119 II 353
73. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 30 septembre 1993
dans la cause dame M. contre C. S.A. (recours en réforme)
A.- C. S.A. loue à dame M. un appartement de quatre pièces et
demie, cuisine non comprise. Le loyer mensuel s'élevait à 1'472
francs, plus 204 francs de charges, du 1er septembre 1990 au 31 août
1991 (première période); il a été porté à 1'575 francs du 1er
septembre 1991 au 31 août 1993 (deuxième période), les charges
restant identiques.
En novembre 1990, la locataire a demandé à la bailleresse
l'autorisation de sous-louer deux pièces meublées de son appartement.
Selon les projets de contrat, les loyers prévus - y compris les
charges afférentes à l'appartement - s'élevaient, durant la première
période, à 500 francs pour l'une des chambres et à 550 francs pour
l'autre et, durant la deuxième période, à 535 francs, respectivement
570 francs; les sous-locataires n'avaient pas accès à la cuisine,
sauf pour se préparer du café, et ne disposaient pas du lave-linge.
Estimant ces montants exagérés, C. S.A. a refusé l'autorisation de
sous-louer.
B.- Vu l'échec de la conciliation, dame M. a saisi le Tribunal des
baux et loyers du canton de Genève. Elle a conclu à ce que
l'autorisation de sous-louer lui soit accordée aux conditions
précitées; elle demandait en outre à pouvoir obtenir des
sous-locataires le remboursement des charges mensuelles spécifiques à
la sous-location (location d'un appareil téléphonique à prépaiement,
électricité, nettoyage), soit, par chambre, 51 fr. 80 durant la
première période et 57 francs pendant la deuxième période.
Par jugement du 2 octobre 1991, le tribunal a nié le caractère
abusif des loyers exigés des sous-locataires et autorisé dame M. à
sous-louer les deux chambres aux conditions susmentionnées.
Statuant le 9 octobre 1992 sur appel de la bailleresse, la Chambre
d'appel en matière de baux et loyers a annulé la décision de première
instance et qualifié d'abusifs les loyers demandés par dame M.
C.- La locataire interjette un recours en réforme. Elle conclut,
principalement, au renvoi du dossier à l'autorité cantonale et,
subsidiairement, elle reprend les conclusions formulées en première
instance. La bailleresse propose le rejet du recours dans la mesure
où il est recevable.
Extrait des considérants:
4.- La réglementation de la sous-location a été modifiée par les
nouvelles dispositions régissant le bail à loyer entrées en vigueur
le 1er juillet 1990. Alors que, sous l'ancien droit, le contrat de
bail pouvait subordonner la sous-location au consentement du
bailleur, ce dernier ne peut s'y opposer à présent que dans les trois
hypothèses déterminées de l'art. 262 al. 2 CO, qui est de droit
impératif (Message concernant la révision du droit du bail à loyer et
à ferme du 27 mars 1985, FF 1985 I, p. 1424; LACHAT/MICHELI, Le
nouveau droit du bail, 2e éd., p. 269; GUINAND/WESSNER, FJS no 360,
p. 5). L'art. 262 al. 2 let. b CO autorise le bailleur à refuser la
sous-location si ses conditions sont abusives par rapport à celles du
bail principal. Que faut-il entendre par là? Le Tribunal fédéral n'a
pas encore eu l'occasion de se prononcer sur cette question qui,
apparemment, n'a pas fait non plus l'objet d'une jurisprudence
cantonale publiée. Il convient donc d'interpréter cette disposition.
5.- La loi s'interprète en premier lieu d'après sa lettre et son
texte clair (ATF 117 Ia 328 consid. 3a p. 331, 114 Ia 25 consid. 3c
p. 28, 114 Ia 191 consid. 3b/aa p. 196, 114 II 404 consid. 3 p. 406,
113 II 406 consid. 3a p. 410). Toutefois, si le texte n'est pas
absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont
possibles, il faut alors rechercher quelle est la véritable portée de
la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit
notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son
esprit ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, ou encore de
sa relation avec d'autres dispositions légales (ATF 117 Ia 328
consid. 3a p. 331, 114 Ia 191 consid. 3b/bb p. 106, 114 II 353
consid. 1 p. 354, 114 II 404 consid. 3 p. 406, 113 II 406 consid. 3a
p. 410 et les références citées).
a) En premier lieu, il apparaît clairement que les "conditions
abusives" dont il est question à l'art. 262 al. 2 let. b CO
concernent essentiellement le montant du loyer proposé au
sous-locataire (LACHAT, La sous-location, in SJ 1992, p. 476).
