer, à l'occasion de leur requête contre la loi du 7 juillet 2022, les dispositions demeurées inchangées de la loi du 12 juillet 1975 ; que, par ailleurs, les moyens d'inconstitutionnalité soulevés par les requérants concernent exclusivement les articles 1^er, 3, 11, 13, 14, 16 et 36 de la loi attaquée ; que la requête doit donc être regardée comme tendant à l'annulation partielle de la loi et non à son annulation totale ; que les dispositions de la loi attaquée ne présentent aucun caractère indissociable ; qu'en outre, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, pour demander l'annulation d'une loi, de ce que celle-ci méconnaîtrait les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le Tribunal Suprême ne saurait davantage exercer son contrôle de constitutionnalité au regard des jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État français, abondamment citées dans la requête mais qui ne sont pas applicables à Monaco ; que, de manière tendancieuse et rigoureusement inopérante, les requérants cherchent à présenter le droit français de la fonction publique dans son dernier état comme une sorte de norme de référence de laquelle la loi monégasque ne pourrait s'écarter sans encourir la censure du Tribunal Suprême ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en premier lieu, que l'argumentation des requérants relative à l'article 13 de la loi, partiellement irrecevable, n'est pas fondée dès lors qu'elle repose sur une interprétation erronée des dispositions critiquées ; qu'en effet, la loi du 7 juillet 2022 a pour effet d'ajouter deux nouveaux alinéas à l'article 17 de la loi du 12 juillet 1975 ; qu'elle ne modifie pas, s'agissant de l'interdiction de toute distinction entre les deux sexes, la réserve tenant aux « mesures exceptionnellement commandées par la nature des fonctions » ; que, par ailleurs, les critiques contre ces dispositions, non modifiées par la loi attaquée, sont irrecevables ; que les deuxième et troisième alinéas de l'article 17 de la loi du 12 juillet 1975, tels qu'ils sont rédigés, se comprennent de manière autonome ; qu'en effet, d'une part, est affirmé, au deuxième alinéa, un principe général de non-discrimination ; que selon l'exposé des motifs du projet de loi, il s'agit d'introduire le principe de non-discrimination tel qu'inspiré des formulations classiques utilisées en France, par le statut des fonctionnaires ou le Code du travail, dans le respect du droit constitutionnel monégasque ; que le troisième alinéa prévoit, d'autre part, que des distinctions peuvent être exceptionnellement faites dans la stricte mesure où il s'agit de « répondre à des exigences professionnelles essentielles et déterminantes et, notamment, afin de tenir compte de la nature des fonctions ou des conditions de leur exercice » ; que ces dispositions excluent, de façon générale, toute distinction qui serait fondée sur l'un des motifs énumérés au deuxième alinéa de l'article 17 ; que le troisième alinéa implique un lien entre la fonction et la distinction permise de façon exceptionnelle ; que l'appartenance ethnique, les opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales ou encore l'orientation sexuelle sont bien évidemment sans lien avec la nature des fonctions ou les conditions de leur exercice ; que l'exposé des motifs du projet de loi précise que « l'ajout du troisième alinéa a vocation à consacrer des distinctions plus générales s'agissant d'autres critères comme les aptitudes physiques ou une condition d'âge que peuvent commander les exigences liées à l'exercice de certaines fonctions (emplois au sein des services de la Sûreté publique par exemple) » ;

Attendu que le Ministre d'État ajoute que par la généralité de sa formulation, l'interdiction de toute forme de distinction, insérée au deuxième alinéa de l'article 17 de la loi du 12 juillet 1975, a nécessairement vocation à s'appliquer aux « candidats fonctionnaires » dans la phase de recrutement ; que la notion de statut de fonctionnaire a une portée générale et inclut la phase de recrutement, même si la loi ne l'énonce pas expressément ; que la critique des requérants, si elle devait être accueillie, ne conduirait qu'à la formulation d'une réserve d'interprétation ; que, de plus, la loi attaquée n'ouvre pas la possibilité d'une différenciation qui serait fondée sur des considérations étrangères à la capacité de la personne, appréciée compte tenu des exigences professionnelles essentielles et déterminantes de l'emploi concerné ; qu'en outre, les droits reconnus par les articles 22, 23 et 28 de la Constitution, loin d'être méconnus, sont protégés par le deuxième alinéa de l'article 17 dès lors qu'aucune discrimination en fonction de l'orientation sexuelle ou des opinions n'est admise ;

