«/2»
1A.254/2000
Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************
31 janvier 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Catenazzi et Favre.
Greffier: M. Zimmermann.
Statuant sur le recours de droit administratif
formé par
P.________, représentée par Me Pierre-Dominique Schupp,
avocat à Lausanne,
contre
l'arrêt rendu le 22 août 2000 par le Tribunal d'accusation
du
Tribunal cantonal du canton de Vaud;
(entraide judiciaire; art. 67 EIMP;
principes de la spécialité et de la proportionnalité)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- Le 16 juin 1999, le Ministère de la justice de
la République hellénique a transmis à l'Office fédéral de la
police (ci-après: l'Office fédéral) une demande d'entraide
judiciaire fondée sur la Convention européenne d'entraide ju-
diciaire en matière pénale, conclue à Strasbourg le 20 avril
1959, entrée en vigueur le 12 juin 1962 pour la Grèce et le
20 mars 1967 pour la Suisse (CEEJ; RS 0.351.1).
Cette demande était présentée pour les besoins de la
procédure conduite par Dionysios Palladinos, Juge de la 8ème
Chambre d'instruction du Tribunal d'Athènes, contre
P.________ et H.________, pour fraude et complicité de frau-
de, ainsi que pour soustraction, délits réprimés par les
art.
13 al. 6, 46 par. 18, 94 par. 1, 98, 375 par. 1b-a et 2, 378
let. a et 386 par. 1b-a et 3 du Code pénal grec. A la
demande
était joint un exposé des faits, daté du 17 mai 1999 et rédi-
gé par le Juge Palladinos. Selon ce document, L.________ et
P.________ sont soeurs et un litige est survenu entre elles
au sujet de l'héritage de leur père, M.________. L.________
avait déposé plainte pénale contre P.________, en accusant
celle-ci d'avoir détourné une partie de la fortune paternel-
le, au détriment d'elle-même et de leur mère, avec la compli-
cité de H.________. Des fonds détournés auraient été achemi-
nés sur des comptes bancaires en Suisse. L'enquête avait per-
mis de déterminer que les comptes ouverts au nom de
M.________ auprès de la Société de Banque Suisse (devenue
dans l'intervalle UBS, ci-après: la Banque) avaient été fer-
més depuis 1993 et que les fonds se trouvant sur ces comptes
avaient été transférés sur d'autres comptes ouverts auprès
de
la même banque (désignés sous les nos aaa, bbb, ccc, ddd,
eee, fff, ggg, hhh, iii, jjj, kkk et lll). La demande
tendait
à la détermination de tous les mouvements opérés sur ces
comptes depuis 1993, à l'identification de leurs ayants
droit
et titulaires, des personnes y ayant procédé à des
versements
ou à des retraits, ainsi que des personnes, physiques ou
morales, dominées par P.________ ou H.________, qui auraient
participé à ces mouvements de fonds.
Le 8 juillet 1999, l'Office fédéral de la police a
transmis la demande au Juge d'instruction du canton de Vaud,
pour exécution.
Le 13 juillet 1999, le Juge d'instruction est entré
en matière.
Le 20 juillet 1999, le Ministère grec de la justice
a complété la demande. Il s'est référé à une requête établie
le 6 juillet 1999 par le Juge Palladinos, demandant que
soient remis les documents relatifs à tous les comptes décou-
verts, jusqu'à leur clôture, y compris pour la période anté-
rieure à 1993.
Le Juge d'instruction a ordonné la production des
pièces relatives aux comptes visés par la demande. La Banque
a obtempéré les 27 septembre 1999, 30 novembre 1999 et 12 fé-
vrier 2000. Elle a remis au Juge d'instruction les documents
relatifs au compte no hhh, dont L.________ avait été titulai-
re, avec M.________ et K.________; nos jjj, ggg, eee, fff
dont P.________ avait été la titulaire; no ddd, dont elle
avait été la titulaire avec M.________; no kkk, dont la
société S.________ avait été la titulaire; no lll dont la
société X.________ avait été la titulaire; no ccc, dont
M.________ et K.________ avaient été les titulaires; no bbb,
dont M.________ avait été le titulaire; no iii, dont un
tiers
avait été le titulaire.
Le 27 septembre 1999, la demande a été complétée une
nouvelle fois, le Juge Palladinos informant les autorités
suisses que la procédure était secrète selon le droit grec.
Le 16 juin 2000, le Juge d'instruction a rendu une
décision de clôture ordonnant la transmission des renseigne-
ments concernant les onze comptes qui avaient été ouverts au-
près de la Banque. Cette décision réserve expressément le
principe de la spécialité.
