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30/11/2023 | MONACO | N°TS/2022-25

Monaco | Tribunal Suprême, 30 novembre 2023, Madame S. L. c/ État de Monaco, TS/2022-25


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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par Mme L., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 16 août 2022 sous le numéro TS 2022-25, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 20 juin 2022 du Ministre d'État rejetant son recours gracieux contre la décision du 25 avril 2022 considérant que son appartement situé XXX à Monaco relève des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 et lui infligeant une amende d'un montant de 5.000 €, en application

des articles 35 et 37 de cette loi, ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;...

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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par Mme L., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 16 août 2022 sous le numéro TS 2022-25, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 20 juin 2022 du Ministre d'État rejetant son recours gracieux contre la décision du 25 avril 2022 considérant que son appartement situé XXX à Monaco relève des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 et lui infligeant une amende d'un montant de 5.000 €, en application des articles 35 et 37 de cette loi, ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que, à la suite du décès de son mari, R. L., survenu le XXXX, Mme L. a hérité d'un appartement situé au premier étage de l'immeuble sis XXX à Monaco, édifié avant le 10 août 1944, correspondant au lot n° XXX ; que, par une lettre du 7 juin 2021, la Direction de l'Habitat lui a indiqué qu'à la suite de ce décès, l'appartement devait être considéré comme vacant, de sorte qu'il devait faire l'objet d'une déclaration de vacance dans le délai d'un mois, par application des dispositions de l'article 35, alinéa 1er, de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947, modifiée ; que Mme L. a refusé d'effectuer cette déclaration, au motif que l'appartement visé par l'administration ne semblait pas être le sien, que la classification de son appartement le faisait échapper aux dispositions de la loi du 28 décembre 2000 et que l'appartement n'avait jamais fait l'objet d'une habitation par R. L. ni d'une location depuis son acquisition par F. L., son père ; qu'à la suite de nombreux échanges entre le conseil de Mme L. et la Direction de l'Habitat, le Ministre d'État, par une décision du 25 avril 2022, a infligé à cette dernière une amende de 5.000 euros, en application des dispositions des articles 35 et 37 de la loi du 28 décembre 2000 ; que Mme L. a formé un recours gracieux contre cette décision par lettre du 20 mai 2022, recours qui a été rejeté expressément le 20 juin 2022 ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, Mme L. soutient, en premier lieu, que la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation en visant un autre appartement que le sien ; que, dans le cadre de ses échanges avec Mme L., la Direction de l'Habitat indiquait dans ses courriers que l'appartement appartenant à Mme L. serait un quatre pièces, en s'appuyant sur un document « Déclaration des logements » du 10 août 1944, mentionnant un appartement de quatre pièces ; qu'or, le premier étage de l'immeuble situé 7 rue des Princes est composé de deux lots : le lot n° XXX, correspondant à un appartement de trois pièces, et le lot n° XXX, désignant un appartement de quatre pièces ; que l'appartement de Mme L. est celui de trois pièces ; qu'il a été acquis de R. B. par F. L., par un acte de vente du 2 août 1952, qui mentionne expressément ces trois pièces ;

Attendu que, en deuxième lieu, Mme L. fait valoir que son appartement n'a jamais fait l'objet d'une location depuis son acquisition par F. L.; que cela ressort de l'extrait d'acte translatif de propriété immobilière établi le 21 novembre 1989, étant ajouté qu'en 1952, le vendeur occupait l'appartement ; qu'au décès de F. L., R. L., son fils, a hérité de cet appartement et ne l'a jamais occupé, puisqu'il vivait avec son épouse, Mme L., au XXXX ; que la Direction de l'Habitat était informée de la domiciliation de ce dernier, dans la mesure où, d'une part, l'acte d'acquisition de l'appartement des époux L. de 1990 mentionne que R. L. y est domicilié, d'autre part, R. L. était titulaire d'une carte de résident mentionnant une adresse au XXXXX et, en dernière part, le certificat d'immatriculation de son véhicule indiquait la même adresse ; que l'appartement n'a pas non plus fait l'objet d'une location puisqu'il a toujours servi de pied-à-terre pour les enfants des époux L. ou d'autres membres de la famille, lorsqu'ils se rendent à Monaco ; qu'au décès de son mari, Mme L. a hérité de l'appartement qui appartenait à ce dernier ; que le décès de R. L. n'a donc eu aucune incidence sur l'utilisation de l'appartement, puisqu'il ne fait pas l'objet d'une location et sert toujours de pied-à-terre pour les enfants de Mme L. ou d'autres membres de la famille, qui viennent s'occuper de cette dernière, aujourd'hui âgée de 88 ans ;

