Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_1173/2024
Arrêt du 19 décembre 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Kölz et Hofmann.
Greffière : Mme Nasel.
Participants à la procédure
A.________, actuellement détenu à l'Établissement de détention, représenté par Maîtres Marco Schwartz et/ou Elmar Wohlhauser, avocats,
recourant,
contre
1. B.________, juge au Tribunal des mesures de contrainte de l'État de Fribourg, case postale 1641, 1701 Fribourg,
2. Ministère public de l'État de Fribourg, case postale 1638, 1701 Fribourg,
intimés.
Objet
Récusation,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg du 1er octobre 2024
(502 2024 211 - 502 2024 227).
Faits :
A.
A.a. Depuis 2021, une instruction pénale est dirigée contre A.________ (ci-après: le prévenu), né en 1970, pour utilisation abusive d'une installation de télécommunication, contrainte, contrainte sexuelle, viol, actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, escroquerie par métier, faux dans les titres et infractions à la loi sur la santé. Depuis 2022, l'instruction est menée par C.________, procureure au Ministère public de l'État de Fribourg (ci-après: le Ministère public).
A.b. B.________ (ci-après: la juge intimée), juge au Tribunal des mesures de contrainte de l'État de Fribourg (ci-après: le TMC), a ordonné le 10 septembre 2022 la détention provisoire du prévenu pour une durée de 15 jours, soit jusqu'au 21 septembre 2022. Le 27 septembre 2022, la juge intimée a décidé de remplacer la détention provisoire du prévenu par diverses mesures de substitution, dont notamment une interdiction de quitter la Suisse. Ces mesures de substitution ont été prolongées, respectivement adaptées à plusieurs reprises.
A.c. Le 14 août 2024, le prévenu a fait l'objet d'un avertissement prononcé à la suite de manquements constatés dans le suivi de ses rendez-vous au Service de l'exécution des sanctions pénales et de la probation.
A.d. Le 15 août 2024, à 1h15 du matin, la police a interpellé le prévenu alors qu'il venait d'entrer en Suisse, depuis la France, par la frontière franco-suisse de Bâle-Kannenfeld; lors de sa prise en charge par la police fribourgeoise, les agents ont constaté qu'il était en possession de nombreux tickets de péage, dont il ressortait qu'il venait d'effectuer un trajet autoroutier en Belgique. De permanence au moment de l'interpellation précitée, le procureur du Ministère public D.________ a décerné des mandats d'amener, de perquisition et de séquestre. Le même jour, il a auditionné le prévenu, puis il a demandé, le lendemain, la révocation des mesures de substitution en vigueur et la mise en détention provisoire du précité pour une durée de trois mois.
Après avoir entendu le prévenu le 16 août 2024, le TMC, cette fois-ci agissant par la juge E.________, a, le même jour, révoqué les mesures de substitution et a placé le prévenu en détention provisoire pour une durée de 10 jours, soit jusqu'au 25 août 2024.
Le 2 septembre 2024, la juge intimée a fait suite à la demande du 21 août 2024 de la procureure C.________ de prolonger la détention provisoire du prévenu pour une durée de trois mois, en l'ordonnant jusqu'au 25 novembre 2024.
B.
Le 16 septembre 2024, le prévenu a interjeté un recours contre cette dernière décision, concluant en particulier à la constatation de la violation du principe de la célérité et de la nullité de la décision querellée en raison de la violation par la juge intimée de son devoir de se récuser, ainsi qu'à sa libération immédiate, subsidiairement moyennant des mesures de substitution.
Par arrêt du 1 er octobre 2024, la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg (ci-après: l'autorité précédente ou la cour cantonale) a rejeté le recours du prévenu et a confirmé l'ordonnance précitée; elle a par ailleurs rejeté sa requête tendant à la désignation d'un défenseur d'office pour la procédure de recours, a mis les frais de la procédure de recours à sa charge et a refusé de lui allouer une indemnité.
C.
Par acte du 4 novembre 2024, A.________ interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, en concluant à son annulation en raison notamment de la violation du devoir de récusation de la juge intimée, respectivement à sa réforme dans le sens de sa libération immédiate et de l'admission de sa requête d'assistance judiciaire gratuite - comprenant en particulier la désignation de son mandataire en qualité de défenseur d'office - pour la procédure de recours. Il conclut également à ce que la violation du principe de la célérité soit constatée et à ce que les frais de la procédure devant le TMC et devant l'autorité précédente soient mis à la charge de l'État de Fribourg. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Il sollicite en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale.