Par arrêt du 22 août 2000, le Tribunal d'accusation
a rejeté le recours formé par P.________ contre la décision
du 16 juin 2000, qu'il a confirmée.
B.- Agissant par la voie du recours de droit admi-
nistratif, P.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler
l'arrêt du 22 août 2000 et de rejeter la demande d'entraide
judiciaire. Elle allègue que celle-ci serait abusive. Elle
invoque les principes de la proportionnalité et de la spé-
cialité.
Le Tribunal d'accusation se réfère à son arrêt. Le
Juge d'instruction a renoncé à se déterminer. L'Office fédé-
ral de la justice (qui a repris, dans l'intervalle, les com-
pétences de l'Office fédéral de la police, ci-après:
l'Office
fédéral) propose le rejet du recours.
C.- Par arrêt partiel du 4 janvier 2001, le Tribunal
fédéral a dénié à L.________ la qualité de partie à la procé-
dure.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- a) La Confédération suisse et la République hel-
lénique sont toutes deux parties à la CEEJ. Les dispositions
de ce traité l'emportent sur le droit autonome qui régit la
matière, soit la loi fédérale sur l'entraide internationale
en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP) et son ordonnance
d'exécution (OEIMP), qui sont applicables aux questions non
réglées, explicitement ou implicitement, par le droit conven-
tionnel et lorsque cette loi est plus favorable à l'entraide
que la Convention (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II
140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189
consid. 2a p. 191/192, et les arrêts cités), sous réserve du
respect des droits fondamentaux (ATF 123 II 595 consid. 7c
p.
617).
b) La voie du recours de droit administratif est
ouverte contre la décision confirmant la transmission de la
documentation bancaire à l'Etat requérant et la saisie de
comptes bancaires (art. 25 al. 1 EIMP, mis en relation avec
l'art. 80d de la même loi).
c) Les conclusions qui vont au-delà de l'annulation
de la décision sont recevables (art. 25 al. 6 EIMP; art. 114
OJ; ATF 122 II 373 consid. 1c p. 375; 118 Ib 269 consid. 2e
p. 275; 117 Ib 51 consid. 1b p. 56, et les arrêts cités). Le
Tribunal fédéral examine librement si les conditions pour ac-
corder l'entraide sont remplies et dans quelle mesure la col-
laboration internationale doit être prêtée (ATF 123 II 134
consid. 1d p. 136/137; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275). Il sta-
tue avec une cognition pleine sur les griefs soulevés sans
être toutefois tenu, comme le serait une autorité de surveil-
lance, de vérifier d'office la conformité de la décision at-
taquée à l'ensemble des dispositions applicables en la ma-
tière (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 119 Ib 56
consid. 1d p. 59).
d) La recourante, accusée dans la procédure pénale
ouverte dans l'Etat requérant, a qualité pour agir selon les
art. 21 al. 3 et 80h let. b EIMP, mis en relation avec
l'art.
9a let. a OEIMP, contre la transmission de la documentation
relative aux comptes nos ggg, eee, fff, jjj et ddd, dont
elle
avait été la titulaire ou la cotitulaire (ATF 125 II 356
consid. 3a/bb p. 362; 123 II 161 consid. 1d/aa p. 164; 122
II
130 consid. 2a p. 132/133). En revanche, elle n'a pas
qualité
pour s'opposer à la remise de la documentation concernant
les
comptes nos hhh, kkk, lll, ccc, bbb et iii, dont elle n'a
pas
été la titulaire ou dont elle n'a pas démontré avoir été la
titulaire.
Sous ces réserves, il y a lieu d'entrer en matière.
2.- La recourante se plaint de la violation du prin-
cipe de la spécialité, en faisant valoir que la procédure pé-
nale ouverte dans l'Etat requérant constituerait pour
L.________ le moyen de contourner les règles sur l'obtention
des preuves prévues par le droit civil grec. Tel qu'il est
invoqué, le principe de la proportionnalité n'a pas de
portée
propre à cet égard.
a) L'entraide demandée en application de la CEEJ
doit servir à la répression d'infractions pénales (art. 1
CEEJ). Selon l'art. 67 al. 1 EIMP et la réserve faite par la
Suisse à l'art. 2 let. b CEEJ, les renseignements transmis
ne
peuvent, dans l'Etat requérant, ni être utilisés aux fins
d'investigation, ni être produits comme moyens de preuve
dans
une procédure pénale visant une infraction pour laquelle
l'entraide est exclue (ATF 126 II 316 consid. 2b p. 319; 125
II 258 consid. 7a/aa p. 260/261; 124 II 184 consid. 4b p.
