La chambre Judiciaire de la Cour Suprême, statuant en matière pénale en son audience publique ordinaire du jeudi seize juin deux mille seize tenue au siège de la Cour Suprême à Lomé, à laquelle siégeaient messieurs :
Bawa Yaya ABDOULAYE, Président de la chambre Judiciaire, PRESIDENT,
Essozinam ADI-KPAKPABIA, Badjona SAMTA, Ananou Galley Gbeboumey EDORH et Koffi DEGBOVI, tous quatre Conseillers à la chambre Judiciaire, MEMBRES ;
En présence de Madame AH Ah An, Premier Avocat Général près la Cour Suprême ;
Et avec l’assistance de Maître Awié ATCHOLADI, Attaché d’Administration, Greffier à ladite Cour, GREFFIER ;
A été rendu l’arrêt ci-après entre le Ministère Public poursuivant, les ayants-droit de feu Ag Aa représentés par Ag Aj et assistés de maître AFANGBEDJI (partie civile)
D’une part ;
Et les nommés
1-C Ar Ac AG né en 1983 à Gnita-Apeyémé (P/VO) fils de C Ao et de AJ Al cultivateur, Togolais demeurant et domicilié à Gnita-Apeyémé (P/VO) marié, père de quatre (4) enfants, placé sous mandat de dépôt en date du 04 mars 2009 ;
Inculpé d’homicide involontaire ;
2-Z Ad Ae AG né le … … … à Akoumapé-Madja (P/VO), fils de Z Afansounoudji et de AI Ap, Eleveur, Chef Traditionnel, Togolais demeurant et domicilié à Ak Aq (P/VO), marié, père de dix-neuf (19) enfants laissé provisoirement en liberté à charge pour lui de déférer à toutes les convocations,
Inculpé de complicité d’homicide involontaire
Suivant ordonnance de renvoi en police correctionnelle en date du 27 novembre 2014,
D’autre part ;
A l’appel de la cause à l’audience du 19 mai 2016, le dossier a été retenu et le Président a exposé que les nommés C Ar Ac et Z Ad Ae comparaissent par-devant la chambre Judiciaire de la Cour suprême pour répondre des faits d’homicide involontaire suivant l’ordonnance sus-indiquée ;
Les accusés ont été interrogés et le Greffier a tenu notes de leurs réponses ;
Prenant à son tour la parole, le Ministère Public a résumé les faits puis a démontré la culpabilité des accusés, et a enfin requis la condamnation des deux prévenus à 05 ans de réclusion criminelle ;
L’Avocat de la partie civile a demandé d’appliquer la loi dans toute sa rigueur et de condamner les accusés à payer la somme de cent cinquante millions (150.000.000) de francs CFA aux ayants-droit de la victime ;
Quant à l’Avocat de la défense, il a demandé de relaxer les inculpés des poursuites en principal et subsidiairement s’il doit y avoir condamnation, il ya lieu de tenir compte de leur état ;
Sur quoi, le dossier a été mis en délibéré pour l’arrêt être rendu le 16 juin 2016 ;
Advenue l’audience de ce jour, 16 juin 2016, la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême, vidant son délibéré a statué en ces termes :
LA COUR,
Vu les pièces du dossier ;
Ouï les accusés en leurs réponses ;
Ouï le conseil B X en ses demandes et plaidoiries au profit des ayants-droit de la victime ;
Ouï le conseil Y At en ses demandes et plaidoiries au profit des accusés ;
Le Ministère Public entendu en ses réquisitions ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que suivant ordonnance N°01/2014 du 27 novembre 2014, un Conseiller de la Cour d’appel de Lomé désigné magistrat instructeur par ordonnance N°92/11 du 16 février 2011 par le Président de la Cour d’appel de Lomé suivant les dispositions des articles 446 et 447 du code de procédure pénale dans le cadre d’une poursuite pénale impliquant un chef traditionnel, les nommés C Ar Ac et Z Ad Ae ont été renvoyés devant la Chambre judiciaire de la Cour de céans pour répondre de la prévention de :
1-C Ar Ac
D’avoir à Gnita-Apéyémé, canton d’Akoumapé (P/Vo), le 09 août 2006, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, volontairement exercé des violences sur la personne d’Ag Ab Aa avec cette circonstance que lesdites violences exercées sans intention homicide ont cependant entraîné la mort de la victime ;
Faits prévus et réprimés par l’article 48 du code pénal ;
2-Z Ad Ae
