Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
6B_1309/2023
Arrêt du 2 avril 2024
Ire Cour de droit pénal
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jacquemoud-Rossari, Présidente,
Denys et van de Graaf.
Greffière : Mme Thalmann.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Antonin Charrière, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de l'État de Fribourg, case postale 1638, 1701 Fribourg,
intimé.
Objet
Mesure thérapeutique institutionnelle; arbitraire;
droit d'être entendu,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal
de l'État de Fribourg, Cour d'appel pénal,
du 28 septembre 2023 (501 2022 191).
Faits :
A.
Par jugement du 4 novembre 2022, le Tribunal pénal de la Sarine a reconnu A.________ coupable de lésions corporelles simples, voies de fait, contrainte, contrainte sexuelle, tentative de viol, viol et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et l'a condamné à une peine privative de liberté ferme de six ans et au paiement d'une amende contraventionnelle de 400 francs. Il a en outre astreint A.________ à se soumettre à un traitement ambulatoire, admis les conclusions civiles formulées par B.________ et C.________ et mis les frais de procédure à la charge de A.________. Le tribunal a enfin acquitté A.________ du chef de prévention de mutilation d'organes génitaux féminins.
B.
Par arrêt du 28 septembre 2023, la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a partiellement admis l'appel formé par A.________ contre le jugement du 4 novembre 2022. Elle l'a réformé en ce sens que A.________ a été libéré des chefs de lésions corporelles simples et de voies de fait, reconnu coupable de contrainte, contrainte sexuelle, tentative de viol, viol et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et condamné à une peine privative de liberté de 42 mois, sous déduction de la détention avant jugement subie du 6 février 2020 au 3 juillet 2020, et du 24 septembre 2020 au 23 février 2022, et sous déduction de 334 jours (170 + 164) à titre d'imputation des mesures de substitution, ainsi qu'au paiement d'une amende contraventionnelle de 400 francs. La cour cantonale a également astreint A.________ à une mesure thérapeutique institutionnelle en lieu et place du traitement ambulatoire précédemment ordonné.
Il en ressort notamment les faits suivants.
B.a. Entre le 16 avril 2014 et la fin du printemps 2014 - les faits antérieurs, commis alors qu'il était mineur, étant prescrits -, A.________ a exercé de fortes pressions psychiques et un contrôle constant des faits et gestes de B.________ de sorte à s'assurer qu'elle ne lui était pas infidèle, notamment en exigeant d'elle qu'elle réponde à ses messages et ses appels immédiatement et qu'elle lui transmette des captures d'écran de ses conversations avec des tiers.
B.b. A plusieurs reprises entre le mois de septembre 2013 et le mois de juillet 2014, A.________ a contraint B.________ à subir l'acte sexuel et des actes d'ordre sexuel, ou tenté de le faire, aussi bien au domicile des parties que dans des lieux publics. Ignorant les pleurs et les refus de B.________, A.________ lui a imposé par la force ses désirs, parfois sans préservatif.
B.c. A U.________, dans la nuit du 17 septembre 2020, A.________ a contraint C.________ à subir plusieurs actes sexuels. Faisant fi des refus, des cris et des oppositions de celle-ci, A.________ lui a imposé par la force deux actes sexuels et une sodomie, sans préservatif, et a en outre inséré ses doigts aussi bien dans l'anus que dans le vagin de la jeune femme.
B.d. A.________ a acquis et consommé 30 grammes de cannabis dans le courant de l'année 2019.
B.e. Dans son rapport d'expertise du 28 mai 2020, l'expert psychiatre, le Dr D.________, a diagnostiqué chez A.________ un trouble psychotique bref de sévérité moyenne à grave, dont il soupçonne une évolution schizophrénique paranoïde. Il a exposé que ce trouble psychique était présent lors des faits reprochés au prénommé, ceci aussi bien en 2013 et 2014 qu'au mois de septembre 2020, et que la responsabilité pénale du recourant était par ce biais gravement diminuée. L'expert a expliqué que le trouble en question se révélait dans l'intimité sexuelle de A.________ et qu'un risque de récidive était présent, dès l'emmanchement d'une relation sexuelle. Il a précisé à ce sujet que la symbiose des corps faisait naître des angoisses chez le recourant, lesquelles pouvaient l'amener à le rendre agressif et faire usage de la violence. Dès lors, il a estimé que, en cas de relations intimes, le risque de récidive était élevé et ne pouvait être exclu, mais qu'il pouvait graduellement diminuer en conjuguant les différentes mesures de substitution ordonnées en lieu et place de la détention à des thérapies adaptées.
