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31/07/2024 | SUISSE | N°9C_719/2023

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral, IIIe Cour de droit public  , Arrêt du 31 juillet 2024  , 9C 719/2023


 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_719/2023  
 
 
Arrêt du 31 juillet 2024  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mmes les Juges fédéraux Parrino, Président, Stadelmann, Moser-Szeless, Beusch et Scherrer Reber. 
Greffière : Mme Perrenoud. 
 
Participants à la procédure 
Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes (FER CIAM 106.1), 
recourante, 
 
contre  
 
1. A.________, >2. B.________ SA, 
3. Centre C.________ SA, 
intimés. 
 
Objet 
Allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité, 
 
recours contre l'arrêt du Tribun...

 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_719/2023  
 
 
Arrêt du 31 juillet 2024  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mmes les Juges fédéraux Parrino, Président, Stadelmann, Moser-Szeless, Beusch et Scherrer Reber. 
Greffière : Mme Perrenoud. 
 
Participants à la procédure 
Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes (FER CIAM 106.1), 
recourante, 
 
contre  
 
1. A.________, 
2. B.________ SA, 
3. Centre C.________ SA, 
intimés. 
 
Objet 
Allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 13 octobre 2023 (APG 7/23 - 7/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, né en 1987, est employé auprès du Centre C.________ SA et de B.________ SA. À ce titre, il est affilié auprès de la Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes (FER CIAM 106.1; ci-après: la caisse de compensation). 
Le 14 juillet 2022, l'Office de l'état civil cantonal vaudois (ci-après: l'office de l'état civil) a enregistré une demande d'ouverture d'un dossier déposée par A.________ et D.________ en vue de la reconnaissance de la paternité du prénommé en faveur de l'enfant commun à naître. Après que l'enfant, E.________, est née le 21 juillet 2022, ses parents ont été convoqués par courrier du 12 octobre 2022 pour la signature de la déclaration de reconnaissance en paternité le 23 janvier 2023 dans les bureaux de l'office de l'état civil. À cette date, A.________ a signé la reconnaissance en paternité de sa fille E.________ devant l'officier de l'état civil. 
En février 2023, par l'intermédiaire de F.________ SA agissant pour les deux employeurs, l'assuré a déposé une demande d'allocation pour perte de gain en cas de paternité auprès de la caisse de compensation. Il y indiquait avoir pris dix jours de congé entre le 22 juillet et le 29 décembre 2022 pour s'occuper de sa fille. Par décision du 3 avril 2023, adressée à l'assuré ainsi qu'à ses employeurs et confirmée sur opposition le 16 mai suivant, la caisse de compensation a rejeté la demande. En bref, elle a considéré que dans la mesure où la reconnaissance de paternité avait été enregistrée le 23 janvier 2023, soit plus de six mois après la naissance de l'enfant, le 21 juillet 2022, le délai prévu à l'art. 16i al. 1 let. a de la loi fédérale du 25 septembre 1952 sur les allocations pour perte de gain (LAPG; RS 834.1) n'avait pas été respecté. 
 
B.  
Statuant le 13 octobre 2023 sur le recours formé par A.________, B.________ SA et Centre C.________ SA ( ci-après: A.________ et consorts) contre la décision sur opposition du 16 mai 2023, le Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, l'a admis. Il a annulé la décision entreprise et renvoyé la cause à la caisse de compensation pour reprise de l'instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
C.  
L a caisse de compensation interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, dont elle demande l'annulation. Elle conclut principalement à la confirmation de sa décision sur opposition du 16 mai 2023 "refusant aux parties intimées le droit aux allocations de paternité". Subsidiairement, la caisse de compensation requiert le renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour un éventuel complément d'instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants. 
A.________ et consorts, ainsi que l'Office fédéral des assurances sociales, ont renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le dispositif (ch. II) de l'arrêt attaqué renvoie la cause à la recourante pour reprise de l'instruction et nouvelle décision au sens des considérants. L'arrêt cantonal ne met donc pas fin à la procédure et constitue une décision incidente qui ne peut être déférée immédiatement au Tribunal fédéral que si la condition du préjudice irréparable prévue par l' art. 93 al. 1 let. a LTF est réalisée ou pour éviter une procédure probatoire longue et coûteuse au sens de l' art. 93 al. 1 let. b LTF . Selon la jurisprudence, une autorité qui devrait, à la suite d'une décision de renvoi, rendre une nouvelle décision qui, de son point de vue, serait contraire au droit sans pouvoir par la suite la remettre en cause devant l'instance supérieure, est réputée subir un préjudice irréparable au sens de l' art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. ATF 144 V 280 consid. 1.2; 133 V 477 consid. 5.2).  
 