Attendu que, selon le Ministre d'État, les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que l'article 13 de la loi attaquée serait entaché d'incompétence négative en ce qu'il ne préciserait pas que l'interdiction de traitements discriminatoires doit s'entendre comme incluant la discrimination directe ou indirecte ou encore en ce qu'il ne dirait rien d'une discrimination fondée sur l'âge, l'état de grossesse ou encore le nom patronymique ; qu'en effet, la loi est formulée en des termes suffisamment généraux pour couvrir l'ensemble des situations envisagées dans la requête ; qu'à cet égard, il ne fait pas de doute que la prohibition des distinctions entre les fonctionnaires en raison de leur appartenance ethnique interdit toute discrimination sur une « prétendue race », sans qu'il incombe au législateur de le mentionner ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, que les moyens tirés de ce que les articles 1^er, 3 et 16 de la loi attaquée méconnaîtraient la liberté du travail et le principe d'égalité ne sont pas fondés ; que l'article 32 de la Constitution prévoit que certains droits peuvent être réservés aux nationaux et son article 25 fixe le principe d'une priorité des Monégasques dans l'accès aux emplois publics et privés ; que l'article 51 de la Constitution prévoit que « les obligations, droits et garanties fondamentaux des fonctionnaires, ainsi que leur responsabilité civile et pénale, sont fixés par la loi » ; que si, comme le soutiennent les requérants, jamais la Constitution n'a prévu une exclusivité au profit des Monégasques pour accéder aux emplois publics en qualité de fonctionnaire, l'application combinée des articles 25, 32 et 51 de la Constitution confère au législateur la faculté de le prévoir ; qu'en l'espèce, le législateur, exerçant la compétence qu'il tient de la Constitution, a formellement réservé un droit aux nationaux, celui d'avoir la qualité de fonctionnaire ; qu'ainsi que le rappelle l'exposé des motifs du projet de loi, le principe selon lequel la qualité de fonctionnaire est réservée aux nationaux vient entériner la pratique de ces trente dernières années et rapproche la législation monégasque de celle de pays qui, comme la France, subordonnent la titularisation au sein de la fonction publique à une condition de nationalité ; qu'il indique, en ce sens, qu'« à la différence de nombreux systèmes de fonction publique étrangers comme celui de la France, la législateur de 1975 n'avait pas subordonné l'entrée au service de l'État à une exigence de nationalité. Pour des raisons tant historiques que démographiques, des étrangers pouvaient ainsi être nommés fonctionnaires titulaires. Toutefois, si le Statut de 1975 ne comportait aucune exclusivité de fonction pour les nationaux, en accord avec le Conseil National, et par mesure générale, le Gouvernement, au début des années 80, n'a plus procédé à la titularisation de personnels non monégasques, à l'exception de ceux employés à la Direction des Services Judiciaires et à la Direction de la Sûreté publique. Sans doute, le moment est-il venu, dans le cadre de la modernisation du Statut des fonctionnaires de l'État, d'inscrire, au sein même de la loi n° 975, la condition de nationalité pour être fonctionnaire et ce, dans le droit fil de l'évolution récente des relations avec la France qui ont, de leur côté, abouti à la reconnaissance du principe que « les emplois publics en Principauté reviennent aux ressortissants monégasques » (Convention du 8 novembre 2005 destinée à adapter et à approfondir la coopération administrative entre la République française et la Principauté, article 3, rendue exécutoire par l'Ordonnance Souveraine n° 2021 du 19 décembre 2008) » ; que l'affirmation selon laquelle le principe d'exclusivité aurait pour effet de niveler par le bas le niveau de compétences attendu pour occuper un emploi permanent est erronée ; que la participation aux concours de recrutement n'est pas fermée aux étrangers ; que toutefois, si ces derniers les réussissent, ils n'occuperont pas l'emploi en tant que fonctionnaire mais en tant qu'agent contractuel ; que l'article 16 de la loi consacre un dispositif de recrutement consistant à faire concourir l'ensemble des candidats déclarés, nationaux et non monégasques, les lauréats se voyant conférer à l'issue des épreuves le statut de fonctionnaire ou d'agent contractuel selon leur nationalité ; que la « précarisation » des ressortissants étrangers qui en résulterait ne porte aucune atteinte à la priorité reconnue aux Monégasques par l'article 25 de la Constitution ; que la liberté du travail des étrangers, que l'article 25 de la Constitution garantit, n'est pas remise en cause par la loi attaquée ; qu'en effet, elle n'a pas pour effet d'interdire l'accès aux emplois publics, ni même aux emplois permanents de l'État, aux personnes n'ayant pas la nationalité monégasque ; qu'elle prévoit seulement que ces emplois ne pourront être occupés par ces personnes non pas en qualité de fonctionnaire mais en tant qu'agent contractuel ; que cette différence de traitement, justifiée par la différence de situation entre les Monégasques et les étrangers vis-à-vis de la Principauté, ne méconnaît pas davantage le principe d'égalité ; que les nationaux et étrangers ne sont pas dans une situation identique lorsqu'il s'agit d'accéder aux emplois publics ; que de nombreux Etats subordonnent l'accès au statut de fonctionnaire à une condition de nationalité, manifestation de l'exigence d'une solidarité particulière du titulaire de l'emploi à l'égard de l'État ; qu'ainsi, en France, sous réserve de dérogations prévues par l'article L. 321-2 du Code général de la fonction publique, nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire s'il ne possède la nationalité française ; que le Conseil constitutionnel n'a jamais consacré un droit général des étrangers à accéder aux activités économiques, aux professions réglementées ou aux emplois publics dans les mêmes conditions que les citoyens français ; qu'en réservant le statut de fonctionnaire aux nationaux, le législateur monégasque ne méconnaît pas le principe d'égalité ; que la différence de traitement établie pour les emplois de la Direction de la Sûreté publique relatifs à la sécurité et à l'ordre public repose sur une différence objective liée à la nature des emplois occupés ; que, par ailleurs, un étranger occupant un emploi public ne saurait être regardé comme se trouvant dans la même situation qu'un étranger occupant un emploi privé ; que dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la loi attaquée conduirait à une méconnaissance du principe d'égalité entre les ressortissants étrangers travaillant sur le sol monégasque selon qu'ils occupent un emploi privé ou un emploi public ; que, pour l'ensemble de ces raisons, n'est pas fondée la méconnaissance du principe d'égalité entre les Monégasques bénéficiant du statut de fonctionnaire et les étrangers qui sont nécessairement des agents contractuels ;

Attendu, en troisième lieu, que selon le Ministre d'État, la critique dirigée contre l'article 11 de la loi attaquée, qui se fonde exclusivement sur les règles et principes applicables en droit français, n'est pas fondée ; qu'ainsi que l'a précisé l'exposé des motifs du projet de loi, le droit à la communication du dossier « comporte un droit de le consulter et d'en obtenir copie » ; que, par ailleurs, les requérants ne sont pas recevables à critiquer la loi attaquée en tant qu'elle limiterait le champ d'application du droit à la communication préalable du dossier aux sanctions visées à l'article 41 ; que la loi du 12 juillet 1975 limitait cette communication aux sanctions visées aux chiffres 3 à 7 et au dernier alinéa de l'article 41 ; qu'en tout état de cause, la loi consacrant un principe général du droit d'accès au dossier individuel, cet accès est susceptible d'intervenir à tout moment, à la demande de l'intéressé ; que l'atteinte alléguée aux droits de la défense n'est donc pas caractérisée ; qu'enfin, le respect des droits de la défense n'est pas davantage méconnu par le fait que la loi confie à une Ordonnance Souveraine le soin de définir les pièces qui ne seront pas consultables ; que les requérants pourront critiquer les dispositions de cette Ordonnance Souveraine ; qu'il s'agit en l'occurrence de préserver les droits des tiers ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en quatrième lieu, que l'article 18 de la loi du 12 juillet 1975 prévoit déjà que nul ne peut être nommé « s'il n'est pas de bonne moralité » ; que cette disposition n'a pas été modifiée par l'article 14 de la loi attaquée ; que dès lors, les requérants ne sont pas recevables à en contester la constitutionnalité ;