Dans son complément d'expertise du 21 janvier 2022, le Dr D.________ a écrit: "les mesures de substitution proposées dans le courrier du 23.12.21, émis par Me Charrière, sont de nature cadrantes. Elles s'associeraient à la mise en place d'une mesure pénale selon l' art. 63 CP . [...] Lesdites mesures paraissent sécurisantes". En plus d'une assignation à résidence au logement familial sous surveillance électronique avec interdiction d'entretenir des contacts avec l'extérieur sans la surveillance de ses parents, l'expert a préconisé que le recourant s'abstienne de consommer de l'alcool et des drogues, qu'il suive un traitement médicamenteux, qu'il exerce une activité professionnelle exempte de facteurs de stress, qu'il évite toute relation sexuelle, qu'il suive des cours d'éducation sexuelle et qu'il entreprenne un travail thérapeutique approfondi auprès de thérapeutes forensiques, "bien au clair avec les enjeux sécuritaires", ceci afin d'apprendre à gérer son stress et à décoder les émotions des tiers. Quant au type de mesure appropriée, considérant que la famille, le travail et la vie sociale étaient également des facteurs pouvant contribuer à une évolution positive, l'expert a estimé qu'une mesure institutionnelle, bien qu'envisageable, ne paraissait pas indispensable. Une année et demie plus tard, invité par la cour cantonale à se prononcer sur le risque de récidive et sur la manière adaptée de le circonscrire, le Dr D.________ a répondu: "la poursuite du suivi thérapeutique et psychothérapeutique, qui implique la poursuite de l'apprentissage émotionnel, du travail introspectif, l'abstinence aux substances psychotropes est primordiale. Il est déjà positif de constater une évolution positive du concerné tel qu'évoqué dans le rapport de suivi psychiatrique forensique du mois de juillet 2023. Il convient également que M. A.________ puisse continuer à être au bénéfice de journées structurées" (cf. expertise psychiatrique complémentaire du 6 septembre 2023, p. 8). Il s'est ensuite déterminé de la manière suivante concernant le type de mesure préconisée: "Les mesures thérapeutiques ambulatoires paraissent suffisantes aujourd'hui, dès lors que nous tenons compte de l'évolution de l'intéressé et de son fonctionnement répondant aux mesures ordonnées par les autorités, suite aux derniers faits survenus en 2020" (cf. expertise psychiatrique complémentaire du 6 septembre 2023, p. 8).
C.
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 28 septembre 2023. Il conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à ce que l'arrêt attaqué soit modifié en ce sens qu'il est astreint, conformément aux art. 57 al. 1 et 63 CP , à une mesure thérapeutique ambulatoire, telle que préconisée par l'expert psychiatre et ordonnée en première instance, et que l'exécution de la peine privative de liberté est suspendue au profit de la mesure ambulatoire. Subsidiairement, il conclut à l'annulation de l'arrêt du 28 septembre 2023 et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il sollicite en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire ainsi que l'octroi de l'effet suspensif dans la mesure où il ne serait pas donné d'office.
D.
Invités à se déterminer, la cour cantonale et le ministère public ont renoncé à formuler des observations.
Considérant en droit :
1.
Invoquant une violation des art. 29 al. 2 Cst. , 6 CEDH et 3 al. 2 let. c CPP en lien avec les art. 344 et 351 CPP , le recourant se plaint d'une violation du droit d'être entendu. Il invoque également l' art. 9 Cst. et se plaint d'une appréciation anticipée arbitraire du moyen de preuve offert, à savoir l'audition de l'expert. Il reproche en particulier à la cour cantonale de ne pas avoir entendu l'expert avant de prononcer une mesure institutionnelle en appel (cf. recours, p. 20) ainsi que sur la question de la suspension de la peine au profit de la mesure ambulatoire (cf. recours, p. 19 et p. 33).
