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15/02/1993 | SUISSE | N°6S.651/1992

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 février 1993, 6S.651/1992


119 IV 17

4. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 15 février
1993 dans la cause E. c. Ministère public du canton de Vaud (pourvoi
en nullité)
A.- Au début du mois d'août 1990, E. a investi, à la demande de
son ami G. 35'000 francs - dont 25'000 francs avaient été empruntés -
pour l'achat de 300 g de cocaïne. Le couple s'était associé à T. pour
réaliser cette opération. G. et T. se sont rendus à Genève où ils ont
acquis 178 g de cocaïne. La drogue fut entreposée au domicile de E.,
où elle fut coupée avec

un autre produit et conditionnée pour la
vente. Chaque membre du trio prit 10 g pour sa consommatio...

119 IV 17

4. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 15 février
1993 dans la cause E. c. Ministère public du canton de Vaud (pourvoi
en nullité)
A.- Au début du mois d'août 1990, E. a investi, à la demande de
son ami G. 35'000 francs - dont 25'000 francs avaient été empruntés -
pour l'achat de 300 g de cocaïne. Le couple s'était associé à T. pour
réaliser cette opération. G. et T. se sont rendus à Genève où ils ont
acquis 178 g de cocaïne. La drogue fut entreposée au domicile de E.,
où elle fut coupée avec un autre produit et conditionnée pour la
vente. Chaque membre du trio prit 10 g pour sa consommation
personnelle et le solde fut vendu. L'essentiel du produit des ventes
fut réinvesti pour répéter l'opération. T. et G. se rendirent à
Genève le 1er septembre 1990 et acquirent 100 g de cocaïne. Ayant
procédé de la même manière, le trio acheta encore, le 10 septembre
1990, 80 g de cocaïne avec le produit de la seconde opération. Cette
drogue fut à nouveau mise en vente.
Selon l'autorité cantonale, le gain brut des ventes successives de
cocaïne se monte à une somme de l'ordre de 80'000 francs; il n'est
cependant pas établi que E. ait cherché à se procurer des revenus
importants; il est au contraire vraisemblable que son seul souci ait
été de pouvoir recouvrer sa mise de fonds; il a été constaté que sur
la totalité des montants encaissés, E. avait retiré elle-même une
somme de 4'176 francs et avait prélevé 22 g de cocaïne pour son usage
personnel.
Il fut relevé par ailleurs qu'elle avait consommé, entre fin juin
et le 25 septembre 1990, divers stupéfiants.
Extrait des considérants:
1.- Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation du Tribunal
fédéral ne peut être formé que pour violation du droit fédéral, à
l'exception de la violation directe de droits de rang constitutionnel
(art. 269 PPF). La Cour de cassation n'est pas liée par les motifs
invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des conclusions de la
recourante (art. 277bis PPF). Comme en l'espèce la recourante a
clairement circonscrit le litige à la seule question de la créance
compensatrice, il s'agit du seul problème qui doit être examiné ici.
La Cour de cassation est liée par les constatations de fait de
l'autorité cantonale, sous réserve de la rectification d'une
inadvertance manifeste (art. 277bis al. 1 PPF).
Le pourvoi a un caractère strictement cassatoire (art. 277ter al. 1
PPF), de sorte que les conclusions de la recourante sont irrecevables
dans la mesure où elles semblent tendre à autre chose qu'à
l'annulation
2.- a) Selon l'art. 58 al. 1 CP, le juge prononcera la
confiscation notamment des objets et valeurs qui sont le produit
d'une infraction s'il y a lieu de supprimer un avantage ou une
situation illicite. L'art. 58 al. 4 CP prévoit que "lorsque des
objets ou des valeurs ne sont plus détenus par celui à qui ils ont
procuré un avantage illicite et chez qui ils devraient être
confisqués, leur remplacement par une créance compensatrice de l'Etat
d'un montant équivalent à l'avantage illicite sera ordonné".
Inspirée de l'adage selon lequel "le crime ne paie pas", cette
mesure a pour but d'éviter qu'une personne puisse tirer avantage
d'une infraction (ATF 117 IV 110 consid. a, 106 IV 337 consid. aa,
105 IV 24, 104 IV 229 consid. b). Elle peut être prononcée non
seulement à l'encontre d'un participant à l'infraction, mais
également à l'égard d'un tiers qui tirerait un profit illégitime
d'une infraction (ATF 115 IV 178 consid. 2b aa). Lorsque les
conditions en sont remplies, la mesure doit être ordonnée (ATF 115 IV
175 consid. 3 et les références citées).
La créance compensatrice, prévue par l'art. 58 al. 4 CP, a pour but