Attendu que le Ministre d'État estime, en dernier lieu, que le moyen tiré de ce que l'article 36 de la loi attaquée méconnaîtrait le principe d'égalité et le droit de travailler n'est pas fondé ; que cette loi réduit de cinq à trois ans pour un avertissement ou un blâme et de dix à cinq ans pour les autres sanctions le délai pour demander l'effacement de la sanction ; que le législateur monégasque a fait un choix différent du législateur français ; qu'afin de responsabiliser le fonctionnaire concerné, l'effacement intervient à sa demande et non de manière automatique à l'issue d'un certain délai sans avoir fait l'objet d'une nouvelle sanction ; que l'effacement est subordonné à un comportement irréprochable de l'agent public depuis la sanction ; que l'exposé des motifs du projet de loi précise en ce sens que « la mention au dossier des sanctions disciplinaires ne pourra être supprimée que si, par son comportement général au cours des périodes prévues au premier alinéa, le fonctionnaire a donné toute satisfaction, notamment en n'ayant plus fait l'objet d'aucune sanction. Ainsi, il est fait ici, indirectement, référence au texte de l'article 18 du décret français n° 84-961 du 25 octobre 1984 (…) » ; que cette condition ne méconnaît aucun droit constitutionnel ; qu'en effet, est tout d'abord sans incidence la circonstance selon laquelle le décret du 25 octobre 1984 ne prévoit plus, depuis sa modification par une décret du 20 avril 2022, que l'intéressé doit avoir donné toute satisfaction ; que la notion de « donner toute satisfaction » n'implique pas une appréciation subjective par l'autorité hiérarchique ; qu'une telle appréciation est sanctionnée par le juge dans le cadre du recours contentieux que le fonctionnaire peut toujours former contre le rejet de sa demande d'effacement ; que le Ministre d'État statue après avis de la commission de la fonction publique et du chef de service de l'intéressé ; que l'exigence tenant à ce que l'agent donne satisfaction  est d'ailleurs très présente dans le droit français de la fonction publique ; que l'ensemble des fonctionnaires étant soumis à la même exigence, aucune méconnaissance du principe d'égalité n'est caractérisée ; qu'enfin, une conception extensive de la liberté de travailler qui impliquerait « le droit de pouvoir obtenir un casier professionnel vierge » ne saurait être retenue ; que l'article 36 de la loi attaquée ne porte aucune atteinte à la liberté de travailler ;

 

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 5 décembre 2022, par laquelle l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE tendent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;

Attendu que l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE ajoutent, à titre liminaire, qu'ils contestent la constitutionnalité des dispositions de la loi du 7 juillet 2022, même si une partie de ces nouvelles dispositions reprennent pour partie des dispositions de la loi du 12 juillet 1975 ; qu'ainsi, par exemple, l'article 13 de la loi attaquée n'est pas venue ajouter deux alinéas à l'article 17 de la loi du 12 juillet 1975 mais l'a intégralement modifié en prévoyant trois alinéas, peu important à cet égard que le premier alinéa demeure inchangé ; que le recours ne tend pas à contester la constitutionnalité de dispositions de la loi du 12 juillet 1975 qui n'auraient pas été modifiées par la loi attaquée ; qu'ainsi, les moyens qu'ils soulèvent, même dirigés contre des dispositions identiques à de précédentes, sont recevables ; que la loi du 12 juillet 1975 n'ayant pas été soumise au Tribunal Suprême, aucune autorité de la chose jugée ne peut s'attacher à de précédentes déclarations de constitutionnalité des dispositions de cette loi ; qu'en tout état de cause, depuis 1975, des changements substantiels dans les circonstances de fait et de droit sont survenus et imposent le réexamen de ces dispositions, à l'instar de ce que juge le Conseil constitutionnel français ; qu'en particulier, la conception sociale du principe d'égalité entre les hommes et les femmes n'est plus la même qu'en 1975 ; qu'elle commande de réinterroger les distinctions permises entre hommes et femmes selon la nature des fonctions ; que, par ailleurs, contrairement à ce que soutient le Ministre d'État, les dispositions de la loi attaquée sont indivisibles dès lors que l'on se trouve en présence d'une redéfinition globale des règles régissant le statut de la fonction publique monégasque ; que la loi du 7 juillet 2022 constitue le socle de règles globales et cohérentes dont l'annulation d'une ou plusieurs d'entre elles remet nécessairement en cause l'économie générale de la loi ; que les dispositions critiquées constituent les points d'équilibre structurels de la réforme ; qu'enfin, les syndicats requérants n'ont jamais soutenu, ni même pensé, que la jurisprudence française serait applicable à Monaco ; que la mobilisation du droit français n'est faite qu'à titre d'exemple ; que les parallèles opérés sont pertinents en raison du socle similaire de normes de référence constitutionnelles et des liens historiques unissant les systèmes juridiques français et monégasque ; que les travaux préparatoires de la loi attaquée se réfèrent sur plusieurs points au « modèle » français ;

