La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/11/2024 | SUISSE | N°6B_131/2024

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral, Ire Cour de droit pénal  , Arrêt du 8 novembre 2024  , 6B 131/2024


 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_131/2024  
 
 
Arrêt du 8 novembre 2024  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux 
Jacquemoud-Rossari, Présidente, 
Denys et Muschietti. 
Greffière : Mme Brun. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Ilir Cenko, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Ch

ancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
Mise en danger de la vie d'autrui; expulsion; 
signalement SIS, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice 
de la République et can...

 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_131/2024  
 
 
Arrêt du 8 novembre 2024  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux 
Jacquemoud-Rossari, Présidente, 
Denys et Muschietti. 
Greffière : Mme Brun. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Ilir Cenko, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
Mise en danger de la vie d'autrui; expulsion; 
signalement SIS, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice 
de la République et canton de Genève, 
Chambre pénale d'appel et de révision, 
du 13 décembre 2023 (P/12174/2021 AARP/2/2024). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 5 décembre 2022, le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève a reconnu A.________ coupable de lésions corporelles simples ( art. 123 ch. 1 CP ) et de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration; RS 142.20) pour la période allant du 3 août 2013 au 30 novembre 2018 et l'a condamné à une peine pécuniaire de 120 jours-amende avec sursis pendant trois ans. 
 
B.  
Par arrêt du 13 décembre 2023, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a partiellement admis l'appel du ministère public en ce sens qu'elle a reconnu A.________ coupable de mise en danger de la vie d'autrui ( art. 129 CP ) et l'a condamné à une peine privative de liberté de 18 mois, sous déduction de 428 jours de détention avant jugement, avec sursis pendant trois ans, ainsi qu'une peine pécuniaire de 120 jours-amende à 30 fr. le jour également avec sursis pendant trois ans. Elle a ordonné en outre son expulsion du territoire suisse pour une durée de cinq ans et requis son inscription dans le Système d'information Schengen (SIS). 
En substance, la cour cantonale a retenu les faits suivants: 
 
B.a. Le 12 juin 2021, aux alentours de 22h00, une dispute a éclaté entre les concubins B.________ et A.________, après la fin de la fête d'anniversaire de celui-ci. Dans ce cadre, B.________ a lancé un verre en direction A.________, ce qui lui a causé des lésions superficielles aux avant-bras. Après que ce dernier s'est retiré dans le jardin et couché sur une chaise longue, B.________, fortement alcoolisée, l'a suivi et violemment mordu en dessous de l'épaule gauche alors qu'elle se trouvait face à lui. Surpris, A.________ l'a giflée avec force sur la cuisse et la fesse gauche pour la faire lâcher, lui causant des ecchymoses en forme de main. Elle n'a toutefois pas relâché sa prise. Stressé et en perte partielle de contrôle, A.________ a saisi son cou et l'a serré avec force dans le but de la faire cesser, ce qui a causé à la précitée des ecchymoses notables. La durée de cette compression a été suffisamment longue pour engendrer l'apparition de pétéchies rétro-auriculaires, ainsi que pour empêcher B.________ de respirer, au point qu'elle s'est trouvée proche de perdre connaissance. A.________ a toutefois relâché son étreinte avant qu'elle ne s'évanouît. Il n'a en effet jamais voulu que son ex-compagne meure. En état de choc et de panique, celle-ci a immédiatement pris la fuite dans la rue en criant qu'on voulait la tuer. Après avoir tenté de la convaincre de rentrer à leur domicile, le précité a essayé d'appeler la police, avant que le témoin C.________, rencontré dans la rue, ne l'ait fait avec son accord. Pendant ce temps, B.________ s'était réfugiée chez le témoin D.________ où elle est demeurée jusqu'à l'arrivée des forces de l'ordre.  
 
C.  
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt du 13 décembre 2023. Il conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à son acquittement et à ce qu'il soit renoncé à une peine privative de liberté, à son expulsion, ainsi qu'à son inscription au SIS. Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour nouvelle décision au sens des considérants. Il sollicite en outre l'octroi de l'effet suspensif. 
 
D.  
Invités à se déterminer, la cour cantonale y a renoncé, tandis que le ministère public a conclu au rejet du recours, tous deux se référant à la décision entreprise. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recourant conteste sa condamnation du chef d'accusation de mise en danger de la vie d'autrui ( art. 129 CP ). 
 