1.2. Cette éventualité est réalisée en l'espèce. En effet, le Tribunal cantonal a retenu que le lien de filiation entre A.________ et sa fille avait été établi dans le respect du délai-cadre de six mois prévu par l' art. 16i LAPG . Sur ce point, l'arrêt attaqué contient une instruction contraignante pour la recourante qui l'obligerait à rendre une décision contraire au droit, selon elle, sans qu'elle ne puisse la contester par la suite devant l'instance supérieure. L'arrêt entrepris peut donc être déféré immédiatement au Tribunal fédéral et il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.  
 
2.  
Le recours en matière de droit public peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office ( art. 106 al. 1 LTF ). Il statue par ailleurs sur la base des faits établis par l'autorité précédente ( art. 105 al. 1 LTF ), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l' art. 95 LTF ( art. 105 al. 2 LTF ). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l' art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut pas être pris en considération ( art. 97 al. 1 LTF ). 
 
3.  
 
3.1. Compte tenu de l'arrêt entrepris et des motifs du recours, le litige porte uniquement sur la réalisation de la condition prévue à l' art. 16i al. 1 let. a LAPG pour l'octroi de l'allocation de paternité à A.________.  
 
3.2. Dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2023 (RO 2020 4689), applicable en l'espèce (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), l' art. 16i al. 1 LAPG définit le cercle des ayants droit à l'allocation de paternité. Il prévoit que:  
 
" 1 A droit à l'allocation de paternité l'homme qui: 
a. est le père légal de l'enfant au moment de la naissance ou le devient au cours des six mois qui suivent; 
b. a été assuré obligatoirement au sens de la LAVS pendant les neuf mois précédant la naissance; 
c. a, au cours de cette période, exercé une activité lucrative durant au moins cinq mois, et 
d. à la date de la naissance de l'enfant: 
 
1. est salarié au sens de l' art. 10 LPGA , 
2. exerce une activité indépendante au sens de l' art. 12 LPGA , ou 
3. travaille dans l'entreprise de son épouse contre un salaire en espèces." 
 
4.  
 
4.1. Les juges précédents ont constaté que la demande d'enregistrement de reconnaissance en paternité déposée par A.________ avait été valablement reçue, traitée et admise dans son principe par l'autorité compétente au cours des six mois en cause et qu'elle avait abouti à une reconnaissance formelle, le 23 janvier 2023, ayant eu un effet rétroactif à la naissance de l'enfant. Ils en ont déduit que l'intimé avait établi qu'il était devenu le père légal de sa fille au cours des six mois suivant la naissance, le délai prévu par l' art. 16i al. 1 let. a LAPG devant être considéré comme respecté, même si la reconnaissance avait formellement eu lieu seulement deux jours après l'expiration du délai de six mois à partir de la naissance (le 21 juillet 2022). Le fait que l'enregistrement formel de la déclaration de reconnaissance en paternité par l'officier de l'état civil n'était intervenu que le 23 janvier 2023, soit deux jours après l'échéance dudit délai, n'était pas déterminant en l'occurrence, car le retard était dû uniquement à une surcharge notoire de l'office de l'état civil. Selon la juridiction cantonale, la rigidité du délai péremptoire de l' art. 16i al. 1 let. a LAPG ne doit pas peser sur le justiciable qui a procédé aux démarches nécessaires dans le délai, une telle solution se justifiant également sous l'angle des principes de l'égalité de traitement et de l'interdiction du formalisme excessif.  
 
4.2. La recourante se prévaut d'une violation du droit fédéral. Selon elle, le texte clair de l' art. 16i al. 1 let. a LAPG ne permet pas de retenir qu'un homme est devenu le père légal de l'enfant au cours des six mois suivant la naissance dans le cas où, bien que la demande de reconnaissance de paternité ait été déposée dans ce délai, la reconnaissance n'a été formellement enregistrée par l'officier de l'état civil qu'après l'échéance de celui-ci.  
 
5.  
Est litigieux le point de savoir si le délai de six mois prévu par l' art. 16i al. 1 let. a LAPG peut être considéré comme respecté si la reconnaissance de paternité a eu lieu (in casu le 23 janvier 2023) après l'échéance de ce délai (le 21 janvier 2023), alors que la demande y relative a été formée avant cette échéance et que la durée du traitement de la demande était liée à une surcharge de l'autorité administrative compétente. 
 
