119 IV 207
38. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 21
septembre 1993 dans la cause V. c. M. (pourvoi en nullité)
A.- Par lettre du 3 décembre 1990, V. a déposé plainte pénale
contre le médecin M. pour homicide par négligence, lui reprochant
d'avoir causé le 30 novembre 1988 la destruction in utero du foetus
qu'elle portait depuis huit mois en omettant les mesures médicales
adéquates.
M. fut inculpée de lésions corporelles par négligence le 27 novembre
1991.
Les époux V., parties civiles, ayant requis qu'elle soit inculpée
d'homicide par négligence, le juge d'instruction refusa par
ordonnance du 25 mars 1993, considérant que la destruction d'un
foetus ne pouvait donner lieu à un homicide par négligence au sens de
l'art. 117 CP.
Par ordonnance du 11 juin 1993, la Chambre d'accusation cantonale
rejeta le recours formé par les époux V. contre cette décision.
B.- Les époux V. se sont pourvus en nullité à la Cour de cassation
du Tribunal fédéral. Soutenant qu'un foetus viable de huit mois peut
être victime d'un homicide par négligence, ils concluent à
l'annulation de la décision attaquée.
Considérant en droit:
1.- a) Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation du Tribunal
fédéral est ouvert contre les décisions énumérées à l'art. 268 PPF.
Comme la présente cause n'a pas été portée devant une autorité de
jugement, on ne se trouve pas dans l'hypothèse visée par l'art. 268
ch. 1 PPF et la question est de savoir si la décision attaquée est
une ordonnance de non-lieu rendue en dernière instance au sens de
l'art. 268 ch. 2 PPF. Par ordonnance de non-lieu, il faut entendre
une décision qui met fin à l'action pénale, au moins sur un chef
d'accusation, et qui est rendue par une autre autorité que la
juridiction de jugement (ATF 117 IV 236 consid. 1b). La procédure
cantonale ne donne pas compétence au juge d'instruction pour
prononcer des ordonnances de classement ou de non-lieu (art. 116,
198, 204 CPP/GE). Il est donc douteux que la question soit
formellement liquidée sur le plan cantonal et les recourants
eux-mêmes n'excluent pas l'hypothèse de l'évoquer à nouveau devant la
Chambre d'accusation. D'un autre côté, il semblerait logique que les
autorités cantonales se sentent liées sur la question tranchée par
l'ordonnance attaquée, de sorte que celle-ci déploie matériellement
les effets d'une ordonnance de non-lieu. Il n'est pas nécessaire de
trancher cette question pour les motifs qui seront exposés
ultérieurement.
b) Selon la nouvelle formulation de l'art. 270 al. 1 PPF (RO 1992
p. 2473) entrée en vigueur le 1er janvier 1993 (RO 1992 p. 2470), "le
lésé peut également se pourvoir en nullité s'il était déjà partie à
la procédure auparavant et dans la mesure où la sentence peut avoir
des effets sur le jugement de ses prétentions civiles".
Il n'est pas douteux que les recourants étaient déjà parties à la
procédure auparavant. En effet, le droit cantonal reconnaît à la
partie civile la qualité de partie au procès (art. 23 CPP/GE), ce qui
a permis aux recourants de se plaindre auprès de la Chambre
d'accusation (art. 190 al. 1 CPP/GE) de la décision du juge
d'instruction refusant d'inculper (art. 137 CPP/GE).
La question est plus délicate de savoir si l'ordonnance attaquée
peut avoir des effets sur le jugement de leurs prétentions civiles.
Certes, les considérants de cette décision, s'ils sont suivis par un
juge civil, excluent une action aquilienne (art. 41 CO) pour tort
moral (art. 47 CO) fondée sur la commission d'un homicide par
négligence au sens de l'art. 117 CP. Cependant, les considérants émis
ne réduisent en aucune façon les chances des recourants dans le cadre
d'une action ex contractu (art. 97, 398 CO), qui permet également
l'octroi
2.- a) Le titre premier de la partie spéciale du Code pénal traite
des infractions contre la vie et l'intégrité corporelle. S'agissant
plus précisément des infractions contre la vie, le code distingue,
sous chiffre 1, l'homicide (art. 111 à 117 CP) et, sous chiffre 2,
l'avortement (art. 118 à 121 CP). Cette dualité montre que le droit
pénal protège la vie d'une part pendant la grossesse, par les
dispositions sur l'avortement, et d'autre part dès la naissance, par
les dispositions réprimant l'homicide. Il résulte de l'art. 116 CP
qu'un homicide peut déjà être commis pendant l'accouchement.
b) Ainsi, comme l'admet la doctrine unanime, il ne peut y avoir
qu'avortement avant l'accouchement et l'avortement par négligence
n'est pas punissable (STRATENWERTH, Bes. Teil I p. 23 no 5 et p. 48
no 10; SCHUBARTH, Kommentar StGB, Bes. Teil I, Syst. Einleitung no 6;
REHBERG, Strafrecht III p. 29-31; NOLL, Bes. Teil I p. 9; TRECHSEL,
Kurzkommentar StGB, Vor Art. 118 no 3; JOSÉ HURTADO POZO, Droit
pénal, Partie spéciale I, Fribourg 1991, p. 13 nos 7 et 8).
Pour qu'un homicide soit concevable, il faut que l'accouchement ait
commencé (STRATENWERTH, op.cit., p. 23 no 5; SCHUBARTH, op.cit.,
Syst. Einleitung, no 7; REHBERG, op.cit., p. 29; NOLL, op.cit., p. 9;
TRECHSEL, op.cit., Vor Art. 111 no 3; HURTADO POZO, op.cit., p. 13 no
6). Le moment exact où l'accouchement a commencé est controversé
(STRATENWERTH, op.cit., p. 23 no 5; SCHUBARTH, op.cit., Syst.
Einleitung, no 8; TRECHSEL, op.cit., Vor Art. 111 no 3 et leurs
références).
La protection de la vie en droit pénal n'est donc pas calquée sur
les notions du droit civil auxquelles se réfèrent les recourants
(STRATENWERTH, op.cit., p. 23 no 5; SCHUBARTH, op.cit., Syst.
Einleitung, no 7; NOLL, op.cit., p. 9; TRECHSEL, op.cit., Vor Art.
111 no 3; HURTADO POZO, op.cit., p. 14 no 11).
c) En l'espèce, il est allégué une destruction du foetus in utero,
alors que l'accouchement n'avait en aucune façon commencé. Dans un
tel cas, il est d'emblée exclu de retenir un homicide à l'encontre du
foetus; seules les dispositions sur l'avortement pourraient entrer en
considération, mais cette infraction ne peut pas être commise par
négligence. L'autorité cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral
en refusant d'emblée de poursuivre sous l'accusation d'homicide par
négligence (art. 117 CP). Le pourvoi doit par conséquent être rejeté.