Attendu que les syndicats requérants font valoir, en premier lieu, que l'irrecevabilité du moyen dirigé contre l'article 13 de la loi attaquée lui permet d'éviter de défendre la constitutionnalité de cette disposition alors que rien ne peut venir justifier que des emplois soient, même exceptionnellement, réservés à des hommes ; qu'en outre, la lettre de la loi ne permet pas d'interpréter les deuxième et troisième alinéa de l'article 17 de la loi du 12 juillet 1975 comme étant autonomes pour en déduire que le deuxième alinéa pose un principe de non-discrimination auquel il ne peut être dérogé au titre du troisième alinéa que pour certains critères, à l'exclusion des critères énumérés au deuxième alinéa, lesquels constitueraient des motifs de discrimination prohibés ; que le deuxième alinéa vise le handicap et l'état de santé alors qu'ils sont une composante des aptitudes physiques pouvant justifier une distinction au titre du troisième alinéa ; qu'à tout le moins, le Tribunal Suprême devrait émettre une réserve d'interprétation ferme s'il devait lire le deuxième alinéa comme interdisant toute forme de distinction ; que, de plus, si le Ministre d'État soutient que la liste des discriminations interdites devrait être lue de manière extensive pour s'appliquer aux candidats fonctionnaires, inclure les discriminations directes et indirectes ainsi que l'ensemble des critères de discrimination prohibés, notamment celui de la « prétendue race », le texte ne le permet pas ; qu'en particulier, faute de recours à l'adverbe « notamment », les critères de discrimination sont énumérés de manière exhaustive ; que l'incompétence négative reprochée est donc caractérisée ;

Attendu que les requérants estiment, en deuxième lieu, que la Constitution n'a autorisé qu'un simple principe de priorité, duquel il ne saurait s'évincer la faculté pour le législateur de prévoir un principe d'exclusivité ; que la Constitution n'est pas rédigée ainsi et seule la modification de cette dernière aurait permis au législateur de mettre en musique un principe d'exclusivité ; que la loi attaquée est ainsi en contradiction directe avec la Constitution qui prévoit expressément et seulement un droit de priorité ; que les circonstances historiques et démographiques ayant justifié le choix du constituant demeurent inchangées ; que les Monégasques ne peuvent pourvoir en qualité de fonctionnaire l'ensemble des emplois publics ; que les emplois de la Sûreté publique relatifs à la sûreté et l'ordre public, correspondant aux fonctions régaliennes, sont ceux pour lesquels la condition de nationalité serait la plus pertinente ; que dès lors, le Ministre d'État ne peut expliquer que le principe de priorité soit maintenu pour ces seuls emplois ;

Attendu, en troisième lieu, que, selon les requérants, la circonstance que l'exposé des motifs du projet de loi ait mentionné le droit d'obtenir copie des pièces du dossier du fonctionnaire ne permet pas de palier la carence de la loi attaquée sur ce point ; que, de même, la loi n'énonce pas un principe général du droit d'accès au dossier individuel et restreint ce droit aux seules sanctions énumérées par l'article 41 ; que si tout fonctionnaire pourra toujours demander à avoir accès à son dossier pour les autres mesures, manque en tout état de cause l'information préalable nécessaire de ce droit qui constitue pourtant une garantie de l'effectivité du droit d'accès au dossier individuel ; que l'incompétence négative dénoncée concerne également les pièces pouvant être exclues de ce droit à consultation ; que ce n'est pas à une Ordonnance Souveraine de fixer cette entrave au droit pour le fonctionnaire d'accéder à son dossier individuel ; que le renvoi aux travaux préparatoires de la loi évoquant la possibilité de limiter cette interdiction au droit de communication aux documents « faisant mention d'une autre personne ou les documents préparatoires à une autre décision » ne constitue pas une garantie ; qu'ainsi, le législateur n'a pas épuisé sa compétence en refusant de préciser les limites pouvant être apportées au droit pour les fonctionnaires d'accéder à leur dossier individuel, composante essentielle du respect des droits de la défense ;

Attendu que les syndicats requérants ajoutent, en quatrième lieu, que l'article 14 de la loi attaquée a modifié l'article 18 de la loi du 12 juillet 1975 ; qu'ils sont par suite recevables à critiquer la condition de « bonne moralité » prévue à l'article 14 ; qu'en tout état de cause, la question de savoir si une telle condition peut être exigée a nécessairement substantiellement évolué depuis 1975, ce qui impose son réexamen ; que l'éminente subjectivité de l'exigence de « bonne moralité » n'est pas compatible avec l'approche capacitaire pour l'exercice d'un emploi public et porte en germe une atteinte au principe d'égalité ;

Attendu que les syndicats requérants précisent, en cinquième lieu, qu'ils ne critiquent pas le fait que le droit à l'effacement de la sanction soit subordonné à une demande du fonctionnaire concerné afin de le responsabiliser ; qu'en revanche, le seul critère objectif tient au fait de ne pas avoir été sanctionné depuis lors ; qu'il n'y a pas lieu de faire reposer sur le fonctionnaire la charge de contester devant un juge un rejet arbitraire d'une demande d'effacement et d'attendre du juge qu'il censure une appréciation subjective de l'autorité hiérarchique permise par la loi en recourant à une notion imprécise ; que la garantie du principe constitutionnel d'égalité doit être assurée par le législateur et non a posteriori par le juge ; que la lettre de la loi doit permettre d'éviter des applications inconstitutionnelles et des discriminations indirectes ; qu'une application discrétionnaire du droit à l'effacement emporte une atteinte à la liberté de travailler en ce que l'évolution de la carrière d'un fonctionnaire peut être entravée par une application discrétionnaire du droit à l'effacement ;

 