1.1. Le droit d'être entendu, garanti à l' art. 29 al. 2 Cst. , comprend notamment celui de produire ou de faire administrer des preuves, à condition qu'elles soient pertinentes et de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1; 143 V 71 consid. 4.1; 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références citées). Le droit d'être entendu n'empêche pas le juge de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude qu'elles ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion. Le refus d'instruire ne viole ainsi le droit d'être entendu des parties que si l'appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a procédé, est entachée d'arbitraire (ATF 144 II 427 consid. 3.1.3; 141 I 60 consid. 3.3; 136 I 229 consid. 5.3).
1.2. Selon l' art. 389 al. 1 CPP , la procédure de recours se fonde sur les preuves administrées pendant la procédure préliminaire et la procédure de première instance. L' art. 389 al. 3 CPP règle les preuves complémentaires. Ainsi, la juridiction de recours administre, d'office ou à la demande d'une partie, les preuves complémentaires nécessaires au traitement du recours. Conformément à l' art. 139 al. 2 CPP , il n'y a pas lieu d'administrer des preuves sur des faits non pertinents, notoires, connus de l'autorité ou déjà suffisamment prouvés. Cette disposition codifie, pour la procédure pénale, la règle jurisprudentielle déduite de l' art. 29 al. 2 Cst. en matière d'appréciation anticipée des preuves (arrêts 6B_1155/2022 du 21 août 2023 consid. 2.1; 6B_933/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.1.1; 6B_1403/2021 du 9 juin 2022 consid. 1.2, non publié in ATF 148 I 295). La juridiction d'appel peut ainsi refuser des preuves nouvelles lorsqu'une administration anticipée de ces preuves démontre qu'elles ne seront pas de nature à modifier le résultat de celles déjà administrées (ATF 136 I 229 consid. 5.3; arrêts 6B_239/2023 du 10 août 2023 consid. 1.1; 6B_933/2022 précité consid. 2.1.1). Le refus d'instruire ne viole le droit d'être entendu des parties et l' art. 389 al. 3 CPP que si l'appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le tribunal a procédé, est entachée d'arbitraire (ATF 144 II 427 consid. 3.1.3; 141 I 60 consid. 3.3; 136 I 229 consid. 5.3; arrêt 6B_933/2022 précité consid. 2.1.1).
1.3. Selon la jurisprudence, le prévenu dispose en principe d'un droit d'interroger l'expert découlant de l' art. 6 par. 3 let . d CEDH. Ce droit est en principe invoqué au cours de la procédure préliminaire. La demande d'interroger l'expert doit en principe être formulée au plus tard lors de la procédure de première instance dans le cadre des réquisitions de preuves au sens de l' art. 331 al. 2 CPP (arrêts 6B_971/2023 du 19 octobre 2023 consid. 1.2; 6B_1080/2021 précité consid. 2.3 et les références citées). L'audition orale d'un expert en deuxième instance peut également se justifier lorsque, par exemple, l'interprétation des constatations de l'expertise par l'instance précédente dans la motivation de son jugement ou un développement ultérieur soulève des questions (arrêts 6B_971/2023 précité consid. 1.2; 6B_1080/2021 précité consid. 2.3; cf. aussi MARIANNE HEER, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 3e éd., 2023, n° 3a ad art. 188 CPP ).
1.4. L'exercice du droit d'être confronté à un témoin ou d'interroger un expert suppose de toute manière un comportement actif du prévenu ou de son avocat; il leur incombe de réclamer l'audition en temps utile et dans les formes prescrites (ATF 120 Ia 48 consid. 2e/bb, p. 55; arrêts 6B_527/2023 du 29 août 2023 consid. 2.2.3; 6B_1080/2021 précité consid. 2.3.1; 6B_625/2015 du 28 octobre 2015 consid. 2.1). Ainsi, le prévenu qui omet de requérir en temps utile et dans les formes une telle audition peut-il se voir reprocher d'y avoir renoncé, quand bien même il incombe aux autorités de pourvoir d'office à ce que les preuves nécessaires soient administrées (v. art. 6, art. 343 et art. 389 al. 3 CPP ; ATF 143 IV 397 consid. 3.3.1; 125 I 127 consid. 6c/bb; arrêts 6B_527/2023 précité consid. 2.2.3; 6B_172/2023 du 24 mai 2023 consid. 2.3; 6B_665/2022 du 14 septembre 2022 consid. 3.3.2; 6B_100/2017 du 9 mars 2017 consid. 3.2; 6B_522/2016 du 30 août 2016 consid. 1.3).