1.1. Aux termes de l' art. 129 CP , celui qui, sans scrupules, aura mis autrui en danger de mort imminent sera puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.  
Cette infraction suppose la réunion de trois éléments, à savoir la mise d'autrui dans un danger de mort imminent, la conscience de ce fait et l'absence de scrupules. 
Le danger au sens de l' art. 129 CP suppose un risque concret de lésion, c'est-à-dire un état de fait dans lequel existe, d'après le cours ordinaire des choses, la probabilité ou un certain degré de possibilité que le bien juridique soit lésé, sans toutefois qu'un degré de probabilité supérieur à 50 % soit exigé (ATF 121 IV 67 consid. 2b; arrêts 6B_834/2022 du 30 septembre 2024 consid. 1.1.1; 6B_562/2023 du 24 juin 2024 consid. 1.1.3). Il doit en outre s'agir d'un danger de mort, et non pas seulement d'un danger pour la santé ou l'intégrité corporelle (ATF 133 IV 1 consid. 5.1; arrêts 6B_834/2022 précité consid. 1.1.1; 6B_562/2023 précité consid. 1.1.3). Enfin, il faut que le danger soit imminent. La notion d'imminence n'est pas aisée à définir. Elle implique en tout cas, outre la probabilité sérieuse de la réalisation du danger concret, un élément d'immédiateté qui se caractérise moins par l'enchaînement chronologique des circonstances que par le lien de connexité direct unissant le danger et le comportement de l'auteur (ATF 121 IV 67 consid. 2b; arrêts 6B_834/2022 précité consid. 1.1.1; 6B_562/2023 précité consid. 1.1.3). L'immédiateté disparaît ou s'atténue lorsque s'interposent ou surviennent des actes ou d'autres éléments extérieurs (ATF 106 IV 12 consid. 2a; arrêts 6B_834/2022 précité consid. 1.1.1; 6B_562/2023 précité consid. 1.1.3). 
S'agissant plus précisément de la strangulation, la jurisprudence a admis qu'il pouvait y avoir danger de mort lorsque l'auteur étranglait sa victime avec une certaine intensité. Ainsi, dans l'arrêt publié aux ATF 124 IV 53, le Tribunal fédéral a retenu une mise en danger de la vie d'autrui à la charge d'un auteur qui avait étranglé sa victime, sans pour autant lui causer de sérieuses lésions et sans qu'elle ait perdu connaissance (cf. également arrêt 6B_54/2013 du 23 août 2013 consid. 3.1). Selon les médecins légistes, la violence décrite pouvait entraîner, bien que rarement, une mort par réflexe cardio-inhibiteur, ou par asphyxie, si elle était suffisamment forte et longue (cf. aussi arrêts 6B_1321/2017 du 26 avril 2018 consid. 2.1; 6B_11/2015 du 9 novembre 2015 consid. 5; 6B_307/2013 du 13 juin 2013 consid. 4.2; 6B_87/2013 du 13 mai 2013 consid. 3.3). 
Du point de vue subjectif, il faut que l'auteur ait agi intentionnellement (ATF 133 IV 1 consid. 5.1) et que l'acte ait été commis sans scrupules (sur cette condition, cf. ATF 114 IV 103 consid 2a). L'auteur doit avoir conscience du danger de mort imminent pour autrui et adopter volontairement un comportement qui le crée (ATF 121 IV 67 consid. 2d). En revanche, il ne veut pas, même à titre éventuel, la réalisation du risque, sans quoi il s'agirait d'une tentative d'homicide (ATF 107 IV 163 consid. 3). Le dol éventuel ne suffit pas (arrêts 6B_834/2022 précité consid. 1.1.1; 6B_1321/2017 précité consid. 2.1; 6B_876/2015 du 2 mai 2016 consid. 2.1). 
 
 
1.2. Le recourant réfute la mise en danger concrète de la vie de B.________ dans la mesure où la présence de trois pétéchies rétro-auriculaires et cutanées démontrerait uniquement une compression cervicale prolongée et non un étranglement suffisamment long et intense pour entraîner une asphyxie ou une mise en danger de la vie.  
Il ressort des faits établis par la cour cantonale, et qui lient la cour de céans, que B.________ ne s'est pas évanouie lors de la strangulation et qu'elle a immédiatement pris la fuite dès que le recourant a relâché son étreinte (cf. arrêt attaqué, p. 13). C'est en tout cas la version - qui correspond à celle du recourant - que celle-ci a tenue le soir même à la police, bien qu'elle eût auparavant déclaré aux expertes avoir perdu connaissance (cf. arrêt attaqué, p. 11). Il ressort également des faits établis que seules des ecchymoses et des pétéchies rétro-auriculaires ont été retenues, à l'exclusion de pertes d'urine et de selles (cf. arrêt attaqué, p. 13). Sur ce dernier point, les témoins C.________ et D.________ n'ont pas confirmé les dires de la victime, bien qu'ils aient tous deux remarqué qu'elle portait un short en jeans et qu'elle avait des taches de sang sur sa blouse (cf. arrêt attaqué, p. 11). La victime n'a d'ailleurs jamais prétendu s'être changée avant de prendre la fuite. Il est donc peu vraisemblable que les deux témoins n'aient rien remarqué à cet égard. 
La perte de connaissance et le relâchement des sphincters, qui caractérisent selon les expertes une souffrance cérébrale, sont toutefois des faits sur lesquels ces dernières se sont fondées pour conclure à une mise en danger concrète de la vie de B.________ (P. 143). Sans un complément d'expertise, il est impossible de savoir si les lésions constatées (pétéchies, ecchymoses au niveau du cou), en l'absence des éléments non retenus (perte de connaissance et relâchement des sphincters), permettent malgré tout de retenir une mise en danger de la vie de la victime. Le grief du recourant est donc fondé. À défaut de complément d'expertise, la cour cantonale ne pouvait, sans tomber dans l'arbitraire, condamner le recourant pour mise en danger de la vie d'autrui. Un complément d'expertise est nécessaire. 
 
2.  
Le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs. La cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. 
Le recourant, qui obtient gain de cause, ne supporte pas de frais judiciaires et peut prétendre à de pleins dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral, à la charge de la République et canton de Genève (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF). 
La demande d'effet suspensif est sans objet. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé. La cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
La République et canton de Genève versera au recourant une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision. 
 
 
Lausanne, le 8 novembre 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jacquemoud-Rossari 
 
La Greffière : Brun 


Synthèse
Formation : Ire cour de droit pénal  
Numéro d'arrêt : 6B_131/2024
Date de la décision : 08/11/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2024
Fonds documentaire ?: www.bger.ch
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2024-11-08;6b.131.2024 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award