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 20 décembre 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu, en premier lieu, qu'il ajoute que, selon les jurisprudences du Tribunal Suprême, du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel français, la constitutionnalité ou la légalité de dispositions purement confirmatives ne peut être discutée ; qu'en l'espèce, la rédaction de l'alinéa 1^er de l'article 17 de la loi du 12 juillet 1975 demeure inchangée après la promulgation de la loi du 7 juillet 2022 ; que ce premier alinéa n'est ni modifié, ni complété, ni affecté dans son champ d'application par la loi nouvelle ; que la requête est donc irrecevable en ce qu'elle critique la constitutionnalité de dispositions qui reproduisent celles de la loi antérieure, notamment celles de l'alinéa 1^er de l'article 13 de la loi du 7 juillet 2022 ; qu'un élargissement du champ du contrôle de constitutionnalité ne saurait être admis au seul motif d'un changement dans les circonstances de droit et de fait ; que la critique des requérants peut être portée, par voie d'exception, à l'occasion d'un contentieux né de l'application des dispositions en litige ; qu'ainsi, les syndicats requérants ne sont pas recevables à critiquer, par voie d'action, les dispositions pour lesquelles la loi attaquée s'est bornée à reprendre des dispositions préexistantes ; qu'en outre, les requérants n'établissent nullement en quoi les dispositions de la loi attaquée présenteraient un caractère indissociable ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en deuxième lieu, que l'article 13, après avoir fixé un principe général de non-discrimination, encadre strictement les hypothèses exceptionnelles dans lesquelles des distinctions peuvent être envisagées ; que ces distinctions ne peuvent être faites qu'en vue de « répondre à des exigences professionnelles essentielles et déterminantes » ; que l'appartenance ethnique, les opinions politiques ou philosophiques ou syndicales  ou encore l'orientation sexuelle étant par nature sans lien avec ces exigences, ne sont pas visées par la disposition ; que les distinctions fondées sur l'état de santé et le handicap ne peuvent être admises qu'exceptionnellement dans la stricte mesure où elles répondent aux conditions fixées par le troisième alinéa ;

Attendu que le Ministre d'État précise, en troisième lieu, que la Constitution permet au législateur, dans certains domaines, de définir des droits exclusifs ; qu'il est ainsi compétent pour réserver aux nationaux le droit d'avoir la qualité de fonctionnaire ;  que l'exception prévue pour les emplois de la Direction de la Sûreté publique relatifs à la sécurité et à l'ordre public s'explique par des raisons historiques, d'ailleurs matérialisées par une convention bilatérale avec la République française ; que pendant longtemps, certains emplois publics ont été réservés à des ressortissants français par la Convention du 28 juillet 1930 relative à l'accession des sujets monégasques à certains emplois publics en France et au recrutement de certains fonctionnaires de la Principauté ; que la convention du 8 novembre 2005 qui l'a remplacée prévoit que « les emplois publics en Principauté reviennent aux ressortissants monégasques » tout en précisant que « les emplois relatifs à la sécurité et à l'ordre public ne peuvent être occupés que par des ressortissants monégasques ou français » ;

Attendu, en quatrième lieu, que selon le Ministre d'État, l'article 11 de la loi attaquée distingue le « droit d'accès au dossier », qui peut intervenir à tout moment à la demande de l'intéressé, et le « droit d'en obtenir communication » avant le prononcé d'une sanction disciplinaire, ce dernier droit impliquant celui d'en avoir copie, comme le confirme l'exposé des motifs du projet de loi ; que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que manquerait l'information nécessaire de ce droit pour assurer l'effectivité des droits de la défense ; que le législateur a particulièrement veillé à assurer le caractère contradictoire de la procédure disciplinaire ; qu'aux termes de l'article 42 de la loi du 12 juillet 1975, dans sa rédaction résultant de la loi attaquée, « l'avertissement et le blâme sont donnés par le chef de service après que le fonctionnaire intéressé a été entendu en ses explications ou, à défaut, dûment mis en mesure de les fournir » ; que l'article 46 de la même loi précise, pour les autres sanctions, que « le fonctionnaire déféré au conseil de discipline est mis en demeure, par lettre recommandée avec avis de réception, de prendre connaissance de son dossier et de toutes les pièces relatives à l'affaire » ; que les droits d'accès et de communication du dossier des intéressés sont ainsi garantis dans des conditions qui satisfont pleinement l'exercice des droits de la défense ; que le respect des droits de la défense n'est pas davantage méconnu par le fait que la loi confie à une Ordonnance Souveraine le soin de définir les pièces qui ne seront pas consultables ; que cette Ordonnance Souveraine, en cours d'élaboration, aura pour objet, sur ce point particulier, de préserver les droits des tiers ;

Attendu que le Ministre d'État entend rappeler, en quatrième lieu, que l'exigence de « bonne moralité » fait partie intégrante du droit monégasque ainsi que de la jurisprudence du Tribunal Suprême ; qu'en effet, cette exigence se retrouve au titre des conditions requises dans le cadre d'autorisations d'exercice d'activités économiques et juridiques ou encore pour des autorisations d'exercice de professions, d'emploi, d'activités ou de fonctions réglementées par la loi ou les règlements ; que le Tribunal Suprême fait lui-même référence à la notion de « garanties appropriées », laquelle comprend la notion de bonne moralité (par exemple, TS, décision n° 2021-14 du 7 octobre 2022) ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en dernier lieu, que l'existence d'un contrôle juridictionnel sur l'appréciation que la loi confie à une autorité est une circonstance régulièrement prise en compte par le juge constitutionnel ; que la notion de « donner satisfaction » n'implique pas une appréciation subjective de l'autorité hiérarchique, ce d'autant moins que le Ministre d'État statue sur la demande d'effacement après avis de la commission de la fonction publique et du chef de service de l'intéressé ; que l'exigence tenant à ce que l'agent donne satisfaction est d'ailleurs très présente dans le droit de la fonction publique ; qu'on la trouve ainsi, par exemple, en France à l'article R. 4139-16 du Code de la défense ou à l'article 9 du décret n° 2001-1174 du 11 décembre 2001 ; qu'ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le législateur ne pouvait conditionner l'effacement des sanctions disciplinaires au fait d'avoir « donné toute satisfaction » ;

 

SUR CE,

Vu la loi attaquée ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 2° du A de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 975 du 12 juillet 1975 modifiée, portant statut des fonctionnaires de l'État ;

Vu l'Ordonnance du 21 septembre 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier RIBES, Vice-président, comme rapporteur ;

Vu l'Ordonnance du 21 septembre 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a réduit les délais de production des réplique et duplique ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en chef en date du 4 janvier 2023 ;

Vu l'Ordonnance du 13 janvier 2023 modifiée, par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 23 février 2023 ;

Ouï Monsieur Didier RIBES, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Antoine LYON-CAEN, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions par lesquelles il s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

