120 III 42
16. Extrait de l'arrêt de la Chambre des poursuites et des
faillites du 24 février 1994 dans la cause Etat du Koweït (recours LP)
A.- a) Le 5 mai 1993, Sarrio SA, société de droit espagnol, a
requis le Tribunal du district de Zurich d'ordonner le séquestre des
avoirs de "The Kuwait Investment Authority et/ou The Kuwait
Investment Office" auprès du Crédit Suisse, à Zurich.
Le lendemain 6 mai, elle a requis du Tribunal de première instance
de Genève le séquestre des avoirs des prénommés auprès de deux
établissements bancaires genevois, Lombard Odier & Cie et
Swiss-Kuwaiti Bank.
Fondés sur l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP, les deux séquestres étaient
destinés à garantir la même créance, objet d'une action ouverte par
Sarrio SA devant un tribunal espagnol.
b) A Genève, le Tribunal de première instance a ordonné le
séquestre le 10 mai à l'encontre de "Kuwait Investment Authority,
agissant par le truchement de son organe exécutif Kuwait Investment
Office". L'Office des poursuites de Genève a exécuté l'ordonnance le
11 mai, en adressant un avis de séquestre aux deux établissements
bancaires concernés. Le séquestre ayant entièrement porté auprès de
Lombard Odier & Cie, l'office décida de lever la mesure de séquestre
exécutée auprès de la Swiss-Kuwaiti Bank. Le procès-verbal de
séquestre a été communiqué le 21 juillet à la poursuivie.
A Zurich, la requête a tout d'abord été rejetée le 6 mai, puis
admise le 17 juin, sur recours, par le Tribunal cantonal
(Obergericht) qui a ordonné le
Extrait des considérants:
3.- La qualité pour porter plainte est reconnue à toute personne
lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés,
ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une mesure ou
une omission d'un organe de la poursuite (P.-R. GILLIÉRON, Poursuite
pour dettes, faillite et concordat, 3e éd., Lausanne 1993, p. 56 et
la jurisprudence citée).
a) Il est établi que KIA, dont les avoirs font l'objet du séquestre
litigieux, est une corporation publique constituée par une loi
koweïtienne du 20 juin 1982 et qu'elle est dotée d'une personnalité
juridique
4.- a) Le recourant fait valoir que le libellé de l'ordonnance de
séquestre n'était pas conforme aux art. 274 al. 2 ch. 1 et 67 al. 1
ch. 2 LP, de sorte que l'office aurait dû refuser de l'exécuter.
Selon lui, la mention "agissant par le truchement de son organe
exécutif Kuwait Investment Office" ne pouvait signifier que ce
dernier était le représentant légal de la débitrice au sens de l'art.
67 al. 1 ch. 2 LP.
Le représentant légal, selon cette disposition, doit être distingué
du représentant simplement contractuel (mandataires, agents, membres
du Conseil d'administration d'une société, fondés de pouvoirs et de
procuration, etc.) et des organes prévus par la loi pour représenter
les corporations de droit public et les personnes morales. Il ne peut
s'agir que d'une personne appelée en vertu de la loi à agir en lieu
et place d'un individu ne possédant pas l'exercice de ses droits
civils, tels le tuteur ou le détenteur de l'autorité parentale (C.
JÄGER, Commentaire de la LP, n. 2 ad 47 et n. 13 ad art. 67).
De façon générale, les débiteurs comme les créanciers sont libres
d'agir en personne ou de se faire représenter par un mandataire. Les
personnes juridiques et les entités juridiques sont, quant à elles,
représentées par leurs organes légaux et statutaires (cf. art. 65 LP;
GILLIÉRON, op.cit., p. 78 let. e). Le créancier doit d'ailleurs
énoncer dans sa réquisition de poursuite (ou de séquestre) le nom du
représentant autorisé de la personne juridique ou de la société
poursuivie (ATF 117 III 10 consid. 5b p. 13; GILLIÉRON, op.cit., p.
126). Le recourant soutient donc à tort qu'aucune mention autre que
celle de représentant légal au sens (étroit) de l'art. 67 al. 1 ch. 2
LP ne serait admise dans l'ordonnance de séquestre.
