120 Ia 369
51. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 17 novembre 1994
dans la cause Y. Z. contre Tribunal cantonal du canton de Vaud
(recours de droit public)
A.- Le 15 mars 1993, sieur L. Z. a requis du Juge de paix du
cercle de B. qu'il somme A. Z., son ex-épouse, de respecter
l'exercice de son droit de visite sur l'enfant Y. tel que fixé par
jugement de divorce du 4 décembre 1991. Par décision du 17 mars 1993,
ce magistrat a refusé d'ordonner l'exécution forcée. Sur recours du
sieur L. Z., la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a,
par arrêt du 27 juillet 1993, annulé l'ordonnance attaquée et invité
le premier juge à sommer la mère de l'enfant de respecter le droit de
visite du père.
Le Juge de paix a rendu le 16 septembre 1993 une ordonnance en ce
sens.
Dans une nouvelle ordonnance du 13 octobre 1993, le Juge de paix a
pris acte du refus de l'enfant Y. d'entretenir des contacts avec son
père. Après avoir entendu notamment l'enfant, il a rejeté la requête
d'exécution forcée du jugement de divorce, estimant une telle mesure
inopportune, donné mandat au Service de protection de la jeunesse de
"débloquer la situation", et dit que les visites devaient être
reprises au Centre de vie enfantine à X.
B.- Le recours formé par le père contre cette ordonnance a été
admis par la Chambre des recours du Tribunal cantonal par arrêt du 22
avril 1994, et la cause renvoyée au premier juge afin qu'il ordonne
l'exécution forcée du droit de visite accordé au père sur l'enfant
Y., en requérant, autant que de besoin, l'aide de la force publique.
C.- L'enfant Y., représenté par sa mère, exerce un recours de droit
public au Tribunal fédéral contre cette décision, dont il demande
l'annulation, et sollicite le bénéfice de l'assistance judiciaire.
Le Tribunal cantonal se réfère aux considérants de son arrêt.
L'intimé s'en remet à l'appréciation du tribunal quant à la qualité
pour recourir de l'enfant Y.; sur le fond, il conclut au rejet du
recours.
D.- Par ordonnance du 17 juin 1994, le Président de la cour de
céans a accordé l'effet suspensif au recours.
Considérant en droit:
1.- Le Tribunal fédéral examine librement la recevabilité du
recours de droit public (cf. ATF 120 Ia 101 consid. 1, 165 consid. 1,
119 Ia 321 consid. 2 et les arrêts cités).
a) Selon la jurisprudence relative à l'art. 88 OJ, le recours de
droit public est ouvert seulement à celui qui est atteint par l'acte
attaqué dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés; le
recours formé pour sauvegarder un intérêt général ou un simple
intérêt de fait est en revanche irrecevable. Un intérêt est
juridiquement protégé s'il est sanctionné par une garantie
constitutionnelle spécifique ou si une règle de droit cantonal ou
fédéral tend au moins accessoirement à sa protection (cf. ATF 120 Ia
165 consid. 1a; 118 Ia 51 consid. 3; 117 Ia 93 consid. 2). La qualité
de partie en procédure cantonale n'est pas déterminante (cf. ATF 117
Ib 158 consid. b; 117 Ia 20). Il incombe au recourant d'alléguer les
faits qu'il considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir
(cf. ATF 115 Ib 508).
Il reste que l'enfant Y. ne saurait être valablement représenté par
sa propre mère, à laquelle l'arrêt attaqué impute les difficultés
rencontrées par l'intimé dans l'exercice de ses droits (cf. art. 392
ch. 2 et art. 306 ch. 2 CC). Quant à la curatrice de Y., il n'est pas
établi qu'elle ait donné son accord au recours.
Cela n'est toutefois pas déterminant.