5.1. La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 148 II 299 consid. 7.1 et les arrêts cités).  
 
5.2.  
 
5.2.1. Sur le plan de l'interprétation littérale de l' art. 16i al. 1 let. a LAPG , il ressort du texte légal que le droit à l'allocation de paternité suppose que l'homme soit légalement le père de l'enfant à la naissance de celui-ci ou qu'il le devienne au cours des six mois qui suivent cet événement. Les versions allemande ("Anspruchsberechtigt ist der Mann, der im Zeitpunkt der Geburt des Kindes der rechtliche Vater ist oder dies innerhalb der folgenden sechs Monate wird.") et italienne ("Ha diritto all'indennità l'uomo che è il padre legale al momento della nascita del figlio o lo diventa nei sei mesi seguenti.") correspondent à la version française de l' art. 16i al. 1 let. a LAPG .  
Le texte de la loi ne précise pas qui est le "père légal" ou comment un homme peut le devenir. La définition de la paternité et l'établissement de la filiation sont prévues par le droit civil; la paternité est donc déterminée conformément à la filiation définie par le droit civil (cf. Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats [CSSS-E] relatif à l'initiative parlementaire "Contre-projet indirect à l'initiative pour un congé de paternité" du 15 avril 2019, FF 2019 3320, ch. 3.2.1). La notion de père légal correspond à la paternité juridique selon le droit de la famille, qui résulte du mariage avec la mère de l'enfant, de la reconnaissance de paternité ou d'un jugement (cf. art. 252 al. 2 CC ; Stéphanie Perrenoud, in Commentaire romand, Droit des obligations vol. I, 3e éd. 2021, n° 6 ad art. 329g CO ). 
 
5.2.2. En particulier, en ce qui concerne la reconnaissance de paternité, il s'agit d'un acte juridique unilatéral par lequel le déclarant établit un lien de filiation avec un enfant (acte formateur irrévocable). Il produit ses effets immédiatement (sauf lorsqu'il s'agit d'une reconnaissance par testament, dont les effets sont reportés au décès du testateur) et la création du lien de filiation paternelle rétroagit à la naissance de l'enfant. La reconnaissance, qui n'est recevable que sous certaines formes, a lieu notamment par déclaration devant l'officier de l'état civil ( art. 260 al. 3 CC ). Elle fait l'objet d'un enregistrement dans la base de données de l'état civil (art. 7 al. al. 1 et 2 let. f de l'ordonnance du 28 avril 2004 sur l'état civil [OEC; RS 211.112.2]). Chaque office d'état civil est compétent pour recevoir une reconnaissance qui se fait par simple déclaration devant l'officier d'état civil. La reconnaissance est enregistrée puis communiquée à la mère et à l'enfant, ou à ses descendants si celui-ci est décédé. Dès que la reconnaissance est enregistrée, le déclarant devient le père juridique de l'enfant (cf. OLIVIER GUILLOD, in Commentaire romand, Code civil I, 2e éd., 2024, n° 1 et 14 ad art. 260 CC ).  
 
5.2.3. Une interprétation purement littérale de l' art. 16i al. 1 let. a LAPG ne permet pas de déceler quand l'homme devient le père légal de l'enfant en cas de reconnaissance. Lus avec les dispositions déterminantes du CC sur cette institution, les termes "ou le devient au cours des six mois qui suivent" signifient que l'homme devient le père légal de l'enfant lorsqu'il a effectué l'acte juridique unilatéral par lequel il établit un lien de filiation avec l'enfant, dans les formes prévues par la loi, et cela dans les six mois suivant la naissance de l'enfant. Autrement dit, la déclaration de reconnaissance doit avoir été effectuée devant l'officier de l'état civil et enregistrée, conformément à l' art. 260 al. 3 CC , dans ce délai.  
 