Attendu qu'en troisième lieu, Mme L. affirme que son appartement n'est pas soumis à la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; qu'elle expose que la législation actuelle fait coexister trois régimes de location des locaux à usage d'habitation construits ou achevés antérieurement à 1947 : premièrement, le régime de droit commun auquel ont été rendus les locaux de toutes catégories affectés pour la première fois à la location à compter du 25 juin 1970 par la loi n° 888 du 25 juin 1970 modifiant et complétant l'Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959, relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation ; deuxièmement, le régime d'exception issu de cette Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 remplacée par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ; troisièmement, le régime dérogatoire au régime d'exception, institué par la loi n° 887 du 25 juin 1970 portant limitation du champ d'application de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation, pour les locaux de catégorie 1 et 2 A-B devenant vacants à compter du 1er octobre 1970 ou 1971 ; que, pour ce dernier régime, la détermination des catégories s'opère par une application par renvoi à une Ordonnance Souveraine n° 77 du 22 septembre 1949, relative au classement et au prix de location des immeubles d'habitation, dont certaines dispositions ont été abrogées par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 mais dont certaines autres demeurent applicables ; qu'en effet, la loi n° 887 du 25 juin 1970 précise explicitement que les dispositions de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959, aujourd'hui la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, cesseront d'être applicables aux locaux qui seront classés dans la première catégorie prévue à l'article 2 de l'Ordonnance Souveraine n° 77 du 22 septembre 1949 ou dans la deuxième catégorie, sous-catégorie A et sous-catégorie B prévues à son article 3 ; que l'esprit des lois du 25 juin 1970 était de faire sortir du régime locatif un certain nombre de biens qui, bien que construits avant 1947, présentaient néanmoins un certain standing, sous réserve d'un certain nombre de sujétions imposées au propriétaire ; que Mme L. a produit la preuve du classement, avant le 26 juin 1970, en catégorie 1, 2A ou 2B de l'appartement ; que, tout d'abord, la Direction de l'Habitat ne s'est jamais rendue à l'appartement appartenant à Mme L. ; qu'ensuite, la Direction de l'Habitat ne tire d'aucun texte le pouvoir de procéder au classement d'un appartement, comme cela ressort de la jurisprudence du Tribunal suprême ; qu'en tout état de cause, l'appartement répond aux vœux du législateur, ce qu'attestent à la fois le Règlement de copropriété du 12 avril 1949 et la description de l'immeuble ; qu'au vu de ces caractéristiques et de celles de l'immeuble, l'appartement relève soit de la première catégorie, soit de la deuxième catégorie sous-catégorie A de l'Ordonnance Souveraine n° 77 du 22 septembre 1949, ce qui le fait échapper au régime de la loi n°1.235 par application de la loi n° 887 ; que cette analyse est corroborée par l'estimation de l'agence DOTTA IMMOBILIER faite en février 2006, qui fait référence au « secteur libre, non soumis aux différentes législations relatives aux locaux à usage d'habitation » ; que ce classement est enfin confirmé par la SAM BATI CONSEIL qui estime que « l'appartement et l'immeuble sont à classer en « première catégorie » » ; que, dans le même sens, le logement situé dans l'immeuble au rez-de-chaussée, correspondant au lot n° XXX, est actuellement proposé à la location pour un loyer largement au-dessus des loyers pratiqués dans le secteur protégé mais conforme aux loyers du secteur libre ; que l'appartement de Mme L. ne relève donc pas des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; qu'il en résulte que Mme L. n'avait pas à satisfaire aux formalités prévues par celle-ci, de sorte que c'est à tort que le Ministre d'État lui a infligé une amende ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 17 octobre 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu qu'en premier lieu, le Ministre d'État soutient que l'appartement visé par la décision attaquée est bien celui que R. L. a légué à son épouse, Mme L.; qu'il résulte du « cahier des charges et règlement de copropriété » du 12 avril 1949 que le premier étage de l'immeuble situé XXX à Monaco ne comporte que deux lots, les lots n° XXX et n° XXX ; que ces deux lots ont, chacun, fait l'objet d'une « déclaration des logements » par leur propriétaire, J. B., le 10 août 1944 ; que l'acte de vente du 2 septembre 1952 intervenu entre R. B., vendeur, et F. L., acheteur, qui porte sur le lot n° XXX, indique que le vendeur a acquis ce lot auprès de Mme B. le 12 mai 1949 ; que l'appartement qui appartient actuellement à Mme L. appartenait donc à Mme B. le 10 août 1944 ; que les « déclarations des logements » effectuées par cette dernière à cette date au titre des deux lots situés au premier étage indiquaient toutes deux qu'elles portaient sur un appartement de quatre pièces, de sorte qu'il faut en conclure que le lot n° XXX, qui comportait initialement quatre pièces, a fait l'objet de travaux intérieurs en modifiant l'aménagement ; que la circonstance que la décision attaquée vise également un appartement de quatre pièces situé au premier étage de l'immeuble ne permet donc pas de considérer que cette décision ne viserait pas le lot de copropriété appartenant à Mme L. ;