Le mineur capable de discernement peut agir seul - ou par
l'intermédiaire de son représentant de choix - s'agissant de droits
relevant de sa personnalité (cf. GULDENER, Schweizerisches
Zivilprozessrecht, 3e éd. Zurich 1979, p. 128 ch. 2). Si la doctrine
suisse traditionnelle conçoit le droit aux relations personnelles
comme une émanation des droits de la personnalité des parents, et non
de l'enfant (cf. VERENA BRÄM, Das Besuchsrecht geschiedener Eltern,
in PJA 1994, p. 901; HEGNAUER, n. 53 ad art. 273 CC), on ne saurait
nier, à la lumière de conceptions plus modernes, consacrées,
notamment, par la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits
de l'enfant (signée par la Suisse le 1er mai 1991, cf. le Message du
Conseil fédéral in FF 1994 V 10), que le recourant, qui est âgé de
douze ans et que l'on entend contraindre à voir son père, est touché
dans ses droits de la personnalité (cf. dans le même sens INGEBORG
SCHWENZER, Die UN-Kinderrechtskonvention und das schweizerische
Kindesrecht, PJA 1994, p. 817 ss, spéc. p. 823 ch. 4 et p. 824 lit.
E; URS TSCHÜMPERLIN, Die elterliche Gewalt in Bezug auf die Person
des Kindes,
2.- Selon l'autorité cantonale, c'est la mauvaise volonté de la
mère qui est à l'origine de l'impossibilité pour le père d'exercer
son droit de visite. Estimant que le Juge de paix ne saurait refuser
de procéder aux formalités d'exécution forcée pour des motifs
d'opportunité, la Chambre des recours a estimé "qu'il fallait donc à
présent que le jugement de divorce soit exécuté, c'est-à-dire que le
recourant puisse exercer son droit de visite (...), ce droit lui
appartenant autant qu'à la mère". Au cas où l'exécution forcée
devrait se révéler impossible, "se posera la question de
l'institution d'une curatelle en vue de la surveillance du droit de
visite, ou du retrait du droit de garde à la mère pour permettre à
l'enfant de voir son père (...)".
3.- Le recourant estime, en premier lieu, que la décision attaquée
est arbitraire en tant qu'elle n'accorde aucune signification à son
refus de voir son père, pas plus qu'elle ne tient compte du
désintérêt paternel à son égard. Le juge ne saurait, même au stade de
l'exécution forcée, négliger l'intérêt de l'enfant. En ordonnant le
concours de la force publique, la Chambre des recours aurait méconnu
les principes énoncés dans l'ATF 107 II 301, selon lesquels il faut
renoncer à user de contrainte directe à l'égard des enfants pour
faire respecter le droit de visite.
a) Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle
est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un
principe juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière
choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 118 Ia 118,
spéc. 123/124, 117 Ia 15/16, 20 let. c, 32 consid. 7a, 122 consid. 1b
et 139 let. c). Il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable;
encore faut-il que la décision apparaisse arbitraire dans son
résultat (ATF 118 Ia 118, spéc. 124, 117 Ia 139 let. c, 116 Ia 327
let. a et 334 let. d, 115 Ia 125). Le recourant ne peut se contenter
d'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale. Il doit
démontrer, par une argumentation précise, que la décision attaquée
repose sur une interprétation ou une application de la loi
manifestement insoutenables (ATF 86 I 228). Il n'y a pas arbitraire
du seul fait qu'une solution autre que celle de l'autorité cantonale
apparaît concevable ou même préférable (ATF 118 Ia 26 consid. 5a; 118
Ia 118, spéc. 123 consid. c).
b) Il ressort de l'arrêt attaqué que dame A. Z. et l'enfant Y.
avaient, sur ordre du Juge de paix, été entendus par un assesseur,
qui avait déconseillé
4.- Dans un second moyen, le recourant soutient que la décision
attaquée viole l'art. 8 par. 1 CEDH. Se référant à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi qu'à l'ATF 107 II
301 ss précité, il relève que la protection de l'art. 8 CEDH s'étend
aux rapports entre parents et enfants, et reproche aux juges
cantonaux d'avoir statué en application stricte des règles du code de
procédure civile vaudois relatives à l'exécution forcée, sans tenir
compte des éléments de preuve établissant les craintes "extrêmement
vives et fondées de l'enfant Y. à l'égard de son père". Le recourant
s'estime menacé dans ses intérêts par une exécution forcée du droit
de visite; il a manifesté l'intention d'attenter à sa vie plutôt que
de rencontrer son père sous la contrainte. Quant à l'intimé, il
n'aurait pas exercé le droit de visite qui lui avait été accordé par
voie de mesures provisionnelles et n'aurait pas cherché à maintenir
un contact avec son fils. Si l'art. 8 CEDH a une portée positive,