120 II 35
10. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 27 janvier 1994
dans la cause Banque X. contre H. (recours en réforme)
A.- En mai 1976, la banque X. accorda à M. SA un crédit à
concurrence de 100'000 francs sous forme d'un compte-courant. Comme
M. SA n'effectuait pas les amortissements convenus et dépassait
régulièrement la limite autorisée du compte, la créancière exigea des
garanties supplémentaires. Président du conseil d'administration et
actionnaire majoritaire de M. SA, H. se porta alors caution solidaire
envers la banque par acte du 20 mars 1978. Selon le cautionnement, H.
garantit le remboursement de toutes sommes que M. SA "doit
actuellement et pourra devoir à l'avenir à [la banque], quelle qu'en
soit la cause, y compris toute créance d'intérêts, contractuels ou
légaux, commissions et frais ajoutés au capital lors du bouclement
des comptes, jusqu'à concurrence du montant total de 120'000 francs";
le contrat précise que la garantie couvre également les engagements
déjà existants de la débitrice principale, qui se montent à 109'000
francs environ.
La banque dénonça au remboursement l'entier du compte-courant pour
le 9 septembre 1988 et réclama à la débitrice principale le paiement
du solde arrêté au 30 juin 1988, soit 60'900 fr. 55, plus les
intérêts et diverses commissions. Par la suite, la créancière invita,
en vain, la caution à payer le montant susmentionné. Les
commandements de payer notifiés à la débitrice principale et à la
caution furent frappés d'opposition.
B.- Par demande du 9 juin 1989, la banque a conclu à ce que M. SA
et H. soient condamnés solidairement à lui payer le montant de 60'900
fr. 55, plus les intérêts, les commissions et les frais de poursuite;
la créancière a également demandé la mainlevée définitive des
oppositions précitées.
Extrait des considérants:
3.- Selon le jugement attaqué, le cautionnement souscrit par le
défendeur n'est pas valable, faute de détermination suffisante de
l'obligation garantie.
La demanderesse conteste ce point de vue. A son avis, il suffit que
la dette principale soit déterminable; or, tel est le cas en
l'espèce, car l'acte de cautionnement ne se rapporte pas à n'importe
quelles créances actuelles et futures, mais à celles résultant d'un
ou de plusieurs contrats d'ouverture de crédit, comme le démontre
notamment l'emploi de l'expression "bouclement des comptes" dans
l'acte préimprimé.
a) Aux termes de l'art. 492 al. 1 CO, le cautionnement est un
contrat par lequel une personne s'engage envers le créancier à
garantir le paiement de la dette contractée par le débiteur. La dette
principale peut être actuelle (art. 499 al. 3 CO), future ou
conditionnelle (art. 492 al. 2 CO); plusieurs engagements peuvent
être cautionnés dans le même acte (cf. art. 499 al. 3 CO; BECK, Das
neue Bürgschaftsrecht - Kommentar, n. 107 ad art. 492 CO; voir
également SCYBOZ, Le contrat de garantie et le cautionnement, in
Traité de droit privé suisse, tome VII, 2, p. 49).
Le cautionnement se caractérise par sa nature accessoire:
l'obligation de la caution dépend de l'existence et du contenu de la
dette principale (ATF 113 II 434 consid. 2a, 111 II 276 consid. 2b);
en outre, le cautionnement ne peut porter que sur une obligation
valable (art. 492 al. 2 CO). Le principe de l'accessoriété implique
également que la dette principale soit déterminée ou, en tout cas,
déterminable dès la conclusion du contrat (ATF 46 II 95 consid. 2;
cf. également ATF 113 II 434 consid. 3c p. 439; OR-PESTALOZZI, n. 44
ad art. 492 CO; TERCIER, La partie spéciale du Code des obligations,
n. 3709, p. 480;
4.- La cour cantonale a constaté la nullité du cautionnement du 20
mars 1978. Il reste à examiner si cette sanction est conforme au
droit fédéral.
a) L'engagement de la caution contrevient à l'art. 27 al. 2 CC dans
la mesure où il porte sur la garantie de dettes futures qui ne sont
ni déterminées, ni déterminables lors de la conclusion du contrat. En
revanche, il est valable en tant qu'il a trait aux dettes découlant
du compte-courant ouvert en 1976. La question se pose dès lors de
savoir si le cautionnement est frappé de nullité totale ou s'il peut
être maintenu en partie.
Si le contrat n'est vicié que dans certaines de ses clauses, seules
ces dernières sont nulles, à moins qu'il n'y ait lieu d'admettre que
le contrat n'aurait pas été conclu sans elles (nullité partielle;
art. 20 al. 2 CO). Cette disposition est une expression du principe
de la favor negotii qui vise à maintenir le contrat en restreignant
la nullité à ce qui est strictement nécessaire pour supprimer le
désaccord avec la loi ou les bonnes moeurs (ATF 43 II 660 p. 661/662;
HÜRLIMANN, Teilnichtigkeit von Schuldverträgen nach Art. 20 Abs. 2
OR, thèse Fribourg 1984, p. 2/3). La jurisprudence emprunte parfois
d'autres voies pour maintenir le contrat. Ainsi, en matière de
sûretés réelles, le Tribunal fédéral a eu l'occasion de se prononcer
sur la validité de clauses contractuelles stipulant que le gage doit
servir à garantir toutes prétentions du créancier envers le débiteur,
y compris celles qui pourraient naître à l'avenir, quelle qu'en soit
la nature; par une interprétation restrictive du contrat, il a jugé
que ces clauses n'étaient valables que dans la mesure où les
prétentions futures étaient comprises comme celles dont les parties
pouvaient raisonnablement envisager la naissance au moment de la
conclusion du contrat (ATF 108 II 47 consid. 2, 51 II 273 consid. 4
p. 282).
Selon une partie de la doctrine qui se fonde sur le texte littéral,
l'art. 20 al. 2 CO ne concerne que la nullité partielle simple, qui
affecte une ou plusieurs clauses déterminées, le reste du contrat
demeurant valable comme tel (GAUCH/SCHLUEP, Schweizerisches
Obligationenrecht Allgemeiner Teil, 5e éd., tome I, n. 702, p. 121;
HÜRLIMANN, op.cit., n. 152 ss, p. 42 ss; contra: KRAMER, n. 362 ad
art. 19-20 CO). Ces auteurs s'accordent néanmoins pour reconnaître la
possibilité de remplacer une clause nulle par une clause licite ou de
réduire une clause nulle à une mesure admissible en appliquant l'art.
20 al. 2 CO directement (KRAMER, n. 362 ad art. 19-20 CO) ou par
analogie (GAUCH/SCHLUEP, op.cit., n. 703 à 706, p. 121 à 123;
HÜRLIMANN, op.cit., n. 249 ss, p. 74 ss; de même,
5.- La prétention de la demanderesse envers la caution correspond
au solde négatif du compte-courant de M. SA, plus les accessoires. Le
cautionnement d'un rapport de compte-courant est valable (SCYBOZ,
op.cit., p. 58; OSER/SCHÖNENBERGER, n. 29 ad art. 492 CO); la
garantie porte alors sur le solde du compte (ATF 44 II 255 consid. 2;
OR-PESTALOZZI, n. 24 ad art. 499 CO; SCYBOZ, op.cit., p. 58;
OSER/SCHÖNENBERGER, n. 45 ad art. 499 CO; BECK, op.cit., n. 41 ad
art. 499 CO).
En l'occurrence, la dette dont la demanderesse réclame le paiement
au défendeur est bien celle qui a été valablement garantie par l'acte
de cautionnement du 20 mars 1978. Par ailleurs, les intérêts
moratoires sont également compris dans la garantie (art. 499 al. 2
ch. 1 CO). Le montant du solde par 60'900 fr. 55 n'est pas contesté;
du reste, M. SA a été reconnue débitrice envers la créancière de
cette somme, plus intérêts à 5,25% dès le 1er juillet 1988 et à 6,5%
dès le 10 septembre 1988. En tant que caution solidaire, le défendeur
est donc tenu en principe dans la même mesure vis-à-vis de la
demanderesse.
Cependant, comme relevé ci-dessus (consid. 2 non publié), la cour
cantonale s'est délibérément abstenue d'examiner la conformité de
l'acte de cautionnement du 20 mars 1978 aux exigences de la forme
authentique en droit vaudois. Dans ces conditions, il se justifie, en
application de l'art. 65 OJ, de renvoyer l'affaire à la Cour civile
du Tribunal cantonal du canton de Vaud afin qu'elle tranche cette
question. Si elle admet la validité formelle du cautionnement, il lui
appartiendra alors d'accueillir la demande, conformément aux
considérants de l'arrêt du Tribunal fédéral.