Attendu qu'en deuxième lieu, selon le Ministre d'État, c'est à tort que la requérante affirme que R. L. n'occupait pas l'appartement en cause ; que l'extrait d'acte translatif de propriété immobilière établi en 1989 à la suite du décès de son père, F. L., indique que le lot n° XXX appartenait dorénavant à R. L. et que ce dernier demeurait XXX ; que la « formule de déclaration de mutation par décès » établie par R. L. le 17 novembre 1989 confirme que ce dernier a déclaré être domicilié 7 rue des Princes ; que la circonstance qu'il a fait établir certains documents administratifs à une autre adresse ne démontre donc pas qu'il n'aurait jamais occupé l'appartement situé XXX ;

Attendu qu'en troisième lieu, le Ministre d'État soutient que la circonstance que le Directeur de l'Habitat n'ait pas compétence pour procéder lui-même au classement d'un logement ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse préciser qu'un logement relève de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 et en tirer les conséquences ; que, par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que le logement en cause relèverait de la première catégorie prévue par l'ordonnance du 22 septembre 1949 ; que, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée, l'article 1er de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 prévoyait que les locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 sont soumis aux dispositions de cette loi à l'exception, en particulier, de ceux qui relèvent de la loi n° 887 du 25 juin 1970 ; qu'il résulte de l'ordonnance-loi n° 4.621 du 29 décembre 1970 fixant les modalités d'exécution de la loi n° 887 du 25 juin 1970 que seuls les locaux qui relevaient, avant le 26 juin 1970, de la catégorie 1 ou de la catégorie 2, sous-catégories A et B, prévues respectivement aux articles 2 et 3 de l'ordonnance souveraine n° 77 du 21 septembre 1949, peuvent relever du régime dérogatoire au régime d'exception prévu par la loi n° 887 du 25 juin 1970 ; qu'au cas présent, la requérante n'apporte pas la preuve que le logement en cause aurait relevé de la première catégorie avant le 26 juin 1970 ; qu'elle se borne à indiquer les caractéristiques de l'immeuble et de l'appartement, notamment la hauteur sous plafond ; que ces éléments n'établissent pas que l'appartement aurait relevé de la première catégorie, qui correspond aux immeubles « ayant réellement un caractère de luxe » ; que l'article 2 de l'ordonnance n° 77 précise en outre que, dans les immeubles collectifs, est exigée la présence d'un ou de plusieurs ascenseurs, d'escaliers de service et d'un monte-charge ; que, toutefois, l'immeuble dont relève l'appartement litigieux ne présente pas ces caractéristiques ; que, d'ailleurs, la déclaration de mutation de 1989 indique que l'immeuble situé XXX constitue un « immeuble de rapport » alors que cette déclaration précise qu'un autre bien immobilier transmis par voie successorale par F. L. à R. L. relève, lui, d'un « immeuble de grand standing » ; qu'en toute hypothèse, la requérante ne démontre pas que l'appartement en cause aurait présenté des caractéristiques lui permettant de relever de la première catégorie avant le 26 juin 1970 ; que c'est vainement qu'elle se réfère au document établi par le cabinet BATI CONSEIL, ce document ne faisant pas référence aux caractéristiques de l'immeuble et de l'appartement existant avant cette date ; qu'ainsi l'appartement ne peut bénéficier du régime dérogatoire institué par la loi n° 887 du 25 juin 1970 ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 18 novembre 2022, par laquelle Mme L. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu qu'en premier lieu, la requérante ajoute que les documents intitulés « Déclarations des logements » ne sont pas signés par Mme B., précédente propriétaire des deux appartements situés au premier étage de l'immeuble considéré, mais par R. M., gérant de l'agence immobilière M. ; que, par ailleurs, la description qu'ils font des locaux est identique, de sorte que ces déclarations ne permettent pas de déterminer avec exactitude à quel lot du règlement de copropriété se rapporte chaque déclaration ; que, contrairement à ce que suppose le Ministre d'État, l'appartement de Mme L. a toujours été composé de trois pièces ; qu'en effet, tout d'abord, le Ministre d'État ne produit aucun document permettant de confirmer l'existence de travaux intérieurs qui auraient modifié le nombre de pièces ; qu'ensuite, l'acte de vente de 1952 précise qu'il s'agit d'un trois pièces et ne fait état d'aucune transformation ; qu'au surplus, le Règlement de copropriété de 1949 attribue 93/1000èmes des parties communes au lot n° XXX et 103/1000èmes des parties communes au lot n° XXX ; que cette différence s'explique par des critères de superficie et de consistance différents, et, partant, confirme la différence du nombre de pièces ; qu'enfin, la formule de déclaration de mutation par décès de 1989 mentionne également qu'il s'agit d'un trois pièces ;