Invitée à se déterminer, la procureure C.________ a conclu au rejet du recours et de la requête d'assistance judiciaire, dans la mesure de leur recevabilité, se référant au contenu de sa détermination du 19 septembre 2024 déposée dans le cadre de la procédure de recours cantonale ainsi qu'aux considérants de l'arrêt rendu le 1 er octobre 2024 par l'autorité précédente. En annexe de ses déterminations, elle a produit un courrier du 8 novembre 2024 du mandataire du recourant dans lequel il propose la fourniture d'un montant de 100'000 fr. pour pallier le risque de fuite retenu (cf. art. 238 CPP ). L'autorité précédente n'a pas formulé d'observations sur le recours, tandis que la juge intimée a conclu à son rejet, adhérant à l'arrêt entrepris et se référant à ses observations du 20 septembre 2024 adressées dans le cadre de la procédure de recours cantonale.
Considérant en droit :
1.
Conformément à l' art. 54 al. 1 LTF , le présent arrêt sera rendu en français, langue de la décision attaquée, même si le recours est libellé en allemand, comme l'autorise l' art. 42 al. 1 LTF .
2.
Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 et 92 al. 1 LTF) est ouvert contre les décisions relatives à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP et à la récusation d'un magistrat pénal (arrêt 7B_156/2023 du 31 juillet 2023 consid. 1.1). Le recours a été formé à l'échéance du délai fixé à l' art. 100 al. 1 LTF contre une décision prise en dernière instance cantonale pour ce qui est de la détention, respectivement en instance unique s'agissant de la demande de récusation de la juge intimée ( art. 80 LTF ).
La détention du recourant repose actuellement sur l'ordonnance rendue le 4 décembre 2024 par le juge ad hoc F.________ du TMC qui la prolonge jusqu'au 25 février 2025, notamment en raison du risque de fuite qu'il présente. Le recourant conserve dès lors un intérêt actuel et pratique à l'examen de ses griefs à cet égard (cf. art. 81 al. 1 LTF ; ATF 149 I 14 consid. 1.2; 139 I 206 consid. 1.2.3; arrêt 7B_698/2024 du 12 juillet 2024 consid. 1.1). En outre, l'arrêt entrepris, en tant que décision incidente, peut causer au recourant un préjudice irréparable au sens de l' art. 93 al. 1 let. a LTF . Le recourant a en outre la qualité pour recourir en ce qui concerne le rejet de ses conclusions en annulation de l'ordonnance rendue le 2 septembre 2024 par la juge intimée en raison de son devoir de se récuser ( art. 81 al. 1 LTF ).
3.
La question de savoir si la pièce produite par la procureure C.________ en annexe de ses déterminations sur le recours est recevable ou non peut demeurer indécise, au vu de ce qui suit.
4.
Le recourant commence son écriture par un résumé des faits de la cause. Une telle manière de procéder, dans la mesure où les faits présentés s'écartent des constatations de l'autorité précédente ou les complètent sans qu'il soit indiqué et a fortiori démontré que celles-ci seraient manifestement inexactes ou arbitraires, est irrecevable, le Tribunal fédéral n'étant pas une instance d'appel (cf. ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2).
5.
5.1. Le recourant fait ensuite valoir une violation des art. 56 CPP , 29 et 30 Cst. Selon lui, les circonstances fonderaient une apparence de partialité de la juge intimée, dès lors qu'elle serait en couple avec le procureur D.________.
5.2. La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH - qui ont, de ce point de vue, la même portée - permet de demander la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles du plaideur ne sont pas décisives (ATF 139 I 121 consid. 5.1; 138 I 1 consid. 2.2; arrêts 7B_598/2024 du 5 novembre 2024 consid. 6.2.1; 1B_78/2019 du 29 avril 2019 consid. 3.1).
Les motifs de récusation mentionnés à l' art. 56 CPP concrétisent ces garanties. Conformément à cette disposition, hormis les autres cas qui n'apparaissent pas devoir entrer en considération en l'espèce (art. 56 let. b, d et e CPP), toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser, notamment, lorsqu'elle a un intérêt personnel dans l'affaire (let. a), lorsqu'elle est mariée, vit sous le régime du partenariat enregistré ou mène de fait une vie de couple avec une partie, avec son conseil juridique ou avec une personne qui a agi dans la même cause en tant que membre de l'autorité inférieure (let. c) ou lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention (let. f). Cette dernière lettre a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres a à e (arrêts 7B_598/2024 du 5 novembre 2024 consid. 6.2.1; 7B_768/2024 du 30 octobre 2024 consid. 2.2).
À titre d'exemple, selon la jurisprudence, un juge ne peut pas statuer sur des décisions d'une autorité lorsque son conjoint, en tant que chef ou suppléant, avait donné des instructions pour l'élaboration de celles-ci (ATF 140 I 240).
