REPUBLIQUE DU TCHAD
AU NOM DU PEUPLE TCHADIEN
COUR SUPREME, SECTION CIVILE
Après lecture des conclusions du Procureur Général ;
Après les observations des conseils respectifs des parties ;
La Cour
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que dans le cadre du projet tchadien dit projet de Aa, Esso a été désigné opérateur chargé d'exécuter ledit projet (Organe d'Exécution) et a signé dans ce cadre le 21 octobre 2001 avec Taylors, une entreprise de restauration collective un accord dénommé Catering and General Services Agreement (le contrat) aux termes duquel Taylors s'est engagé à fournir à Esso des services de restauration collective ainsi que d'autres services annexes sur la base
- vie de Komé ; que pour ce faire, Taylors a signé un certain nombre de contrat de prestation de services et fournitures de biens avec des prestataires et fournisseurs locaux dont Ad Ae et Autres ; qu'après l'exécution de divers contrats et prestations de services et pendant qu'ils s'attendaient à un règlement de leurs factures, les prestataires locaux apprirent courant janvier 2005 à la Coordination du Projet Pétrole Tchadien ( Coordination) que la société Taylors, sous traitante de Esso avait quitté le Tchad ; que surpris et désemparés que ce départ ne leur ait été notifié qu'en janvier alors qu'il est effectif selon EEPCI depuis le 19 décembre 2003, les prestataires se rapprochèrent de Esso, organe d'exécution du projet, qui proposa à certains un contrat de transfert, de règlement et de décharge pour régler et mettre définitivement un terme à leur litige,
alors que pour d'autres, Taylors dans un document versé au débat reconnut leurs créances en présence de la Coordination ;
Attendu que conformément au contrat de transfert de règlement et décharge, certaines entreprises créancières de la société Taylors ont été désintéressées totalement ; que plusieurs créanciers ( SGTB, SOCOGIMEX, MOBIL OIL TCHAD, Ad A) ont accepté les propositions faites et ont ainsi reçu un paiement ; d'autres les ont rejetées et par acte en date du 23/04/2004, ont engagé une action au fond devant le tribunal de première instance de N'djaména qui, par jugement du 24/07/2004, a débouté Ae & Autres de l'intégralité de leur demande qui tendait à faire condamner Esso au titre des dettes de Taylors au paiement de la somme forfaitaire de 1 500 000 000 FCFA ; que sur appel interjeté par les demandeurs le 30/07/2004, la cour d'appel de N'djaména par arrêt, dont pourvoi, rendu le 17 juin 2005, ainfirmé le jugement entrepris et a condamné Esso au paiement de la somme totale de 1 374 929 210 FCFA ;
Sur le premier moven de cassation pris en sa première branche : violation des articles 1382 et suivants du code civil
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir mis en jeu la responsabilité délictuelle de EEPCI sans chercher à savoir, ni démontrer que Esso avait pris une part active à l'inexécution dont se sont plaints les défendeurs au pourvoi alors selon le moyen que la cour d'appel a omis une précision fondamentale dans l'application de l'article 1383 du code civil en ce que l'abstention n'engage la responsabilité de son auteur que si le fait omis devait être accompli en vertu d'une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle ;
Mais attendu que c'est en qualité d'opérateur principal et d'organe d'exécution du consortium pétrolier que EEPCI s'est engagé en relation avec les activités d'exploitation du pipeline, à ouvrir en République du Tchad et a donné en gage ses comptes locaux en vertu desquels toutes les sociétés sous traitantes qu'elles soient étrangères ou locales doivent préalablement être agrées par ESSO, puis choisies à la suite d'un appel à soumission lancé par elle avant de travailler dans la zone pétrolière de Komé ; que dans ces conditions, l'obligation de EEPCI tire sa source dans les actes uniformes issus du Traité OHADA, portant Droit commercial Général, à savoir pour les sous traitants dont Ab Ac, se conformer aux règles qui régissent l'activité économique au Tchad, obligation à laquelle ne satisfait pas Ab Ac qui n'a jamais été immatriculée au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier de N'djaména, n'a ni siège social connu sur le territoire national, à l'exception d'une boîte postale, mais a été agrée, choisie et autorisée par ESSO à travailler au Tchad suivant un contrat estimé à plusieurs millions de dollars et surtout à contracter avec des fournisseurs locaux, dont les défendeurs au pourvoi ; que par ailleurs ESSO ne peut sans engager sa responsabilité délictuelle, alors qu'elle était informée de la résiliation de son contrat avec Taylors le 17 décembre 2003 ne pas exiger de TAYLORS le paiement intégral des factures litigieuses avant son départ du Tchad ; qu'en ne le faisant pas, la négligence ou imprudence de ESSO,constitue une abstention fautive au regard de l'article 1383 du code civil qui engage sa
responsabilité en causant gravement préjudice aux intérêts de Chachathetffl^fes^ d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moven de cassation pris en sa deuxième branche : de la violation de l'article 206 du code de procédure civile
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli la demande de dommages et intérêts formée pour la première fois en cause d'appel par Ae et Autres, alors selon le moyen bien que procédant du même fait générateur, elle tend à la réparation de préjudices distincts de la non - exécution du contrat ;
Mais attendu que l'article 206 du code de procédure civile en son alinéa 3 pose le principe qu'une demande nouvelle est recevable dès lors qu'elle procède directement de la demande originaire et tend aux mêmes fins, bien que se fondant sur des motifs différents ; que la demande de réparation (dommages et intérêts) est la résultante de la faute contractuelle de ESSO et que le principe de toute réparation est de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si le fait générateur du dommage n'était pas survenu, la réparation du préjudice en l'espèce vise à replacer Ae et Autres dans la situation où elles se seraient trouvées sans la faute de EEPCI, il n'y a de ce fait aucune violation de l'article 206 du code de procédure civile, d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moven de cassation pris en sa troisième branche : défaut de réponses à conclusion et dénaturation des faits sur rengagement de