Attendu que Mme L. maintient, en deuxième lieu, que, depuis son acquisition par F. L., l'appartement n'a jamais fait l'objet d'une location ; que, contrairement à ce que le Ministre d'État croit pouvoir justifier par l'acte translatif de propriété et la formule de mutation par décès de 1989, de nombreux autres documents démontrent que R. L. n'occupait pas l'appartement ;

Attendu que Mme L. maintient, en troisième lieu, que son appartement ne relève pas des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; qu'aux termes de l'Ordonnance Souveraine n° 77 du 22 septembre 1949, la première catégorie correspond aux immeubles ayant réellement un caractère de luxe, construits en matériaux d'excellente qualité assurant des conditions parfaites d'habitabilité et présentant la plupart des caractéristiques suivantes : aspect particulièrement soigné, large conception des pièces de réception et des dégagements, baies de dimensions plus grandes que la normale, hauteur de plafond sensiblement supérieure à la moyenne, installations et équipement de très bonne qualité, présence d'un ou plusieurs ascenseurs ; que la deuxième catégorie correspond aux immeubles construits en matériaux de bonne ou très bonne qualité, qui présentent la plupart des caractéristiques suivantes : pièces de réception, dégagements intérieurs de dimensions normales et d'aspect satisfaisant, installations et équipement de bonne qualité ou de qualité moyenne, vestibules, escaliers de dimensions et d'aspect satisfaisants ; que la deuxième catégorie, sous-catégorie A, comprend des immeubles construits avec des matériaux de très bonne qualité, qui comportent de larges pièces de réception et des dégagements intérieurs assez vastes, la présence d'un escalier assez large et d'un ascenseur ; que la deuxième catégorie, sous-catégorie B, comprend des immeubles situés dans des constructions d'une qualité ou d'une classe inférieure aux précédentes et une absence fréquente d'ascenseur ; que, contrairement à ce qu'indique le Ministre d'État, l'article 2 de l'Ordonnance Souveraine n'exige pas que le bien immobilier présente la totalité des caractéristiques qu'il mentionne mais seulement la plupart de celles-ci ; qu'en l'espèce, le Ministre d'État ne semble pas contester que l'appartement puisse relever des catégories 2A ou 2B ; qu'en outre, contrairement à ce qu'il énonce, il n'existe pas de différence entre le fait de procéder au classement d'un appartement et celui de préciser qu'un logement relève de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, dans la mesure où, pour « préciser » qu'un logement relève d'une telle loi, il convient de procéder à son classement ; que, dans la mesure où il dispose d'un ascenseur, d'un large escalier, d'une cour privée arborée et clôturée qui l'éloigne de la rue piétonne, il est exclu de la deuxième catégorie, sous-catégorie B, et des catégories inférieures où la présence d'ascenseurs n'est ni fréquente ni habituelle et où les dégagements extérieurs sont peu importants ou de faible développement ; qu'au vu de ces éléments, l'appartement relève soit de la première catégorie, soit de la deuxième catégorie sous-catégorie A, ce qui le fait échapper au régime de la loi n° 1.235 par application de la loi n° 887 ; que cette analyse est confirmée par l'estimation de l'agence DOTTA IMMOBILIER de février 2006, à laquelle s'ajoute celle faite en mai 2010, qui font toutes deux référence au « secteur libre, non soumis aux différentes législations relatives aux locaux à usage d'habitation » ; qu'en outre, l'expertise de la SAM BATI CONSEIL, sollicitée dans le cadre de la présente instance, mentionne clairement que « la construction […] a conservé toutes ses qualités initiales » ; qu'aucune modification n'a été apportée à l'immeuble, qui s'est toujours trouvé dans une situation résidentielle privilégiée ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 