1. Considérant que l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE demandent, sur le fondement du 2° du A de l'article 90 de la Constitution, l'annulation de la loi du 7 juillet 2022 modifiant la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires ;

Sur les articles 1^er, 3 et 16 de la loi

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 25 de la Constitution : « La liberté du travail est garantie. Son exercice est réglementé par la loi. / La priorité est assurée aux Monégasques pour l'accession aux emplois publics et privés, dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales » ; que la priorité ainsi reconnue aux Monégasques s'exerce à la double condition que l'emploi en cause soit vacant et que le candidat possède les titres requis ou les aptitudes nécessaires pour accéder à cet emploi ; qu'en vertu de l'article 51 de la Constitution, « les obligations, droits et garanties fondamentaux des fonctionnaires, ainsi que leur responsabilité civile et pénale, sont fixés par la loi» ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 17 de la Constitution, « les Monégasques sont égaux devant la loi. Il n'y a pas entre eux de privilèges» ; que le principe d'égalité, garanti par l'article 17 de la Constitution, ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'en revanche, il n'oblige pas à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ; que l'article 32 de la Constitution dispose : « L'étranger jouit dans la Principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux» ;

4. Considérant que l'article 2 de la loi du 12 juillet 1975, dans sa rédaction résultant de l'article 1^er de la loi attaquée énonce désormais que nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire s'il ne possède la nationalité monégasque ; qu'il prévoit, toutefois, que les emplois de la Direction de la Sûreté Publique relatifs à la sécurité et à l'ordre public peuvent être occupés par des fonctionnaires ne possédant pas cette nationalité ; qu'il résulte notamment des articles 3-1 à 3-4 de la loi du 12 juillet 1975, issus de l'article 3 de la loi attaquée, que les emplois permanents de l'État sont occupés par des fonctionnaires ; qu'ils peuvent cependant être pourvus par des agents contractuels lorsqu'aucune personne de nationalité monégasque ne remplit les conditions requises pour les occuper en qualité de fonctionnaire ; que des agents contractuels de l'État peuvent également être recrutés pour remplacer des fonctionnaires qui n'assurent pas momentanément leurs fonctions ou les assurent à temps partiel, ou pour remplacer d'autres agents de l'État ou encore pour exécuter des missions ou des tâches déterminées ; que les agents contractuels de l'État sont recrutés et leur contrat peut être renouvelé, dans des conditions déterminées par Ordonnance Souveraine, sous réserve de la priorité accordée aux personnes de nationalité monégasque ; que l'article 20-1 de la loi du 12 juillet 1975, créé par l'article 16 de la loi attaquée, précise que le candidat retenu à l'issue d'un concours de recrutement est recruté en qualité de fonctionnaire s'il est de nationalité monégasque ; qu'il est recruté en qualité d'agent contractuel de l'État s'il est d'une autre nationalité, sauf application des dispositions relatives aux emplois de la Direction de la Sûreté Publique relatifs à la sécurité et à l'ordre public ;

5. Considérant, en premier lieu, que ni l'article 25 de la Constitution, eu égard à la portée, rappelée au point 2, du principe de priorité des Monégasques pour l'accession aux emplois publics et privés, ni aucune autre disposition de la Constitution ne fait obstacle à ce que le législateur décide de réserver aux nationaux la qualité de fonctionnaire ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions des articles 1^er, 3 et 16 de la loi attaquée n'ont ni pour objet, ni pour effet, compte tenu des caractéristiques démographiques de la Principauté, d'interdire l'accession aux emplois publics des personnes n'ayant pas la nationalité monégasque ; qu'en effet, elles ne ferment pas aux ressortissants étrangers l'accès aux concours de recrutement organisés par l'État mais ont pour seule conséquence que l'étranger qui réussit un tel concours est recruté en qualité d'agent contractuel et non de fonctionnaire ; qu'en outre, un étranger peut occuper un emploi permanent de l'État en qualité d'agent contractuel lorsqu'aucune personne de nationalité monégasque ne remplit les conditions requises pour l'occuper en qualité de fonctionnaire ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient la liberté du travail garantie par l'article 25 de la Constitution ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'eu égard à la nature particulière du lien les unissant à l'État, les Monégasques ne sont pas dans la même situation que les étrangers ; que le moyen tiré de ce que les articles 1^er, 3 et 16 de la loi attaquée méconnaîtraient le principe d'égalité entre Monégasques et ressortissants étrangers n'est donc pas fondé ;

8. Considérant, en quatrième lieu, que la différence de traitement entre les personnes occupant des emplois relatifs à la sécurité et à l'ordre public au sein de la Direction de la Sûreté publique et ceux occupant d'autres emplois publics est fondée sur un critère objectif résultant de la nature des missions assurées ; qu'elle n'est pas contraire au principe d'égalité ;

9. Considérant, en dernier lieu, qu'un étranger occupant un emploi public ne se trouve pas dans la même situation qu'un étranger occupant un emploi privé ; que, par suite, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que la loi attaquée méconnaîtrait le principe d'égalité entre ressortissants étrangers travaillant sur le sol monégasque ;

Sur l'article 11 de la loi

10. Considérant que le second alinéa de l'article 13 de la loi du 12 juillet 1975, dans sa rédaction résultant de l'article 11 de la loi attaquée, prévoit, d'une part, que le fonctionnaire a accès à son dossier individuel, à l'exception des pièces non consultables dans les conditions définies par Ordonnance Souveraine et, d'autre part, qu'il a droit d'en obtenir communication avant le prononcé d'une sanction disciplinaire ;

11. Considérant, en premier lieu, d'une part, que le droit, énoncé par l'article 11 de la loi attaquée, d'obtenir communication des pièces de son dossier comporte, pour l'agent concerné, celui d'en prendre copie ; que, d'autre part, en vertu de l'article 46 de la loi du 12 juillet 1975, le fonctionnaire contre lequel est engagé une procédure devant le conseil de discipline est mis en demeure, par lettre recommandée avec avis de réception, de prendre connaissance de son dossier et de toutes les pièces relatives à l'affaire ; qu'il s'ensuit que les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'article 11 de la loi attaquée ne permettrait pas un exercice effectif des droits de la défense ;

