120 II 312
60. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 11 mai 1994 dans la
cause British American Tobacco Company Ltd contre Fabriques de Tabac
Réunies S.A. (recours en réforme)
A.- British American Tobacco Company Ltd, de siège social à
Londres, bénéficie d'un brevet d'invention suisse - délivré le 15
avril 1988, avec droit de priorité depuis le 24 mai 1985. Ce brevet a
pour objet une cigarette d'un diamètre inférieur à celui des modèles
traditionnels; malgré qu'elle contienne moins de tabac, la cigarette
brevetée permettrait au consommateur de tirer autant de bouffées que
les cigarettes ordinaires, car elle se consumerait plus lentement
lorsque le fumeur ne tire aucune bouffée.
Complétée par huit revendications subordonnées, la revendication
principale du brevet est libellée comme suit: "Cigarette comprenant
une tige de tabac, laquelle présente une charge de tabac et une
enveloppe en papier, caractérisée en ce que la circonférence de
ladite tige est comprise entre 10 et 19 mm, en ce que la vitesse de
combustion libre de la tige est comprise entre 25 et 50 mg min-1 et
en ce que la densité de remplissage de ladite charge de tabac est
comprise entre 150 et 350 mg/cm3.".
B.- Sur requête de la société Fabriques de Tabac Réunies S.A., la
Cour de justice du canton de Genève a, par arrêt du 24 septembre
1993, constaté la nullité du brevet accordé et ordonné la radiation
de celui-ci.
C.- Agissant par la voie du recours en réforme au Tribunal fédéral,
British American Tobacco Company Ltd a conclu à l'annulation de
l'arrêt attaqué, ainsi qu'à la constatation de la validité du brevet
litigieux.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était
recevable et a confirmé l'arrêt déféré.
Extrait des considérants:
2.- La Cour de justice estime que le brevet litigieux est nul pour
différentes raisons. Alors qu'elle semble laisser ouverte en
définitive la question de l'existence d'une invention de combinaison
et celle de la nouveauté de ladite invention, elle nie qu'il y ait eu
activité créatrice suffisante pour justifier l'octroi d'un brevet; de
plus, selon elle, le procédé n'est pas exposé, dans le fascicule du
brevet, de façon telle qu'un homme du métier puisse la réaliser et la
fabriquer de manière répétitive.
Dans son écriture de recours, la défenderesse examine les notions
d'invention de combinaison, de nouveauté, d'activité créatrice et de
réalisation de l'invention, mais laisse de côté la question de
l'application répétée du procédé présenté. La demanderesse considère
ainsi
3.- a) En vertu de l'art. 67 ch. 2 al. 2 OJ, les parties peuvent
invoquer des faits et des moyens nouveaux se rapportant à des
questions techniques, si elles n'ont pu les faire valoir devant la
juridiction cantonale ou si elles n'avaient aucune raison de le
faire. La jurisprudence interprète strictement ces conditions, au
motif que cette disposition n'est pas destinée à faciliter la tâche
des plaideurs qui n'ont pas fait preuve de toute la diligence requise
dans l'instance cantonale.
4.- a) La défenderesse estime que la découverte pour laquelle elle
réclame la protection du brevet constitue une invention de
combinaison, distincte de la simple juxtaposition. Depuis de
nombreuses années, la jurisprudence a relativisé la distinction -
déjà ancienne - opérée entre la combinaison, fusion fonctionnelle
d'éléments distinctifs connus, et la juxtaposition (cf. ATF 69 II 180
consid. 4), par l'abandon de la théorie dite de la somme
("Summentheorie"; ATF 69 II 421 consid. I/2). L'invention de
combinaison - qui, selon le Tribunal fédéral, ne constitue pas une
catégorie spéciale d'invention (ATF 82 II 238 consid. 3d) - se
singularise, dans la conception actuelle, en raison de sa situation
particulière sous l'angle du critère de l'évidence; en effet,
l'activité inventive se caractérise alors par la conjonction de
plusieurs éléments qui, pris isolément, ne constituent pas
nécessairement une invention (TROLLER, op.cit., p. 186 ss). Sont
protégées la réunion inédite des différents éléments et l'affectation
technique, c'est-à-dire fonctionnelle, de ces éléments dans la
combinaison finale et leur utilisation à cette fin
(BENKARD/BRUCHHAUSEN, n. 78 ad § 1 DPatG). Lorsque les éléments
combinés sont connus, l'activité inventive consiste en leur amalgame.
Celui-ci doit comporter une nouveauté et contribuer au progrès de la
technique. On ne peut parler d'innovation si l'homme du métier
moyennement compétent arrive à réaliser cet amalgame sur la base de
ses seules connaissances (BENKARD/BRUCHHAUSEN, n. 34 s. ad § 4
DPatG): en pareil cas, la combinaison ne constitue pas une chose
nouvelle; les techniciens ont la possibilité d'appliquer le procédé
librement et l'octroi d'un brevet ne se justifie pas. Dans le cas
contraire, l'invention est susceptible de protection. Par conséquent,
le critère de l'évidence constitue également, dans le domaine de
l'invention par combinaison, une