De s’être à Gnita-Apéyémé, canton d’Akoumapé (P/Vo), le 09 août 2006, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription par ordre ou instruction (notamment le fait de donner des instructions au nommé C Ar Ac d’administrer des fessées à la victime pour la calmer) rendu complice des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention homicide du nommé Ag Ab Aa ;
Faits prévus et réprimés par les articles 13, 14 et 48 du code pénal ;
Sur l’action publique
Attendu qu’il ressort des éléments du dossier de la procédure que le 09 août 2006, le sieur Ag Af, cultivateur demeurant à Gnita-Akoumapé, s’est plaint devant le chef du village des agissements de son fils Ag Ab dit Aa qui lui a causé une blessure au front au moyen de sa culotte jean ; que conduit tout ivre devant le chef du village, celui-ci a continué par proférer des menaces à l’endroit de son père ; que des coups lui ont été alors administrés pour le calmer ; qu’il décéda plus tard après ce traitement ;
Attendu que le 26 octobre 2007, les ayants droit du défunt représentés par ANANI Yao, Agent immobilier demeurant et domicilié à Lomé, frère du de cujus, ont porté plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Vogan contre les nommés C Ar Ac, le vigile du chef ayant administré les coups mortels et Z Ad Ae, le chef du village pour avoir donné des instructions de coups mortels ; que ce dernier étant chef du village et donc bénéficiant de l’immunité des chefs traditionnels (Loi N°2007-002 du 08 janvier 2007 relative à la chefferie traditionnelle) et du privilège de juridiction (article 447 du code de procédure pénale), son immunité fut levée par arrêté N°106/MATDCL/2010 du 26 janvier 201 du Ministre d’Etat, Ministre de l’Ai Am et de la Décentralisation et des Collectivités Locales portant suspension dudit Chef ; que par lettre N°090/MJRIR/Cab du 16 juin 2010 du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, chargé des Relations avec les Institutions de la République, des poursuites ont été ordonnées contre le Chef et la procédure spéciale de poursuite prévue à cet effet a été enclenchée contre les deux prévenus ;
En la forme
Attendu que la saisine de la Chambre judiciaire de la Cour de céans par la procédure suivie est régulière et conforme à la loi ; qu’il a lieu de le déclarer recevable en la forme ;
Au fond
1-C Ar Ac
Attendu que le prévenu C a reconnu les faits ; qu’il a déclaré aussi bien à la barre que devant le magistrat instructeur, avoir administré six coups aux fesses de la victime et un septième coup au dos de celle-ci sans toutefois vouloir la tuer ; qu’il ressort des éléments de l’expertise médico-légale en date du 16 août 2006 versée au dossier qu’une lésion faite de boursoufflure a été relevée sur les fesses du défunt et que la mort de celle-ci est due en partie à son état d’ivresse ; qu’il y a lieu d’en déduire que sans être l’unique cause du décès de la victime, les coups administrés ont concouru à la survenance de la mort ; qu’ainsi le prévenu est coupable des faits de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention homicide prévus et réprimés par l’article 48 du code pénal et doit en conséquence encourir les rigueurs de la loi pénale ;
Attendu que le prévenu est un délinquant primaire ; qu’il est marié et père de quatre enfants ; qu’il convient de tenir compte des circonstances de la cause, notamment l’enchaînement des éléments fortuits comme l’alcool et autres pour lui faire bénéficier des circonstances atténuantes observant en cela les dispositions des articles 15 et 14 du code pénal ;
2-Z Ad Ae
Attendu que le prévenu Z a nié à la barre avoir donné des instructions au vigile pour administrer des fessées à la victime et a déclaré qu’il n’était plus présent sur les lieux à ce moment, occupé qu’il était à tenter de retrouver ses bêtes dispersées en dehors de leur enclos ;