ESSO à paver les dettes de Tavlors
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt déféré d'avoir considéré que le compte rendu de réunion du 31.01.04 et le paiement conformément aux instructions de Taylors de certains de ses créanciers permettraient de démontrer qu'ESSO se serait directement engagée à régler les dettes de Taylors, alors selon le moyen qu'il n'a jamais été prouvé qu'ESSO se soit engagée en son propre nom à payer les créances des requérantes, mais qu'elle s'est uniquement engagée à payer les dettes de Taylors envers ses fournisseurs sur instructions de celui - ci et avec les sommes qu'elle lui devait, engagement confirmé par le Président de la coordination par courrier du 21.05.04, et que la cour ne peut ainsi prétendre sans dénaturer les faits, déduire du seul compte rendu de réunion et des offres de paiement qu' ESSO se serait engagée à régler les dettes de Taylors et qu'elle ait par ailleurs omis toute allusion au courrier du 21 mai 2004 qui démontre qu'ESSO ne s'est jamais engagée à payer les dettes de Taylors ;
Mais attendu que la dénaturation s'entend de l'interprétation erroné du sens clair et précis d'une clause d'un contrat ou d'un fait ; qu'en l'espèce l'arrêt attaqué n'a fait que reprendre le contenu du compte rendu de la réunion tenue le 30.01.04 dans les locaux de la Coordination selon lequel « par rapport aux dettes laissées par TAYLORS au TCHAD, ESSO s'engage à les régler.» ; qu'en reprenant le compte rendu de réunion tenue pour examiner les problèmes survenus lors du départ de TAYLORS, sans le commenter, pour le dénaturer, le moyen est mal fondé à reprocher à l'arrêt la
dénaturation de ce fait précis; d'où il suit que cette branche du moyen sur la dénaturation et le défaut de réponse à conclusion ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moven de cassation pris en sa deuxième branche : obscurité des motifs sur le reiet du moven tiré de rirrecevabilité des demandes présentées pour la première fois en cause d'appel
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt querellé d'avoir par des motifs obscurs rejeté l'irrecevabilité soulevée contre des demandes de dommages et intérêts invoquées pour la première fois en appel, alors selon le moyen qu'au regard des montants alloués, il y a bien allocation des dommages et intérêts en sus des créances contractuelles car les sommes accordées sont, dans la plupart des cas supérieures aux prétentions au principal et en ayant accordé des dommages et intérêts sans préciser sur quel fondement ils étaient accordés et s'il s'agissait de la réparation de préjudices souffert, depuis la décision de première instance, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un grave vice de motivation ;
Mais attendu que les motivations de l'arrêt sur ce point ainsi conçues sont pertinentes : « considérant que l'article 206 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que les parties pourront demander aussi des intérêts, arrérages, loyers et autres accessoires échus depuis la décision de première instance et, des dommages et intérêts pour le préjudice subi depuis cette décision »; qu'une telle demande au regard de l'article 206 du code de procédure civile ne constitue pas une demande nouvelle puisqu'elle procède directement de la demande originaire ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moven de cassation pris en sa troisième branche : défaut de réponse à conclusion sur la distinction entre les dommages et intérêts
compensatoires et moratoires
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir accordé des dommages et intérêts à Ae et Autres sans préciser s'il s'agit de dommages et intérêts compensatoires ou moratoires, alors selon le moyen qu'il est constant que la partie envers laquelle un engagement n'a pas été exécuté est en droit de demander soit l'exécution forcée de la convention par le débiteur, soit sa résolution aux torts de celui - ci ainsi que des dommages et intérêts ; que le choix de l'un de ces modes est exclusif de l'autre, le créancier qui réclame des dommages et intérêts renonce par là même à demander en même temps, l'exécution forcée du contrat, les seuls dommages et intérêts qu'il est possible de demander en pareil cas, sont des dommages et intérêts moratoires visant à indemniser le préjudice subi du fait du retard de paiement ; qu'en l'espèce, les appelants,qui entendaient obtenir la condamnation de ESSO à payer les dettes de Taylors à leur égard et demandaient donc l'exécution forcée du contrat qui les liait à ce dernier, ont devant la cour assorti leur réclamation initiale de demandes additionnelles visant à obtenir en outre le versement des dommages et intérêts compensatoires distincts de la réparation d'un préjudice qui serait dû au retard de paiement ; que l'un de ces chefs de demandes étant nécessairement irrecevable, la cour a délibérément omis de répondre sur ce point entachant ainsi sa décision d'un grave vice de motivation ;
Mais attendu qu'il s'agit dans l'arrêt attaqué de la responsabilité délictuelle de EEPCI pour négligence ou imprudence et non de sa responsabilité contractuelle, puisque Ae et autres n'ont jamais contracté avec EEPCI et qu'en la matière, il s'agit de réparation de préjudice subi c'est-à-dire, replacer les victimes aux frais d'ESSO dans la situation où elles seraient trouvées, si le fait générateur du dommage n'était survenu ; qu'une telle demande, même en cause d'appel ne constitue pas une demande nouvelle au ses de l'article 206 alinéa 3 du code de procédure civile ; d'où il suit que le moyen doit être rejeté ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi ; Condamne ESSO aux dépens ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président, le rapporteur et le Greffier.