5.2.4. L'interprétation historique et systématique ne conduit pas à un autre résultat. Sous l'angle systématique d'abord, le délai de six mois pendant lequel doit avoir lieu la reconnaissance a été prévu pour correspondre à celui du délai-cadre dans lequel doit être pris le congé de paternité (conformément à l' art. 329g al. 2 CO , nouvellement introduit, selon lequel le congé de paternité doit être pris dans les six mois qui suivent la naissance de l'enfant). Il correspond également au délai prévu pour l'allocation de paternité, qui peut être perçue dans un délai-cadre de six mois prenant effet le jour de la naissance de l'enfant (cf. art. 16j al. 1 et 2 LAPG ). En conséquence, vu le lien entre les art. 16i et 16j LAPG , "si un lien de filiation est établi après ces six mois, le père n'a pas droit à l'allocation de paternité puisque ce droit s'éteint au terme de six mois" (rapport de la CSSS-E précité, FF 2019 3317 s., ch. 3.1).  
Ensuite, il ressort des étapes législatives qui ont conduit à l'adoption de l' art. 16i al. 1 let. a LAPG que l'effet et la portée de la condition qu'il prévoit quant à la reconnaissance de paternité dans le délai prévu, tels qu'ils avaient déjà été proposés initialement par l'avant-projet de la CSSS-E, ont fait l'objet de réactions au cours de la procédure de consultation. Comme l'invoque la recourante, plusieurs partis politiques, associations de l'économie et organisations avaient soutenu qu'un délai-cadre de plus de six mois devait être examiné, voire introduit, pour éviter une "inégalité de traitement envers les hommes dont la paternité est légalement reconnue plus de six mois après la naissance de l'enfant et qui n'ont donc pas droit au congé", en demandant que ce point fût corrigé. L'examen d'un délai plus long d'une année avait été souhaité "parce que la procédure de reconnaissance de la paternité peut prendre plus de six mois" (cf. Initiative parlementaire 18.441 "Contre-projet indirect à l'initiative populaire sur le congé de paternité", Avant-projet et rapport explicatif de la CSSS-E, Rapport sur les résultats de la consultation, avril 2019, ch. 5 p. 13 s.). La CSSS-E a fait état de la revendication d'examiner une prolongation du délai-cadre à un an, mais a maintenu le délai de six mois pour la reconnaissance de l'enfant, en parallèle au délai-cadre de six mois pour prendre le congé paternité et percevoir l'allocation de paternité (rapport de la CSSS-E précité, FF 2019 3317, ch. 2.6). Par la suite, dans le cadre des débats parlementaires, la condition posée par l' art. 16i al. 1 let. a LAPG n'a pas été abordée (BO 2019 CE 569 s.; BO 2019 CN 1479 ss). 
 
5.2.5. En conséquence, le législateur entendait lier le droit à l'allocation de paternité à la condition que la reconnaissance de paternité ait lieu dans les formes prévues dans les six mois dès la naissance de l'enfant. En d'autres termes, la déclaration de reconnaissance doit avoir été effectuée devant l'officier de l'état civil et enregistrée, conformément à l' art. 260 al. 3 CC , dans ce délai. Il ne suffit pas, contrairement à ce qu'a retenu la juridiction cantonale, que la demande en vue de la reconnaissance ait été présentée avant l'échéance de ce délai, même si elle aboutit en définitive à l'enregistrement de la reconnaissance dans le registre de l'état civil.  
 
5.2.6. L'interprétation de l' art. 16i al. 1 let. a LAPG en ce sens que c'est l'établissement légal de la filiation par la reconnaissance, soit la déclaration devant l'officier de l'état civil et l'enregistrement de cet acte, qui est déterminant pour examiner quand l'homme est devenu le père légal de l'enfant, est du reste partagée par la doctrine. Il est ainsi admis, en lien avec l'octroi du congé de paternité ( art. 329g CO , consid. 5.2.4 supra), que le droit à l'allocation de paternité suppose qu'un lien de filiation ait été établi par reconnaissance dans le délai-cadre de six mois et que lorsque celle-ci a lieu par déclaration devant l'officier de l'état civil, "il appartient à l'État de s'organiser pour permettre cette reconnaissance dans un délai raisonnable; il ne serait en effet pas admissible que des difficultés organisationnelles de l'administration puissent porter préjudice au père dans la prise de son congé paternité, et en particulier au moment de la naissance" (Rémy Wyler, in Commentaire du contrat de travail, 2e éd., 2022, n° 10 ad art. 329g CO ). Dans le même sens, certains auteurs émettent la recommandation que les pères non mariés déclarent la reconnaissance devant l'officier de l'état civil aussi rapidement que possible après la naissance (Philippe Nordmann/Christoph Burckhardt, "Vaterschaftsurlaub jetzt?" - Und wie weiter ?, PJA 2020, p. 1526; Matteo Ritzinger/Nicolas Facincani/Jacquelinne Brunner, in Arbeitsvertrag, 2021, n° 8 ad art. 329g CO ).  
 
