{T 0/2}1A.215/2006 /svc Arrêt du 7 novembre 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Aemisegger et Reeb.Greffier: M. Kurz. P. ________,Q.________,ayant pour curatrice Me Cornelia Ritter,R.________,recourants, représentés par Me Marc Bonnant, avocat, contre Ministère public de la Confédération,Taubenstrasse 16, 3003 Berne. entraide judiciaire internationale en matière pénaleau Royaume-Uni, recours de droit administratif contre la décisiondu Ministère public de la Confédérationdu 21 septembre 2006. Faits: A.Le 26 juin 2006, le Ministère public de la Confédération (MPC) est entré enmatière sur une demande d'entraide et des compléments formés par le SeriousFraud Office, dans le cadre d'une enquête ouverte pour des délits decorruption, entente frauduleuse, association de malfaiteurs et escroquerie.Le MPC a notamment ordonné la production de la documentation relative àdivers comptes ouverts auprès de la Banque T.________.Par demande complémentaire du 24 août 2006, l'autorité requérante a demandé àpouvoir examiner la documentation recueillie et à ce qu'il soit procédé, ensa présence, à toutes les investigations nécessaires. Le 11 septembre 2006,le MPC fit parvenir à l'autorité requérante un formulaire de "déclaration degarantie" par laquelle les personnes admises à participer aux actesd'entraide s'engageaient à adopter une attitude purement passive (ch. 1). Lesfaits ressortissant au domaine secret ne devaient pas être exploités aux finsd'investigations ou comme moyens de preuve avant la décision sur l'octroi etl'étendue de l'entraide; l'exclusion de l'entraide pour les délits politiqueset fiscaux est également rappelée (ch. 2). Les enquêteurs pourraient assisteraux actes d'entraide, consulter les pièces et participer à leur tri, sous ladirection du MPC (ch. 3). Ils pourraient proposer des questionscomplémentaires à poser aux témoins, sans toutefois les poser directement(ch. 4). Les renseignements recueillis par les représentants de l'Etatétranger durant leur déplacement en Suisse pourraient être utilisés en touttemps pour former une demande d'entraide complémentaire à la Suisse (ch. 5).Cette déclaration a été signée par dix personnes. B.Par décision incidente du 21 septembre 2006, le MPC a décidé de donner suiteà la demande du 24 août 2006. La participation de fonctionnaires étrangersétait justifiée compte tenu de la complexité de la procédure. L'établissementbancaire était tenu de notifier cette décision aux personnes touchées par lamesure d'entraide. C.Par acte du 9 octobre 2006, P.________ et Q.________, sociétés de droitliechtensteinois liquidées et représentées par une curatrice pour les besoinsde la cause, ainsi que R.________, ayant droit de ces deux sociétés, formentun recours de droit administratif avec demande d'effet suspensif. Ilsdemandent l'annulation de la décision incidente du MPC.Le MPC conclut à l'irrecevabilité du recours, faute de qualité pour agir deses auteurs, ainsi que pour tardiveté. L'OFJ conclut également àl'irrecevabilité du recours, les sociétés n'ayant pas de personnalitéjuridique et leur ayant droit n'ayant pas été désigné comme bénéficiaire duproduit de la liquidation.L'effet suspensif a été accordé par ordonnance présidentielle du 24octobre2006.Les recourants ont répliqué. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours de droit administratif est dirigé contre une décision incidente ausens de l'art. 80e let. b EIMP. Le délai de recours est, dans ce cas, de dixjours (art. 80k EIMP). Il court dès le moment où la personne touchée a eu uneconnaissance suffisante de la décision attaquée pour lui permettre del'attaquer. 1.1 La décision attaquée a été notifiée le 25 septembre 2006 à la banque;elle comporte une obligation d'informer les clients. Le 28septembre 2006, laBanque T.________ a indiqué au MPC qu'une telle communication ne pouvaitavoir lieu car les sociétés visées étaient dissoutes; les ayants droitavaient l'intention de "reconstituer" les sociétés, ce qui prendrait environdix jours. Le 29 septembre 2006, le MPC a répondu à la banque que le délai derecours partait du 28septembre 2006, soit du jour où le bénéficiaireéconomique avait été informé.Selon les recourants, l'établissement bancaire a communiqué la décision àleur avocat le 3 octobre 2006. Il est vrai que les décisions rendues auLiechtenstein désignant une curatrice pour les sociétés recourantes ont étérendues le 21 septembre 2006 déjà, et que la procuration en faveur del'avocat genevois avait été signée le 26septembre 2006. On ignore toutefoisà quel moment les recourants ont eu une connaissance effective suffisante dela décision prise à leur endroit. Par ailleurs, tant la banque que lesrecourants paraissent avoir agi avec diligence en informant sans retardl'autorité des problèmes de notification, et en mentionnant clairement lesdémarches entreprises pour permettre aux sociétés de recourir. Les recourantsont d'ailleurs respecté les indications données par le MPC lui-même à proposdu dies a quo. Il y a lieu, par conséquent, de considérer qu'ils ont agi entemps utile. 