1.5. En l'espèce, comme le recourant le soutient, il ressort du dossier qu'il a demandé à plusieurs reprises aux autorités pénales (ministère public, tribunal des mesures de contrainte, tribunal cantonal; cf. notamment pièces 4255 et 4257 du dossier cantonal; art. 105 al. 2 LTF ) l'audition du Dr D.________. Cette réquisition a toutefois toujours été refusée. Dans sa déclaration d'appel, le recourant a également sollicité l'audition du Dr D.________ ainsi qu'une expertise complémentaire (cf. pièce 59 du dossier cantonal; art. 105 al. 2 LTF ). Par ordonnance du 4 juillet 2023, la direction de la procédure a rejeté ces réquisitions (cf. pièce 121 du dossier cantonal; art. 105 al. 2 LTF ). Elle a en revanche posé des questions complémentaires à l'expert concernant le risque de récidive, auquel celui-ci a répondu le 6 septembre 2023.
Après avoir pris connaissance des comptes rendus des spécialistes chargés du suivi du recourant et avoir auditionné ce dernier, la cour cantonale a informé les parties dans le cadre de la séance du 27 septembre 2023 qu'elle allait également envisager la possibilité de prononcer une mesure institutionnelle au sens de l' art. 59 CP . Le recourant soutient, à cette occasion, avoir demandé à la cour cantonale d'entendre formellement l'expert s'il subsistait le moindre doute notamment quant à la mesure à prononcer ainsi que sur la question de la suspension de la peine au profit de celle-ci.
1.6. Il découle de ce qui précède que le recourant a été constant dans sa demande d'audition de l'expert tout au long de la procédure, de sorte que l'on ne saurait lui reprocher d'avoir été inactif (cf. supra consid. 1.4).
1.7. En l'espèce, on rappellera que, selon la jurisprudence, le remplacement, dans le cadre d'un appel du condamné, d'une mesure thérapeutique ambulatoire par une mesure institutionnelle est possible (ATF 144 IV 113 consid. 4).
Cela étant, si la cour cantonale a certes annoncé qu'elle envisageait de changer la mesure et en a informé le recourant elle aurait dû à tout le moins entendre l'expert et permettre au recourant de lui poser des questions à ce sujet (cf. supra consid. 1.3; cf. aussi notamment S. WIPRÄCHTIGER, in Basler Kommentar Strafprozessordnung, 3e éd., 2023, n° 7 ad 344 StPO), ce d'autant plus qu'elle s'écartait de l'expertise. A cela s'ajoute encore qu'il y a eu une succession de compléments d'expertise et que l'expert n'a pas été entendu au cours de la procédure préliminaire ou lors de la procédure de première instance.
Le recours doit donc être admis et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu'elle procède à l'audition de l'expert sur la question du prononcé éventuel d'un traitement institutionnel et sur la question de la compatibilité entre un éventuel traitement ambulatoire, tel que préconisé par l'expert, et l'exécution de la peine privative de liberté infligée.
2.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants qui précèdent.
Le recourant, qui obtient gain de cause, ne supporte pas de frais judiciaires ( art. 66 al. 1 LTF ). Il peut prétendre à de pleins dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral, à la charge du canton de Fribourg. Sa demande d'assistance judiciaire devient ainsi sans objet ( art. 64 al. 2 LTF ).
La cause étant tranchée, la demande d'effet suspensif est sans objet, à supposer qu'elle en eût un, le recours étant de plein droit suspensif en ce qui concerne la condamnation à une peine privative de liberté ferme ( art. 103 al. 2 let. b LTF ; cf. arrêt 6B_1326/2022 du 29 novembre 2023 consid. 6).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Le canton de Fribourg versera au conseil du recourant une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal de l'État de Fribourg, Cour d'appel pénal.
Lausanne, le 2 avril 2024
Au nom de la Ire Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jacquemoud-Rossari
La Greffière : Thalmann