5.- Il est constant en l'espèce que la créancière a obtenu, dans
deux arrondissements distincts, deux séquestres en garantie d'une
seule et même créance, et que les deux séquestres ont intégralement
porté, faisant ainsi double emploi.
a) Il est certes admis que le même créancier puisse obtenir contre
le même débiteur, pour la même créance, plusieurs séquestres en des
lieux différents (ATF 88 III 59 consid. 4 p. 66; GILLIÉRON, op.cit.,
p. 375 ch. 2). Un tel procédé ne doit toutefois pas constituer un
abus de droit manifeste. En matière de séquestre, un tel abus existe
lorsque la mesure, bien que conforme aux dispositions légales, a été
obtenue à des fins ou dans des conditions qui font apparaître
l'attitude du créancier requérant comme absolument incompatible avec
les règles de la bonne foi (ATF 107 III 33 consid. 4 p. 38, 105 III
18 s.). Tel est le cas de séquestres qui, requis dans différents
arrondissements, permettent d'obtenir le blocage d'avoirs pour un
montant notablement supérieur à celui nécessaire à satisfaire le
créancier séquestrant en capital, intérêts et frais, contrairement à
la règle posée à l'art. 97 al. 2 LP, applicable par renvoi de l'art.
275 de la même loi.
Pareille façon de procéder ne saurait se justifier, comme l'a
retenu avec raison l'autorité cantonale, par le souci de se prémunir
contre l'éventuelle intervention de créanciers subséquents qui
chercheraient à se désintéresser sur les mêmes actifs (art. 281 al. 1
LP), vu le texte clair de l'art. 97 al. 2 LP.
De même, il n'est pas décisif, dans ce contexte, que le débiteur
puisse recouvrer la libre disposition de ses avoirs en fournissant
des sûretés conformément à l'art. 277 LP.
Enfin, le fait que le créancier réponde, en vertu de l'art. 273 al.
1 LP, du dommage que le séquestre peut occasionner n'entre pas
davantage en ligne de compte. L'action prévue par cette disposition
n'est donnée, en effet, que si le séquestre est injustifié,
c'est-à-dire ordonné sans qu'il y ait un cas de séquestre ou fondé
sur une créance garantie et couverte par un gage, inexistante ou non
exigible (GILLIÉRON, op.cit., p. 393 ch. VII), hypothèses non
réalisées en l'espèce.
b) La question de savoir si le cumul de deux ou plusieurs
séquestres consacre l'abus manifeste d'un droit ne peut être tranchée
qu'a posteriori, c'est-à-dire une fois que les mesures ont été
exécutées et que l'on sait si
6.- Deux dates entrent en ligne de compte pour savoir lequel des
deux séquestres a été exécuté en second lieu.
Pour le recourant, la date déterminante est celle de la
notification du procès-verbal au débiteur (29 juin à Zurich et 21
juillet à Genève) et c'est donc l'exécution du séquestre genevois qui
devrait être annulée; pour l'autorité cantonale, la date déterminante
est celle de l'autorisation du séquestre (10 mai à Genève et 17 juin
à Zurich), de sorte que c'est l'exécution du séquestre de Zurich qui
devrait être annulée.
a) Le séquestre est exécuté, en ce qui concerne le débiteur,
lorsque le préposé, fonctionnaire ou employé chargé de l'exécution
lui ont fait savoir qu'il lui est interdit, sous les peines de droit
(art. 169 CP), de disposer des biens séquestrés sans l'autorisation
du préposé; cette communication est opérée lors de la notification du
procès-verbal de séquestre au débiteur (GILLIÉRON, op.cit., p. 382).
Pour le tiers, en revanche, c'est l'avis de l'art. 99 LP qui
constitue l'acte d'exécution du séquestre (JÄGER, op.cit., n. 1B ad
art. 275). Cet avis n'est certes pas une condition de validité du
séquestre; simple mesure de sûreté, il a néanmoins pour effet
d'informer le tiers qu'il ne peut plus désormais s'acquitter qu'en
mains de l'office; le tiers doit l'observer sous peine d'engager sa
responsabilité civile envers le créancier séquestrant (ATF 103 III 36
consid. 3 p. 39, 101 III 65 consid. 6 p. 67).
b) Le jugement attaqué relève que c'est généralement par
l'intermédiaire du tiers que le débiteur est avisé de la mesure
exécutée à son encontre, ce qui est particulièrement vrai en matière
de séquestre d'avoirs bancaires; dans une telle hypothèse, le
débiteur désireux de sauvegarder ses intérêts par les voies de droit
à sa disposition est généralement à même d'influencer la date de
communication du procès-verbal de séquestre, dès lors qu'il peut
élire domicile auprès d'un mandataire professionnel de
l'arrondissement compétent aux fins de faire accélérer la
notification de cet acte. D'une manière plus générale, le temps qui
s'écoule jusqu'à la notification de l'acte dépend du mode de
communication qui est utilisé et du pays dans lequel le débiteur est
domicilié. Ainsi, la date de notification du procès-verbal de
séquestre au débiteur est aléatoire.