Mais attendu que par des déclarations circonstanciées, il a reconnu devant le magistrat instructeur avoir donné des instructions aux fins d’administrer quelques fessées à Ab pour le calmer et apaiser son père qui, devant ses outrages, l’avait renié et l’abjurait de ne pas participer à son enterrement au moment de sa mort ; qu’C dit avoir agi sur ses instructions ; qu’il apparaît ainsi qu’il a donné ordre à son vigile d’administrer des fessées qui ont contribué à la mort de la victime ; que ces faits sont constitutifs de l’infraction de complicité de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention homicide poursuivie dans la présente cause ; qu’il y a lieu de l’en déclarer coupable et de le retenir dans les liens de la prévention ;
Attendu que le prévenu est délinquant primaire ; qu’il est marié et père de dix-neuf enfants ; qu’il convient de tenir compte des circonstances de la cause, notamment du retentissement personnel de son acte et social de la poursuite subséquente sur la chefferie traditionnelle dans le milieu pour lui faire bénéficier des dispositions relatives au sursis observant en cela les dispositions de l’article 30 du code pénal ;
Sur l’action civile
Attendu que le nommé, ANANI Yao, Agent immobilier demeurant et domicilié à Lomé, frère du de cujus, représentant des ayants droit de celui-ci s’est constitué partie civile et réclame aux prévenus le paiement de la somme de 150.000.000 FCFA pour toutes causes de préjudice confondues ;
Sur la forme
Attendu que cette constitution de partie civile est régulière ; qu’il y a lieu de la déclarer recevable ;
Au fond
Attendu selon les dispositions de l’article 1382 du code civil, que tout fait quelconque de l’homme qui cause un préjudice à autrui, oblige celui par la faute de qui il est arrivé à le réparer ;
Attendu que la mort de la victime est due au moins en partie aux coups qui lui ont été administrés ; qu’il ressort des éléments du dossier preuves suffisantes que c’est le premier prévenu C qui lui a administré ces coups sur instruction du second prévenu Z ; qu’il échet de les déclarer coupables du drame survenu et de les condamner conjointement à la réparation ;
Attendu que la victime était mariée et père de trois enfants ; que le montant des dommages et intérêts réclamés paraît excessif ; qu’il convient de le ramener à de justes proportions et de le fixer à la somme de 5.000.000 FCFA pour toutes causes de préjudice confondues ;
Attendu que les prévenus ayant été reconnus coupables des faits, qu’il y a lieu de les condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière pénale, en premier et dernier ressort ;
Sur l’action publique
En la forme
Déclare la saisine de la Chambre judiciaire de la Cour suprême suite à la procédure suivie, régulière ;
Au fond
1-Déclare C Ar Ac coupable de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention homicide commis sur la personne d’Ag Ab Aa ; En conséquence, le condamne à six ans de réclusion criminelle ;
2-Déclare Z Ad Ae coupable de complicité de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention homicide reproché à C Ar Ac ; En conséquence, le condamne à trois ans d’emprisonnement assortis de sursis ;
Sur l’action civile
En la forme
Reçoit la constitution de partie civile du sieur ANANI Yao, représentant des ayants droit de la victime Ag Ab dit Aa ;
Au fond
Condamne les prévenus C et Z à payer la somme de 5.000.000 FCFA aux ayants droit du de cujus pour toutes causes de préjudice confondues ;
Condamne les prévenus aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé par la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi seize juin deux mille seize (16-06-2016) à laquelle siégeaient :
Monsieur Bawa Yaya ABDOULAYE, Président de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême, EMPECHE ;
Messieurs Essozinam ADI-KPAKPABIA, Conseiller le plus ancien de la composition, PRESIDENT, Badjona SAMTA, Ananou Galley Gbeboumey EDORH et Koffi DEGBOVI, tous quatre Conseillers à ladite Chambre, MEMBRES ;
En présence de Madame AH Ah An, Premier Avocat Général près la Cour Suprême ;
Et avec l’assistance de Maître Awié ATCHOLADI, Attaché d’Administration, Greffier à ladite Cour, GREFFIER ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier
RS N°009/15
PRESENTS : MM
ABDOULAYE : PRESIDENT
EDORH, ADI-KPAKPABIA, DEGBOVI, SAMTA Membres
X : M. As
A : GREFFIER