12. Considérant, en deuxième lieu, que, conformément au principe général du droit de respect des droits de la défense, l'autorité administrative compétente doit faire connaître à l'intéressé les motifs de toute mesure prise en considération de la personne et lui permettre de prendre connaissance des pièces correspondantes de son dossier, de présenter ses observations et, le cas échéant, de se faire assister par un conseil de son choix ; que le respect de ce principe s'impose à l'autorité administrative sans qu'il soit besoin, pour le législateur, d'en rappeler l'existence ; que, par suite et en tout état de cause, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en s'abstenant de prévoir un droit pour le fonctionnaire à la communication des pièces de son dossier à l'occasion du prononcé de toute mesure prise en considération de la personne, le législateur aurait méconnu le principe constitutionnel des droits de la défense ;

13. Considérant, en troisième lieu, qu'en posant le principe d'une exclusion du droit à communication de certaines pièces du dossier et en renvoyant à une Ordonnance Souveraine le soin de préciser à quelles conditions certaines pièces ou parties de celles-ci ne sont pas consultables par le fonctionnaire concerné, la loi attaquée n'a pas, par elle-même, méconnu le principe constitutionnel des droits de la défense ; qu'il appartiendra à l'Ordonnance Souveraine de préciser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les critères objectifs de nature à justifier une telle exclusion dans le respect du principe constitutionnel des droits de la défense ;

Sur l'article 13 de la loi

14. Considérant que l'article 17 de la loi du 12 juillet 1975 dans sa rédaction résultant de l'article 13 de la loi attaquée prévoit, tout d'abord, que pour l'application du statut des fonctionnaires de l'État, aucune distinction n'est faite entre les deux sexes, sous réserve des mesures exceptionnelles commandées par la nature des fonctions ; qu'il énonce ensuite un principe de non-discrimination interdisant toute distinction entre fonctionnaires en raison de leur genre, de leurs opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales, de leur orientation sexuelle, de leur état de santé, de leur handicap, de leur apparence physique ou de leur appartenance ethnique ; que le même article autorise que des distinctions soient faites entre fonctionnaires en vue de répondre à des « exigences professionnelles essentielles et déterminantes», notamment afin de tenir compte de la nature des fonctions ou des conditions de leur exercice ;

15. Considérant, en premier lieu, qu'eu égard à leur emplacement au sein des dispositions générales du statut des fonctionnaires de l'État, les dispositions de l'article 17 de la loi du 12 juillet 1975 sont applicables tant au recrutement qu'au déroulement de la carrière des fonctionnaires de l'État ;

16. Considérant, en deuxième lieu, que le principe d'égalité garanti par l'article 17 de la Constitution implique que les femmes ont vocation à occuper tous les emplois publics dans les mêmes conditions que les hommes, aucune distinction ne pouvant être introduite entre les agents de l'un et de l'autre sexe dans les conditions d'exercice des fonctions correspondant à ces emplois, hormis celles qui sont justifiées soit par les conditions particulières dans lesquelles sont accomplies certaines missions, soit par un motif d'intérêt général ;

17. Considérant qu'en prévoyant que des distinctions entre les deux sexes ne peuvent être faites qu'exceptionnellement et à la condition qu'elles soient commandées par la nature des fonctions, le législateur n'a pas méconnu le principe constitutionnel d'égalité ;

18. Considérant, en troisième lieu, que le principe d'égalité, garanti par l'article 17 de la Constitution, implique également, en matière de fonction publique, qu'il ne soit établi aucune discrimination soit entre les fonctionnaires d'un même cadre, corps ou grade, soit entre les candidats au même emploi, dès lors que les uns et les autres se trouvent dans des situations identiques ;

19. Considérant que le respect du principe constitutionnel d'égalité s'impose à l'Administration sans qu'il soit besoin, pour le législateur, d'en expliciter toutes les implications ; que, par suite, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en s'abstenant de mentionner certains motifs de discrimination tels que l'âge, l'état de grossesse, le nom patronymique ou la « prétendue race», l'article 13 de la loi attaquée méconnaîtrait l'article 17 de la Constitution ;

20. Considérant, en dernier lieu, que les « exigences professionnelles essentielles et déterminantes» susceptibles de justifier des distinctions doivent être objectivement commandées par la nature ou les conditions d'exercice des fonctions ; que la différence de traitement en résultant doit être appropriée et nécessaire pour répondre à l'objectif d'intérêt général poursuivi ; que de telles distinctions peuvent être notamment fondées sur un critère d'aptitude physique ou une condition d'âge ; qu'en revanche, contrairement à ce qui est soutenu par les syndicats requérants, l'article 13 de la loi attaquée n'autorise pas que des distinctions soient fondées sur des caractéristiques personnelles sans lien avec la nature des fonctions ou les conditions de leur exercice ; que le moyen tiré de ce que cette disposition méconnaîtrait le principe d'égalité et, par voie de conséquence, les autres droits et libertés garantis par le titre III de la Constitution doit, dès lors, être écarté ;

Sur l'article 14 de la loi

21. Considérant que l'article 18 de la loi du 12 juillet 1975, dans sa rédaction résultant de l'article 14 de la loi attaquée, dispose que nul ne peut être nommé dans l'un des emplois permanents de l'État s'il n'est pas de bonne moralité ;

22. Considérant que cette disposition a pour objet de permettre à l'Administration de s'assurer que les personnes aspirant à occuper de tels emplois présentent les garanties nécessaires pour exercer leurs fonctions et respecter les devoirs qui s'y attachent ; qu'il appartient à l'Administration d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les faits de nature à mettre sérieusement en doute l'existence des garanties requises ; que, contrairement à ce que soutiennent les syndicats requérants, le principe d'égalité garanti par la Constitution n'impose pas que le législateur définisse des critères plus précis que celui prévu par la loi attaquée ; que par suite, le moyen tiré de ce que l'article 14 de la loi attaquée méconnaîtrait le principe constitutionnel d'égalité et les autres droits et libertés garantis par le titre III de la Constitution n'est, en tout état de cause, pas fondé ;