14 décembre 2022, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que le Ministre d'État ajoute, en premier lieu, que, d'une part, la circonstance que les déclarations des logements n'auraient pas été signées par J. B. mais par R. M. ne fait pas obstacle à leur prise en compte, dès lors qu'elle ne permet pas de regarder les informations figurant dans ces déclarations comme étant erronées ; que, d'autre part, la circonstance qu'il ne puisse être déterminé celle de ces deux déclarations correspondant au lot n° XXX est inopérante, dès lors que les descriptions des lots y figurant sont identiques, ce qui démontre que chacun des deux appartements en cause comportait, à la date des déclarations, quatre pièces ; qu'en dernière part, la circonstance que le règlement de copropriété de 1949 attribue 93/1000èmes des parties communes au lot n° XXX et 103/1000èmes au lot n° XXX ne permet pas de considérer que le lot n° XXX comporterait moins de pièces que le lot n° XXX, le nombre de tantièmes étant attribué aux lots privatifs en fonction de leur surface et non du nombre de pièces qu'ils comportent ; que le Ministre d'État verse par ailleurs aux débats la demande de J. B. du 27 juillet 1945 tendant à être autorisée à reconstruire l'immeuble, gravement endommagé par les bombardements du quartier de la Condamine d'août-septembre 1944, et les plans du cahier des charges de l'immeuble de 1949, qui font apparaître que, si le premier étage de l'immeuble comprend un appartement de trois pièces (le lot n° XXX) et un appartement de quatre pièces (le lot n° XXX), les deuxième et troisième étages sont constitués de deux appartements de quatre pièces, ce qui montre que des travaux reconfigurant le lot n° XXX ont été réalisés sans autorisation entre 1945 et 1949 ;

Attendu que le Ministre d'État maintient, en deuxième lieu, que R. L. occupait l'appartement en cause, en rappelant que nombre de documents établissent qu'il avait lui-même déclaré à la Direction de l'Habitat être domicilié XXX ;

Attendu que le Ministre d'État maintient, en troisième lieu, que la décision du Directeur de l'Habitat n'est pas entachée d'incompétence ; qu'il a déjà été rappelé que le Tribunal Suprême opérait une distinction entre la décision de classement, qui ne relève pas de la compétence du Directeur de l'Habitat, et la simple constatation par laquelle ce dernier prend acte de ce qu'un logement relève des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 et en tire les conséquences ; qu'au cas présent, le Directeur de l'Habitat n'a pas procédé au classement de l'appartement de Mme L., mais s'est borné à constater qu'il relevait des dispositions de la loi du 28 décembre 2000 ;

Attendu que le Ministre d'État maintient, en quatrième et dernier lieu, que l'appartement en cause est soumis aux dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; que, tout d'abord, l'attestation établie par l'agence DOTTA IMMOBILIER se borne à faire des constatations qui n'établissent en aucune manière que l'appartement présenterait un caractère particulièrement luxueux ; qu'ensuite, le lot n° XXX situé au rez-de-chaussée de l'immeuble correspond à un ancien local commercial qui n'a jamais relevé d'aucune disposition relative aux locations à usage d'habitation ; qu'il est donc exclu du dispositif de la loi du 28 décembre 2000 ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 77 du 22 septembre 1949 relative au classement et au prix de location des immeubles d'habitation ;

Vu l'Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation ;

Vu la loi n° 887 du 25 juin 1970 modifiée, portant limitation du champ d'application de l'Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation ;

Vu la loi n° 888 du 25 juin 1970 modifiant et complétant l'Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959, relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation ;