1.2 La qualité pour agir des recourants est également contestée, tant par leMPC que par l'OFJ. Les deux sociétés de droit liechtensteinois ont étéliquidées le 28 août 2001 et le 16 août 2004. Par ordonnances du 25 septembre2006, le Landgericht de Vaduz leur a nommé une curatrice chargée dereprésenter leurs intérêts dans le cadre de la procédure d'entraide. Selonl'OFJ, les sociétés n'auraient pas pour autant recouvré leur personnalité, etl'intervention du curateur ne pourrait concerner que les prétentions denature patrimoniale. Quant à l'ayant droit économique, il ne serait pasdésigné comme bénéficiaire du produit de la liquidation.Selon l'art. 141.1 du code des personnes et des sociétés (Personen- undGesellschaftsrecht) du Liechtenstein, un curateur peut être désigné pour unepersonne morale dissoute à l'encontre de laquelle sont élevées desprétentions juridiques, afin de la représenter dans la procédure. Selon letexte de la disposition, cette possibilité n'est pas limitée aux prétentionsde nature patrimoniale. Les décisions du Tribunal de Vaduz mentionnentd'ailleurs expressément la procédure d'entraide judiciaire ouverte en Suisseà la requête du Serious Fraud Office. A priori - sous réserve du résultatd'une instruction plus approfondie sur le sens du droit étranger -, lesrecourantes doivent donc être admises à recourir par le biais de leurcuratrice. La question de la qualité pour agir de l'ayant droit peut, à cestade, demeurer indécise. 1.3 A teneur des art. 80e let. b et 80g al. 2 EIMP, les décisions incidentesrendues par l'autorité fédérale d'exécution antérieurement à la décision declôture sont attaquables séparément par la voie du recours de droitadministratif, lorsqu'elles causent à leur destinataire un dommage immédiatet irréparable découlant de la saisie d'objets ou de valeurs (ch. 1) ou de laprésence de personnes qui participent à la procédure à l'étranger (ch. 2).Contrairement à ce que le libellé du texte légal laisse supposer, le prononcéd'un séquestre ou l'autorisation accordée à des fonctionnaires étrangers departiciper à l'exécution de la demande ne causent pas, ipso facto, un dommageimmédiat et irréparable au sens de l'art. 80e let. b EIMP (cf. ATF 128 II 211consid. 2.1 p. 215/216, 353consid. 3 p. 254). Il faut pour cela que lapersonne touchée démontre que la mesure qu'elle critique lui cause un teldommage et en quoi l'annulation de la décision attaquée ne le réparerait pas(ATF 128 II 211 consid. 2.1 p. 215/216).En l'occurrence, les recourants expliquent de manière suffisante en quoiconsiste le préjudice auquel ils se disent exposés. Celui-ci résultenotamment du ch. 5 de la déclaration de garantie, qui permettrait uneutilisation anticipée des renseignements recueillis en Suisse. Il endécoulerait une violation de l'art. 65a EIMP, qui ne serait pas réparable.Ces indications suffisent, au stade de la recevabilité. 2.Les recourants relèvent que l'autorité requérante ne demandait pas, dans unpremier temps, la participation de ses fonctionnaires aux actes d'entraide.La requête du 24 août 2006 ne tendrait qu'à l'obtention prématurée derenseignements. La demande aurait été interprétée dans un sens exagérémentlarge par le MPC. 2.1 Selon l'art. 65a EIMP, lorsque l'Etat requérant le demande en vertu deson propre droit, les personnes qui participent à la procédure peuvent êtreautorisées à assister aux actes d'entraide et à consulter le dossier (al. 1).Cette présence peut également être admise si elle permet de faciliterconsidérablement l'exécution de la demande ou la procédure pénale étrangère(al. 2). L'autorité d'exécution statue sur le droit des personnes étrangèresqui participent à la procédure de poser des questions et de demander dessuppléments d'enquête (art. 26 al.2 OEIMP). 2.2 Lorsque l'autorité requérante requiert expressément la présence de sesenquêteurs, on peut en général présumer que celle-ci est propre à faciliterl'exécution de la demande. Rien ne permet de revenir sur cette présomptiondans le cas particulier. De nombreuses personnes sont visées par la demanded'entraide, et une documentation considérable a été saisie. Celle-ci devrafaire l'objet d'un examen d'ensemble, et la participation des enquêteursayant suivi l'affaire dès le début et connaissant parfaitement le dossierpermettra d'identifier de manière plus sûre les données importantes, etd'écarter d'emblée celles qui ne présentent pas d'intérêt. Le cas échéant,les enquêteurs étrangers seront à même d'orienter la suite des recherches.Leur présence - y compris lors des interrogatoires de témoins - pourraitainsi notamment permettre de prévenir une éventuelle demande complémentaire,conformément aux exigences d'une entraide judiciaire rapide et efficace. Elleest donc manifestement propre à accroître l'efficacité des mesures requises.Dans son principe, la présence d'enquêteurs étrangers n'est donc pascritiquable, même si l'autorité requérante y avait renoncé dans un premiertemps. 