120 II 389
71. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 7 octobre 1994 dans
la cause G. contre M. SA (recours en réforme)
A.- Le 28 novembre 1987, G. a conclu un contrat d'entreprise avec
P., entrepreneur général, en vue de la construction d'une villa.
Adjudicataire des travaux de maçonnerie, l'entreprise de construction
M. SA a exécuté jusqu'au 14 décembre 1988 la creuse, une partie des
canalisations et le bétonnage du sous-sol (radiers, murs, dalles). En
janvier 1989, elle est venue exécuter des drainages et les
remblayages. Puis, après une interruption du chantier pour des
raisons climatiques, elle a quitté celui-ci.
Le 24 avril 1989, P. a mis M. SA en demeure de recommencer les
travaux avant le 1er mai suivant, en se réservant le droit de
résilier le contrat. Le lendemain, réitérant une demande formulée le
18 avril déjà, M. SA a réclamé des plans sans lesquels elle disait ne
pas pouvoir continuer son travail. Par lettre du 29 mai 1989, P. a
demandé à M. SA de faire le nécessaire pour pomper l'eau dans le
sous-sol et dégager les ouvertures afin de ventiler et sécher ce
niveau. L'entrepreneur général précisait également que le contrat
était résilié avec effet immédiat, la suite des travaux étant adjugée
à une autre entreprise. M. SA lui a répondu qu'elle attendait
toujours les plans demandés et que, pour le cas où on lui retirerait
le travail, elle terminerait les travaux en cours (décoffrage de la
dalle, évacuation du matériel et de l'installation), ce qui prendrait
4 à 5 jours; ensuite, elle établirait le décompte définitif et
demanderait l'inscription d'une hypothèque légale sur la villa de G.
Du 5 au 7 juin 1989, un maçon et deux manoeuvres de M. SA ont donc
procédé au décoffrage de la dalle du sous-sol, à certains
rhabillages, à l'évacuation du matériel et au nettoyage du chantier.
Le 7 septembre 1989, M. SA a obtenu l'inscription à titre
préprovisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs
sur la parcelle de G., à concurrence de 34'690 fr. 60 plus intérêts.
L'inscription a ensuite été ordonnée à titre provisoire et un délai
au 30 juin 1990 fut fixé à M. SA pour faire valoir son droit en
justice. En cours de procédure, les parties ont passé une convention
aux termes de laquelle G. se reconnaissait débiteur de M. SA et
s'engageait à lui payer, à concurrence de 34'606 fr. 20 plus
intérêts, toute somme pour laquelle elle aurait obtenu l'inscription
définitive de l'hypothèque légale; en garantie de cet engagement et
en remplacement de l'hypothèque légale, G. remettrait à M. SA une
garantie bancaire d'un montant de 35'000 fr. et M. SA renoncerait à
son hypothèque légale. Par jugement au fond, G. a été déclaré
débiteur de M. SA à raison de 29'112 fr. 80, avec intérêt à 5% dès le
9 septembre 1989, et M. SA mise au bénéfice, dans cette mesure, de la
garantie bancaire délivrée par G.
Extrait des considérants:
1.- Le recourant reproche à la Cour cantonale d'avoir fait une
mauvaise application de l'art. 839 CC en admettant l'inscription de
l'hypothèque légale litigieuse plus de trois mois (7 septembre) après
la résiliation du contrat d'entreprise (29 mai), et d'avoir ainsi
violé une jurisprudence du Tribunal fédéral parfaitement claire (ATF
102 II 206).
a) Aux termes de cette jurisprudence - qui confirme un ancien arrêt
(ATF 39 II 205) - lorsque, avant l'achèvement des travaux, ceux-ci
sont retirés à l'entrepreneur, c'est la date de ce retrait, et non
celle du dernier travail exécuté, qui constitue le point de départ du
délai de l'art. 839 al. 2 CC. Il en va de même quand l'entrepreneur
refuse de poursuivre les travaux et se retire du contrat; en effet,
dans un tel cas, il est constant, lors de la résiliation, que
l'entrepreneur n'a plus à fournir de matériel ni de travail sur
l'immeuble et que, à ce moment, il peut établir le décompte de sa
prétention pour le travail exécuté avec autant de précision qu'il
aurait pu le faire, normalement, dès l'achèvement des travaux (ATF
102 II 206 consid. 1a p. 208 s.; cf. en outre arrêts tessinois du 29
décembre 1989 in DC 4/92, p. 103 no 180 et zurichois du 14 février
1980 in ZR 79/1980, p. 152 ss; LEEMANN, n. 16 ad art. 839 CC; R.
SCHUMACHER, Das Bauhandwerkerpfandrecht, 2e éd. 1982, p. 180 s., n.
640 s.).
b) Les premiers juges n'ont pas ignoré la jurisprudence
susmentionnée, mais ils ont estimé que l'état de fait sur lequel elle
se fondait n'était pas le même qu'en l'espèce, la différence résidant
en ce que, ici, la résiliation du contrat avait encore été suivie de
travaux de décoffrage et de la levée du chantier.
De fait, les deux arrêts de référence ne concernent pas le cas où
l'entrepreneur a encore exécuté des travaux après la résiliation du
contrat d'entreprise. Aux termes du premier (ATF 39 II 205),
l'entrepreneur avait effectué les derniers travaux au mois de janvier
1911 et le propriétaire, d'entente avec l'entrepreneur général, avait
résilié le contrat d'entreprise le 10 avril 1912; l'inscription de
l'hypothèque légale avait été requise et ordonnée le mois suivant. Le
second arrêt (ATF 102 II 206) traite notamment de la question de
savoir si des travaux exécutés pour des raisons de sécurité doivent
être comptés parmi les travaux d'achèvement,