Sur l'article 36 de la loi

23. Considérant que l'article 47 de la loi du 12 juillet 1975, dans sa rédaction résultant de l'article 36 de la loi attaquée, dispose que le fonctionnaire qui a fait l'objet d'une sanction disciplinaire, mais qui n'a pas été exclu des cadres, peut, après trois années s'il s'agit d'un avertissement ou d'un blâme et cinq années s'il s'agit d'une autre sanction, introduire, par la voie hiérarchique, une demande tendant à ce que toute mention de la sanction prononcée soit effacée de son dossier ; qu'il précise qu'il ne peut toutefois être fait droit à sa demande que si, par son comportement général, l'intéressé a donné toute satisfaction depuis la sanction dont il a fait l'objet ;

24. Considérant que la condition posée par l'article 36 de la loi attaquée tient à la manière de servir du fonctionnaire appréciée par l'autorité hiérarchique sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir ; qu'en outre, la disposition critiquée prévoit que le Ministre d'État se prononce sur la demande après avis de la commission de la fonction publique et du chef de service de l'intéressé ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'en posant cette condition à l'effacement de toute mention au dossier de la sanction, l'article 36 de la loi attaquée méconnaîtrait le principe d'égalité et la liberté du travail doit être écarté ;

25. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE ne sont pas fondés à demander l'annulation de la loi n° 1.527 du 7 juillet 2022 modifiant la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

Sous la réserve énoncée au considérant n° 13, la requête de l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et du SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE est rejetée.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO et du SYNDICAT DES AGENTS DE L'ÉTAT ET DE LA COMMUNE.

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, rapporteur, Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire, Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, et Monsieur Guillaume DRAGO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Membres suppléants, et prononcé le dix mars deux mille vingt-trois en présence du Ministère public, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Greffier en Chef.

Le Greffier en Chef,                                    Le Président.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2022-29
Date de la décision : 10/03/2023

Analyses

En vertu de l'article 17 de la Constitution, le Tribunal Suprême considère que le principe d'égalité : « ne s'oppose, ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ». Son article 25, qui prévoit le principe de la garantie de la liberté du travail, précise : « La priorité est assurée aux Monégasques pour l'accession aux emplois publics et privés, dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales ». Cela n'empêche pas pour autant un étranger d'occuper un emploi, à condition qu'il soit vacant et que le candidat possède les titres requis ou les aptitudes nécessaires.Les requérants demandent l'annulation de plusieurs dispositions de la loi du 7 juillet 2022 qui représente la conclusion d'un travail de onze années sur la modernisation de la fonction publique dans la Principauté. Son article 1er prévoit notamment que la qualité de fonctionnaire doit être rattachée à la nationalité monégasque, mais cela ne fait pas pour autant obstacle au recrutement de contractuels. Cet aménagement n'est donc pas en soi contraire à l'article 25 de la Constitution. Ces derniers ne pourront être de facto fonctionnaires, mais peuvent passer les concours de la fonction publique, notamment au regard des caractéristiques démographiques de la Principauté. Le Tribunal rappelle qu'il existe une différence objective de situation entre les deux statuts permettant de déroger au principe d'égalité, eu égard à la nature particulière des liens unissant la nationalité monégasque à la qualité de fonctionnaire de la Principauté, occupant un emploi public.L'article 11 de la loi attaquée prévoit le droit du fonctionnaire d'accès à son dossier individuel et sa communication avant le prononcé d'une sanction disciplinaire. Le fait qu'il puisse en faire une copie, qu'il soit prévenu par lettre recommandée avant toute procédure disciplinaire qui doit être motivée et pour lequel le fonctionnaire peut se faire assister par un conseil, permet de remplir les conditions d'un exercice effectif des droits de la défense. En revanche, le Tribunal émet une réserve d'interprétation sur la possibilité pour l'autorité administrative d'exclure certaines pièces du dossier, en imposant à l'Ordonnance à laquelle la loi renvoie, le soin de préciser sous le contrôle du juge quels sont les critères objectifs de nature à justifier une telle exclusion dans le respect du principe constitutionnel des droits de la défense, qualifié de principe général du droit.Enfin, les autres dispositions contestées ne sont pas contraires à la Constitution sur le fondement du principe d'égalité. En effet, la possibilité de d'établir une distinction entre les sexes s'agissant d'un recrutement ne peut être réalisé qu'exceptionnellement et à la condition que cela soit commandé par la nature des fonctions. La condition de bonne moralité est quant à elle contrôlée par l'Administration sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir. Ce même contrôle est exercé s'agissant de l'effacement d'une sanction disciplinaire du dossier individuel de l'intéressé à sa demande dès lors que par son comportement, le fonctionnaire a donné entière satisfaction.

Fonction publique  - Fonction publique civile et militaire  - Droit des personnes - Nationalité - naturalisation.

Tribunal Suprême - Recours en annulation - Accès à la fonction publique - Condition de nationalité - Agent contractuel - Droit d'accès au dossier individuel - Sanction disciplinaire - Droit de la défense - Principe de non-discrimination - Condition de moralité - Effacement d'une sanction - Réserve d'interprétation - Rejet.


Parties
Demandeurs : Union des Syndicats de Monaco et Syndicat des agents de l'État et de la Commune
Défendeurs : État de Monaco

Références :

loi n° 1.527 du 7 juillet 2022
Ordonnance Souveraine n° 2021 du 19 décembre 2008
articles 22, 23 et 28 de la Constitution
Vu la Constitution
articles 25 et 32 de la Constitution
article 19 de la Constitution
article 17 de la Constitution
loi n° 975 du 12 juillet 1975
article 90 de la Constitution
article 25 de la Constitution
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
articles 25, 32 et 51 de la Constitution
TS, décision n° 2021-14 du 7 octobre 2022
articles 17, 25 et 32 de la Constitution
article 51 de la Constitution
article 32 de la Constitution


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2023-03-10;ts.2022.29 ?

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