5.3. Même si on peut comprendre la motivation de la juridiction cantonale, fondée avant tout sur la considération de ne pas faire supporter au justiciable ayant procédé aux démarches nécessaires dans le délai "la rigidité du délai péremptoire" de l' art. 16 al. 1 let. a LAPG , elle ne repose cependant pas sur les principes d'interprétation de la loi (consid. 5.1 supra). Les premiers juges ont considéré que "le caractère non-prolongeable et non-suspensif" du délai de six mois devait s'interpréter, au regard du principe de la bonne foi, comme un délai laissé à l'administré pour effectuer les démarches qui lui incombent. Selon eux, la volonté du législateur "ne sembl[ait] pas être de faire dépendre le respect du délai-cadre légal de six mois de la charge des tribunaux et offices, en particulier des agendas de l'officier de l'état civil" (arrêt entrepris consid. 4b p. 9).  
Au regard des considérations qui précèdent (consid. 5.1 et 5.2 supra), le raisonnement du Tribunal cantonal ne reflète pas la volonté du législateur qui a introduit, avec le délai de six mois pour la reconnaissance de paternité prévu par l' art. 16i al. 1 let. a LAPG , une condition matérielle du droit à l'allocation de paternité. On ne saurait donc y voir, comme semble le faire la juridiction cantonale, une pure condition de forme ou de procédure. L'application de la condition liée au délai de six mois relève du droit matériel, de sorte que le principe de l'interdiction du formalisme excessif - également évoqué par la juridiction cantonale -, qui a trait aux règles de procédure (cf. ATF 142 V 152 consid. 4.2), n'est pas pertinent. Enfin, l'aspect de l'égalité de traitement discuté par les juges précédents en lien avec l'absence de disponibilité de l'office de l'état civil concerné n'apparaît pas non plus pertinent; la recourante, chargée de mettre en oeuvre la législation sur l'allocation de paternité, a refusé la prestation parce qu'une condition du droit n'était pas réalisée, étant précisé qu'elle n'avait aucune influence sur les démarches entreprises par l'intimée auprès de l'office de l'état civil ni sur le rythme de traitement des demandes par celui-ci. 
 
5.4. En définitive, la considération de la juridiction cantonale selon laquelle pour devenir le père légal de l'enfant au cours des six mois qui suivent la naissance au sens de l' art. 16i al. 1 let. a LAPG , il suffit que l'administré ait déposé une demande en vue de la reconnaissance de sa paternité dans ce délai, est contraire au droit.  
 
6.  
Cela dit, le but de l' art. 16 al. 1 let. a LAPG est de permettre au père de l'enfant de compenser la perte de revenu durant le congé de paternité par la perception d'allocations de paternité. Le législateur n'a certes pas envisagé d'exception au délai de six mois qu'il a prévu dans cette disposition. Il n'a toutefois pas pu concevoir la constellation hautement singulière, soumise en l'espèce à la Cour de céans, dans laquelle l'Office de l'état civil chargé de la reconnaissance de paternité admet - en toute bonne foi - qu'en raison de diverses circonstances exceptionnelles, dont aucune ne relève des démarches de l'intimé lui-même ("indépendamment de votre volonté"; cf. courrier du 19 avril 2023), il s'est trouvé dans l'impossibilité de le convoquer avant le 23 janvier 2023, soit deux jours après la fin du délai de six mois, le 21 janvier précédent. Dans ce sens, la considération des juges cantonaux sur la volonté du législateur (consid. 5.3 supra), qui ne saurait être de mettre en échec le droit prévu par l' art. 16i LAPG pour des motifs liés à l'absence d'organisation de l'autorité compétente pour la reconnaissance de l'enfant - laquelle est en l'espèce admise et établie -, peut être suivie. Une telle exception à la règle de l' art. 16i al. 1 let. a LAPG s'impose au vu du but légal de faire bénéficier celui qui est le père de l'enfant à sa naissance, ou le devient dans les six mois suivant, d'une allocation pour compenser la perte de revenu pendant le congé consacré à son nouveau-né; on doit y voir une application de la norme dans le sens voulu par le législateur. 
En conséquence, il y a lieu de confirmer en l'occurrence le droit de l'intimé à l'allocation de paternité en cause, ce qui conduit au rejet du recours. 
 
7.  
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires seront supportés par la recourante, qui versera une indemnité de dépens aux intimés ( art. 66 et 68 LTF ). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera aux intimés la somme de 2'800 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 31 juillet 2024 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
La Greffière : Perrenoud 


Synthèse
Formation : Iiie cour de droit public  
Numéro d'arrêt : 9C_719/2023
Date de la décision : 31/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2024
Fonds documentaire ?: www.bger.ch
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2024-07-31;9c.719.2023 ?

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