d'éviter que celui qui a disposé des objets ou valeurs à confisquer
soit privilégié par rapport à celui qui les a conservés (ATF 109 IV
124 consid. b, 106 IV 337 consid. aa, 105 IV 24, 104 IV 6, 229
consid. b). Celui qui vend des stupéfiants, ce qui constitue une
infraction (art. 19 ch. 1 al. 4 LStup), réalise par son acte un
profit illicite équivalent à la totalité de la somme reçue; certes,
il a fourni de la drogue en échange de l'argent reçu, mais il s'agit
d'une marchandise dangereuse dont la vente est interdite, de sorte
qu'il n'avait aucun droit d'en tirer une somme quelconque et qu'il
était même exposé en tout temps à ce que la drogue lui soit
confisquée sans aucune contrepartie (art. 19 ch. 1 al. 5 LStup, 58
al. 1 let. b CP); l'avantage illicite qui peut être confisqué est
donc le prix total de la vente; si l'intéressé ne détient plus les
fonds, il doit être condamné, en application de l'art. 58 al. 4 CP, à
une créance compensatrice équivalente envers l'Etat (cf. ATF 109 IV
124 consid. b, 105 IV 22 s. consid. 1a et 2, 103 IV 143 ss; SCHULTZ,
Die Einziehung, der Verfall)... in ZBJV 114 (1978) p. 316).
La jurisprudence a déduit des termes "s'il y a lieu", figurant à
l'art. 58 al. 1 let. a CP, que le juge dispose d'une certaine marge
d'appréciation lui permettant de réduire ou supprimer la créance
compensatrice lorsque l'intéressé n'est plus enrichi et que cette
mesure
3.- Selon la jurisprudence déjà rappelée ci-dessus, l'autorité
cantonale devait encore se demander s'il fallait réduire ou supprimer
la créance compensatrice pour le motif que celle-ci mettrait en péril
l'intégration sociale de la recourante, qui n'est plus enrichie. Le
tribunal de première instance n'a pas du tout examiné cette question.
Quant à la Cour de cassation cantonale - dont la décision fait seule
l'objet du pourvoi -, elle a observé que la recourante avait un
salaire régulier de 1'620 francs par mois et vivait en concubinage;
elle n'a cependant tenu aucun compte, dans son raisonnement sur ce
point, de la dette contractée par la recourante pour se lancer dans
le trafic de stupéfiants, dont elle a admis la réalité dans la partie
en fait de son arrêt. Or, la jurisprudence citée exige une
appréciation globale de la situation financière de l'intéressée.
Comme la cour cantonale admettait que la recourante avait emprunté
une somme importante pour se lancer dans le trafic de stupéfiants,
mise de fonds qu'elle n'a pas pu récupérer par ses agissements
illicites, elle devait s'inquiéter, dans le cadre de l'appréciation
globale requise, de l'incidence de cette dette sur la situation
financière de l'accusée. A lire ses écritures, il semble que les
infractions qu'elle a commises ont entraîné pour elle de graves
conséquences financières qui grèvent lourdement son budget. En
omettant d'élucider complètement et de traiter cet aspect, la cour
cantonale a perdu de vue un élément pertinent pour dire si, aux
termes de l'art. 58 al. 1 let. a CP, il y a lieu de supprimer
l'avantage illicite, précédemment établi, au moyen d'une créance
compensatrice. Pour ce motif également, l'arrêt attaqué viole le
droit fédéral et l'autorité cantonale devra aussi traiter la question
sous cet angle.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.651/1992
Date de la décision : 15/02/1993
Cour de cassation pénale

Analyses

Art. 58 al. 4 CP; créance compensatrice de l'Etat. Une créance compensatrice ne saurait être mise à la charge de plusieurs participants à une infraction solidairement entre eux (consid. 2b). La détention ou la consommation de stupéfiants, qui n'ont été acquis ni grâce aux bénéfices d'une précédente infraction ni à titre gratuit, ne constitue pas un avantage de nature patrimoniale et ne doit donc pas être prise en considération pour déterminer le montant de la créance compensatrice (consid. 2c; précision de la jurisprudence). Après avoir déterminé l'avantage illicite que l'auteur a retiré de ses actes délictueux, il faut examiner s'il se justifie de réduire, voire de supprimer, la créance compensatrice au motif qu'elle compromettrait l'intégration sociale du débiteur; cela suppose une appréciation globale de la situation financière de l'intéressé, dans le cadre de laquelle il y aura lieu de tenir compte, le cas échéant, d'une dette contractée pour se lancer dans le trafic et qui doit encore être remboursée (consid. 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1993-02-15;6s.651.1992 ?
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