120 II 341
63. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 13 décembre 1994
dans la cause Caisse de prévoyance X. contre dame R. (recours en
réforme)
A.- La Caisse de prévoyance X. (ci-après: la caisse) est
propriétaire d'un immeuble à Genève. En octobre 1991, dame R. a
cherché à louer un appartement de trois pièces situé dans cet
immeuble. La caisse lui a indiqué que le loyer mensuel du logement en
question serait de 865 fr., charges non comprises. Comme la locataire
précédente payait un loyer net de 450 fr. par mois, dame R. a demandé
à la caisse de revoir sa décision. La propriétaire a maintenu sa
position pour l'essentiel, acceptant uniquement de fixer le loyer
mensuel à 750 fr. du 15 décembre 1991 au 31 janvier 1992.
La locataire a pris possession de l'appartement à la mi-décembre
1991, mais les parties n'ont signé le contrat de bail que le 28
janvier 1992. A cette occasion, la bailleresse a remis à dame R. la
formule officielle de fixation du loyer lors de la conclusion d'un
nouveau bail; l'avis n'indique pas les motifs de l'augmentation du
loyer par rapport à celui payé par l'ancienne locataire.
B.- Dame R. a déposé une requête en contestation du loyer initial.
Par jugement du 16 décembre 1992, le Tribunal des baux et loyers du
canton de Genève a admis la demande; il a constaté la nullité de
l'augmentation de loyer intervenue lors du changement de locataire,
faute de motivation figurant sur la formule officielle de fixation du
loyer.
Statuant le 1er octobre 1993 sur appel de la défenderesse, la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers a confirmé le jugement
de première instance.
C.- La caisse interjette un recours en réforme. Elle conclut à
l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants du
Tribunal fédéral.
Extrait des considérants:
2.- Selon l'arrêt attaqué, la hausse de loyer intervenue lors du
changement de locataire est entachée d'un vice de forme et, par
conséquent, nulle.
3.- Il est constant que la formule officielle du 28 janvier 1992
n'indique pas les motifs de la fixation d'un loyer plus élevé que
celui payé par la locataire précédente. Or, le renvoi de l'art. 270
al. 2 CO à la formule officielle de l'art. 269d CO implique
nécessairement qu'une augmentation de loyer lors d'un changement de
locataire soit motivée sur la formule officielle, à l'instar de celle
qui intervient en cours de bail. Cette
4.- Selon la Chambre d'appel, un vice de forme lors de la
notification d'un nouveau loyer a les mêmes conséquences, que la
majoration intervienne en cours de bail ou lors du changement de
locataire. Appliquant l'art. 269d al. 2 CO par analogie, la Chambre
d'appel a jugé ainsi que l'augmentation de loyer était nulle et que
le loyer payé par la locataire précédente était déterminant entre les
parties.
Pour la défenderesse, on ne saurait comparer les deux hypothèses.
En substance, elle considère la sanction comme disproportionnée au
regard du peu d'importance de l'irrégularité commise. A son sens,
admettre la nullité de la majoration du loyer au début du bail pour
vice de forme revient à imposer unilatéralement au bailleur l'un des
éléments essentiels du contrat alors que la preuve d'un loyer abusif
au sens des art. 269 ss CO n'est pas rapportée. Invoquant l'art. 20
al. 2 CO, la défenderesse affirme qu'elle n'aurait jamais accepté de
conclure le contrat avec la demanderesse à l'ancien loyer, qui
constitue au surplus une "res inter alios acta" pour les parties.
Elle reproche en outre à la cour cantonale de faire preuve de
formalisme excessif.
a) Les auteurs sont peu diserts sur les conséquences d'un vice de
forme - défaut de notification du loyer sur formule officielle ou
absence de motivation de la hausse de loyer sur la formule - dans les
cantons qui ont fait usage de la possibilité offerte par l'art. 270
al. 2 CO. Certains se
5.- En l'espèce, la loi n'indique pas expressément quels sont les
éventuels effets d'une irrégularité lors de la notification du loyer
au début du bail. Il convient par conséquent de les dégager par
interprétation de l'art. 270 al. 2 CO, en recherchant notamment son
but.
a) L'art. 270 al. 2 CO a été introduit lors de la révision totale
du droit du bail à loyer, entrée en vigueur le 1er juillet 1990. Aux
Chambres fédérales, le débat s'était concentré essentiellement sur la
question controversée de la contestation du loyer initial (BO CE
1988, p. 165 ss et 1989, p. 426 ss; BO CN 1989, p. 516 ss). Le
Message du Conseil fédéral du 27 mars 1985 prévoyait cette
possibilité, sans aucune condition (art. 13 LMSL; FF 1985 I, p. 1473
et p. 1512). Finalement, le Parlement adopta l'art. 61 al. 1 LMSL
(art. 270 al. 1 CO actuel), qui soumet la contestation du loyer
initial à l'une des deux conditions alternatives suivantes: soit le
locataire a été contraint de conclure le bail par nécessité
personnelle ou familiale ou en raison de la situation du marché (let.
a), soit le loyer a été augmenté sensiblement par rapport au loyer
payé par le précédent locataire (let. b). Les Chambres fédérales
votèrent également l'art. 8 al. 2 LMSL (art. 256a al. 2 CO actuel),
qui permet au locataire d'exiger la communication du loyer fixé dans
le contrat de bail précédent. On assista ainsi au rejet de la
proposition de la minorité de la Commission du Conseil national qui
voulait assimiler, sur le plan tant formel que matériel,
l'augmentation de loyer à la conclusion du contrat et celle
intervenant en cours de bail (BO CN 1989, p. 516-519). A la suite de
ce débat nourri, Madame Déglise, conseillère nationale, reprit
partiellement à son compte deux initiatives des cantons de Fribourg
et Genève en proposant l'introduction de l'art. 61 al. 2 LMSL, qui
correspond à l'art. 270 al. 2 CO actuel (BO CN 1989, p. 520 et p.
530/531; BO CE 1989, p. 426 et p. 428).
6.- Il reste à établir de quelle manière le montant du loyer doit
être fixé.
a) Contrairement à l'opinion défendue par la cour cantonale et une
partie de la doctrine citée plus haut (consid. 4a in fine), le loyer
payé par le locataire précédent ne peut pas remplacer sans autre le
loyer convenu entre les parties, par application analogique de l'art.
269d al. 2 CO. D'une part, l'art. 270 al. 2 CO ne restreint pas la
faculté cantonale d'imposer la formule officielle au début du bail
aux seuls cas d'augmentation sensible du loyer initial par rapport au
loyer précédent (cf. art. 270 al. 1 let. a CO); du reste, l'art. 94B
al. 1 LACC a rendu obligatoire l'usage de la formule lors de la
conclusion de tout bail d'habitation. D'autre part, l'application
analogique de l'art. 269d CO est d'emblée exclue en présence d'une
première location; en effet, il n'est pas imaginable que le vice de
forme conduise à une cession de l'usage du logement à titre gratuit,
alors que les parties s'étaient entendues en tout cas sur le
caractère onéreux de ladite cession.
7.- En conclusion, la cour cantonale a admis à juste titre que la
fixation du loyer était entachée en l'espèce d'un vice de forme et
qu'elle était par conséquent frappée de nullité. Au lieu de reprendre
simplement le loyer précédent, elle aurait dû toutefois déterminer
elle-même le loyer adéquat, selon la méthode décrite ci-dessus. Dans
cette mesure, il convient d'admettre le recours et de renvoyer
l'affaire à la Chambre d'appel pour nouvelle décision dans le sens
des considérants.