Vu l'Ordonnance n° 4.621 du 29 décembre 1970 fixant les modalités d'exécution de la loi n° 887 du 25 juin 1970 portant limitation du champ d'application de l'Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation ;

Vu la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ;

Vu l'Ordonnance du 17 août 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Mme le Greffier en Chef en date du 4 janvier 2023 ;

Vu l'Ordonnance du 16 octobre 2023 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 16 novembre 2023 ;

Ouï Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Clyde BILLAUD, Avocat près la Cour d'appel de Monaco, pour Mme S. L. ;

Ouï Maître François MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

1. Considérant que Madame S. L. demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 20 juin 2022 du Ministre d'État rejetant son recours gracieux contre la décision du 25 avril 2022 considérant que son appartement situé XXX à Monaco relève des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 et lui infligeant une amende d'un montant de 5.000 euros, en application des articles 35 et 37 de cette loi ;

2. Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l'article 37 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 confient au Ministre d'État le pouvoir de sanctionner la méconnaissance par un propriétaire de l'une des obligations énoncées à l'article 35 de cette loi ; qu'il en découle nécessairement la possibilité, pour le Ministre d'État, de considérer qu'un bien immobilier est soumis aux dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'incompétence doit être écarté ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que la décision du Ministre d'État vise un appartement situé XXX à Monaco correspondant au lot n° XXX, dont il est constant qu'il appartient à Mme L.; que le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait, sur ce point, entachée d'une erreur de fait, doit donc être écarté ;

4. Considérant, en troisième lieu, que, selon la législation applicable, trois régimes de location des locaux à usage d'habitation construits ou achevés antérieurement à 1947 coexistent : le régime de droit commun auquel ont été rendus les locaux de toutes catégories affectés pour la première fois à la location à compter du 25 juin 1970 par la loi n° 888 du 25 juin 1970 modifiant et complétant l'Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation ; le régime d'exception issu de cette Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 remplacée par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée ; et le régime dérogatoire au régime d'exception institué par la loi n° 887 du 25 juin 1970 portant limitation du champ d'application de l'Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation, pour les locaux de catégorie 1 et 2 A-B devenant vacants à compter du 1er octobre 1970 ou 1971 ; que les caractéristiques de ces locaux de catégorie 1 et 2 A-B sont fixées par l'Ordonnance Souveraine n° 77 du 22 septembre 1949, à laquelle renvoie la loi n° 887 du 25 juin 1970 ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'en raison de ses caractéristiques et de celles de l'immeuble situé XXX à la date du 26 juin 1970, notamment la présence d'un ascenseur, d'une terrasse et de deux grandes pièces de réception ainsi que d'une hauteur de plafond supérieure à la moyenne, l'appartement propriété de Mme L. doit être classé a minima dans les locaux de catégorie 2 B ; que, dès lors, il n'entre pas dans le champ d'application de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; qu'ainsi, en estimant qu'il était soumis au régime de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, le Ministre d'État a entaché sa décision d'erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen de la requête relatif à la vacance de l'appartement, la décision du Ministre d'État du 20 juin 2022 doit être annulée ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La décision du Ministre d'État du 20 juin 2022 est annulée.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de l'État.

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, Pierre de MONTALIVET, rapporteur, Philippe BLACHER, Membres titulaires, Jean-Philippe DEROSIER, Membre suppléant ;

et prononcé le trente novembre deux mille vingt-trois en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, assisté de Madame Bénédicte SEREN-PASTEAU, Greffier.

Le Greffier, Le Président.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2022-25
Date de la décision : 30/11/2023

Analyses

Secteur protégé


Parties
Demandeurs : Madame S. L.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959
loi n° 888 du 25 juin 1970
loi n° 887 du 25 juin 1970
articles 2 et 3 de l'ordonnance souveraine n° 77 du 21 septembre 1949
article 1er de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000
Ordonnance Souveraine n° 77 du 22 septembre 1949
Vu la Constitution
ordonnance-loi n° 4.621 du 29 décembre 1970
loi n° 1.235
loi n° 1.235 du 28 décembre 2000
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
Ordonnance n° 4.621 du 29 décembre 1970
loi n° 887
article 2 de l'Ordonnance Souveraine n° 77 du 22 septembre 1949
article 37 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000


Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2023-11-30;ts.2022.25 ?

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