187, et les arrêts cités). Aux termes de l'art. 67 al. 2
EIMP, l'utilisation des renseignements et documents fournis
par la Suisse à des fins autres que pénales est soumise à
l'approbation de l'Office fédéral; celle-ci n'est toutefois
pas nécessaire lorsque les faits à l'origine de la demande
constituent une autre infraction pour laquelle l'entraide
pourrait être donnée (let. a) ou lorsque la procédure pénale
étrangère est dirigée contre d'autres personnes ayant parti-
cipé à la commission de l'infraction (let. b).
Est abusive la demande étrangère qui, sous le cou-
vert d'une procédure pénale, vise en fait à obtenir des ren-
seignements et des informations nécessaires à une procédure
civile, en détournement des règles relatives à l'entraide
dans cette matière (ATF 122 II 134 consid. 7b p. 137; cf.
pour ce qui concerne les conditions d'application de l'art.
67 al. 2 EIMP, ATF 126 II 316 et 125 II 258).
b) En l'espèce, l'Etat requérant demande la remise
de documents bancaires uniquement pour les besoins de la pro-
cédure pénale conduite contre la recourante par le Juge
Palladinos. Rien ne permet de dire que cette procédure
aurait
été construite de toutes pièces ou constituerait un pur pré-
texte pour éluder les règles de l'entraide, afin d'obtenir
des renseignements destinés en fait au procès civil opposant
L.________ à la recourante. Ainsi, on ne se trouve pas dans
un cas d'application de l'art. 67 al. 2 EIMP. Se prévalant
de
l'ATF 122 II 134, la recourante expose que L.________ a,
dans
le cadre du procès civil, requis le juge civil grec d'ordon-
ner l'apport des mêmes pièces que celles demandées par le
Juge Palladinos pour les besoins de la procédure pénale. A
supposer que le juge civil ait admis cette requête, on ne
saurait de toute façon reprocher à L.________ de tenter d'ob-
tenir la production de pièces qu'elle juge nécessaire à sa
cause, dans la procédure civile comme dans la procédure pé-
nale. Contrairement à ce que semble penser la recourante,
l'existence d'une procédure civile parallèle n'empêche pas,
ipso facto, la transmission d'informations et de documents
pour les besoins de la procédure pénale. Pour le surplus, la
recourante ne démontre pas que le juge civil grec aurait re-
quis le Juge Palladinos de lui remettre les documents
obtenus
par le truchement de l'entraide, ni que le droit grec lui fe-
rait l'obligation de satisfaire à une telle demande, si elle
lui était présentée. De toute manière, afin de parer tout
risque à cet égard, le Juge d'instruction a pris la précau-
tion de rappeler le principe de la spécialité dans le dis-
positif de la décision de clôture. L'attention du Juge
Palladinos a ainsi été rappelée sur l'interdiction qui lui
est faite d'utiliser les documents reçus pour une autre pro-
cédure que celle visée par la demande. En particulier, il ne
saurait transmettre la documentation reçue (sous réserve de
l'autorisation expresse et préalable de l'Office fédéral,
selon ce que prévoit l'art. 67 al. 2 EIMP) aux juridictions
civiles grecques. Le principe de la spécialité découlant de
la réserve suisse faite à l'art. 2 CEEJ, il n'y a pas lieu
de
douter que l'Etat requérant s'y conformera (ATF 115 Ib 373
consid. 8 p. 377; 107 Ib 264 consid. 4b p. 272 et les arrêts
cités).
c) Sans doute L.________ pourra-t-elle faire état,
devant le juge civil, des pièces remises par la Suisse, dont
elle pourra prendre connaissance dans le cadre de la procé-
dure pénale. Cela ne signifie pas pour autant, malgré ce que
dit la recourante sous l'angle de la proportionnalité, que
serait violé le principe de la spécialité. Opposable à
toutes
les autorités de l'Etat requérant, ce principe interdit
d'une
part au Juge Palladinos de communiquer la documentation
reçue
au juge civil, et défend, d'autre part, au juge civil grec
de
faire usage, dans sa procédure, de renseignements obtenus
par
la voie de l'entraide judiciaire en matière pénale et dont
l'Office fédéral n'aurait pas autorisé l'utilisation en ap-
plication de l'art. 67 al. 2 EIMP, sous réserve des cas ex-
ceptionnels où cette approbation n'est pas requise.
3.- Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure
où il est recevable. Les frais en sont mis à la charge de la
recourante (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dé-
pens (art. 159 OJ).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.
2. Met à la charge de la recourante un émolument ju-
diciaire de 5000 fr.
3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.
4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire de la recourante, au Juge d'instruction et au Tribunal
d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Vaud, ainsi
qu'à l'Office fédéral de la justice (B 116230).
Lausanne, le 31 janvier 2001
ZIR/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,