2.3 L'interdiction de prendre des notes et de faire des copies n'est certespas expressément rappelée dans la déclaration de garantie, ni dans ladécision attaquée. La nécessité d'une telle restriction est toutefoisreconnue par le MPC, qui pourra la rappeler au besoin lors de la venue desenquêteurs étrangers. Le silence de la décision attaquée sur ce point n'estdonc pas irréparable. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent lesrecourants, le ch. 2 de la déclaration de garantie est suffisamment clairpuisqu'il pose comme principe l'interdiction absolue d'utiliser lesrenseignements avant le prononcé d'une décision de clôture. La seconde phraseconcerne l'interdiction d'utiliser les renseignements à des fins notammentfiscales, et ne saurait être interprétée comme remettant en cause le premierprincipe. 2.4 Le ch. 5 de la déclaration de garantie pose en revanche un problèmeparticulier. En effet, celui-ci prévoit que les renseignements recueillispourront être "utilisés en tout temps pour formuler une demande d'entraidecomplémentaire à la Suisse". Pour le MPC, il ne s'agirait pas d'unetransmission ou d'une utilisation anticipée de moyens de preuve, mais d'unsimple cas d'application de l'art. 26 al. 1 in fine OEIMP, soit de lapossibilité pour les personnes présentes de poser des questions et dedemander des suppléments d'enquête. Il n'en demeure pas moins que la clausecontestée autorise une véritable utilisation des renseignements, puisqueceux-ci figureront, en tout cas, dans la demande d'entraide, et parconséquent dans le dossier de la procédure pénale étrangère. Ils pourrontparvenir, par ce biais, à la connaissance non seulement de l'autoritérequérante (ce qui constitue déjà une violation d'un principe fondamental del'entraide judiciaire, cf. ATF 132 II 1 consid. 3.3 p. 8 et la jurisprudencecitée), mais aussi de toute personne ayant accès au dossier; rien nes'opposera alors à une divulgation incontrôlée de ces informations. Lajurisprudence citée par le MPC à l'appui de sa thèse (arrêts 1A.157 et158/2001, SJ 2002 I 171) concerne le cas particulier de l'utilisation, parl'Etat étranger, de renseignements dont il a eu connaissance en tant quepartie civile à une procédure pénale ouverte en Suisse; elle ne sauraits'appliquer au cas d'espèce.Selon l'OFJ, la clause litigieuse pourrait être interprétée comme lapossibilité, pour les agents étrangers, de demander sur place desinvestigations complémentaires. Il relève toutefois à juste titre que,s'agissant de définir les droits et obligations de l'autorité requérante, ily a lieu d'éviter tout risque d'équivoque en posant des règles claires. LeMPC suggère pour sa part de reformuler la déclaration de garantie en ce sensque l'autorité requérante pourra suggérer à l'autorité suisse d'entreprendredes mesures d'investigation complémentaires. Une telle précision est certespossible, mais elle n'est pas nécessaire puisqu'elle découle déjà de l'art.26 al. 2 OEIMP. 3.Il y a donc lieu d'admettre le recours sur ce point et d'annuler la décisionattaquée en tant qu'elle autorise l'utilisation des renseignements recueillisen Suisse pour présenter une demande d'entraide complémentaire, avant toutedécision de clôture. Il appartiendra au MPC de faire signer par l'autoritérequérante, avant son déplacement, une nouvelle déclaration de garantie dontle ch. 5 aura été supprimé ou reformulé dans le sens suggéré par le MPC.Compte tenu de l'issue de la cause, une indemnité de dépens est allouée auxrecourants, à la charge du MPC (art. 159 al. 1 OJ). Il n'est pas perçud'émolument judiciaire (art. 156 al. 2 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est partiellement admis et la décision du Ministère public de laConfédération du 21 septembre 2006 est annulée en tant qu'elle autorisel'utilisation des renseignements recueillis en Suisse pour présenter unedemande d'entraide complémentaire. Le recours est rejeté pour le surplus. 2.Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée aux recourants, à la chargedu MPC. 3.Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants et auMinistère public de la Confédération ainsi qu'à l'Office fédéral de lajustice, Division des affaires internationales, Section de l'entraidejudiciaire. Lausanne, le 7 novembre 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier: