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23. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 22 février 1994
dans la cause Société immobilière X. contre sieurs S. (recours en
réforme)
A.- En février et mars 1985, la Société immobilière X. a remis à
bail à A. S., d'une part, à A. S. et à P. S., d'autre part, deux
appartements de trois pièces et demie chacun sis dans un immeuble
dont elle est propriétaire à Genève.
Le 25 janvier 1990, le gérant de la bailleresse a résilié les baux
pour leur prochaine échéance contractuelle, soit le 31 décembre 1990.
Les locataires ont saisi la Commission de conciliation en matière de
baux et loyers d'une requête tendant à l'annulation des congés et à
la prolongation des baux. Le 29 avril 1991, la Commission de
conciliation a rendu deux décisions dans lesquelles elle relève, pour
chacun des locataires, que "l'unique motif de résiliation du bail
consistait dans la volonté de la société propriétaire de relouer plus
cher l'appartement concerné à d'autres locataires".
B.- Le 8 mai 1991, les locataires ont introduit une action visant
principalement à l'annulation des congés et, subsidiairement, à la
prolongation des baux pour une durée de quatre ans.
Par jugements du 12 décembre 1991, le Tribunal des baux et loyers
du canton de Genève a confirmé la validité des congés et accordé aux
locataires une première prolongation de bail de deux ans jusqu'au 31
décembre 1992, la possibilité leur étant laissée de présenter une
deuxième requête de prolongation.
Statuant sur appels des locataires et sur appels incidents de la
bailleresse, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du
canton de Genève, par deux arrêts du 2 avril 1993, a mis à néant les
jugements de première instance et annulé les congés donnés par la
défenderesse aux demandeurs.
C.- La défenderesse a interjeté deux recours en réforme en
concluant à l'annulation des arrêts cantonaux et à la constatation de
la validité des congés litigieux.
Après avoir joint les deux recours, le Tribunal fédéral les a
admis. En conséquence, il a annulé les arrêts attaqués et renvoyé les
causes à la cour cantonale pour nouveaux jugements dans le sens des
considérants.
Extrait des considérants:
3.- La défenderesse reproche à la cour cantonale d'avoir violé
l'art. 271 al. 1 CO en lui déniant le droit de résilier les baux des
locataires actuels pour relouer les appartements litigieux à des
tiers susceptibles de payer un loyer plus élevé mais qui ne soit pas
abusif.
a) Aux termes de l'art. 271 al. 1 CO, le congé est annulable
lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi. Cette disposition,
qui peut être invoquée tant par le bailleur que par le locataire
(BARBEY, Commentaire du droit du bail, Chapitre III: Protection
contre les congés concernant les baux d'habitation et de locaux
commerciaux, n. 65 ad Introduction et n. 6 ad art. 271-271a CO;
LACHAT/MICHELI, Le nouveau droit du bail, 2e éd., p. 324), a pour
fondement l'art. 34septies Cst. qui charge la Confédération de
légiférer, notamment, sur l'annulabilité des congés "abusifs". La
différence de vocabulaire entre ces deux normes ne trahit aucune
intention particulière du législateur, la portée d'une distinction
entre l'abus de droit et l'acte contraire à la bonne foi n'ayant pas
été approfondie au cours des travaux préparatoires (BARBEY, op.cit.,
n. 11 ad art. 271-271a CO). Il est généralement admis, dans la
doctrine, que le législateur a entendu rattacher le critère
constitutionnel d'abus à la clause générale de l'art. 2 CC, qui
consacre à la fois l'exigence du respect de la bonne foi (al. 1) et
l'interdiction de l'abus de droit (al. 2; JUNOD, Commentaire de la
Constitution fédérale de la Confédération suisse, vol. II, n. 34 ad
art. 34septies; BARBEY, op.cit., n. 17 ad art. 271-271a CO;
LACHAT/MICHELI, op.cit., p. 323; ZIHLMANN, Das neue Mietrecht, p.
189; Droit suisse du bail à loyer, Commentaire de l'Union suisse des
professionnels de l'immobilier (traduction française) [ci-après:
Commentaire de l'USPI], n. 6 ad art. 271 CO; ENGEL, Contrats de droit
suisse, p. 187; TERCIER, La partie spéciale du Code des obligations,
n. 1252). Ce rattachement, que d'aucuns ne jugent pas satisfaisant
(BARBEY, op.cit., n. 18 à 30 ad art. 271-271a CO, qui propose de
faire appel à la notion de bonnes moeurs ou de recourir, dans
certaines hypothèses, aux principes de l'art. 336 CO relatif à la
résiliation abusive du contrat de travail [n. 40 à 51 ad art.
271-271a CO]; MENGE, Kündigung und Kündigungsschutz bei der Miete von
Wohn- und Geschäftsraümlichkeiten, thèse Bâle 1993, p. 55, qui voit
dans la bonne foi de l'art. 271 al. 1 CO une notion autonome),
correspond à celui que le Tribunal fédéral a opéré dans les arrêts se
rapportant à la disposition controversée (ATF 120 II 32, consid. 4;
arrêt non publié du 18 mars 1992, reproduit in mietrechtspraxis [mp]
1993, p. 28 ss, consid. 2), en conformité avec sa jurisprudence