A considérer le texte de la loi, il ressort également à l'évidence
que, contrairement à la thèse soutenue par la demanderesse, l'art.
262 al. 2 let. b CO s'applique en cas de sous-location partielle, y
compris lorsque la somme des "sous-loyers" ne dépasse pas le montant
du loyer principal. En effet, l'art. 262 al. 1 CO mentionne
expressément que le locataire peut sous-louer tout ou partie de la
chose avec le consentement du bailleur et l'al. 2 de cette
disposition n'opère aucune distinction entre les deux hypothèses. A
vrai dire, du moment
6.- La comparaison du loyer mensuel par pièce ainsi calculé avec
les montants exigés par la demanderesse se présente ainsi:
Différence
- Chambre no 1 en francs
pourcentage
Loyer demandé pour la première période:
551 fr. 80 127 fr. 55 30%
Loyer demandé pour la deuxième période:
601 fr. 80 149 fr. 45 33%
- Chambre no 2
Loyer demandé pour la première période:
592 fr. 167 fr. 75 40%
Loyer demandé pour la deuxième période:
627 fr. 174 fr. 65 39%
Il reste à déterminer si ces écarts sont abusifs au sens de l'art.
262 al. 2 let. b CO.
a) La cour cantonale a jugé que le loyer exigé des sous-locataires
devenait abusif dès qu'il dépassait le montant calculé par ses soins.
Selon la demanderesse, cette manière de voir viole le droit fédéral,
qui reconnaît le principe du rendement du "sous-loyer".
b) En période de pénurie de logements, la sous-location tend à
assurer une meilleure occupation des immeubles (CERUTTI, Der
Untervertrag, p. 91). Elle a également été conçue pour rendre service
au locataire (LACHAT, op. cit., in SJ 1992, p. 477). Si l'on se
réfère au but de la sous-location et au texte de loi, rien n'indique
que la sous-location peut revêtir un caractère lucratif.
c) Dans le projet de modification des dispositions sur le bail à
loyer présenté en 1985 par le Conseil fédéral, le refus du bailleur
n'était admissible que si la sous-location présentait pour lui des
inconvénients considérables (actuel art. 262 al. 2 let. c CO; Message
précité, FF 1985 I, p. 1424 et 1489). La faculté de s'opposer à la
sous-location en cas de conditions abusives a été introduite par les
Chambres fédérales, sur proposition de la Commission du Conseil des
Etats (BO 1988 CE 158); elle n'a donné lieu à aucune discussion ni
commentaire particulier (BO 1988 CE 157/158; BO 1989 CN 508). Selon
la doctrine, la mesure visait à combattre les abus en matière de
loyer, en particulier dans le cas de logements sous-loués à des
requérants d'asile ou à des travailleurs saisonniers et, plus
généralement, à empêcher que des locataires ne fassent métier de la
sous-location en profitant de la pénurie (LACHAT, op.cit., in SJ
1992, p. 472; cf. également CERUTTI, op.cit., p. 10, note de pied
20). Une idée sous-jacente était également que le bailleur qui se
contentait d'un loyer raisonnable
7.- L'action déduite de l'art. 262 al. 2 let. b CO porte
exclusivement sur le bien-fondé du refus de la bailleresse de
consentir à la sous-location. Par conséquent, en vertu du droit
fédéral, la cour cantonale n'avait pas à fixer, dans le dispositif de
l'arrêt, le loyer admissible des pièces que la locataire avait
l'intention de sous-louer. Si elle entendait prévenir une nouvelle
contestation entre les parties, la Chambre d'appel devait se borner à
donner des indications dans les considérants de sa décision. Les
paragraphes 4 et 5 du dispositif "au fond" de l'arrêt attaqué seront
dès lors annulés.