120 II 352
64. Extrait de l'arrêt de la Ière Cour civile du 1er décembre 1994
dans la cause R. SA contre I. SA (recours en réforme)
A.- Le 13 décembre 1993, la société R. SA a déposé contre la
société I. SA une requête en consultation des comptes selon l'art.
697h al. 2 CO. Statuant en procédure sommaire conformément à l'art. 8
let. b ch. 5 LACC/GE, le Tribunal de première instance de Genève a
autorisé la requérante à consulter les comptes annuels, les comptes
de groupe et les
Extrait des considérants:
1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec pleine cognition
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 117 Ia 336
consid. 1, 116 Ia 177 consid. 2 et les arrêts cités).
a) Les art. 43 ss OJ ne prévoient pas expressément de recours
contre la décision rendue en application de l'art. 697h al. 2 CO. Le
recours en réforme n'est donc recevable que si la décision revêt le
caractère de contestation civile au sens des art. 44 à 46 OJ. Par
contestation civile, il faut entendre une procédure contradictoire
visant à provoquer une décision définitive sur des rapports de droit
civil, et cela quelle qu'ait été la procédure, contentieuse ou
gracieuse, suivie par l'autorité cantonale, pourvu que les parties au
litige se prétendent titulaires de droits privés (ATF 112 II 145
consid. 1, 110 II 8 consid. 1b et les arrêts cités).
Tant l'ancien droit que le nouveau droit des sociétés anonymes
garantissent aux créanciers de sociétés qui ne sont pas tenues de
publier leur compte de profits et pertes et leur bilan un droit de
regard dans ces documents, à condition de justifier d'un intérêt
digne de protection (art. 704 aCO et 697h al. 2 CO). Ce droit à la
consultation des comptes annuels, des comptes de groupe et des
rapports des réviseurs est une prétention de droit privé qui peut
faire l'objet d'une action en justice (ATF 119 II 46 consid. 1b). Le
présent recours porte donc bien sur une contestation civile au sens
de l'art. 46 OJ. En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à
8'000 fr.
b) Sauf exceptions non réalisées en l'espèce, le recours en réforme
n'est recevable que contre des décisions finales au sens de l'art. 48
al. 1 OJ.
2.- En l'espèce, la décision attaquée est un arrêt de la Cour de
justice du canton de Genève refusant à la demanderesse le droit de
consulter les comptes annuels, les comptes de groupe et les rapports
des réviseurs de l'année 1992 de la société défenderesse (art. 697h
al. 2 CO). Conformément à l'art. 8 let. b ch. 5 LACC/GE, elle a été
prise en procédure sommaire (art. 347 ss LPC/GE). Le Tribunal fédéral
vérifie d'office la conformité du droit cantonal avec le droit
fédéral (ATF 120 II 28 consid. 3).
a) Bien que le droit de procédure demeure dans la compétence des
cantons (art. 64 al. 3 Cst.), il ne saurait empêcher ou entraver
l'application du droit civil de la Confédération (ATF 119 II 89
consid. 2c et les arrêts cités).
Les cantons sont, en principe, libres d'attacher ou non l'effet de
l'autorité de la chose jugée à la décision rendue en procédure
sommaire. Cependant, dans les cas où le droit cantonal soumet une
prétention de droit fédéral exclusivement à la procédure sommaire
(dans la mesure admissible au regard du droit fédéral, ATF 94 II 105
consid. 1b), ainsi que dans les cas où le droit fédéral prescrit une
attraction de compétence qui entraîne l'application d'une procédure
sommaire cantonale (ATF 119 II 241 consid. 2),
3.- En l'espèce, l'arrêt de la Cour de justice a été rendu en
procédure sommaire sur la base de la vraisemblance des faits et après
une administration limitée des moyens de preuve. Force est donc de
constater que c'est sur la base d'un examen sommaire et provisoire
que la cour cantonale a admis la qualité de créancière de la
demanderesse, mais a refusé de reconnaître à celle-ci un intérêt
digne de protection.
a) Bien qu'elle ait, à tort, restreint son examen à la
vraisemblance et procédé à une administration des preuves limitée,
l'autorité cantonale n'en a pas moins rendu une décision qui ne peut
être revue en procédure ordinaire puisqu'elle est revêtue de
l'autorité de la chose jugée en vertu du droit fédéral. Contrairement
à ce que soutient la défenderesse, le créancier ne pourrait pas
former une nouvelle requête ultérieurement pour les comptes de
l'année 1992 s'il démontrait sa qualité de créancier et prouvait un
intérêt digne de protection, à moins qu'il ne puisse apporter la
preuve de la survenance de faits nouveaux.
Par conséquent, en statuant définitivement sur une prétention
relevant du droit fédéral sur la base de la simple vraisemblance
après une administration des preuves limitée, la cour cantonale a
violé le principe de la force dérogatoire du droit fédéral et l'art.
8 CC, qui fixe le degré de la preuve nécessaire pour l'admission du
droit de fond.
b) L'application erronée d'une procédure sommaire limitant le degré
de la preuve et l'administration des moyens de preuve ne saurait
toutefois priver le justiciable de la voie du recours en réforme. En
effet, ce serait renverser la hiérarchie des normes que de dénier le
caractère final à une décision jouissant pourtant de l'autorité de la
chose jugée, au motif que la procédure suivie devant la juridiction
cantonale ne respecterait pas le droit à la preuve imposé par le
droit fédéral (SANDOZ/POUDRET, op.cit. p. 329). Partant, la décision
doit être qualifiée de finale au sens de l'art. 48 OJ.