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31. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 19 avril 1994 dans
la cause Emirats Arabes Unis et consorts contre Westland Helicopters
Limited et Tribunal arbitral (recours de droit public)
A.- Le 29 avril 1975, la République Arabe d'Egypte (RAE), le
Royaume d'Arabie Saoudite (RAS), l'Etat du Qatar et les Emirats
Arabes Unis (EAU) ont conclu un traité en vue de la fondation d'un
organisme supranational, doté de la personnalité juridique, appelé
"The Arab Organization for Industrialization" (AOI). Cet organisme
avait pour but de développer une industrie à caractère militaire dans
les pays arabes.
Le 27 février 1978, l'AOI et la société britannique Westland
Helicopters Limited (WHL) ont signé, entre autres contrats, un
"Shareholders Agreement" ayant pour objet leur participation commune
à une société par actions, dénommée "The Arab British Helicopter
Company" (ABH), dont le but devait consister dans la fabrication
d'hélicoptères en Egypte et la vente des appareils. Cette convention
comprenait une clause arbitrale.
A la même date, WHL et l'ABH ont conclu une série de contrats
(contrats de licence, d'assistance technique et de fourniture de
matériel) contenant tous une clause similaire.
B.- Le 26 mars 1979, la RAE a signé avec l'Etat d'Israël un accord
impliquant la cessation des hostilités entre ces deux pays. Ce
faisant, elle est entrée en conflit avec les autres membres de l'AOI,
qui décidèrent de mettre fin à l'existence de cet organisme, avec
effet au 1er juillet 1979, et de le liquider.
Après l'échec de pourparlers, WHL prit note de la rupture et
notifia, en juillet 1979, sa décision de réclamer des
dommages-intérêts à l'AOI dissoute et aux Etats membres. Le 12 mai
1980, elle déposa auprès de la Chambre de Commerce Internationale
(CCI), à Paris, une requête d'arbitrage
Extrait des considérants:
3.- Dans un premier moyen, les recourants soutiennent que le
Tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent à leur égard (art.
190 al. 2 let. b LDIP; RS 291). A l'instar de la RAE, ils contestent
être liés par les conventions d'arbitrage passées entre WHL et l'AOI
ou l'ABH; de plus, ils affirment n'avoir jamais reconnu implicitement
la compétence du Tribunal arbitral puisqu'ils n'ont participé
d'aucune manière à la procédure conduite sous son autorité. Aussi, la
conclusion qu'impose à leur avis la prétendue incompétence ratione
personae du Tribunal arbitral est la nullité absolue de l'ensemble de
la procédure qu'il a dirigée et de toutes les sentences qu'il a
rendues au cours de celle-ci. Cette nullité pourrait être invoquée en
tout temps, selon eux, d'autant que le Tribunal arbitral et les
juridictions étatiques n'auraient jamais rendu de décision ayant
force de chose jugée sur la question de la compétence de jugement en
tant qu'elle a trait à leur personne.
L'intimée estime, quant à elle, que les sentences partielles ou
incidentes rendues par le Tribunal arbitral avant le 1er janvier 1989
- date d'entrée en vigueur de la loi fédérale sur le droit
international privé - ne peuvent plus être remises en cause en même
temps que la sentence finale, du moment qu'elles ont déjà toutes été
revues par la Cour de justice et le Tribunal fédéral dans le cadre de
la procédure concordataire, le défaut des recourants dans la
procédure arbitrale ne changeant rien à la situation juridique ainsi
établie définitivement. Qui plus est, toujours selon l'intimée, les
décisions incidentes en matière de compétence doivent être attaquées
immédiatement, de sorte que, pour n'avoir pas formé de recours en
temps utile contre la sentence incidente rendue le 5 mars 1984 par le
Tribunal arbitral, les recourants seraient déchus une fois pour
toutes de leur droit de remettre en cause cette sentence.
a) La sentence incidente, par laquelle un tribunal arbitral statue
sur sa compétence (art. 8 al. 1 CIA, art. 186 al. 3 LDIP), peut faire
immédiatement l'objet d'un recours (art. 9 CIA, art. 190 al. 3 LDIP).
Selon une jurisprudence fermement établie, la partie qui n'attaque
pas une telle sentence dans le délai prévu à cet effet est déchue du
droit de soulever ultérieurement l'exception d'incompétence du
tribunal arbitral et elle ne peut plus remettre en cause la sentence
incidente par le biais d'un recours
6.- Les recourants font encore valoir une violation de l'ordre
public, au sens de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP.
a) Alors que l'art. 36 let. f CIA permet d'attaquer la sentence
arbitrale qui repose sur des constatations manifestement contraires
aux faits résultant du dossier ou qui constitue une violation
évidente du droit ou de l'équité, l'art. 190 al. 2 let. e LDIP
restreint sensiblement - de par la volonté du législateur - la portée
du grief correspondant en matière d'arbitrage international. Une
sentence rendue dans ce domaine ne sera donc pas annulée pour le seul
motif qu'elle prend appui sur des constatations de fait arbitraires
ou qu'elle aboutit à une solution juridiquement insoutenable. Elle ne
pourra être attaquée avec succès que si elle est incompatible avec
l'ordre public. Selon la jurisprudence, une sentence est contraire à
l'ordre public lorsqu'elle viole des principes juridiques
fondamentaux au point de ne plus être conciliable avec l'ordre
juridique et le système de valeurs déterminants. Au nombre de ces
principes figurent, notamment, la fidélité contractuelle ("pacta sunt
servanda"), le respect des règles de la bonne foi, l'interdiction de
l'abus de droit, la prohibition des mesures discriminatoires ou
spoliatrices, ainsi que la protection des personnes civilement
incapables (ATF 117 II 604 consid. 3, 116 II 634 consid. 4). Il faut
souligner, à cet égard, que l'ordre public, au sens de l'art. 190 al.
2 let. e LDIP, ne constitue qu'une simple clause de réserve ou
d'incompatibilité, ce qui signifie qu'il a uniquement une fonction
protectrice (ordre public négatif) et qu'il ne sortit aucun effet