5.3. En l'espèce, le procureur D.________ et la juge intimée forment un couple depuis de nombreuses années, ce qui n'est pas contesté. Cela étant, et quoi qu'en disent les autorités précédentes, les prénommés ont agi dans la même cause puisqu'ils sont tous deux intervenus dans le cadre de la procédure de détention du recourant. Le procureur D.________, qui est intervenu à une occasion dans cette procédure, lors d'une permanence, est à l'origine de la révocation des mesures de substitution mises en place par la juge intimée puis de la détention du recourant, puisqu'il a sollicité le 16 août 2024 sa mise en détention provisoire pour une durée de trois mois, requête qui a en partie été suivie. La juge du TMC E.________ a en effet, le même jour, révoqué les mesures de substitution puis a ordonné la détention provisoire du recourant pour une durée de 10 jours, soit jusqu'au 25 août 2024. Seulement 5 jours plus tard, soit le 21 août 2024, la procureure en charge de l'instruction de l'affaire, C.________, a requis la prolongation de la détention provisoire du recourant, pour une durée de trois mois. A l'appui de cette demande, elle s'est fondée sur de nouveaux éléments, soit le rapport d'enquête de la police du 20 août 2024 ainsi que ses annexes; elle s'est également référée aux considérations du procureur D.________ émises à l'occasion de sa demande de mise en détention. Sa requête a été entièrement suivie par la juge intimée, qui a ordonné la prolongation de la détention provisoire du recourant le 2 septembre 2024 durant trois mois.
Ces circonstances temporelles et factuelles (intervention du couple dans la procédure de détention du recourant dans un intervalle d'environ 2 semaines, demande de prolongation de la détention provisoire du recourant émise par la procureure C.________ se fondant sur la demande de mise en détention du procureur D.________, proximité temporelle entre les ordonnances rendues par la juge du TMC E.________ et la juge intimée et l'appréciation différente de ces deux magistrates au sujet de la durée de la détention du recourant), ajoutées au fait que la juge intimée et le procureur D.________ forment un couple depuis de nombreuses années, dans un contexte où il est question de privation de liberté, donnent l'apparence d'une prévention de la juge intimée et font redouter une activité partiale. En effet, elles justifient de reconnaître à tout le moins objectivement l'apparence de prévention, indépendamment d'une prévention effective de la juge intimée.
5.4. L'autorité précédente ne pouvait dès lors pas, sauf à violer le droit fédéral, considérer qu'il n'existait pas en l'espèce des éléments suffisants pour retenir une apparence de prévention de la juge intimée.
6.
6.1. Le recours doit dès lors être admis sur ce point et l'arrêt attaqué réformé en ce sens que l'ordonnance rendue le 2 septembre 2024 par la juge intimée est annulée. Il appartiendra dès lors à l'autorité précédente de rendre une nouvelle décision sur les frais et indemnité de la procédure de recours cantonale, ce qui rend sans objet les griefs du recourant sur ce point.
Cette admission a également pour conséquence de rendre sans objet les critiques du recourant en lien avec l'ordonnance du 2 septembre 2024, en particulier au sujet de la question du respect du délai prescrit par l' art. 227 al. 5 CPP , de l'existence d'un risque de fuite et de la proportionnalité de ladite décision.
Cela étant, cette admission n'entraîne pas pour autant la libération immédiate du recourant, puisqu'il existe un nouveau titre de détention. En effet, comme exposé plus haut (cf. consid. 2supra), la détention provisoire du recourant a été dans l'intervalle prolongée jusqu'au 25 février 2025 par ordonnance du 4 décembre 2024 du juge ad hoc du TMC F.________.
6.2. L'admission de l'existence d'un motif de récusation visant la juge intimée impliquait nécessairement la réforme de l'arrêt entrepris dans le sens d'une annulation de l'ordonnance rendue par cette dernière. Il y a donc lieu de considérer que le recourant a obtenu gain de cause, de sorte qu'il ne sera pas perçu de frais judiciaires ( art. 66 al. 1 et 4 LTF ). Le recourant peut en outre prétendre à une indemnité à la charge de l'État de Fribourg, ce qui rend sans objet sa requête d'assistance judiciaire pour la procédure fédérale ( art. 68 al. 1 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis et l'arrêt attaqué réformé en ce sens que l'ordonnance rendue le 2 septembre 2024 par la Juge du Tribunal des mesures de contrainte de l'État de Fribourg B.________ est annulée. Le recours est pour le surplus rejeté, dans la mesure où il n'est pas sans objet.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité, fixée à 3'000 fr., est allouée au mandataire du recourant à la charge de l'État de Fribourg.
4.
La demande d'assistance judiciaire est sans objet.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg et au Tribunal des mesures de contrainte de l'État de Fribourg.
Lausanne, le 19 décembre 2024
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Nasel